Archives pour la catégorie Blanche

Paresse pour tous

Encore un pas de côté avec un roman/essai passé par un copain bien inspiré : Paresse pour tous de Hadrien Klent.

Emilien Long n’est pas un zouave comme dirait le professeur Tournesol. Prix Nobel d’économie, ancien prof de Princeton, revenu en France, à Marseille. Pendant le confinement qu’il passe dans son cabanon à Sormiou il décide d’écrire un livre très sérieux, inspiré, entre autres, par l’excellent Le droit à la paresse de Paul Lafargue, pour défendre, preuve scientifiques à l’appui, une solution de plein emploi et de bonheur à condition de ne travailler que 3 heures par jours.

Le livre a un succès retentissant, et sans bien comprendre comment, Emilien Long va se retrouver candidat à l’élection présidentielle de 2022. En campagne, à travailler comme un cinglé, lui qui défend les 3 heures par jours. Et s’il avait une chance …

Drôle d’objet que ce roman qui a également tout d’un plaidoyer. Ce n’est certes pas la découverte littéraire de l’année, mais la partie romancée est suffisamment plaisante pour que le fond politique passe avec le sourire. Et puis Paresse pour tous a au moins trois énormes avantages : Vous faire réfléchir à ce que sont nos vies, proposer une politique fiction plus optimiste que les excellents Collapsus et Les derniers jours des fauves et vous donner envie de lire ou relire Le droit à la paresse de Paul Lafargue.

Trois raisons de lire un bouquin, ça devrait déjà être suffisant non ? Sachez par ailleurs que la partie romancée ne cède jamais le pas à un cours d’économie ou de politique, que ça se lit très facilement et que le suspense qui monte tout au long du bouquin qui suit la campagne électorale ne peut que plaire aux amateurs de polar.

Alors convaincus ?

Hadrien Klent / Paresse pour tous, Le tripode (2021).

La cité des nuages et des oiseaux

Un autre livre choisi parce que j’en avais lu le plus grand bien sur les blogs : La cité des nuages et des oiseaux d’Anthony Doerr.

24 folios, à moitié détruits par le temps, racontant, dans un ordre incertain une farce philosophique : les aventures d’un berger grec voulant rejoindre la cité merveilleuse des oiseaux. Un texte de l’Antiquité grecque qui aura une influence déterminante au travers des siècles, sur quelques vies.

Celle de Konstance, à bord d’un vaisseau spatial emportant une poignée d’humains coloniser une autre planète. Celle d’Anna et Omeir pris dans la tourmente du siège de Constantinople au XV° siècle. Celle de Zeno Ninis, qui survit à la guerre de Corée et, à la fin de sa vie, monte une pièce à partir du texte avec des gamins dans une petite bibliothèque de l’Idaho. Celle de Seymour Stuhlman désespéré par l’état du monde au point de préparer un attentat pour réveiller les consciences.

Je ne connaissais absolument pas cet auteur, quelle erreur, vous avez là 700 pages de pur enchantement. 700 pages d’érudition jamais pédante, d’humanité, d’imagination. 700 pages d’histoires merveilleusement racontées, d’hommage à la lecture, aux livres et aux bibliothèques. 700 pages absolument magiques. Cerise sur le gâteau, l’auteur ne se moque pas de vous, à la fin, tout se tient parfaitement, malgré un démarrage qui pourrait laisser imaginer un tour de passe-passe un peu artificiel pour relier les époques et les personnages.

Impossible de lister toutes les thématiques évoquées dans le roman. Et puis ce serait fastidieux. Sachez seulement que chacune des histoires dans les différentes époques ferait déjà un très bon roman, que tous les personnages sont incroyablement attachants, que l’on vit, on souffre, ou rit avec eux, et que le tour de force de les réunir de façon aussi magistrale fait que le roman est encore bien meilleur que la somme de ses différentes parties.

