Archives du mot-clé 39-45

Péché mortel

Carlo Lucarelli remonte le temps avec son personnage de flic, le commissaire De Luca que l’on retrouve à la fin de la guerre dans Péché mortel.

Eté 1943, étrange période à Bologne. La guerre sévit, les bombardements alliés font des victimes, les fascistes sont chassés du pouvoir, puis les allemands s’installent. Comment s’y retrouver ? le commissaire De Luca s’en fiche. Lui il est policier et il cherche la vérité. Lors de l’arrestation d’un trafiquant du marché noir il tombe sur un corps sans tête. Et plus tard, quand il la trouve, la tête, mais ce n’est pas la bonne.

Alors que toute sa hiérarchie lui dit de laisser tomber, qu’il y a des morts tous les jours à cause de la guerre, lui s’obstine. Il est flic, il a deux meurtres, il faut trouver les coupables. Quoi que cela lui coûte.

Carlo Lucarelli n’est pas le premier à mettre en scène un flic obstiné qui veut rendre justice à la victime d’un meurtre alors qu’autour les morts s’accumulent dans l’indifférence générale. Patrick Pécherot dans Tranchecaille, ou Ernesto Mallo dans L’aiguille dans une botte de foin l’ont fait avant lui, pour ne parler que d’eux.

Mais ce n’est pas parce que ce n’est pas nouveau que ce n’est pas bien. A son tour l’auteur italien met parfaitement en scène l’obstination d’un homme qui, dans l’absurdité et l’arbitraire du chaos se raccroche à son boulot, en faisant abstraction de tout le reste.

C’est ici toute la force et toute l’ambiguïté de son personnage, qui n’est pas fasciste, qui, on le sent, n’approuve pas le fascisme … mais qui ne s’y oppose pas non plus, même quand il se sent très mal à l’aise. Il fait son boulot, parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il se fiche que les victimes ne comptent pas aux yeux de ses collègues, il se fiche d’atteindre des personnes dangereuses car très haut placées. Il fait son boulot.

Excellente enquête, personnage intéressant, et bien entendu, tout autour cette période que je connaissais fort mal de la fin de la guerre dans le nord de l’Italie.

Un roman passionnant.

Carlo Lucarelli / Péché mortel, (Peccato mortale, 2018), Métailié (2023) traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

Le tableau du peintre juif

Rentrée toulousaine avec Le tableau du peintre juif de Benoît Séverac.

Stéphane et son épouse Irène sont dans la dèche. La petite entreprise de Stéphane a fait faillite, il est au chômage à 50 ans passés, et ils ont du mal à s’en sortir. Quand l’oncle et la tante de Stéphane, qui s’apprêtent à partir en maison de retraite, l’appellent pour lui donner un tableau, il semble que leur vie va changer.

Il apprend à l’occasion que ses grands-parents, qu’il savait résistants, avaient caché un peintre juif assez connu, qui leur avait offert une de ses toiles avant de passer en Espagne. Une toile évaluée à près de 100 00 euros. L’occasion de redémarrer pour Irène, mais l’occasion de faire reconnaître ses grands-parents comme des justes pour Stéphane.

Alors que le couple se sépare, Stéphane va en Israël, où il a la surprise d’être arrêté, le tableau est sur une liste de tableaux volés. Alors qu’il n’a plus rien à perdre, il remonte le passé pour comprendre ce qu’il en est.

Je suis souvent embêté au moment de parler des romans de Benoit Séverac. Et c’est encore le cas. Il aborde des thématiques intéressantes. Il trouve un bon angle d’attaque. Donc on apprend pas mal de choses. Sur les réseaux de résistants dans le sud de la France, sur le passage en Espagne, sur le détail de l’attitude des autorités espagnoles durant la seconde guerre mondiale. Et même, accessoirement sur le travail de mémoire qui se fait dans ce pays.

Mais j’ai du mal à m’enthousiasmer parce que je n’accroche pas à son écriture. Je la trouve trop sage, trop explicative. Je trouve qu’il explicite trop les pensées, les raisons d’agir de ses personnages. Il manque pour moi de l’émotion, de la rage, de la folie, quelque chose qui démarque ses romans d’un documentaire romancé.

Je ne me suis pas ennuyé, mais je n’ai pas été emballé. Dommage.

Benoît Séverac / Le tableau du peintre juif, La manufacture des livres (2022).

Les larmes du Reich

Sur les conseils avisés de blogs, d’amis et de libraires, j’ai tenté Les larmes du Reich de François Médéline, moi qui ne suis pas, a priori, fan de polars historiques. J’ai eu raison.

