Archives pour la catégorie Western et aventure

Les mille crimes de Ming Tsu

Une curiosité à La Noire de Gallimard, un western original de Tom Lin : Les mille crimes de Ming Tsu.

Fin du XIX°, ce sont en grande partie des immigrés chinois traités comme du bétail (et même pire) qui ont construit les légendaires lignes de chemins de fer qui traversent les US d’est en ouest. Mais ils ne sont pas tous dociles. Ming Tsu, orphelin, a été recueilli par un tueur à gage qui lui a appris son métier. Et Ming Tsu est très doué.

Devenu adulte il a épousé la belle Ada, blanche. Mais son père n’a rien voulu savoir et il a envoyé des hommes de mains récupérer sa fille et châtier le chinetoque. Ils auraient dû le tuer. Parce que maintenant Ming Tsu, aidé d’un vieux prophète, est en route vers l’ouest pour tuer ceux qui l’ont battu et récupérer sa bien-aimée.

Autant commencer par avertir ceux qui n’aimeront pas ce roman. Si vous recherchez du « cosy crime » avec tasse de thé mais pas trop de sang, passez votre chemin, c’est particulièrement sanglant. Si vous ne supportez pas une touche de fantastique, laissez tomber, Ming Tsu est accompagné de miracles, un prophète aveugle qui voit dans l’avenir et des « monstres » de cirque aux étranges pouvoirs.

Pour les autres, vous pouvez foncer. C’est original, on voit la conquête de l’ouest sous un prisme inhabituel. Celui du personnage central, tueur issu d’une groupe d’immigrants dont le rôle est rarement cité dans la littérature ou le cinéma, et qui de plus est complètement unique puisque, adopté tout bébé, il ne parle pas chinois et se sent entièrement américain. 

Le mélange de violence à la Tarantino ou Peckinpah, de cirque de freaks itinérant, et de passages obligés de la mythologie du western (shérif, indiens, saloon, chasseur de prime, petites ville qui pend les étrangers …) donne une coloration originale au récit que viennent pimenter les touches de fantastique.

Le voyage est beau, à travers une nature impressionnante, au gré de rencontres étonnantes avec pour compagnon principal un tueur que l’auteur ne cherche jamais à rendre particulièrement sympathique.

Un auteur à suivre si ses futurs romans ont la qualité de ce coup d’essai particulièrement réussi.

Tom Lin / Les mille crimes de Ming Tsu, (the thousand crimes of Ming Tsu, 2021), La Noire (2023) traduit de l’anglais (USA) par Doug Headline.

Cavalier, passe ton chemin

Gallmeister a la bonne idée de traduire et d’éditer le premier roman de Larry McMurtry : Cavalier, passe ton chemin.

Nous sommes dans les années 50, dans un ranch du Texas. Il y a là le grand-père, plus de 80 ans, encore en pleine forme, sa deuxième femme Grand-Mère, son petit-fils, le narrateur, Lonnie, 17 ans, partagé entre la fascination des récits du passé et l’ennui, Hud, la trentaine, fils de Grand-Mère, un homme violent que tout le monde craint, deux cow-boys qui aident à s’occuper du bétail, et Halmea, la cuisinière noire.

Un équilibre fragile, qui menace de s’écrouler quand une des vaches tombe malade et que le vétérinaire appelé sur place craint une épidémie.

Autant le dire tout de suite, on n’a pas encore la puissance, le souffle et le romanesque de l’extraordinaire série de Lonesome Dove. Mais ce serait dommage de passer à côté de ce court roman qui montre combien western et roman noir sont liés. Car si l’on a ici les personnages et les lieux typiques du western (ranch, cowboys et rodéo) c’est bien une intrigue non moins typique de roman noir qui est mise en place, avec montée de la tension, rupture et mort à la clé.

Avant d’écrire sa grande série, ce sont les faibles échos de la période épique qui se terminera avec Les rues de Laredo que l’on entend ici. Echos fort lointains qui se mélangent avec la description d’une Amérique loin des centres, d’une jeunesse qui s’ennuie, de droits civiques encore bien éloignés, de bals partagés entre un rock naissant et des quadrilles et la country toujours très présents.

Ces tiraillements, ce point de bascule sont parfaitement incarnés par le narrateur, jeune homme qui doute de tout, au moment où sa vie va basculer. Un beau roman, moins épique que l’œuvre à venir, mais qu’il serait dommage de ne pas découvrir.

