Archives pour la catégorie Polars africains

Cupidité

Et voilà donc le nouveau roman de Deon Meyer : Cupidité.

Benny et Cupido, nos deux amis de la brigade d’élite des Hawks du Cap sont punis parce qu’ils ont désobéi et recherché la vérité même quand leur hiérarchie leur disait de fermer les yeux. Donc ils vont être rétrogradés, mis à pied un moment et envoyés dans un commissariat de quartier (ou l’équivalent pour Le Cap).

Alors qu’ils attendent leur affectation, ils reçoivent tous les deux une lettre anonyme demandant leur aide dans une affaire de corruption dans la police. Et dès leur premier jour, ils sont affectés à la recherche d’un étudiant disparu depuis quelques jours.

Dans le même temps, Sandra, jeune mère de famille, agente immobilière, qui se débat avec des revenus inférieurs à ses dépenses voit la solution quand un richissime propriétaire lui confie un domaine à vendre. Malheureusement, l’homme est un escroc et un prédateur sexuel. Trois affaires a priori sans lien. A moins que …

C’est bien l’avidité, la cupidité qui sont au centre de ce nouveau roman du maître du Cap. Celle de l’escroc qui n’en a jamais assez. Celle d’une classe politique qui pille le pays. Celle de fonctionnaires qui cèdent à la corruption. En bref celle de ceux qui ont tout mais qui en veulent toujours davantage. Et à côté, celle de ceux qui ne s’en sortent pas, et petit à petit sont prêt à tout pour s’offrir un répit, arrêter d’avoir les fournisseurs ou les créanciers sur le dos.

Et contre cela, nous avons nos deux héros, Benny et Cupido, tout aussi mal barrés financièrement que les autres, mais qui luttent et tentent de garder leur dignité, en résistant à l’appel de la bouteille pour l’un, des samosas et des muffins pour l’autre.

Le portrait sans concession mais non sans empathie d’une société, d’une ville et d’un pays gangrénés par la cupidité et l’argent comme seule valeur est dressé avec tout le talent de Deon Meyer, son sens de l’intrigue, sa capacité à donner vie à des personnages, même secondaires, l’humour de ses dialogues.

Sans oublier quelques scène d’anthologie comme celle de l’assaut d’une maison où il faut libérer un otage, un modèle d’adrénaline, d’efficacité et d’humour. Solide, classique, et impeccablement efficace

La femme au manteau bleu

Premier roman de la rentrée sur actu du noir, un peu en avance en ce mois d’août, un court roman du maestro sud-africain Deon Meyer : La femme au manteau bleu.

Le corps d’une femme, nue, complètement lavée à l’eau de javel, est découvert par un chauffeur de bus non loin du Cap. Quand il s’avère que c’est une étrangère la police locale est dessaisie au profit des Hawks du Cap. Ce sont Bennie Griessel et Vaughn Cupido qui héritent de l’affaire.

Dans le même temps, dans la ville, court le bruit qu’il y a beaucoup d’argent à se faire si on trouve un tableau avec une femme et du bleu.

Ceux qui attendent un nouveau pavé et la description d’un pan de la société sud-africaine de grand Deon Meyer pourraient être déçus. Ici l’auteur s’est amusé à resserrer son intrigue et à nous livrer un bon petit polar, court, sec, pour « le seul » plaisir de retrouver des personnages connus et de suivre une bonne intrigue.

Ajoutons tout de même de belles pages sur l’émotion qui peut surgir de la découverte d’une œuvre d’art rare.

Une lecture plaisir, un amuse-bouche avant d’attaquer les lectures de septembre.

Deon Meyer / La femme au manteau bleu, (Die vrou in die blou mantel, 2017), Série Noire (2021) traduit de l’afrikaans par Georges Lory.

La proie

« Tous les jours de la semaine, Daniel se lève à six heures, prend du café corsé, mange ses flocons d’avoine, nourrit le chat, range son studio, se lave, se rase, puis se dirige à sept heures vers la boulangerie de la rue de Faures. Il salue les boulangers par leur nom, ils font de même. Il achète deux croissants et deux chocolatines. »

MeyerA partir de là, vous savez forcément que l’auteur est français, et plus précisément qu’il vit dans le sud-ouest. Raté. Daniel est un des personnages de La proie, le dernier roman de Deon Meyer.