On le referme ému, touché, émerveillé et heureux d’être un humain, et plus particulièrement un humain lecteur, malgré toutes les horreurs qui nous ont été données à voir. Parce qu’il reste quand même un petit espoir tant qu’il restera des livres, des bibliothèques et des lecteurs.

Anthony Doerr / La cité des nuages et des oiseaux, (Cloud cuckoo land, 2021), Albin Michel (2022) traduit de l’anglais par Marina Boraso.

Les abeilles grises

J’en avais pas mal entendu parler, et il me semblait que c’était une lecture d’actualité. Les abeilles grises d’Andreï Kourkov.

Dans un village entre les lignes de fronts des séparatistes russes et des ukrainiens, dans le Donbass, ne restent que Sergueïtch et son ennemi-ami intime Pachka. Ils survivent, mais Sergueïtch s’inquiète surtout de ses abeilles, qui ne peuvent pas butiner sereinement en temps de guerre. C’est pourquoi le printemps venu, il va charger ses 6 ruches dans sa camionnette, et partir à la recherche d’un endroit sans bombardements.

Magnifique, tout simplement. D’une humanité qui vous prend aux tripes. Il est inoubliable Sergueïtch, ses questions simples, sa vie qui tourne autour de ses abeilles, son étonnement permanent devant l’absurdité de la guerre, des brimades, des différences artificielles construites entre les hommes.

On se laisse prendre au rythme de sa vie simple, de ses déplacements, des amitiés qu’il lie, de ses joies, de ses peines. On referme chaque fois le bouquin bouleversé et apaisé, malgré les horreurs qui se déroulent autour des ruches de Sergueïtch. Horreur qu’il n’ignore pas, mais qu’il arrive à surpasser, l’une après l’autre.

Vraiment un roman qui donne l’impression de rendre meilleur.

Andreï Kourkov / Les abeilles grises, (Cерые пчелы, 2019), Liana Levi (2021) traduit du lrusse (Ukraine) par Paul Lequesne.

Les choses que nous avons vues

Je découvre une nouvelle maison d’édition, le bruit du monde, avec une romancière hollandaise, Hanna Bervoets et son court texte Les choses que nous avons vues.

Kailegh écrit à l’avocat qui va défendre ses collègues qui attaquent la plateforme pour laquelle ils travaillaient tous. Elle ne souhaite pas se joindre à l’action judiciaire, mais est d’accord pour raconter ce qu’il s’est passé pendant ses mois de travail comme modératrice. Comment elle était chronométrée et surveillée pendant qu’elle devait décider si un contenu était ou non contraire aux règles de la plateforme. Et visionner heure après heure toutes les horreurs du monde. C’est aussi son histoire d’amour avec Sigrid qu’elle raconte.

J’ai un reproche à faire à ce roman, malgré l’effet saisissant de sa lecture. Hanna Bervoets choisit de raconter son histoire sous la forme de réponse à une demande d’un avocat qui défend les employés de la plate-forme. Pourquoi pas. Mais cette défense des employés n’est utilisée que comme prétexte narratif. On ne saura pas pourquoi, ni par qui elle a commencé, on n’en connaitra ni les raisons, ni l’aboutissement, et je n’ai pas non plus compris pourquoi la narratrice ne souhaite pas s’y associer. Pour finir j’ai été un peu gêné par la fin qui m’a laissé … sur ma faim. Cela m’a donné l’impression que la romancière (j’attends que quelqu’un, quelque part, décide entre autrice, auteure … sinon je passe à l’espagnol autora), savait très bien ce qu’elle voulait raconter mais a eu du mal à trouver la bonne forme.

Ceci dit, c’est saisissant, et salutaire. J’avoue que je ne m’étais jamais posé la question du quotidien de ces travailleurs cachés, qui passent leurs journées à visionner des tombereaux d’insanités pour les modérer. Jamais interrogé sur leur quotidien, sur l’effet que cela pouvait avoir sur leur vie privée, sur leur santé mentale. Et c’est effarant. Et très bien conté, une fois passé le problème cité ci-dessus.