Larry McMurtry / Cavalier, passe ton chemin, (Horseman, pass by, 1961), Gallmeister (2021) traduit de l’anglais (USA) par Josette Chicheportiche.

Le cercueil de Job

Je suis passé à côté des deux premiers romans traduits de l’américain Lance Weller. A la lecture du dernier, Le cercueil de Job, je me dis que j’ai bien eu tort.

Nous sommes au Tennessee en pleine guerre de Sécession. Bell Hood, jeune esclave en fuite tente de gagner une terre sure. Mais la route est plus que périlleuse, entre les chasseurs d’esclaves et les deux armées. Quelque part, pas très loin, Jeremiah Hoke est soldat confédéré par hasard et loin d’être convaincu par les valeurs défendues par ses compagnons d’arme. Quand il se réveille mutilé après une bataille particulièrement sanglante, il décide de quitter l’armée sudiste. Commence alors pour lui une longue errance sur une terre qui ressemble de plus en plus à l’enfer intérieur qu’il vit, hanté par ce qu’il a vu et fait.

Préparez-vous à une lecture parfois éprouvante. Le pays est sombre, les batailles sont d’abominables boucheries vécues au plus près des personnages qui tuent et qui souffrent, bien loin des manœuvres des grands stratèges, l’esclavage est décrit dans toute son horreur. Et pourtant.

Et pourtant on s’attache à Jeremiah Hoke, on comprend son parcours on souffre avec lui, on est témoins de ses doutes. On suit avec un des compagnons de Bell les premiers contacts avec la liberté et avec l’art. Et il y a surtout Bell Hood, lumineuse, qui change ceux qui l’approchent et qui illumine le roman de son éclat.

C’est dense, puissant, tour à tour lyrique, poétique, intime. Un magnifique roman qui raconte un moment fondateur de l’Amérique.

Lance Weller / Le cercueil de Job, (Job’s coffin, 2021), Gallmeister (2021) traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

Les pionniers

Une petite (grosse) pause dans la lecture des polars pour me plonger dans un western recommandé par plusieurs blogs : Les pionniers de Ernest Haycox.

Le roman commence dans la tempête. Un convoi de quelques centaines de colons a quitté le Missouri et se dirige vers l’Oregon, de l’autre côté des montagnes, dans une zone où la terre est encore libre. Mais avant de s’installer il faudra faire traverser des fleuves, supporter le froid, le vent et la neige. Dans le groupe, un médecin, une majorité de paysans, et quelques anciens trappeurs qui ont l’habitude de se déplacer en terrain inconnu.

Puis une fois sur place il faudra choisir ses terres, tenir l’hiver jusqu’à la première récolte, commencer à organiser routes et écoles, chasser pour survivre, côtoyer des indiens, nouer des alliances, s’entraider malgré les différences, se heurter aux premières agressions …

Impossible de résumer ce long roman foisonnant. Pendant une année, des derniers jours du voyage à la première récolte, nous allons vivre la vie d’une vingtaine de personnages, représentatifs de la variété de pionniers. Les anciens trappeurs, ceux qui vont s’adapter à la vie sédentaire et au remplacement de la chasse et l’aventure par l’agriculture, et ceux qui ne pourront accepter les contraintes  associées, les parents qui ont abandonné une vie entière, et les jeunes qui voient dans l’Oregon un vrai début, un instituteur, un croyant fanatique, des jeunes femmes qui ont la vie devant elles, de moins jeunes qui souffrent du poids du patriarcat, une veuve …

Nous allons vivre les ébauches d’une organisation sociale, le racisme envers les indiens, l’intolérance, le poids de la religion, un mélange d’individualisme et de très fort sentiment de la collectivité. Nous allons connaître les pensées, les rêves, les espoirs, les regrets, les scrupules d’hommes et de femmes amoureux, malades, fatigués, émerveillés ou découragés.

Nous verrons la nature encore sauvage, et celle que l’homme commence à domestiquer à l’intérieur des barrières qu’il dresse.

Celles et ceux que nous suivrons se montrerons tour à tour bornés ou clairvoyants, figés dans de vieilles certitudes, intolérants, mesquins, courageux, héroïques, plein d’abnégation et prêts à se sacrifier pour aide leur voisin. Il y aura des amours, des bagarres, des morts et des fêtes.

Au travers de cette année, c’est à la fin d’un ouest sauvage, à l’arrivée des clôtures et des lois que nous convie l’auteur.

Le roman est lent, une importante part est accordée aux réflexions des personnages, à leurs doutes, à leurs interrogations. Habituellement je préfère les récit faisant moins la part à l’introspection, mais ici l’ambition du projet, son souffle, emportent l’adhésion.

