Patrick Pécherot est un auteur rare et discret. C’est aussi un grand amateur d’histoire (et surtout d’histoire sociale), un très beau styliste et un conteur. Une plaie ouverte confirme tout cela.
1905, Matthew J. Velmont, privé chez Pinkerton est payé par un français pour retrouver un certain Valentin Louis Eugène Dana. L’homme aurait été aperçu dans le Wild West Show de Buffalo Bill. En 1870, Dana, Verlaine, Courbet, Vallès, Louise Michel et bien d’autres résistaient aux Prussiens puis aux Versaillais. Marceau faisait partie du groupe, il est resté à Paris et a survécu à l’épuration, il pense que Dana était un escroc qui les a trahis. Il le cherche partout.
Bientôt le Wild West Show va débarquer à Paris, l’heure de la confrontation a peut-être sonné, si Dana existe toujours, s’il est bien celui que croit Marceau …
Une plaie ouverte est un roman qu’il faut mériter. Mais on est récompensé au centuple des petits efforts consentis.
Il faut quelques efforts parce qu’on ne voit pas du tout, au début, où l’auteur nous amène. Chapitres très courts, qui suivent les tribulations d’un détective à la poursuite d’un fantôme dans tous les Etats-Unis. Des morceaux de réponses, des éclats de vérité ou de racontars, des éclairs de souvenirs remontant à 1870. Chaque chapitre est passionnant, l’ensemble est comme flottant en apesanteur, sans que le lecteur comprenne bien ce qui relie les morceaux.
Puis on arrive à Paris, entre juillet 1870 et juin 1871. Les espoirs, les désillusions, les erreurs, la grandeur et les petitesses, le courage, la générosité et quelques mesquineries de La Commune. Puis le massacre, le bain de sang mené et commandé par ceux qui ont eu peur d’être dépossédés de leur pouvoir et de leur argent par les gueux. Là aussi, tableau impressionniste, de très courts chapitres qui font revivre magnifiquement cette année mythique, vomie par les uns, idéalisée par les autres. Patrick Pécherot déboulonne les statues, non pour les oublier et les enterrer mais pour faire renaître les hommes de chair et de sang. Admirables mais humains, donc faibles parfois, injustes, envieux, hésitants … et pourtant capable d’une telle grandeur. Ce qui ne les rend que plus remarquables.
L’intrigue se noue, petit à petit, le tableau que l’on ne distinguait pas au début commence à prendre forme. Une forme qui pourrait être un trompe-l’œil. L’ombre est-elle lumière, voit-on un négatif ? Une photo truquée ? Qui est réel, qui est un ectoplasme … C’est tout cela qui sera dénoué de façon admirable et bouleversante dans la deuxième partie du roman. Pour un final qui vous laisse pantois.
Et mine de rien, avec une économie de moyens dont bien des auteurs pourraient s’inspirer, sans un mot de trop, Patrick Pécherot retrace aussi plus de trente ans d’histoire de France (et un peu des US), trente ans qui ont vu des massacres, des idéaux noyés dans le sang, l’Ouest américain devenir légende puis spectacle de cirque, l’apparition du cinéma, la vie et la mort d’artistes comme Courbet, Verlaine, Rimbaud, Vallès …
Une plaie ouverte est sans doute un roman qui se mérite, c’est surtout un des grands chocs de cette rentrée. A lire, sans faute.
Patrick Pécherot / Une plaie ouverte, Série Noire (2015).
De très bonnes critiques avec ce livre mais j’hésitais, car si j’aime l’histoire, je suis souvent déçu par les polars historiques. Là période est attirante, Jean Marc tu as emporté ma décision. Je vais chez mon libraire.
J’espère que tu ne seras pas déçu ! J’attends ton retour avec impatience.
Voilà. Un roman qui se mérite, mais indispensable.
Nous sommes bien d’accord.
Mais arrêtez, n’en jetez plus, je le note, je le note !! 😛
Si si, on va continuer à en jeter !
Mon dieu, mes murs vont crouler sous le poids des livres 😉
Waouh, quel bouquin ! Quel souffle. Si j’avais une âme, je la vendrais au diable pour écrire seulement moitié aussi bien que Pécherot. Une langue ciselée pour nous plonger au cœur de la Commune. Des mots qui claquent. Un vaste poème en prose. Certains passages, je les savourais en les lisant deux ou trois fois à haute voix, histoire de m’imprégner de la bande son de ce chef d’œuvre. Quelque part entre Le Voyage au bout de la Nuit et Tardi.
Bref, ça faisait un bail que j’avais pas lu un truc aussi puissant.
Et merci pour le conseil. J’avais rien lu de Pécherot. Maintenant j’attaque La Quête de Wynne, ça démarre vraiment bien.
Tranchecaille du même Patrick Pécherot est aussi assez exceptionnel.
J’dégaine un peu tard. Pécherot a aussi écrit « L’homme à la carabine (chez Gallimard « blanche » et Folio) magnifique roman sur la bande à Bonnot. C’est ta rubrique de « La tête en noir » qui m’a fait réagir (mieux vaut tard…)
Je l’avais laissé passer en son temps. Il faudrait maintenant que je trouve le temps de le lire. Toujours un problème de temps !
Quelle écriture ! Et je suis complètement d’accord, je l’ai perçu exactement comme toi. Il se mérite et c’est magnifique.
J’espère qu’il va trouver le public qu’il mérite. Petit à petit, grâce au bouche à oreille.
Salut Jean-Marc : je n’ai pas trouvé de formulaire de contact, alors je mets ça là parce qu’il y est, notamment question de Patrick Pécherot, mais pas que. Il y aura aussi Christian Roux, Marin Ledun et Dominique Manotti, le tout avec l’association 813. Comme c’est un salon du livre, mais au sein d’un festival mis en place par une orga politique, tu n’as qu’à virer si tu penses que ça n’a pas sa place ici.
http://www.cnt-f.org/festival-cnt/event/polar-et-politique/
Si, tout a sa place ici tant que c’est de bon goût !
Merci !