A lire donc, malgré ma réserve sur la structure de la narration.Hanna Bervoets / Les choses que nous avons vues, (Wat wij zagen, 2021), Le bruit du monde (2022) traduit du néerlandais par Noëlle Michel.

Proletkult

Un roman du collectif italien Wu Ming, c’est toujours inclassable et c’est toujours passionnant. Proletkult ne fait pas exception.

1927. A Moscou on se prépare à fêter dignement les dix ans de la révolution. Mais on s’écharpe aussi entre la ligne de Staline qui est en train de reprendre le parti et l’état en main et l’opposition qui trouve qu’il s’écarte des idéaux de la Révolution. Dans ce contexte Alexandre Bogdanov, auteur d’une trilogie de science fiction autour de Mars, la Planète Socialiste, écarté du pouvoir car opposé à Lénine, a délaissé la vie publique pour se consacrer à son institut médical. Son idée : grâce à des transfusions sanguines, permettre le rajeunissement des plus âgés, et transmettre une immunité aux plus jeunes. Et s’en servir comme d’un enrichissement collectif.

De nouvelles questions se posent quand une jeune femme, Denni, arrive à l’institut. Elle prétend venir de la lointaine planète Nacun, où la société sans classe a vu le jour. Plus étrange, Denni se dit fille de Léonid Volok, ancien compagnon de Bogdanov qui avait cru, suite à un traumatisme en 1915, avoir voyagé jusqu’à une planète lointaine. C’est son récit qui avait inspiré les romans sur Mars, et il a disparu depuis plus de dix ans. L’occasion pour Bogdanov de se replonger dans le passé, ce qui a été réussi, ou raté.

Pas de doute, on est bien dans un roman signé Wu Ming. C’est dense, intelligent, passionnant, extrêmement riche et ça repose sur un sacré socle de connaissances culturelles et historiques. Et c’est très politique. En même temps il y a une vraie histoire, avec de vrais personnages, ce qui fait qu’à condition d’avoir le cerveau bien réveillé, on apprend en s’amusant.

Je ne vous cacherai pas qu’il faut être un peu plus concentré et au calme que pour suivre les péripéties des romans que j’ai lus juste avant. Mais l’attention est vraiment récompensée par cette passionnante plongée dans les premières années de la révolution russe, les débats et luttes philosophiques, culturelles et politiques qui seront par la suite totalement étouffés.

Du côté de l’intrigue, elle est très intelligemment tournée et jusqu’à la fin le lecteur aura la possibilité de choisir … ou pas. SF ou folie ? Nacun ou fantasme ?

N’hésitez pas, vous avez là un roman plein d’imagination et d’informations qui va faire fonctionner vos neurones.

Wu Ming / Proletkult, (Proletkult, 2018), Métailié (2022) traduit de l’italien par Anne Echenoz.

Poussière dans le vent

Leonardo Padura alterne : un avec Conde, un sans Conde. Pour la magnifique saga Poussière dans le vent, ce sera sans.

Janvier 1990. Le clan est réuni pour fêter dignement les 30 ans de Clara dans le jardin de sa maison, à La Havane. Ils sentent bien qu’ils sont à un tournant de leur vie, et de celle du pays, alors que la chute du mur a fait disparaitre les principaux alliés face à l’embargo américain. Clara, Dario, Bernardo, Elisa, Irving, Horacio, Walter et les autres. Ils ont été étudiants ensemble, ils sont brillants, ils travaillent et ils savent que la vie va être de plus en plus dure. Mais quoi qu’il arrive, leur amitié, les amours qui se sont forgés sont plus forts que tout. C’est leur force, leur salut, et cela le restera après l’explosion du groupe quelques jours après l’anniversaire.