L’inspecteur Michel expie on ne sait quelle faute. Et c’est pour cela que c’est à vélo qu’en cette année 1951 il va enquêter depuis Lyon jusque dans la Drôme, à la recherche de la petite Juliette, 11 ans, disparue après le meurtre de ses parents dans une ferme isolée. Pas forcément bien accueilli par les gendarmes sur place, il s’aperçoit vite que ce couple était étrange et qu’il y a des secrets bien gardés.

Mais qui n’en a pas en ces années qui suivent la fin de la guerre ? L’inspecteur Michel lui-même n’en a-t-il pas ?

Voilà un roman étrange qui fait se poser tout un tas de questions au fil de la lecture. L’étrangeté, le bizarre s’insinuent petit à petit, de plus en plus fort, et on a l’impression de comprendre de moins en moins ce qu’il se passe, jusqu’à la dernière partie qui va tout éclairer.

Une belle construction qui demande un peu de patience et permet à l’auteur de décrire des faits peu connus, ou du moins que moi je ne connaissais pas. Mais je n’en dirai pas plus, ce serait dévoiler une bonne partie de l’intrigue, et ça ce serait un faute majeure.

Et écrire plus que « lisez-le » serait une autre faute tant toute indication pourrait gâcher le plaisir de la découverte finale.

François Médéline / Les larmes du Reich, 10×18 (2022).

Le plongeur

Une découverte, un polar grec, ce qui est rare : Le plongeur de Minos Efstathiadis.

Chris Papas est privé à Hambourg. Chris Papas est le nom qu’il utilise en Allemagne, son vrai nom est Christos Papadimitrakopoulos, du nom de son père, grec du Péloponnèse. L’histoire commence de la façon la plus classique qui soit, il s’agit de suivre une jeune femme, Eva Döbling pendant 48 heures.

Mais son client se suicide, les flics allemands lui demandent des comptes et Eva est partie à Aigion, près de là où est né Chris. Le voici en route pour sa terre natale, où il aura rendez-vous avec de nombreux cadavres, et des résurgences d’une histoire ancienne.

Un roman bien étrange. Presque tout du long il s’apparente à une errance. Commencée en Allemagne elle se poursuit en Grèce. Un pays fort éloigné des clichés touristiques, l’auteur ayant choisi de la décrire en hiver, froide et grise, comme en hommage à certains films de Théo Angélopoulos (qui est d’ailleurs cité nommément dans le roman).

Chris Papas est plus un prétexte qu’un enquêteur. Il enquête fort peu et se déplace, ou plutôt est déplacé par les gens qu’il rencontre, et les informations lui sont fournies plus qu’il ne les cherche. Le lecteur déambule avec lui, découvre un pays structurellement délabré qui ne tient que grâce au dévouement de certains. Il découvre aussi des habitants naturellement accueillants et chaleureux.

Puis arrivent les dernières pages qui plongent le lecteur dans le passé, et lui font l’effet d’une énorme gifle glacée. Pour le laisser en état de choc.

Un roman très étonnant, original, gris puis très noir. Un autre regard sur la Grèce et son histoire, bien différent de la rage et l’humour chaleureux du commissaire Charitos de Petros Markaris.

Minos Efstathiadis / Le plongeur, (O Δύτηϛ, 2018), Actes sud (2020) traduit du grec par lucile arnoux-Farnoux.

Les nocturnes de Cathi Unsworth

Cathi Unsworth nous embarque en hiver 42, à Londres, dans London Nocturne.

UnsworthFévrier 1942, Londres subit les bombardements allemands. Malgré la mort, le froid et la destruction, la vie continue, la nuit, dans l’obscurité du couvre-feu. La vie, la fête, l’alcool, la prostitution, les arnaques … Et les meurtres. Un tueur sème les cadavres de femmes étranglées et mutilées, semant la panique dans le monde de la nuit.

L’inspecteur Greenaway s’est juré de le retrouver et de l’amener à la potence.

J’ai ouvert ce roman persuadé que l’allais l’adorer, comme j’ai aimé les précédents romans de Cathi Unsworth, et impatient de voir ce qu’elle allait faire du Londres de cette période très spéciale. Et finalement, je suis déçu.

Parce que si le décor est magnifique, dans la nuit, la brume et les rues parsemées de ruines, et si l’auteur crée une ambiance très originale, entre bars de nuit, séances de spiritisme, et ce pont de Waterloo en construction, elle glisse beaucoup trop vite, à mon goût, sur les personnages.