A bord d’un des trains les plus luxueux du monde, le Rovos qui voyage entre Le Cap et Pretoria, un passager qui assurait la protection privée d’une vieille dame richissime est tué et balancé par la portière. Deux vieilles connaissances vont se retrouver en charge de l’enquête : Benny Griesel, qui se bat pour rester sobre et son collègue Vaughn Cupido. Ils vont vite se heurter à des intérêts qui les dépassent.

Très loin de là, à Bordeaux, Daniel Darret, grand, costaud, noir, la cinquantaine bien avancée, a refait sa vie et travaille dans l’atelier d’un vieil ébéniste. Alors qu’il a tout fait pour être introuvable, le passé va venir le rattraper.

Première constatation, Deon Meyer est un excellent raconteur d’histoire. Dès que vous mettrez le nez dans ce thriller, car c’en est un même s’il sait prendre son temps, vous ne pourrez plus le lâcher.

Deuxième constatation, comme tous les grands créateurs de personnages récurrents, l’auteur nous enchante en nous faisant retrouver quelques-uns de nos amis. L’équipe de flics et leurs familles bien entendu, Benny en tête, mais aussi un autre, plus inattendu. Les fans de l’auteur vont se douter tout de suite qu’il s’agit de lui, je n’en dis pas plus, j’en ai déjà trop dit.

Et puis il y a tout ce que l’auteur raconte, derrière son histoire. Sous-tendu ici par un terme, « Isisthunzi » : le droit à la dignité. C’est ce que recherchent les personnages du roman. Cupido et ses collègues qui se battent pour enrayer une criminalité galopante, alors que, jusqu’au sommet de l’état, on vole, on triche, on tue en toute impunité. Quelques anciens camarades de Mandela, qui se désespèrent de voir la corruption qui a succédé à leur lutte. Daniel qui recherche le droit de vivre d’un travail ordinaire, Benny qui veut se racheter …

Face à un pays corrompu, qui a dévoyé ce pour quoi tant de gens se sont battus et sont morts, où les gens de pouvoir détournent l’argent à leur profit et laissent les pauvres dans le misère, quelques-uns se battent donc pour acquérir ou maintenir ce droit à la dignité. C’est cette histoire que raconte Deon Meyer, sans manichéisme, sans leçon de morale, mais avec beaucoup d’humanité. C’est cela qui fait de La proie un des très bons romans d’un auteur qui n’en a pas écrit de mauvais.

Deon Meyer / La proie, (Prooi, 2018), Série Noire (2020) traduit de l’afrikaans par Georges Lory.

Feu pour feu

On a découvert Leye Adenle avec Lagos Lady. Ce fut un choc. Il persiste et signe avec Feu pour feu.

AdenleLagos, alors que les élections pour le poste de gouverneur sont lancées. Celui qui a le plus de chances d’être élu est le protégé du pouvoir en place, chief Ojo. Mais chief Ojo est un pervers qui aime les très jeunes filles, et aime tabasser les prostituées qui lui tombent sous la main.

Amaka, fille d’un homme de pouvoir, avocate, c’est juré de protéger toutes les prostituées, et pour elle il est impensable qu’Ojo arrive à ce poste qui lui garantirait une totale impunité. Coups fourrés, corruption, lynchages, meurtres … tous les coups vont être permis dans une capitale bouillonnante en permanence au bord de l’explosion.

Je vais tout de suite me débarrasser du détail qui m’a un peu gêné. Il y a dès le départ beaucoup de personnages, beaucoup d’actions en parallèle, et par moment, dans le premier quart du bouquin, on est un peu perdu.

Mais ce défaut est compensé, même au début, par l’énergie, la fureur, la rage, la violence, l’enthousiasme du récit et de l’écriture. D’emblée on en prend plein la figure. Lynchage, cris, souffrance, révolte, corruption, magouilles, c’est parti, vous êtes immédiatement plongés dans le chaudron bouillant.

Ca déménage, le portrait de la classe politique, des magouilles électorales, de l’impunité des puissants est sans pitié. Heureusement il y a aussi quelques personnages qui surnagent. La magnifique Amaka bien entendu, mais aussi quelques flics intègres. Et puis les affreux sont vraiment réussis, et tout lecteur de polar sait qu’un méchant réussi est gage de polar réussi.