Plus de 20 ans plus tard, Marcos jeune cubain récemment arrivé à Miami tombe amoureux d’Adela, new-yorkaise venue faire des études à l’université en Floride. Adela, son père argentin, sa mère cubaine « difficile à aimer » comme le dit sa fille. Adela qui a choisi d’étudier la culture cubaine, peut-être pour faire enrager sa mère qui renie totalement son passé sur l’île.

Quand Clara, la mère de Marcos qui vit toujours à La Havane publie sur facebook une photo de cette soirée de 1990, elle ne se doute pas que tout un passé va resurgir. Plus de 20 ans de vie du clan, à l’étranger et à Cuba.

Il n’y a pas d’équivalent français pour dire que ce n’est pas un livre, c’est un « librazo », un monument, un putain de bouquin. Il n’y en a pas beaucoup qui m’ont donné cette impression d’être totalement immergé pendant un temps qui parait à la fois infini et beaucoup trop court dans la vie d’un groupe de personnes qui me semblent bien plus réels que tous les pantins que l’on peut voir ou entendre ici et là.

Poussière dans le vent vous prend aux tripes et ne vous lâche plus, pendant plus de 600 pages, et vous le refermez en pleurant parce que c’est fini. Vous ne saurez pas ce qu’il adviendra de Clara, d’Irving d’Adela, d’Horacio … Leonardo Padura vous a offert un groupe d’amis intimes, dont vous n’aurez plus de nouvelles. Mais quel pied pendant les heures de lecture.

C’est tout un monde qui est décrit. Celui des cubains, ceux qui restent, ceux qui partent, ceux qui ne veulent plus entendre parler de leur île, ceux qui la regrettent tous les jours. L’analyse est fine, intelligente, jamais manichéenne. C’est presque faire injure à l’auteur de dire qu’il ne tombe dans aucun des deux travers si fréquents quand on parle de Cuba, en particulier en France : penser que c’est soit un paradis soit un enfer.

Vous allez sourire, pleurer, enrager, vous allez être gais, tristes, émus, très émus. Vous allez voyager de la Havane à Madrid en passant par Barcelone, New York, Puerto Rico, Miami et Toulouse. Mieux, vous allez connaître ces endroits à travers le regard émerveillé, critique, humain des membres du clan. L’amitié, l’amour, le rhum, les moments de partage, l’exil, les doutes, les peurs, Cuba, les émotions seront au cœur d’une lecture complexe et riche, mais jamais compliquée, toujours limpide.

Cerises sur le gâteau, il y a un mystère – Leonardo Padura n’oublie pas qu’il est aussi un auteur qui sait construire une intrigue – et un hommage à Elmore Leonard.

Franchement, s’il y a un roman à ne pas manquer en ce début d’automne, c’est bien celui-là. Et si vous n’avez pas la gorge serrée en le refermant, je ne peux plus rien pour vous.

Leonardo Padura / Poussière dans le vent, (Como polvo en el viento, 2020), Métailié (2021) traduit de l’espagnol par René Solis.

Miracle à la combe aux aspics

Une lecture plus que réjouissante conseillée par une libraire, louée soit-elle ! Miracle à la combe aux aspics du croate Ante Tomić.

Dans un village perdu d’une vallée perdue de Dalmatie vivent Jozo Aspic, vieux con méchant comme une teigne, et ses quatre fils. Mis à part leur maison à l’hygiène douteuse, le reste du village est abandonné, et personne ne se risque dans leur domaine. Jusqu’à ce que Kresimir l’aîné décide qu’il est temps de se marier. Mais trouver une épouse est plus compliqué que chasser à coups de fusils les percepteurs et autres employés de la compagnie d’électricité venu se perdre dans la combe.

Quel pied que ce roman. C’est complètement loufoque, d’un humour ravageur, les dialogues sont géniaux, les situations hallucinées, les personnages dignes de Affreux, sales et méchants, du moins au début avant que l’amour ne les transforme.

Ca canarde de partout, on y trouve des déclarations grandiloquentes géniales, des flics ridicules, des sourires, beaucoup de sourires. Un roman de pure détente, que vouloir de plus ?