Les imbéciles insupportables diront que Les pionniers est « plus qu’un western ». C’est simplement un grand et beau roman.

Ernest Haycox / Les pionniers, (The eartbeakers, 1952), Actes Sud/L’oust, le vrai (2021) traduit de l’aanglais (USA) par Fabienne Duvigneau.

Homesman

Je l’avais manqué lors de sa sortie en grand format, je me rattrape heureusement aujourd’hui, alors qu’il parait chez Totem, Homesman de Glendon Swarthout.

A la fin d’un hiver particulièrement éprouvant, quelque part sur le frontière, au milieu du XIX° siècle, les familles de colons accueillent le retour du printemps. Mais tous et surtout toutes n’en sortent pas indemnes. Epuisement, terreur, mort des enfants ou de proches, quatre femmes ont sombré dans la folie. Comme l’année précédente, le pasteur qui s’occupe de la zone décide avec les maris de les ramener vers leurs familles, dans l’Est.

Il va falloir les accompagner. C’est Mary Bee Cuddy, maîtresse femme, ancienne institutrice à la tête d’une ferme prospère qui conduira le chariot. Mais elle ne peut y aller seule et s’adjoint l’aide de Briggs, un voleur, menteur, qu’elle sauve de la pendaison. Qu’il soit vers l’Est ou vers l’Ouest, le voyage n’est jamais de tout repos …

Quand on dit que le western et le polar sont cousins germains. Tout amateur de roman noir ne peut que se régaler à la lecture de Homesman.

Pour ses personnages extraordinaires, que ce soit Mary Bee Cuddy ou Briggs, qui vont se révéler au cours du voyage. Révéler leurs forces, leurs fêlures, leur humanité. Deux personnages magnifiques qui vont longtemps vous hanter. Autant que vont vous hanter les histoires de ces quatre femmes, et les événements qui ont fini par les plonger dans la folie.

Six personnages qui dressent le portrait de la vie terrible des premiers colons, et en particulier de celles de ces éternelles oubliées de l’Histoire, les femmes. La terrible solitude, l’enfer des hivers, le poids de ce que leurs maris et la société attendent d’elles. Et ce sans caricature ni manichéisme, sans dépeindre les hommes comme des tyrans, autant victimes que leurs femmes, autant pris dans les mêmes contraintes. Mais en changeant l’éclairage habituel.

Vous allez suivre la mise en place et le périple passionnément, vous serez révoltés avec Cuddy, vous sourirez de Briggs, et vous finirez bouleversés. Vous pouvez me faire confiance.

Glendon Swarthout / Homesman, (The homesman, 1988), Gallmeister/Totem (2021) traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.

Les rues de Laredo

Je ne m’y attendais absolument pas. Imaginez ma joie quand j’ai vu que Larry McMurtry avait écrit une suite et fin à son fantastique western Lonesome Dove. Une fin qui tient toutes ses promesses, Les rues de Laredo.

Petit à petit l’ouest est pacifié. En partie grâce ou à cause du capitaine des rangers du Texas Woodrow Call, légende de la frontière et des guerres contre les Comanches. Le train arrive, les Comanches et apaches sont parqués dans des réserves, et Call, vieillissant, loue ses services comme une sorte de chasseur de primes.

C’est à ce titre que le Colonel Terry, patron d’une des lignes de chemin de fer qui sillonne l’ouest le contacte pour mettre fin aux agissements de Joey Garza, jeune pillard mexicain qui lui a déjà dévalisé plusieurs convois, tuant des passagers au hasard. Et il lui envoie son comptable de Brooklyn pour vérifier les comptes au jour le jour. Le colonel Terry est un peu tatillon, et despotique.

La capitaine Call voudra récupérer son ancien caporal Pea Eye, marié, fermier et père de cinq enfants, ils croiseront la route de tueurs, du traqueur Famous Shoes, souffriront du froid, du vent, de la chaleur, erreront entre Texas et Mexique, et tous ne reviendront pas chez eux.

Pour commencer, oui Les rues de Laredo peut se lire indépendamment des autres romans de la saga, mais ce serait vraiment dommage tant cette série est cohérente et magnifique. Donc si j’ai un conseil, en ces temps d’enfermement obligatoire, commandez chez votre libraire préféré La marche du mort, Lune comanche, Lonesome Dove et Les rues de Laredo, et partez pour plus de 2000 pages d’aventure, de tempête, de bruit et de fureur … Mais aussi d’humour et d’émotion.