Si vous n’avez pas l’estomac trop délicat, si vous aimez la littérature relevée, prenez la peine de passer un démarrage parfois confus et vous ne regretterez pas ce nouveau voyage à Lagos, même si je doute que cela vous donne envie d’y aller en vacances.

Leye Adenle / Feu pour feu, (When trouble sleeps, 2018), Métailié/Noir (2020) traduit de l’anglais par (Nigéria) David Fauquemberg.

L’agence

J’avais été diversement convaincu par les deux précédents romans que j’avais lus du sud-africain Mike Nicol. Le dernier, L’agence est un bon cru.

NicolUn colonel, qui fomenterait un coup d’état en Centrafrique est abattu alors qu’il sort de l’église au Cap.

Vicky Khan, ancienne avocate récemment entrée dans l’espionnage sud-africain est envoyée pour sa première mission : rencontrer à l’aéroport d’Amsterdam une jeune femme qui a des informations pour son chef, le très britannique Henry Davidson, et la convaincre de rentrer au pays. Elle doit ensuite aller à Berlin rencontrer un vieil espion de la guerre froide qui aurait des révélations sur sa tante disparue pendant les luttes des années 80.

Fish Pescado, surfeur par vocation, privé pour manger, l’amant de Vicky est lui contacté par l’épouse du colonel abattu pour trouver les coupables, il a été recommandé par un mystérieux espion, qu’il a croisé par le passé, Mark Velaze.

Un sacré sac de nœuds, dans lequel tous les membres de l’Agence ne semblent pas jouer dans le même camp. Et au-dessus de la mêlée, le Président du pays, élu et réélu sans fin, s’est construit un empire, et vit dans un palais, entouré de courtisans pendant que son fils trempe dans des magouilles plus ou moins sinistres. Jusqu’à ce que tout ça explose.

Comme le laisse peut-être entendre ce petit résumé, mieux vaut attaquer ce roman avec l’esprit libre et un peu de temps devant soi. Si vous lisez un chapitre chaque soir vous risquez d’être un peu perdus. Mais sinon ça marche très bien.

Mike Nicol a un réel talent de conteur, on se fait bien embarquer dans une histoire à rebondissement, menée sur un beau rythme, pleine de suspense, au style vif. Les dialogues fonctionnent bien, les personnages principaux sont intéressants et on imagine qu’on sera amenés à le revoir un de ces quatre.

Le tout brosse un tableau guère reluisant de corruption, de pouvoir absolu construit sur les légendes de la lutte anti apartheid, de magouilles plus ou moins, sanglantes, plus ou moins sordides avec les pays du continents … le grand Nelson Mandela n’a pas fini de se retourner dans sa tombe.

Bref on bon cru, un peu complexe dans son histoire mais suffisamment bien mené et addictif pour embarquer le lecteur attentif.

Mike Nicol / L’agence (Agents of the state, 2016), Série Noire (2019), traduit du l’anglais (Afrique du Sud) par Jean Esch.

Rendez-vous raté avec 1994.

Rentrée algérienne. Après le roman de Frédéric Paulin, voici 1994 d’Adlène Meddi.

Meddi2004. Amin Sellami enterre son père, militaire spécialisé dans la lutte anti-terroriste à Alger. Quelques jours plus tard, lors d’’une rencontre avec des amis il perd la tête et sort dans la rue en tirant des coups de feu. Il se retrouve interné, au secret, en hôpital psychiatrique. De l’autre côté de la mer, à Marseille, Sidali décide qu’il est temps d’aller revoir ses parents et ses anciens amis après un exil de 10 ans.

Dix ans auparavant, en pleine guerre entre islamistes et armée, Amin, Sidali et deux autres lycéens décident qu’ils en ont assez d’être pris entre les terroristes barbus et la répression militaire et policière et qu’il est temps d’agir. C’est cela que Sidali vient solder, dix ans plus tard.

Rendez-vous raté pour moi avec Adlène Meddi. Je suis allé au bout, mais que ce fut laborieux ! Un fait qui ne trompe pas, j’ai mis presque une semaine à le lire. Alors qu’avec certains bouquins, je passe mon temps à ruser pour voler des instants de lecture, là je me trouvais toujours autre chose à faire. Au point que dans l’intervalle j’ai relu les 8 volumes de Saga. Je ne sais pas dire si le livre est bon ou mauvais. Ce qui est certain est que lui et moi, on n’est pas compatibles.