J’ai eu l’impression qu’à vouloir embrasser trop de thématiques, elle n’a fait que les effleurer, sans que l’on comprenne toujours leur lien entre elles. J’aurais aimé en savoir plus sur Greenaway, sur Duchesse, sur Lady, sur la bande de la mafia juive de Sammy Lehmann, sur le Maestro, sur le jeune Bobby que ce magicien fascine, sur Swaffer, le journaliste socialiste et pianiste et sur bien d’autres qu’on ne fait que croiser, qui portent tous des promesses d’histoires que l’on ne nous raconte pas. C’est frustrant.

Plutôt que de tous les citer, sans nous les faire connaitre, j’aurais préféré que l’auteur élague un peu, se concentre sur une partie de son intrigue, développe certains thèmes, approfondisse certains personnages, quitte à en laisser tomber d’autres.

Le résultat est que je suis resté assez indifférent, et que je n’ai fait que croiser des personnages désincarnés évoluant dans ce décor impressionant.

Cathi Unsworth / London Nocturne (Without the moon, 2015), Rivages/Noir (2019), traduit de l’anglais par Isabelle Maillet.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les vespasiennes …

Après un roman écrit à quatre main avec le regretté Juan Hernandez Luna, Sébastien Rutés revient seul pour un roman historique original : La vespasienne.

RutesFin 1941 à Paris, Paul-Jean Lafarge vit une vie bien morne et sans éclat. Directeur d’une revue publiant de la poésie, ne vivant que pour les lettres et les mots, il ne s’intéresse à rien de ce qu’il se passe autour de lui. La revue des lettres, ne survit que grâce à l’argent des allemands qui permet tout juste de payer le salaire d’une secrétaire et d’imprimer une revue que plus personne ne lit.

Paul-Jean pourrait traverser ainsi toute la guerre s’il n’avait un plaisir secret : Il aime manger des croutons de pain trempés dans l’urine d’autrui. Et coup de chance, juste en bas de chez lui, il y a une vespasienne. Et c’est là qu’un soir, tentant de récupérer les croutons placés au matin, il trouve un pistolet et des munitions. Sans qu’il le veuille, la guerre l’a rattrapé, et il va lui falloir prendre parti.

Voilà un roman à la fois érudit, léger dans sa forme et finalement sombre sur le fond.

Erudit car on apprend beaucoup de choses sur les vespasiennes (oui je sais vous ne vous posiez pas forcément beaucoup de questions sur ces anciennes pissotières), mais également au détour d’un paragraphe sur toute l’ambiance d’une époque ou sur le métier de bourreau.

Léger sur la forme car on sent que Sébastien Rutés s’est amusé à écrire dans un style suranné, pour coller à l’époque, et surtout à ce personnage falot, qui aimerait rester hors du temps pour n’avoir pour seuls compagnons que les poètes et leurs vers. C’est délicieusement rétro et bien élevé, et le lecteur s’amuse à son tour.

Et c’est bien sombre sur le fond, parce que la période décrite le veut, mais surtout parce que, finalement, elle est tellement triste cette vie de solitude, d’autocensure permanente, de peur d’en dire trop ou trop peu.

On referme le roman avec une sensation de tristesse douce-amère, un mélange de pitié et de dégout teinté d’empathie pour ce pauvre Paul-Jean qui n’arrive pas à vivre avec son époque, mais n’a pas non plus l’énergie et la volonté de lui tourner définitivement le dos.

Si vous avez bien cliqué sur les liens du post précédent, vous savez déjà que Sébastien Rutés sera le week-end prochain à Toulouse pour fêter les 10 ans de TPS.

Sébastien Rutés / La vespasienne, Albin Michel (2018).

Un écrivain public pas très convainquant

L’écrivain public de Dan Fesperman est annoncé comme « Elu meilleur roman policier de l’année par le New York Times ». Pas par actu du noir …

FespermanNew York, hiver 1942. Woodrow Cain arrive du sud, après une affaire délicate qui l’a obligé à quitter la police de la petite ville où il vivait avec son épouse et sa fille. Séparé, il a laissé la gamine à sa sœur et n’a dû son emploi dans la police de New York qu’à l’influence de son beau-père, avocat dans un grand cabinet. Il est mal vu par ses collègues, son chef lui refile tous les chats écrasés, et un grand flic du commissariat central lui demande de mener discrètement une enquête interne pour déceler les ripoux de son secteur. Tout va pour le mieux.