Cet ultime volume est à la hauteur des trois premiers volumes. Dur, violent, puissant, dépaysant, émouvant, intelligent et drôle.

Commençons par l’humour qui est peut-être inattendu. Il découle du choix stylistique de l’auteur de présenter les réflexions des différents personnages complètement à plat, sans aucun filtre de jugement, et sans donner son point de vue. C’est ainsi que l’on assiste à des heurts frontaux entre les façons de voir d’un capitaine de rangers, d’un éclaireur indien, d’un comptable de New York, d’une paysanne mexicaine ou d’un tueur sans pitié. C’est drôle mais c’est aussi très instructif et amène le lecteur à se poser beaucoup de questions sur ses propres filtres quand il reçoit la réalité.

Exemple : On parle d’un vieil homme, nommé Marshall qui « était arrivé chez les Apaches un jour que Famous Shoes était venu essayer de convaincre un vieil homme-médecine nommé Turtle de relâcher une petite fille blanche qu’ils avaient capturée lors d’une attaque. Turtle ne voulait rien entendre. Sa femme était flétrie et ne voulait plus de lui, aussi avait-il besoin d’une fille jeune. La somme d’argent que Famous Shoes lui proposait – de l’argent fourni par la famille de la fillette – avait moins d’importance pour Turtle que la fillette elle-même. Turtle avait patiemment expliqué cela à Famous shoes, qui l’avait assez bien compris. […]

Famous Shoes avait accepté les raisons de Turtle et renoncé à ramener la fillette, bien qu’elle manquât à ses proches et qu’ils l’eussent payé grassement pour qu’il la retrouve.

Mais M. Marshall, l’homme blanc aux bibles, lui, n’avait pas admis les explications de Turtle. Malgré la réponse claire de Turtle disant qu’il ne voulait pas vendre la fille blanche, Marchall avait insisté pour la lui racheter.

Lorsqu’il comprit qu’il ne pourrait pas, Marshall se mit en colère et proféra de mauvais mots, suscitant le mécontentement des Apaches. Un jeune guerrier […] prit une baïonnette récupérée sur le lieu d’une bataille et transperça Marshall de part en part, causant sa mort rapide. Tout le monde convint que Long Thorn avait agi de façon appropriée. »

Cette bascule de points de vue déstabilise et dépayse complètement le lecteur, crée un effet comique très réussi et donne au roman un ton à nul autre pareil.

Mais si on prend un immense pied de lecture c’est également grâce à une multitude d’autres aspects.

Le plaisir direct de lire un excellent roman d’aventure. La qualité de la reconstitution historique, la violence des descriptions d’une vie rude, terrible pour beaucoup, atroce, comme souvent, pour les femmes, et ce sans aucun pathos. Les magnifiques personnages, flamboyants, pathétiques, lâches, courageux, perdus, pourris jusqu’à la moelle, admirables … Avec une mention particulière pour quelques portraits de femmes absolument fantastiques.

Cette conclusion apporte un élément supplémentaire, la description du crépuscule d’un monde, de ses légendes, de son côté mythique. L’auteur parvient à nous présenter la grandeur de ces légendes tout en les démythifiant et en nous décrivant des hommes, des humains de chair et de sang, et non des statues.

J’ai été un peu long, mais j’espère avoir été convaincant. Vous pouvez éteindre votre ordinateur, annoncer qu’il ne faut pas compter sur vous pour les heures et les jours à venir, et partir rejoindre Woodrow Call, Maria, Joey Garza, Lorena, Famous Shoes et les autres …

Larry McMurtry / Les rues de Laredo, (Streets of Laredo, 1993), Gallmeister (2020) traduit de l’anglais (USA) par Christophe Cuq.

Le sang ne suffit pas

On a découvert Alex Taylor avec Le verger de marbre. Il revient avec un roman dans un tout autre genre : Le sang ne suffit pas.

Taylor1748, en plein hiver, quelque part dans les montagnes de Virginie. Un fort abandonné doit faire face à la colère des Shawnee du chef Black Tooth. Seul moyen de le calmer, et qu’il autorise le ravitaillement d’une population qui commence à mourir de faim, lui livrer un nouveau-né. Cela devait être celui de Della, une prostituée métisse, mais Della s’est enfuie avec le fils du croquemort.