Ante Tomić / Miracle à la combe aux aspics, (Čudo u poskokovoj dragi, 2009), Editions noir et blanc (2021) traduit du croate par Marko Despot.

Là où chantent les écrevisses

Une pause dans la lecture SF pour un passage en pleine nature avec Là où chantent les écrevisses de Delia Owens.

Depuis la moitié des années 50 Kya, qui est encore une enfant, vit seule dans une cabane au milieu des marais, en bordure de la côte Atlantique, proche de la petite ville de Barkley Cove en Caroline du Nord. Elle est connue comme la « fille des marais », sauvage et analphabète. Abandonnée par sa mère et ses frères et sœurs qui ont fui la violence du père, elle a fini par rester seule au départ de celui-ci. Seul Tate, un jeune adolescent s’intéresse à elle et vient la voir régulièrement, jusqu’au moment où il part pour l’université.

Des années plus tard, en 1969, le corps de Chase Andrews, la « star » de la ville est découvert au pied d’une vieille tour. Un événement qui va obliger Kya à sortir de son isolement.

Globalement un bon roman, mais qui pour moi comporte deux parties (imbriquées) assez inégales.

Tout ce qui concerne la description du milieu naturel, ainsi que les débuts de la vie de Kya et ses premiers échanges entre amitié, amour naissant et apprentissage littéraire et scientifique avec Tate est très bon. Delia Owens est biologiste, cela se sent, elle arrive à transmettre son amour de la nature et passe beaucoup d’informations sans jamais être didactique.

Par contre la partie enquête, les dialogues entre les flics, le déroulement de l’affaire, les relations dans la petite ville, et le dénouement gentillet ne sont pas au niveau. Les dialogues en particuliers sont très scolaires, et quand on a trop lu de romans de Craig Johnson, Ed McBain ou autre Elmore Leonard, ces dialogues à eux seuls arrivent à vous faire parfois sortir du roman, le temps de retourner dans le marais.

Pas mauvais donc, mais il y a du travail pour passer au niveau au-dessus. A moins de laisser tomber la partie policière pour se concentrer sur le fameux « nature writing ».

Delia Owens / Là où chantent les écrevisses, (Where the crawdads sing, 2018), Seuil (2020) traduit de l’anglais (USA) par Marc Amfreville.

Betty

Tout le monde, ou presque, en a déjà parlé, j’arrive donc avec un peu de retard, mais tant pis. Il faut absolument lire Betty de Tiffany McDaniel.

Betty Carpenter grandit dans la petite ville (imaginaire) de Breathed, dans les collines de l’Ohio, dans les années 60. Son père Landon est Cherokee ; sa mère Alka, blanche est d’une beauté renversante mais sa santé mentale est fragile. Betty vit avec ses deux sœurs, et ses trois frères.

Dans une petite ville où avoir la peau sombre l’expose à des brimades et des moqueries permanentes, Betty va tout apprendre d’un père qui lui raconte mille histoires. Mais elle va aussi découvrir toute seule les noirs secrets de sa famille, et les difficultés qu’il faut affronter quand on est femme, et métisse.

Les contes magiques de Landon, et l’écriture dans laquelle elle se réfugie souvent la feront grandir, perdre son innocence, mais garder son humanité.

Il y a tant à dire sur ce roman. Mais il y a une première évidence. Hormis les personnages récurrents bien connus des amateurs de polars, ils sont rares ces héros littéraires dont vous savez intimement qu’une fois rencontrés, vous ne les oublierez jamais. Pour moi il y a, entre autres, Dalva, le capitaine Achab, Colin et Chloé, Ender, Aureliano Buendia … Il y aura maintenant Betty et Landon.

