A l’époque j’avais lu beaucoup d’avis enthousiastes sur Le village de Dan Smith, mais je l’avais laissé passer. J’ai voulu me rattraper cette fois avec Hiver Rouge. A mon grand regret, je dois dire que je ne suis pas convaincu.
Nous sommes au début de l’hiver 1920 quelque part en Russie centrale. L’armée rouge se bat encore contre les blancs, mais a aussi commencé à réprimer dans le sang les révoltes paysannes. Nikolaï Levitski a déserté avec son frère et ne veut plus qu’une chose : retrouver sa femme et ses fils et mener une vie paisible.
Malheureusement sur le chemin du retour, son frère meurt et quand il arrive chez lui, le village est désert, les hommes ont été torturés et tués, les femmes et les enfants ont disparus. Nikolaï va alors commencer une traque désespérée. Mais il est à la fois chasseur et gibier : les soldats qui étaient sous ses ordres le poursuivent pour l’abattre en tant que déserteur.
« On retrouve […] son talent pour […] faire éprouver au lecteur une véritable sensation physique des conditions de survie en milieu extrême » lit-on en quatrième de couverture.
Et c’est là que le bât blesse. Maintes fois la neige, le vent, le froid, la solitude déserte de la steppe, l’ombre glaçante de la forêt nous sont décrits. Maintes fois et parfois un poil lourdement. Et pourtant, pas de sensation de froid. De façon répétée, insistante, l’auteur nous dit que Nikolaï sent un froid (et un effroi) envahir son cœur, maintes fois son cœur se serre, souvent, trop souvent il nous rappelle qu’il a vu des horreurs mais que cette fois surpasse toutes les autres … Et il en va de même pour ses remords (il a fait des choses horribles), pour ses colères … Bref, c’est insistant, lourd même, et l’effet est contraire à celui que recherche l’auteur : pas une fois je n’ai été ému, effrayé, scandalisé, ou gelé.
Il en va de même pour le suspense. Dans le final, pendant plusieurs chapitres les personnages se demandent (à haute voix) quel est le mystère de l’isba où ils se sont réfugiés, et aucun ne devine. Alors que le lecteur, lui, a deviné depuis longtemps. Là aussi, effets de tension dramatique insistants mais qui tombent à l’eau.
Bref, même si c’est parfois intéressant, cela reste agaçant, donnant l’impression de regarder un de ces séries où de mauvais acteurs surjouent la surprise en écarquillant les yeux et la peur en ouvrant grand la bouche. Et où en plus, parfois, des cris ou rires enregistrés vous indiquent où avoir peur, et où rire.
Je sais, je suis méchant, sans doute trop. J’ai lu bien pire, c’est juste assez maladroit, et j’aurais sans doute abandonné en cours de lecture sans en parler si je n’avais pas été coincé en déplacement sans rien d’autre à me mettre sous la dent. Et je dois avouer que, malgré ses défauts, c’est quand même suffisamment bien fichu pour que, finalement, je sois allé au bout.
Et puis, ce qui m’agace, c’est que ce livre va être défendu parce qu’il dénonce les crimes de l’Armée Rouge contre des civils. Alors oui, tuer et torturer des civils, surtout au nom d’idéaux d’égalité c’est mal. A-t-on besoin d’un roman pour le savoir ? Non. Cela veut-il dire qu’il ne faut pas écrire de romans pour dénoncer les évidences ? Non plus.
Quelques exemples :
Staline c’est mal : L’évangile du Bourreau d’Arkadi et Gueorgui Vaïner et Nous autres de Zamiatine
Hitler c’est mal : La reine de la nuit de Marc Behm
La CIA et la drogue c’est mal : La griffe du chien de Don Winslow
La junte militaire c’est mal : Vladimir illitch contre les uniformes de Rolo Diez et Mapuche de Caryl Férey
L’assassinat de Troski c’est mal : L’homme qui aimait les chiens de Leonardo Padura
L’apartheid c’est mal : Le cercle fermé de Wessel Ebershon
Voler les enfants et tuer leurs parents c’est mal : Orphelins de sang de Patrick Bard
… Tous de grands livres, certains même des chefs-d’œuvre. A lire en priorité.
Dan Smith / Hiver rouge (Red winter, 2013), Cherche Midi (2015), traduit de l’anglais par Caroline Nicolas.
très bon article, j’approuve ! 😉 Et puis autant de moins à lire !
Tu avais lu le premier ?
non, je n’en avais pas eu envie. J’en ai un peu marre de me faire berner avec des tas d’éloges, et quand tu as le livre entre les mains : Boum ! il t’en tombe ! Je préfère me fier finalement à l’avis de quelques personnes avec lesquelles j’ai des goûts communs ( comme toi ) , essayer parfois des choses auxquelles je n’aurais pas pensé et qui me surprennent, et avant de lire et de faire un post sur le livre, je ne lis pas les avis ailleurs SAUF si je me sens trop en décalage, mais je ne renonce jamais à mon point de vue. Alors il y a ceux auxquels on ne peut pas échapper si on écoute le poste ( ! ) comme le Chardonneret qui fut une telle déception ! Et puis il y a ce que tu dis ici sur ce livre, qui me dit très fort de passer mon chemin. J’approuve particulièrement ton dernier paragraphe et la liste qui suit.
Bon, attendons donc les réactions de ceux qui avaient aimé le premier, peut-être que j’ai raté quelque chose …
Aïe, je viens de l’accepter en SP et constate qu’il y a quand même des détails affreux. Je risque aussi de ne pas être sensible au froid et au suspense (je déteste qu’on me prenne par la main)(et qu’on insiste lourdement sur ce que je dois ressentir)
Bah, on verra, après tout tu l’as lu en entier?
Je l’ai lu en entier. ET le premier avaient eu de très bons billets sur pas mal de blogs … c’est peut-être moi qui étais mal luné. Tu me diras.
Je n’ai pas lu le premier, et je lis peu de polars finalement. Donc peut-être que ça ira!
Ca devrait aller …
Je n’ai pas lu celui-ci,oublié par le service presse (tant mieux quand je te lis) mais j’avais beaucoup aimé le premier tout en étant peu fan de thrillers .Celui-ci semble une copie du premier,d’après ce que tu en dis.Dommage.
Belle liste de romans,ma foi.
J’attends de voir si quelqu’un a lu les deux pour voir s’il y a d’autres avis que le mien.
bah j’ai adoré le premier, mais là pareil sp on nous a oublié, bof bof, je passe je verrai plus tard, j’ai tes tonnes de trucs en retard
je viens de finir les derniers jours du Condor, une merveille
Pas encore eu le condor, j’ai des ratés dans les SP …
Et j’espère que quelqu’un d’autre que moi va lire ce Smith, pour voir si mon sentiment est partagé.
Puisque dans ta liste de grands livres, la politique (russe, entres autres) est très présente, si tu veux bien sortir du cadre du roman policier et si ce n’est déjà fait, je te conseille de lire « La Mémoire des Vaincus » de Michel Ragon qui tient du roman populaire et de la fresque historique d’une bonne moitié du XXème siècle.
Je note, merci pour la référence.