Archives pour la catégorie Polars américains

Amour, meurtre et pandémie

Xiaolong Qiu s’attaque à la situation en Chine au début de la crise du COVID dans Amour, meurtre et pandémie.

Chen, l’ex légendaire inspecteur, a été mis au placard, puis en arrêt maladie. Alors que l’épidémie de COVID atteint Shanghai, et que toute critique de l’action du gouvernement conduit tout droit en prison, il est contacté de toute urgence par un officiel de la mairie de la ville : Trois personnes ont été assassinées à proximité d’un des plus grands hôpitaux de la ville. Il faut d’urgence trouver un coupable pour que la peur de la présence d’un serial killer ne vienne pas s’ajouter à la panique créée par la maladie.

On sait que la gestion de la crise par la Chine a été pour le moins autoritaire, et on sait que le pays en a profité pour donner quelques tours de vis supplémentaires dans le flicage permanent de toute la population. Mais le lire, comme ça, aux travers de personnages dont on partage les émotions, la peur, la révolte et le sentiment d’impuissance est une expérience, de mon point de vue, totalement inoubliable et beaucoup plus marquante que tous les articles et essais.

Comme souvent dans les aventures de Chen Cao, l’intrigue est assez minimaliste, prétexte à citer de la poésie, déguster différentes spécialités (même si ici, par temps de COVID c’est de plus en plus compliqué) et surtout dresser un état du pays. Un état qui est de plus en plus inquiétant et qui devient assez atroce avec ce roman qui est sans nul doute le plus sombre et les plus désespéré de la série.

Je ne sais pas d’où l’auteur, qui vit aux US, tire ses informations, mais le portrait qu’il dresse du pays fait froid dans le dos. Mépris de la vie humaine, violence de la répression, corruption, désespoir de la population, servilité totale envers qui détient une once de pouvoir …

Glaçant et indispensable.

Xiaolong Qiu / Amour, meurtre et pandémie, (Love and murder in Covid days, 2022), Liana Levi (2023) traduit de l’anglais (USA) par Françoise Bouillot.

Brazilian psycho

Malgré son titre, Brazilian Psycho est l’œuvre d’un auteur américain Joe Thomas.

Sao Paolo. Début 2003 Lula vient d’être élu président de la république. 2018, Bolsonaro est élu. Entre les deux Ray, Big Ray, magouilleur américain, proche des services secrets s’assurera des bénéfices de ses employeurs. Rafa, gamin de Paraisopolis va monter en grade dans la hiérarchie du gang qui tient la favela. Renata essaie d’aider les habitants tout en faisant gagner du fric … aux mêmes employeurs que Ray.

Mario Leme et Ricardo Lisboa sont flics, ils doivent s’occuper du meurtre du directeur d’une école anglaise très huppée, et on leur a bien fait comprendre que faire des vagues n’était pas une option. Ailleurs Carlos de la police militaire réprime et magouille …

Tous, et quelques autres, vont survivre, et tenter de surnager durant ces années de folies dans une ville livrée à la corruption et aux magouilles économiques et politiques.

Je ne vais pas vous promettre une lecture facile et divertissante. Il faut un peu de concentration pour rentrer dans ce pavé de près de 600 pages, quand il s’agit de comprendre les différentes combines qui permettent de détourner l’argent public ou de suivre la multitude de personnages. Mais quelle récompense !

C’est un roman impressionnant et emballant par son souffle, son ambition, la richesse de sa construction et l’ampleur de la vision qu’il dégage. 15 ans d’évolution de la mégapole de Sao Paolo vue par une bonne vingtaine de personnages (je n’ai pas compté) qui en représentent toutes les strates, des habitants de la favela au plus riches en passant par les classes moyennes.

L’auteur arrive, sans nous perdre, à mêler la réalité complexe et ses personnages de fiction, démonte les trafics politiques et décrit la survie au jour le jour, brasse quantité de thématiques, de la mainmise des gangs sur les favelas, aux trafics politiques, en passant par les meurtres de haine envers la communauté trans et la corruption de la police. Et tout cela sans jamais oublier de construire son histoire, en poursuivant sa chronique et de faire exister ses personnages, avec toutes leurs contradictions.

C’est magistral, imposant, je comprends que cela puisse être un peu intimidant mais il faut vraiment se donner le temps d’y plonger. Une superbe découverte.

Joe Thomas / Brazilian Psycho, (Brazilian Psycho, 2021), Seuil/Cadre noir (2023) traduit de l’anglais (USA) par Jacques Collin.