Trois grandes époques sont évoquées : 2004, présent lu roman ; 1994 quand se sont passés les événements principaux, durant la guerre entre armée et islamistes ; et une petite incursion pendant la guerre d’Algérie, pour revivre une partie du passé des pères des protagonistes.

Pour commencer je trouve l’équilibre bancal. La partie se déroulant pendant la guerre d’Algérie est soit trop courte, rien n’y est développé, les liens à peine évoqués ; soit trop longue car en l’état, elle n’apporte pas grand-chose, sinon une explication superficielle de l’animosité entre deux adultes qui, finalement, n’est pas primordiale pour le récit.

Mais surtout, je n’ai pas du tout accroché à la première partie, se déroulant en 2004. Je l’ai trouvée très confuse. Je suppose que le chaos littéraire et narratif était censé faire écho chaos dans la tête d’Amin, mais c’est moi qui me suis trouvé perdu. Plus embêtant, car être perdu n’est pas forcément un souci, je me suis ennuyé, au point de sauter des passages entiers. C’est surtout là que je ne sais que penser : suis-je hermétique à une construction trop littéraire ou à une écriture poétique que je n’ai pas perçue, ou est-ce vraiment raté ? Je vous laisse juge.

Pour finir, la partie que je trouve la plus réussie est le centre du récit de 1994. C’est plus compréhensible, le roman apporte un autre éclairage par rapport à celui de Frédéric Paulin, en nous plongeant au cœur de la rivalité entre les différents militaires, et en se focalisant sur le vécu de quelques lycéens. Mais même sur cette partie-là, je me suis senti plus intéressé que transporté, pas aussi bouleversé que j’aurais dû l’être par l’horreur, l’arbitraire, l’absurdité de la situation.

Bref rendez-vous raté. Avec l’impression très subjective d’un roman extrêmement ambitieux, dans sa construction, son écriture et la quantité de thématiques qu’il brasse, et qui n’est pas à la hauteur de cette ambition.

Adlène Meddi /1994, Rivages/Noir (2018).

Retour de Makana au Caire

Parker Bilal continue à écrire les aventures de Makana, privé d’origine soudanaise réfugié au Caire.  Le Caire : toile de fond.

BilalMakana va changer de standing. Aram Kasabiam, le marchand d’art le plus riche et réputé du Caire lui demande de venir le voir. L’enquête qu’il veut lui confier est délicate et dangereuse : Un client américain a eu vent la présence dans la ville de Samari, haut dignitaire de Saddam Hussein, recherché par les armées du monde entier. Samari, qui avait participé à l’invasion du Koweit aurait accumulé avant la retraite un trésor inestimable, bijoux, or, mais surtout des toiles de maitres, dont certaines disparues depuis la fin de la guerre de 45.

Problème, ou plutôt problèmes : Personne dans cette affaire ne joue franc jeu, ni ne dit la vérité ; Samari est extrêmement dangereux ; et il ne peut pas être sur le sol égyptien sans avoir des soutiens très haut placés, soutiens qui nous souhaitent pas que leur nom soit associé à l’aide à un ennemi public du grand frère américain. Dans une partie de la ville du Caire qu’il connaît mal, Makana va devoir faire preuve de la plus grande prudence et de la plus grande intelligence.

Je suis en peu embêté pour commenter ce quatrième opus. A la lecture des trois premiers j’avais eu l’impression : 1. Que Parker Bilal n’était pas complètement à l’aise avec la résolution de son énigme dans le premier, mais que les descriptions de la ville et du personnage central promettaient de belles choses ; 2. Que ça y était, il avait tout, le second tome me paraissant vraiment réussi, 3. Que c’était toujours intéressant mais que l’auteur retombait dans le troisième dans des travers de final un peu trop rocambolesque …

Et pour le 4 ? Disons que l’intrigue, même si elle est un peu foisonnante et ambitieuse est plutôt tenue. Ce qui manque cette fois c’est un peu l’émotion. Les souvenirs et traumatismes de Makana me semblent tourner un peu en rond, les promesses entrevues d’avoir des informations sur le sort de sa fille n’aboutissent sur rien dans ce volume, et peut-être que le monde des trafiquants d’art et des richissimes m’intéresse moins que la vie des habitants « normaux ».

