Les américains ne peuvent pas ignorer le phénomène des ados qui font des carnages dans leurs lycées. Bryan Reardon s’y attaque dans Jake.
Simon Connolly est un père modèle. Il a laissé son emploi pour s’occuper de ses deux enfants, Jake et Laney. Avec des hauts et des bas, mais dans l’ensemble il est fier de ce qu’ils ont réalisé avec son épouse. Jusqu’au matin où il reçoit un SMS du lycée. Un adolescent a tiré sur ses camarades, en tuant 13.
L’angoisse, la panique. Rapidement Laney est de retour, mais pas Jake. Et c’est là qu’il apprend que c’est un camarade de Jake qui a tiré, que son fils a été vu en sa compagnie, et qu’il est soupçonné de complicité.
Comme Le bon père, ou comme le magistral Les feuilles mortes, nous allons être pendant plus de trois cent pages dans la tête d’un père désespéré, qui ne peut croire à ce qu’on lui raconte sur son fils, mais qui, malgré sa confiance, ne peut éviter les instants de doute.
Alors certes, il est un peu trop parfait ce père, et cette famille ressemble à une famille de la bibliothèque rose : le frère et la sœur ne se tartent jamais, il n’y a pas de hurlements, ils sont tous tout mignons, ils font tout bien comme il faut … Ca peut agacer, décrédibiliser.
Mais on peut aussi le voir comme le portrait d’une Amérique de la bourgeoisie moyenne d’une petite ville. Une Amérique complètement étouffante, où IL FAUT participer aux activités de voisinage, où IL FAUT être sociable, où IL NE FAUT PAS être un peu timide, et surtout, surtout, IL NE FAUT PAS être différent.
Une Amérique cocotte-minute qui ne peut que favoriser des explosions. Une Amérique dont on voit les effets sur Simon et son fils Jake qui sont un peu hors du modèle, un peu réservés. Avec un père qui subit une pression terrible et se demande, à chaque instant, s’il a bien agi, s’il a bien éduqué ses enfants, s’il les prépare bien à la vie future, en oubliant souvent de profiter et de faire juste des choses bêtes, pour le plaisir du moment (il est quand même un peu con le père !).
On peut trouver que le roman manque d’ambiguïté, cette ambiguïté qui des deux romans précédemment cités des chefs-œuvre. Mais, en tant que parent, on ne peut s’empêcher de se poser quelques questions, comme Simon, même si la situation ici n’est pas la même, même si je ne reconnais pas dans tout ce que pense et fait Simon (loin s’en faut), même si ici les ados qui pètent un câble n’ont généralement pas un fusil d’assaut sous la main …
Raté par certains côtés, mais à méditer quand même.
Bryan Reardon / Jake (Finding Jake, 2015), Série Noire (2018), traduit de l’anglais (USA) par Flavia Robin.
Ah, tiens, pas d’accord avec toi pour une fois (il faut bien que ça arrive de temps en temps), je trouve ce roman très réussi, justement par ce qu’il raconte des conventions sociales étouffantes de la middle-class américaine ; mais aussi par le portrait saisissant des doutes d’un père confronté à la culpabilité ; et encore par l’analyse des gestes ou moments de vie minuscules qui semblent dessiner le portrait d’un personne (en l’occurrence, un enfant puis adolescent différent des autres).
Reardon m’a paru très juste dans sa description des sentiments, et j’ai été bouleversé par la fin du roman, tout autant (si ce n’est plus) que par celle des « Feuilles mortes » – livre effectivement magistral de Thomas H. Cook dont le sujet est proche.
Bref, beaucoup aimé ce « Jake » !
Tout ce que tu dis je l’ai ressenti aussi, mais a posteriori, je me suis aperçu que cette famille trop parfaite m’a gêné. Et que ça manque d’ambiguité. Je ne peux pas dire ce que j’avais deviné depuis le début sans spoiler de façon sauvage, mais finalement, le roman est trop « gentil » pour moi.