Ces femmes-là

Voilà une très belle découverte pour moi, celle d’une écrivaine américaine, Ivy Pochoda, et de son nouveau roman Ces femmes-là.

Un quartier populaire de Los Angeles. En 1999 plusieurs jeunes femmes, surtout des prostituées, ont été égorgées. Puis les meurtres ont cessé. Et tout le monde a oublié. Pas Dorian. Sa fille Lecia qui revenait de garder une gamine fut la dernière victime. Ni Deelia, même si elle fait semblant, elle qui fut la seule à survivre au tueur.

Et aujourd’hui, en 2014, voilà qu’il y a un nouveau meurtre. Alors Essie, latina, flic aux mœurs, Julianna, Marella ou Anneke qui vivent dans le quartier vont, elles aussi, être prises dans le tourbillon.

Même si le résumé peut vous le laisser supposer, oubliez tout ce que vous avez déjà lu avec un tueur en série et des meurtres qui reprennent après des années de calme. Des bouquins comme ça il y en a des tas, souvent … disons pas très bons. Ici on est vraiment ailleurs.

On n’ira pas dans la tête du tueur. On ne sera pas stressé dans la peau d’une future victime (qui finit souvent par s’en tirer in extremis). Ici on est dans la peau de celles qui restent. De celles qui doivent vivre, tous les jours, avec la peine ou la trouille. Dans celle d’une femme flic qui n’est pas prise au sérieux parce qu’elle est femme, et d’origine latino. D’une « folle » que les flics ne croient pas et qu’ils se renvoient de l’un à l’autre. Ou de prostituées dont la vie ne vaut pas un clou, ni pour les hommes qui les achètent, ni pour les flics.

Et pourtant oui, mine de rien, en passant de l’une à l’autre au fil des différentes parties du roman, l’intrigue va avancer, et on finira par trouver le coupable. Et on plongera dans une autre forme de folie.

Un roman original et fort, à découvrir absolument, parce que, comme disent les critiques qui ne lisent jamais de polar : C’est beaucoup plus qu’un simple thriller ! C’est un grand roman noir.

Ivy Pochoda / Ces femmes-là, (These women, 2023), Globe (2023) traduit de l’anglais (USA) par Adelaïde Pralon.

La dernière ville sur terre

Thomas Mullen délaisse la première police noire d’Atlanta pour remonter un peu le temps dans La dernière ville sur terre.

Nous sommes en 1918 dans les forêts du nord-ouest des USA. Charles Worthy et son épouse ont fondé la ville de Commonwealth autour de la scierie qui justifie sa création. Une ville et une scierie où tous sont égaux, tous vivent dans les mêmes maisons, tous ont les mêmes salaires. Ce qui ne plait pas, évidemment, aux gros propriétaires alentours, mais qu’y peuvent-ils ?

L’arrivée sur le territoire américain de la grippe espagnole pourrait tout bouleverser. La ville décide de se confiner et d’interdire tout contact, entrant ou sortant, avec l’extérieur. Au moment où les jeunes meurent sur le front en Europe, où ceux qui sont restés au pays sont durement frappés par la pandémie, les tensions internes et externes vont s’exacerber et mettre l’utopie de Commonwealth à rude épreuve. Trop rude ?

Dommage, j’aurais beaucoup aimé être enthousiaste, mais je ne le suis pas. Dommage car le propos est vraiment intéressant. La construction de l’utopie, puis la description de comment le collectif se délite peu à peu quand la pression se fait trop forte. Comment les égoïsmes reprennent le dessus sur le sens du bien commun. C’est bien rendu, en particulier au travers de quelques courts chapitres constitués uniquement de dialogues entre habitants non identifiés. Belle description du contexte social et historique et de la montée de la pandémie, qui fait écho à ce que nous avons connu (même si le roman a été écrit en 2006 donc bien avant le COVID).

Mais ce qui m’a plombé c’est que ça traine trop dans les deux premiers tiers du roman qui pèse quand même pas loin de 550 pages. Le début passe bien parce qu’il met le contexte en place, et dans les 100 dernières pages les choses s’accélèrent et les tensions mises en place se résolvent. Mais entre les deux j’ai eu du mal, au point de ne pas avoir très envie de me mettre à la lecture, ce qui ne m’arrive jamais quand le roman en cours me passionne.

Dommage donc, avec une partie centrale resserrée La dernière ville sur terre aurait été passionnant, là le roman est intéressant mais indigeste. Avis très subjectif que je partage.