Le roman commence lentement, presque tranquillement même si dès le début la violence et la noirceur sont là, évoquées, montrées, puis un temps oubliées. Je me suis demandé pendant le premier tiers pourquoi ce roman suscitait tant d’enthousiasme. Puis peu à peu, au fur et à mesure que Betty découvre le monde des adultes, noirceur et violence seront de plus en plus présentes, et j’ai compris.

Violence raciste, violence faite aux femmes, préjugés, obscurantisme, poids de la religion et des traditions les plus réactionnaires. Avec la tension qui monte, passée la moitié du roman, il vous sera très difficile de le lâcher. Attention, préparez-vous à une immersion totale, et gardez à portée de main la boite de mouchoirs. Tiffany McDaniel avec sa Betty va vous prendre aux tripes, vous retourner, vous bouleverser. Mais elle va aussi vous émerveiller, vous amuser, vous enrager, vous faire réfléchir.

C’est une langue magnifique, c’est cru et poétique à la fois, c’est terriblement terre à terre, et aussi magique que du Garcia Marquez (ce n’est pas un hasard si je parle d’Aureliano Buendia …), cela ne raconte que l’histoire d’une famille et pourtant il y a un souffle extraordinaire, c’est sombre et lumineux. C’est inoubliable.

Mais ce n’est pas entièrement une surprise. C’est quand j’ai vu le nom de Breathed, et que Betty fait allusion à un fait qui se déroulera plus tard dans la même ville, que je me suis aperçu que tout cela me disait quelque chose. Et pour cause. Tiffany McDaniel est aussi l’auteur du magnifique L’été où tout a fondu. A propos duquel j’écrivais : « Quelle claque. Quand on pense qu’il s’agit là d’un premier roman, ça promet pour la suite. Malgré l’ambition du sujet, tout est réussi, tout est maîtrisé à la perfection. »

Je ne sais pas si Betty a été écrit avant ou après L’été où tout a fondu, (il semblerait qu’il ait été longtemps refusé par les maisons d’édition, quelles truffes), toujours est-il qu’on peut dire avec certitude qu’on a là une romancière exceptionnelle.

Lisez Betty.

Tiffany McDaniel / Betty, (Betty, 2020), Gallmeister (2020) traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

Les mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auviven

Vu que je suis d’humeur morose, j’ai décidé de me dérider. Il restait sur ma table de nuit un roman d’Arto Paasilinna acheté je ne sais plus quand. Les mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auviven. Pas le meilleur de l’auteur, et de loin, mais ça m’a effectivement déridé un moment.

PaasilinnaA l’âge de 80 ans, le professeur de théologie Ariel Auviven casse sa pipe. Un miracle tant il a été maladroit toute sa vie. Il se retrouve rapidement dans l’église de Keromäki pour suivre une semaine de séminaire, sous la direction de l’archange Gabriel. Un séminaire pour la formation express des nouveaux anges gardiens.

Plein de bonnes intentions, et toujours aussi maladroit mais doté de pouvoirs inquiétants, l’ange Ariel se dirige vers Helsinki pour entamer sa mission de protection d’Aaro Korhonen qui, jusque là, semblait plutôt bien se débrouiller dans le vie.

Je ne sais pas si c’est vraiment le dernier roman d’Arto Paasilinna, ce n’est pas le meilleur, mais on rit quand même plusieurs fois. Certes l’intrigue est un peu lâche, avec quelques moments prévisibles. Mais malgré cela, le comique fonctionne, même quand on s’y attend. On sait que cette truffe d’ange va faire une connerie, mais on ne sait pas laquelle et ce diable d’auteur arrive à nous surprendre et à nous faire rire.

Ajoutez un humour bien noir, une saine rigolade avec la mort et le commerce qu’elle engendre, quelques réflexions sur le monde bienvenues, et une grosse tendresse pour ses personnages, même quand ils sont ridicules, et vous avez un bon moment de détente. Juste ce qu’il me fallait.

Arto Paasilinna / Les mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auviven, (Tohelo suojelusenkeli, 1998), Denoël (2014) traduit du finnois par Anne Colin du Terrail.