Du coup, je ne me suis pas ennuyé, c’était agréable, mais mon préféré reste le second volume et j’espère encore que Parker Bilal va nous livrer bientôt les livres enthousiasmants qu’il laisse entrevoir. Aussi enthousiasmants que Les écailles d’or.

Parker Bilal / Le Caire : toile de fond (The burning gates, 2015), Le Seuil/Cadre noir (2018), traduit de l’anglais  par Gérard de Chergé.

Un grand Deon Meyer

Surprise, Deon Meyer nous revient avec un roman qui n’a rien à voir avec tous ses précédents. Et c’est une grande réussite : L’année du lion.

MeyerUn virus a décimé 90 % de l’humanité. Dans une Afrique du Sud bien vide, Willem Storm et son jeune fils de 13 ans Nico cherchent un endroit où créer une communauté qui permettra à Willem de mettre en pratique ses idées humanistes.

Bien des années plus tard, Nico, formé à l’usage des armes par Domingo, raconte les trois premières années de la communauté d’Amanzi créée par son père. Ainsi que les circonstances de son assassinat, et la traque des tueurs qu’il a menée.

Qu’est-ce que ce bouquin fait du bien. Parce que ça faisait quand même un moment que le grand Deon Meyer ronronnait un peu. Après des débuts fracassants, dans les derniers je ne m’ennuyais jamais, mais je ne retrouvais pas l’enthousiasme du début.

Et là, avec ce changement de thématique, je le retrouve. Commençons par dézinguer la quatrième qui, avec une originalité confondante, évoque La route sous prétexte que c’est un roman post- apocalyptique et qu’il y a un père et son fils. Non, L’année du lion n’a rien, absolument rien à voir avec La route. Le point de départ de l’intrigue est le même : une catastrophe, un père et son fils, tout le reste n’a rien à voir. Et je ne fais pas ici de comparaison, ni en bien, ni en mal.

L’année du lion est, paradoxalement, autant une utopie qu’un récit post-apocalyptique. Car c’est bien à la reconstruction d’un monde bâti sur des bases plus saines, selon les convictions humanistes de Willem Storm que l’on assiste. Et comme Deon Meyer n’est pas naïf, cette construction se heurte à des très nombreuses résistances, dont la moindre est de résoudre des problèmes techniques.

Car dans ce monde post apocalyptique, tout n’a pas disparu, et surtout les connaissances persistent. Donc il est relativement facile de commencer à reconstruire des communautés. Mais il faut alors affronter l’avidité, le comportement charognard, ceux qui préfèrent prendre par la force ce qu’ils ne peuvent reconstruire, les religieux, les comportements individualistes … Il faut accepter de s’armer et de se défendre, voire d’attaquer.

Dit comme ça, ça fait un peu café du commerce, mais n’oublions pas que l’auteur est un grand conteur, et qu’il est ici au sommet de son art. Avec l’annonce, dès le départ, de l’assassinat du père, avec les regrets du fils (on saura pourquoi), avec son choix de raconter ces trois années comme des mémoires, il installe dès le début une tension qui va habiter le récit, faire tourner les pages toutes seules, et nous réserver, comme il sait si bien le faire, quelques beaux coups de théâtre.

Les scènes d’action sont, comme on s’en doute, particulièrement réussies, les personnages gagnent en épaisseur au fur et à mesure qu’on avance dans le récit, le suspense est parfaitement maîtrisé, l’idée de départ, classique, bien exploitée, et Deon Meyer s’y entend pour vous attraper dès la première page et ne plus vous lâcher jusqu’à la fin. Et mine de rien, vous ne pouvez vous empêcher de vous demander comment vous vous situez, par rapport à tel ou tel personnage, à telle ou telle réaction. Mais il faut lire le bouquin jusqu’à la dernière page pour comprendre complètement l’éventail de choix que propose l’auteur …

Un vrai plaisir intelligent, un roman à lire qui renouvelle son auteur.

Deon Meyer / L’année du lion (Koors, 2016), Seuil (2017), traduit de l’afrikaans et de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine du Toit et Marie-Caroline Aubert.