Thomas Mullen / La dernière ville sur terre, (The last town on earth, 2006), Rivages/Noir (2023) traduit de l’anglais (USA) par Pierre Bondil.

Besoin d’une récréation ? Essayez Parker

En attendant d’attaquer les livres de 2023, je me suis octroyé une petite récréation, deux bonbons piochés au hasard dans la bibliothèque, deux Parker, Un petit coup de vinaigre et En coupe réglée du regretté Richard Stark alias Donald Westlake.

Dans le premier Parker, avec trois complices, braque une banque. Le butin est moins important que prévu, mais bien pire, le chauffeur, que Parker ne connaissait pas, flingue les deux autres braqueurs, rate Parker et s’enfuit avec le magot. Il aurait pourtant dû savoir que c’était une mauvaise idée, la mansuétude ne faisant pas partie des nombreuses qualités de Parker.

Dans le second, Parker accepte un coup qui pourtant lui déplait dès le départ : s’emparer d’une ville entière, en commençant par couper tous les moyens de communication et en se rendant maître du commissariat. Le commanditaire a l’air d’avoir tout prévu, mais il a quelque chose qui ne plait pas à Parker. Il accepte quand même de monter le coup avec une bande de 12 hommes. Bien entendu, son instinct ne le trompait pas, et ça va déraper.

Un vrai plaisir au premier degré de relire cette série. C’est sec, c’est simple, ça se lit tout seul, il y a de l’action, pas un mot de trop, pas un qui manque. Vraiment on conseil quand vous êtes fatigués et que vous ne savez pas quoi lire, que vous avez envie d’une bonne histoire, rapide et impeccable.

Quel génie que ce Stark / Westlake.

Richard Stark / Un petit coup de vinaigre, (The sour lemon score, 1969), Série Noire (1969) traduit de l’anglais (USA) par D. May.

Richard Stark / En coupe réglée, (The score, 1964), Série Noire (1965) traduit de l’anglais (USA) par M. Elfvik.

Deux sorties et une grosse flemme

Je ne sais pas si c’est la lecture de Paresse pour tous, ou la fatigue de fin d’année, mais là j’ai une grosse flemme. Donc je ne vais pas faire de chronique, mais juste une info pour les fans.

Il y a en cette fin d’année un nouveau Andrea Camilleri, Le cuisinier de l’Alcyon, et un nouveau Craig Johnson, Le cœur de l’hiver.

Pour les fans (dont je suis), il suffit de savoir qu’on peut retrouver Salvo Montalbano et Walt Longmire, c’est un argument suffisant pour se procurer ces deux romans.

Pour ceux qui ne connaissent pas, je déconseille. Aucun des deux romans n’est le meilleur de la série (même s’ils restent très agréables), et pour Craig Johnson, on ne peut même pas en parler sans révéler un gros coup de théâtre de la fin du précédent.

Donc voilà, ils sont là, on passe un très bon moment, même si ce ne sont pas les meilleurs.

Andrea Camilleri / Le cuisinier de l’Alcyon, (Il cuoco dell’Alcyon, 2019), Fleuve Noir (2022) traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

Craig Johnson / Le cœur de l’hiver, (Depth of winter, 2018), Gallmeister (2022) traduit de l’anglais (USA) par Sophie Aslanides.

Billy Summers

Je n’avais pas arrêté de lire, mais j’ai fait une pause un peu lointaine, et surtout loin de mon ordinateur. Début de rattrapage avec Billy Summers du maître Stephen King.

Billy Summers a été sniper en Irak. Depuis son retour il continue à exercer ses talents, contre rétribution, mais dans le privé cette fois. Comme tueur à gage. Avec une petite restriction morale, il n’accepte de tuer que des « méchants », sans toutefois se faire d’illusion sur ses clients qui ne valent pas mieux.

Malgré ses pressentiments, il accepte un dernier contrat, pour un montant bien supérieur à ce qu’on lui paye habituellement. Il s’agit de descendre un criminel endurci qui pourrait bien mettre beaucoup de monde dans l’embarras. Et en attendant le bon moment, qui lui sera indiqué par son client, il va s’installer sous une fausse identité dans une petite ville au milieu de rien. Et se faire passer pour un écrivain. Une idée de reconversion pour ce grand lecteur ?

En attendant, même s’il sait que dans les livres et les films, les histoires de « dernier coup avant la retraite » se terminent toujours mal Billy Summers va se prendre au jeu.

