Après la découverte du magnifique L’art de voler d’Antonio Altarriba et Kim, j’avais pisté la sortie de L’aile brisée, le volet consacré à sa mère. Et comme je savais qu’ils venaient tous les deux pour Toulouse Polars du Sud, j’ai attendu, sagement, pour l’acheter et me le faire dédicacer.
Pozuelo del orden, tout un programme (le petit puits de l’ordre !), un village complètement perdu de Castille. Sofia meurt en donnant naissance à Petra. Fou de douleur le père, Damian, veut tuer le bébé, mais des parents l’en empêchent. Dans la bagarre le bras de la petite est cassé, elle ne pourra plus jamais le plier.
Bien des années plus tard, Antonio Altarriba, le fils de Petra, découvre sur son lit de mort le handicap de sa mère. Il ne s’en était jamais aperçu, le mari non plus. Il va remonter le temps pour essayer, bien tardivement, de comprendre cette femme qui fut sa mère qu’il avait toujours vu comme une bigote sans histoire. Une recherche dans une Espagne qu’il ignore autant qu’il « connaît » celle de son père (celle, sociale, des vaincus de la guerre), l’Espagne monarchiste et catholique.
« Et votre mère ? » demanda une femme au fond de la salle. C’est ainsi, explique Antonio Altarriba, qu’il s’aperçut qu’il ignorait tout de la vie de sa mère, qui était toujours restée dans l’ombre, qui pour lui n’avait pas eu une vie romanesque, à l’inverse d’un père témoin privilégié et victime des soubresauts de l’histoire espagnole. Au point de découvrir, à quelques jours de sa mort, qu’elle avait toujours eu un bras paralysé.
Après l’Espagne des vaincus de la République c’est celle, silencieuse, des femmes servantes, bigotes, tenues pour quantité négligeable qu’on découvre ici avec lui. Le dessin très sobre mais sans concession de Kim est en parfaite adéquation avec la vie de cette femme, soumise d’un côté, mais inflexible sur des valeurs (que l’auteur ne partage pas forcément), et finalement plus courageuse qu’il ne pouvait l’imaginer.
Et avec cette vie de femme, c’est une autre Espagne que l’on découvre, ainsi que l’histoire, totalement inconnue (au moins de moi) d’une frange qui, après avoir été du côté de Franco lors de la guerre, a comploté pour remettre le roi à la tête du pays et a payé cela de sa vie. Des hommes et des femmes qui, tout en ayant des valeurs très différentes de celles de l’auteur (et des miennes !) méritent le respect pour leur cohérence et leur humanité.
Bref, L’art de voler et L’aile brisée sont bien deux œuvres complémentaires et indispensables pour qui s’intéresse à l’histoire de l’Espagne au XX° siècle. Deux œuvres qui, comme le dit souvent Victor del Arbol, s’intéressent à ces personnages que l’on voit sur les photos mais dont on ne connaît jamais les histoires.
Antonnio Altarriba (scénario) Kim (dessin) / L’aile brisée (El ala rota, 2016), Denoël Graphic (2016), traduit de l’espagnol par Alexandra Carrasco.