Tout le monde, ou presque, en a déjà parlé, j’arrive donc avec un peu de retard, mais tant pis. Il faut absolument lire Betty de Tiffany McDaniel.
Betty Carpenter grandit dans la petite ville (imaginaire) de Breathed, dans les collines de l’Ohio, dans les années 60. Son père Landon est Cherokee ; sa mère Alka, blanche est d’une beauté renversante mais sa santé mentale est fragile. Betty vit avec ses deux sœurs, et ses trois frères.
Dans une petite ville où avoir la peau sombre l’expose à des brimades et des moqueries permanentes, Betty va tout apprendre d’un père qui lui raconte mille histoires. Mais elle va aussi découvrir toute seule les noirs secrets de sa famille, et les difficultés qu’il faut affronter quand on est femme, et métisse.
Les contes magiques de Landon, et l’écriture dans laquelle elle se réfugie souvent la feront grandir, perdre son innocence, mais garder son humanité.
Il y a tant à dire sur ce roman. Mais il y a une première évidence. Hormis les personnages récurrents bien connus des amateurs de polars, ils sont rares ces héros littéraires dont vous savez intimement qu’une fois rencontrés, vous ne les oublierez jamais. Pour moi il y a, entre autres, Dalva, le capitaine Achab, Colin et Chloé, Ender, Aureliano Buendia … Il y aura maintenant Betty et Landon.
Le roman commence lentement, presque tranquillement même si dès le début la violence et la noirceur sont là, évoquées, montrées, puis un temps oubliées. Je me suis demandé pendant le premier tiers pourquoi ce roman suscitait tant d’enthousiasme. Puis peu à peu, au fur et à mesure que Betty découvre le monde des adultes, noirceur et violence seront de plus en plus présentes, et j’ai compris.
Violence raciste, violence faite aux femmes, préjugés, obscurantisme, poids de la religion et des traditions les plus réactionnaires. Avec la tension qui monte, passée la moitié du roman, il vous sera très difficile de le lâcher. Attention, préparez-vous à une immersion totale, et gardez à portée de main la boite de mouchoirs. Tiffany McDaniel avec sa Betty va vous prendre aux tripes, vous retourner, vous bouleverser. Mais elle va aussi vous émerveiller, vous amuser, vous enrager, vous faire réfléchir.
C’est une langue magnifique, c’est cru et poétique à la fois, c’est terriblement terre à terre, et aussi magique que du Garcia Marquez (ce n’est pas un hasard si je parle d’Aureliano Buendia …), cela ne raconte que l’histoire d’une famille et pourtant il y a un souffle extraordinaire, c’est sombre et lumineux. C’est inoubliable.
Mais ce n’est pas entièrement une surprise. C’est quand j’ai vu le nom de Breathed, et que Betty fait allusion à un fait qui se déroulera plus tard dans la même ville, que je me suis aperçu que tout cela me disait quelque chose. Et pour cause. Tiffany McDaniel est aussi l’auteur du magnifique L’été où tout a fondu. A propos duquel j’écrivais : « Quelle claque. Quand on pense qu’il s’agit là d’un premier roman, ça promet pour la suite. Malgré l’ambition du sujet, tout est réussi, tout est maîtrisé à la perfection. »
Je ne sais pas si Betty a été écrit avant ou après L’été où tout a fondu, (il semblerait qu’il ait été longtemps refusé par les maisons d’édition, quelles truffes), toujours est-il qu’on peut dire avec certitude qu’on a là une romancière exceptionnelle.
Lisez Betty.
Tiffany McDaniel / Betty, (Betty, 2020), Gallmeister (2020) traduit de l’anglais (USA) par François Happe.