Commençons par enfoncer quelques portes ouvertes. Stephen King est un immense conteur, et Jean Esch un très bon traducteur. Donc un plaisir de lecture extrêmement addictif immédiat.

Et l’auteur est très très malin. Son dispositif narratif, qui voit le personnage principal se prendre au jeu de l’écriture est vraiment bien trouvé. Parce qu’il permet des flashbacks de façon originale, et parce qu’il donne l’occasion de causer de lecture, d’écriture, de littérature, tout ça dans ce qui aurait pu être un « simple thriller ». Chapeau l’idée.

Autre excellente idée, malgré le fait d’avoir un personnage au métier plutôt inhabituel, l’obliger à se fondre dans une petite ville va donner l’occasion de décrire le quotidien de gens ordinaires. Encore très bien vu.

Les personnages sont très attachants, l’histoire bifurque à de nombreuses reprises dans des directions que le lecteur ne pouvait absolument pas prévoir, et l’auteur joue très habilement avec tous les clichés, à commencer par celui de cette dernière affaire qui, comme les histoires d’amour, finit mal … En général. Et il s’amuse à glisser quelques références à ses anciennes œuvres.

En bref, passez outre la couverture horriblement kitch, et plongez-vous avec délice dans ce magnifique polar ; plaisir et émotions garantis.

Stephen King / Billy Summers, (Billy Summers, 2021), Albin Michel (2022) traduit de l’anglais (USA) par Jean Esch.

Plus bas dans la vallée

Un nouveau Ron Rash c’est toujours une bonne nouvelle. Quand en plus on a droit au retour de Serena, on frétille. Plus bas dans la vallée est constitué d’une belle novella et de 6 nouvelles.

Serena Pamberton revient pour quelques jours du Brésil. Elle s’est engagée, sous peine de surcoût financier, à finir de raser ce qu’il reste de la concession avant de revendre tout son matériel. Un pari qui semble intenable. C’est mal connaître Serena et son âme damnée Galloway, incarnations impitoyables du capitalisme le plus brutal.

Les six nouvelles qui suivent alternent entre l’humanité réconfortante de Le dernier pont brûlé, l’humour noir de Une sorte de miracle qui met en scène quelques bras cassés des plus réjouissants, ou le sud historique de Les voisins. A une certaine âpreté (voire une âpreté certaine) de L’envol ou Le baptême, répond la sérénité souriante de Leurs yeux anciens et brillants.

Je ne sais pas dire s’il est facile d’apprécier pleinement la longue novella qui ouvre ce recueil si l’on n’a pas lu Serena. D’un autre côté, je ne vois pas bien pourquoi on se passerait du bonheur de lire ce chef d’œuvre de Ron Rash, je ne peux que vous renvoyer à mon billet enthousiaste de l’époque de sa sortie.

On retrouve ici toute la brutalité pure du personnage qui déclare à une journaliste qui lui demande quand elle compte s’arrêter : « Quand le monde et ma volonté ne feront plus qu’un. » Certes on peut regretter que cela soit si court, on en aurait bien repris un peu tant le récit, vu par les bucherons qui subissent la folie de leur patronne est saisissant. Mais ce qui est pris est pris, et le retour de ce personnage emblématique reste plus puissant et remarquable, en une centaine de pages que bien des pavés dont on nous assomme.

Les nouvelles qui suivent permettent de compléter la palette du maître, pleines d’humanité, de sourires et surtout de complexité, avec des personnages qui, pour certains, ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le croire, et qui se trouvent face à des décisions complexes ou le bien et le mal ne sont pas si faciles à différencier. Là aussi cela change agréablement des pavés formatés où tout est si simple.

Pas le Ron Rash le plus marquant peut-être mais cela reste très clairement le haut du panier. Et lisez Serena si ce n’est déjà fait.

Ron Rash / Plus bas dans la vallée, (In the valley, 2020), La Noire (2022) traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Reinharez.

Point de fuite

Parfois je donne sa chance à un roman parce que la quatrième m’intrigue, ce fut le cas avec Point de fuite d’Elizabeth Brundage. Avec un succès mitigé.

Julian Ladd apprend en lisant le journal, que le célèbre photographe Rye Adler est décédé. Voilà qui le ramène une vingtaine d’années plus tôt, quand ils participaient avec quelques autres, à un atelier de photographie célèbre. Depuis Rye est devenu un photographe connu internationalement, et Julian a abandonné la photo pour travailler dans une agence de pub.