Mark Winkler, nouvel auteur sud-africain

Un auteur sud-africain chez Métailié, c’est pas banal. Je m’appelle Nathan Lucius, de Mark Winkler n’est pas non plus un roman banal.

winklerNathan Lucius est en apparence un jeune homme d’une grande banalité. Il travaille dans un journal, dans le département de la pub, vit seul, aime courir, et boit de temps en temps une bière avec ses collègues. Une vie ennuyeuse, sans aspérité. Il a une amie, Madge, une vieille antiquaire atteinte d’un cancer.

Il a bien ses particularités Nathan, mais qui n’en a pas ? Jusqu’au jour où Madge, en phase terminale d’un cancer, lui demande de l’aider à mourir. Et là, petit à petit, les particularités semblent prendre de plus en plus d’importance, et le récit de Nathan commence à déraper …

Je ne peux pas dire que ce soit le style de polar que je préfère, mais je dois aussi avouer qu’il est sacrément bien construit et écrit. L’auteur a le chic pour créer un malaise sans que le lecteur puisse savoir exactement ce qui le gène, et ce qui lui met la puce à l’oreille. La folie s’insinue petit à petit, sans qu’on sache bien mettre le doigt sur ce qui cloche.

Et après une première partie qui voit la normalité et la banalité se dissoudre lentement dans le monologue du narrateur, la deuxième partie vous plonge au cœur de la folie.

Il est vrai que je préfère habituellement les romans qui embrassent davantage tout un pan de la société, et que les romans centrés sur un seul personnage m’attirent moins, mais celui-ci est sacrément bien écrit et construit. A découvrir donc.

Mark Winkler / Je m’appelle Nathan Lucius (Wasted, 2015), Métailié (2017), traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Céline Schwaller.

De retour, avec Parker Bilal

Avec Les ombres du désert, Parker Bilal et son privé soudanais exilé au Caire, Makana, s’installent dans la famille des personnages récurrents du polar.

bilalNous sommes en septembre 2002, la lutte antiterroriste mondiale s’est installée dans le paysage, avec des effets partout, entre autres en Egypte. En marge de cette agitation, Makana est contacté par la femme d’un riche avocat qui veut qu’il suive son mari qu’elle soupçonne d’être infidèle. Rien que de très classique. Cela commence à déraper quand l’homme va rendre visite à une jeune femme gravement brûlée dans l’incendie de son échoppe. Elle meurt quelques jours plus tard, et finalement, c’est l’homme qu’il suivait qui l’engage pour trouver ce qui lui est arrivé.

Son enquête va l’amener dans l’oasis de Siwa, en plein désert, un lieu qui semble coupé du reste du pays, un lieu qui a ses propres lois.

On retrouve, dans ce troisième épisode, les qualités, et certains défauts du premier roman.

Débarrassons nous des défauts. Le final est tiré par les cheveux, trop rocambolesque, trop forcé. Et avec des rebondissements qu’on voit venir d’un peu loin.

C’est d’autant plus dommage que, comme dans les autres épisodes, hormis ces « erreurs » dans la construction de l’intrigue, c’est un roman qui se lit très agréablement. Le personnage de Makana, à la fois étranger (et donc ayant un regard un peu extérieur) et suffisamment familier pour comprendre ce qu’il se passe dans son pays d’adoption est attachant, avec ses douleurs et ses fêlures que l’auteur évoque sans trop en faire.

La description du Caire, puis de cette ville perdue, loin de la loi et de ce qu’on pourrait appeler la civilisation mais pas assez loin de la cupidité et des intérêts financiers, est intéressante. Cette version moderne et orientale de la petite ville de western où arrive un étranger, l’étouffement, la mainmise de quelques uns, les sort réservé aux femmes et l’inévitable toubib alcolo est mise en scène de façon assez jouissive … l’auteur joue bien avec ces clichés d’un autre lieu et d’un autre temps, et les actualise tout en les épiçant, pour le plus grand plaisir du lecteur.

Une bonne série donc, malgré ses défauts.

Parker Bilal / Les ombres du désert (The ghost runner, 2014), Seuil/Policiers (2017), traduit de l’anglais par Gérard de Chergé.

PS. Je ne vous avais pas abandonné, j’étais juste dans la dernière zone sans internet de France, voire d’Europe, la maison de mes parents ! D’autres notes à venir.