Le docteur Integer Crabtree, commandant du fort envoie à ses trousses deux frères, écossais d’origine, traqueurs hors pairs peu regardants sur les moyens. Ajoutez Reathel, qui erre affamé dans ces montagnes après la mort de sa femme et de son fils, une ourse en colère, un trafiquant sans scrupules et la tempête qui se prépare. Le décor est planté.

Comme j’ai une petite, toute petite restriction, je vous la livre tout de suite pour m’en débarrasser : A mon goût Alex Taylor en fait un peu trop dans certaines descriptions, où il charge vraiment ses phrases, en rajoute dans l’adjectif et la figure de style. Encore à mon goût, cela alourdit certains passages. Mais c’est une question totalement subjective.

Faut-il pour autant passer à côté de ce western somptueux ? Non (c’était ce qu’on pourrait appeler une question fermée). Sauf pour celles et ceux qui ont l’estomac un peu délicat parce que si c’est somptueux, c’est aussi plutôt cru, sombre et sanglant.

Il faut avouer que l’auteur ne nous épargne pas grand-chose. Des personnages bien tordus, la crasse, le froid, la maladie, la faim, une nature impitoyable, du sang et des tripes. Mais il y a un tel souffle (souvent glacé), que le lecteur est emporté par la tempête. Et quelles scènes d’anthologie. Là encore Alex Taylor a un véritable talent pour vous les faire vivre, vous mettre des images dans la tête, où elles risquent de rester un bon moment.

Un véritable talent aussi pour camper des personnages hors norme, le toubib, les deux frères pisteurs, un français complètement taré, un prêtre allumé, le chef Black Tooth, la force de Della … Sans oublier la nature et les animaux qui ont un présence époustouflante.

Bref, mettez vos moufles, votre bonnet et un bon manteau et laissez vous emporter dans l’hiver 1748 quelque part dans les montagnes de Virginie.

Alex Taylor / Le sang ne suffit pas (Blood Speeds the Traveler, 2019), Gallmeister (2020) traduit de l’anglais (USA) par Anatole Pons-Reumaux.

11h14

C’est parti, avec pour commencer l’année un polar/western, de Glendon Swarthout, publié une première fois à la série noire et réédité chez Gallmeister : 11h14.

SwarthoutJimmie n’a rien d’un héros. Il est satisfait d’être resté un grand gamin plutôt lâche, auteur à succès de livres pour enfants, et très heureux de vivre à New York. Mais il ne sait pas dire non à la très belle et très sensuelle Tyler Vaught qui l’a épousé puis largué au bout de six mois. Alors quand Tyler lui demande d’aller enquêter pour savoir comment Max est mort à Harding, nouveau Mexique, il accepte. Même si Max était le salaud pour qui Tyler l’avait quitté. Même si son élégance très new yorkaise ne fera pas fureur dans l’ouest. Même si à Harding les faits d’armes des deux grands-pères violents de Tyler sont encore célébrés … Et bien entendu, le pauvre Jimmie va tomber en plein règlement de compte à OK Corral.

Excellente idée que cette réédition. Ne vous laissez pas prendre par le démarrage du bouquin, avec le ton badin et un poil agaçant du narrateur. Ca commence tranquille, plutôt drôle avec distance et dandysme. Et puis petit à petit le récit devient de plus en plus sombre.

L’auteur réussit parfaitement son polar, y intègre très bien une partie western, et montre ainsi à ceux qui auraient encore pu en douter que ces deux genres sont très proches. Sous des dehors faussement détachés il montre d’un côté le passage, en apparence, d’un monde « sauvage » où règne la loi des colts à un monde plus policé régi par le droit, mais gratte aussi sous la surface et nous montre la réalité sous les beaux mots.

Ajoutez que l’auteur sait parfaitement jouer avec les clichés, et en particulier celui de la femme fatale, glisse un bel hommage aux bibliothécaires et à la lecture, et construit fort bien son intrigue, et vous avez une manière plaisante et instructive de commencer vos lectures de l’année.

Glendon Swarthout / 11h14 (Skeletons, 1979), Gallmeister/Totem (2020), traduit de l’anglais (USA) par F.M. Watkins, revu par Marc Boulet.

Le triomphant

Avec Planète vide Clément Milian nous avait proposé un texte qui faisait un bien fou. Contrepied total avec Le triomphant qui nous laisse groggy.

MilianÇa ressemble à la guerre de 100 ans quelque part en France. Saturés de sang et de tripes, cinq camarades d’armes, peut-être des amis, ont déserté des combats qui n’ont plus de sens pour eux pour poursuivre une seule mission : abattre La Bête.

