J’ai repéré le billet chez Yan. Un roman écrit à quatre mains par Sébastien Rutés et le regretté Juan Hernández Luna, cela ne pouvait qu’exciter ma curiosité. C’est Monarques.
Comment, en cette fin de 1935 Jules Daumier, jeune parisien, livreur de l’Humanité et Augusto Solís, illustrateur vivant à Mexico ont-ils pu entrer en contact ? Que viennent faire ici un nain fan de lucha libre (en France le catch), un bocal d’escargots, une mystérieuse espionne allemande (prétexte à la rencontre entre les deux hommes), des dignitaires nazis et Walt Disney, sur le point de réaliser son premier long métrage : Blanche Neige ?
Quelles répercussions l’agitation de ces personnages peut-elle bien avoir sur deux jeunes gens à la fin du XX° siècle ? Qu’est-ce donc que cette histoire de trésor ? Autant de questions insolites qui trouveront leur réponse dans Monarques.
Bien évidemment, on pense à Paco Ignacio Taibo II (qui d’ailleurs fait une brève apparition dans le roman). Comment pouvait-il en être autrement dans ce livre écrit à quatre mains par deux de ses amis, son compadre mexicain présent dans tant de ses livres, et son ami français, auteur d’une thèse sur son œuvre ?
La référence est une arme à double tranchant, de celles avec lesquelles on a vite fait de se couper si on la manie mal. Heureusement, les deux auteurs sont des experts. Ils manient la référence, jouent avec, sans qu’elle soit jamais écrasante.
C’est qu’on s’amuse beaucoup dans ce roman en trois parties.
La première, composée d’un échange de lettres entre Daumier et Solís, agrémentée des mots que le jeune français utilise pour communiquer avec sa mère sourde plante le décor, ou plutôt les décors, de chaque côté de l’Atlantique. Et présente les personnages, dont on suit les évolutions (y compris d’écriture) d’une lettre à l’autre. Première partie au style vif, particulièrement bien construite avec les ellipses créées par des échanges forcément fragmentaires : les lettres mettent du temps à aller d’un narrateur à l’autre, s’arrêtent souvent en plein suspense, mêlent deux lieux et deux actions qui n’ont, a priori, rien à voir. C’est virtuose et très réjouissant.
La seconde partie totalement rocambolesque est un mélange d’aventure avec femme fatale, un peu de Casablanca mâtiné d’Indiana Jones. Chasse au trésor, complots nazis, délires mystiques autour de Blanche Neige et de ses nains … Parfois un peu trop riche et chargé à mon goût, moins enlevé que la première partie, mais l’humour arrive à tout faire passer.
La troisième partie voit un nouvel échange, de mails cette fois, entre deux descendants des protagonistes de départ. Echange plus grave, retour sur les blessures encore visibles de l’histoire de ce XX° siècle. Mais échanges là encore agrémentés par des considérations assez drôles sur la symbolique de ce fameux Blanche Neige, avec même l’apparition de … Shreck ! Et toujours, en toile de fond La femme fatale, la Princesse putain autour de qui tout le roman tourne.
L’ensemble est cohérent, virtuose, jouissif et réussit à être à la fois un hommage à la culture populaire et un ouvrage érudit. Sébastien Rutés a malheureusement dû terminer le travail commencé avec son ami, décédé en 2010. Il ne pouvait pas mieux honorer sa mémoire.
Sébastien Rutés et Juan Hernández Luna / Monarques, Albin Michel (2015).
Je suis heureux que tu l’aies lu et qu’il t’ait plu. C’est un sacré bouquin.
Un sacré bouquin. Et heureusement que je l’avais repéré chez toi, sinon je serais complètement passé à côté.
Bonjour,
Merci pour cette chronique qui me rappelle que je n’ai toujours pas lu ce roman. Et pourtant, j’apprécie les deux auteurs.
Au passage, petite coquille à corriger. Le bouquin est paru chez Albin Michel et non à La Manufacture des livres.
BàV
Merci c’est corrigé. On ne se relit jamais assez !
Bonjour. Deux choses : primo, vous m’avez terriblement donne envie de lire ce roman. Merci pour ca. Segondo, j’ai enfin eu le bonheur de lire »The Cartel » de l’inestimable Don Winslow (en anglais, bien entendu, trop impatient ) et je vous prie de vous attendre a une serieuse deflagration litteraire. C’est comme »La griffe du chien », mais c’est bien plus sauvage, desespere, heroique, touffu, dingue a tout points de vue surtout si , dans certains passages extremement eprouvants ou on pourrait reprocher a Winslow une indeniable complaisance pour le sordide, l’on se rappelle que tout ceci est malheureusement inspire d’histoires vraies ( certains blogs mexicains illustrent de maniere tres crue cette realite sinistre ). La griffe du chien, c’est Anna Gavalda en comparaison. Voila, ce tres court commentaire n’a pas grand chose a faire ici mais je viens de finir le bouquin, il me hante par son ampleur, son ambition et sa folie et je ne voyais que vous, dont je lis frequemment les articles et vous sachant amateur de la chose, pour partager ce feedback qui je l’espere sera mutuel. Bon, maintenant, le probleme, c’est que n’importe quel bouquin va me paraitre terriblement fade pendant un bon moment. Au revoir
C’est malin ! Comment je vais faire pour patienter maintenant ?
Sinon, d’expérience, après un bouquin comme ça il faut changer radicalement. Un bouquin drôle, déjanté, ou très léger, ou de la SF … Surtout changer radicalement.
Good luck !
Je pense qu’un tim dorsey ou un joe lansdale seront d’appreciables zones de transitions !
Patientez sereinement, ca en vaut largement la peine !
Dorsey ou Lansdale sont en effet de bons sas de transition. Et je vais attendre, le plus sereinement possible !
Bonjour,
le choix de la couverture m’intrigue : mettre une femme à poils est vendeur, certes, mais je ne vois pas bien le rapport avec l’intrigue du roman. Une idée ?
Une idée. Il y a une femme fatale, et guère farouche au centre du roman.
Et cette photo est évoquée dans la dernière partie, dans l’échange entre les descendants.
Et puis c’est un bandeau qui s’enlève …
Donc oui c’est étrange, mais pas sans rapport.
merci
De rien.