Cet événement fait remonter les souvenirs de cette époque, et avec les souvenirs, certains fantômes. Des fantômes d’autant plus présents qu’en fait Rye a disparu, qu’on suppose qu’il s’est suicidé, mais qu’on n’a pas retrouvé son corps.

Succès mitigé donc. Schématiquement, le roman est divisé en trois parties.

La première revient sur la jeunesse des protagonistes, elle est centrée autour de réflexions sur la photo, en tant que technique et en tant qu’art. Comme ça m’intéresse, j’ai beaucoup aimé cette première partie, d’autant que la construction des personnages est bien faite et qu’on accroche tout de suite. J’étais enthousiaste, impatient de découvrir la suite.

Malheureusement, la deuxième partie se concentre sur des sujets qui me laissent complètement de marbre. A savoir les problèmes familiaux de familles de la high class américaine. Avec épouse délaissée ayant laissé tomber son métier pour suivre un mari ambitieux, ado mal dans sa peau le pauvre choupinet, mari qui doute de sa vocation ou qui se révèle un vrai sale con … c’est pas mal écrit, mais ça ne m’intéresse pas, donc j’ai commencé à décrocher.

Avec la troisième on rentre dans la partie « polar », évoquée en début de roman. Et là, dire comme sur la quatrième que la tension est maximale … peut-être pour quelqu’un qui lit un polar tous les dix ans. Certes, j’ai rouvert un œil, alors que j’étais en train de m’assoupir. Mais bon, ajoutez un final assez gentillet, bof.

Alors pour qui ? Pour les amateurs de romans psychologiques, s’intéressant à la photo et aux tourments des ados qui s’ennuient … Et puis c’est plutôt bien écrit, agréable, fluide et assez passe partout, comme l’histoire. Pour être brutal, si j’apprécie beaucoup l’eau tiède sous la douche, je l’aime beaucoup moins en littérature.

Elizabeth Brundage / Point de fuite, (The vanishing point, 2021), La table ronde (2022) traduit de l’anglais (USA) par Cécile Arnaud.

Dans la gueule de l’ours

Il m’avait plusieurs fois fait de l’œil lors de sa sortie en grand format, et je n’avais jamais craqué. Je me suis rattrapé en cette période estivale, et j’ai lu Dans la gueule de l’ours de James A. McLaughlin.

Rice Moore a besoin de se faire oublier d’un cartel de la frontière mexicaine. C’est donc sous un faux nom qu’il trouve un travail de gardien dans une réserve privée des Appalaches. Avec la ferme intention de faire parler de lui le moins possible. Tout va pour le mieux jusqu’à ce qu’il trouve le cadavre d’un ours, tué par des braconniers. Ils ont juste pris ses pattes et sa vésicule biliaire, très demandées sur le marché asiatique.

Obligé de s’en mêler, il va entrer dans une spirale de confrontation et de violence qui pourrait bien mettre son anonymat à mal.

Voilà un roman qui avait raison de me faire de l’œil. On pourrait craindre une énième mouture du roman de petits blancs des Appalaches, devenus à la mode ces dernières années. Il n’en est rien. A partir d’une structure archi classique mettant en scène un personnage au passé lourd, qui bien entendu va finir par le rattraper, et la confrontation d’un étranger avec des locaux pour le moins hostiles, James A. McLaughlin écrit un roman original qui prend son temps tout en vous attrapant pour ne plus vous lâcher.

Quelques points pour l’originalité du roman. Pour une fois, il ne s’agit pas de trafic de drogue mais de trafic d’animaux sauvages. La galerie des héros hardboiled abimés, marchant en permanence au bord de l’abime est riche, et on pourrait croire qu’on a déjà tout vu et tout lu. Et bien non, Rice Moore arrive à nous surprendre, mais je ne vous dirai pas comment pour ne rien gâcher de votre lecture. Bien que la description de la population locale soit du « déjà vu » pour qui a lu Chris Offut ou David Joy, elle reste intéressante, mais ce qui rend ce roman unique ce sont les magnifiques pages d’immersion totale dans une nature superbement décrite.

Ajoutez que l’intrigue est parfaitement menée et que les scènes de bravoure sont très réussies, et vous avez un roman disponible en poche qui pourra faire votre bonheur cet été (ou plus tard). Pour finir, même si le roman se suffit amplement, il me semble que l’auteur n’a pas complètement fermé la porte à un retour de son héros. Nous verrons.

James A. McLaughlin / Dans la gueule de l’ours, (Bearskin, 2018), J’ai Lu (2022) traduit de l’anglais (USA) par Brice Matthieussent.