La Bête a un temps combattu à leur côté, puis est parti, comme un Dieu fou, massacrant tout sur son chemin, hommes, femmes et enfants, brulant les villages, écrasant toute humanité sous son marteau. Tous les cinq pensent que supprimer La Bête est la seule façon de permettre que la mal et la laideur ne règnent sans fin sur le monde.

La première qualité que l’on peut reconnaître à Clément Milian est son originalité. Vous ne lirez pas (ou rarement) ailleurs ce que vous pouvez lire ici, et ce roman ne ressemble en rien au précédent. Donc si vous aimez être surpris et secoué, faites-moi confiance et plongez-vous dans ce petit roman (en taille), aux chapitres courts, qui va vous immerger dans un monde de massacres, de tripes et de sang.

On est dans une sorte de conte d’horreur, où la Bête incarne et préfigure tous les massacres à venir, où l’innocence est piétinée et où les « chevaliers blancs » ne le sont pas tant que ça, souffrent des actes qu’ils ont été amenés à commettre, et tentent de trouver la rédemption en éliminant la Bête. Ils errent dans un pays livré au pillage et où la loi du plus fort s’impose, une fois de plus, aux plus faibles, à commencer par les femmes.

Une errance hallucinée et hallucinante, et une fin surprenante qui clôt parfaitement un texte envoutant.

Clément Milian / Le triomphant, Les arènes/Equinox (2019).

Olivier Truc se lance à l’aventure

Olivier Truc lâche le polar mais pas le Grand Nord, et nous entraine au XVII° siècle, entre Pays Basque et Laponie, en passant par Amsterdam dans Le cartographe des Indes boréales.

Truc1628, Izko Detcheverry, jeune basque de treize ans assiste depuis Stockholm au naufrage du Vasa, le nouveau vaisseau fleur de la flotte suédoise le jour même de sa mise à l’eau. Il se trouve là parce que son père Paskoal, chasseur de baleines réputé de Saint-Jean de Luz a sauvé un proche du roi de la noyade.

A son tour, Izko aide une jeune femme à sortir de l’eau et sauve son bébé. Se méprenant sur son geste elle a un mouvement vers lui, remerciement ou malédiction ? Izko ne sait pas que ce jour va changer le cours de sa vie. Qu’il sera espion de l’Eglise de France, cartographe de la Laponie, qu’il ira à Lisbonne, Amsterdam et Uppsala et qu’il sera victime du fanatisme, de l’avidité et de la bêtise des hommes.

Voilà un roman qui ne manque ni d’ampleur ni d’ambition. Et si je n’ai pas été conquis à 100 %, je m’incline devant le travail d’Olivier Truc.

Il y a des choses qui m’ont gêné et qui m’ont empêché d’être totalement enthousiaste.

Tout d’abord j’ai eu du mal à rentrer dans le roman, essentiellement parce que je ne comprends pas le démarrage de l’histoire, pourquoi il est envoyé au Portugal et ce qu’il lui arrive en y arrivant. Je n’en dit pas plus pour ne pas révéler d’éléments du début de l’intrigue, mais je trouve que les événements traumatisants qu’il y vit ne semblent pas le marquer autant qu’ils le devraient, du moins c’est ce que j’ai ressenti.

C’est d’ailleurs un reproche général, à mon goût les émotions qui devraient être intenses (haine, dégoût, amour, chagrin …) sont amoindries, Izko ne semble pas très touché, et du coup, je ne l’ai pas non plus été.

Et pour finir avec ce qui m’a gêné, mais là c’est certainement voulu et c’est très subjectif, les personnages auxquels je me suis attaché, sont pour moi trop gentils et soumis à la religion, quelle qu’elle soit. C’est sans aucun doute la réalité de l’époque, mais j’avais parfois envie de les secouer pour les réveiller et qu’ils se révoltent pour de bon.

Ceci dit, j’ai quand même beaucoup apprécié le voyage, les récits (trop courts) de chasse à la baleine, la description du travail de cartographe, les paysage lapons, le froid, la nuit, l’immensité. J’ai aimé haïr les pourris, qui à mon avis sont mieux réussis que les personnages positifs, et j’ai appris beaucoup de choses sur les débuts des persécutions des lapons, thème que l’on retrouve dans le premier polar de l’auteur.

Et puis un auteur arrive à vous embarquer dans une aventure de plus de 600 pages sans vous laisser en route est un auteur qui ne manque ni d’imagination, ni de souffle. A découvrir donc, malgré mes réserves.

Olivier Truc / Le cartographe des Indes boréales, Métailié (2019).