Sa première affaire sérieuse concerne un cadavre trouvé dans le fleuve. Le mort est d’origine allemande et Woodrow va devoir aller enquêter dans les milieux des sympathisants nazis de New York. Il est aidé par un étrange écrivain public au lourd (et mystérieux) passé. Il va alors mettre en lumière des liens contre nature entre flics et truands.

Evacuons tout de suite cette histoire de meilleur polar de l’année. C’est vrai, mais pas tout à fait. Il a été choisi parmi les 10 meilleurs polars de l’année. Et en voyant les 10 romans de 2016 et 2017 je me suis aperçu que les goûts en matière de polars du critique du journal sont un peu différents des miens. On y trouve Lee Child, Michael Koryta, Louise Penny, ou Donna Leon, au côté de Don Winslow. Mélange étrange …

Bref, pourquoi L’écrivain public ne se retrouvera certainement pas dans les 10 d’actu du noir ?

On apprend dans la quatrième que l’auteur est reporter de guerre et auteur de romans policiers. Ici j’ai trouvé plus le reporter que l’auteur. Le climat de l’époque est bien recréé, visiblement l’auteur a fait des recherches et relate des faits avérés. Le lieu et le moment sont intéressants. Bref l’idée historique de départ est bonne.

C’est le côté roman qui pêche. Tout d’abord il y a trop d’histoires menées en parallèle, et l’auteur semble parfois se perdre sans aller au bout d’aucune. Comme s’il n’avait pas su choisir entre de multiples thèmes, et du coup tout raconté, mais tout trop vite et sans creuser. Et malheureusement, une bonne partie des solutions arrivent trop facilement grâce à cet écrivain public mystérieux qui se révèle omniscient, sait tout sur tous, a accès à tous les milieux et à toutes les histoires. Je n’ai pas réussi à croire au personnage.

Ensuite les personnages justement. Ils ne sont pas approfondis non plus. Les révélations sur leur passé sont téléphonées, quand ils devraient être affectés par les événements traumatiques qu’ils vivent, on les sent à peine tristounets, ça manque de sentiment, de tripe, de rage, d’amour. Bref c’est plat et on se fiche un peu de ce qui leur arrive, à eux et à leur entourage.

En résumé, une bonne idée, pas forcément bien traitée. Bien vu mal fait comme on dit, pour résumer un peu méchamment.

Dan Fesperman / L’écrivain public (The letter writer, 2016), Cherche midi (2018), traduit de l’anglais (USA) par Jean-Luc Piningre.

Jolie conclusion de la trilogie des ombres

Je n’avais pas été complètement convaincu par le précédent roman de la trilogie, je le suis davantage par le dernier tome : Passage des ombres d’Arnaldur Indridason.

indridasonReykjavik aujourd’hui. Un vieil homme est trouvé, mort, dans l’appartement qu’il occupait seul depuis des années. Une mort qui semble naturelle, mais la légiste s’aperçoit qu’il a été étouffé. Konrad, flic à la retraite, décide de s’intéresser à l’affaire sur la demande d’une ancienne collègue. Dans les tiroirs du défunt il retrouve trois coupures de journaux, concernant la mort d’une jeune fille, en 1944.

Soixante ans plus tôt, alors que l’Islande sur le point de devenir indépendante est sous occupation américaine, le corps sans vie d’une jeune femme est trouvé par un soldat américain et son amie islandaise. Flovent, un des premiers flics de la criminelle en Islande, et son collègue et ami Thorston de la police militaire américaine mènent l’enquête.

A mon humble avis, ce n’est pas le meilleur roman d’Indridason, et je le trouve plus émouvant et plus juste dans la série Erlendur. Ceci dit, il est quand même excellent, et retrouve un peu de l’épaisseur des personnages que je n’avais pas trouvé dans précédent ouvrage de la série.

Il faut déjà dire que la construction, avec ces deux histoires qui se répondent à plus de 60 ans d’écart est parfaitement maîtrisée et que le résultat est assez jouissif. Certes ce n’est pas le premier auteur qui nous promène ainsi entre présent et passé, c’est même un procédé assez classique dans le polar. Mais seuls les très bons le maîtrisent à ce point, laissant le lecteur dans le doute jusqu’au dernier moment, ne lui révélant tous les liens entre les deux affaires que petit à petit.

L’auteur a également l’habileté de donner assez d’éléments du contexte historique pour comprendre l’intrigue et les motivations des personnages, et de laisser assez de points dans l’ombre pour donner envie au lecteur d’aller voir ailleurs quels sont ces événements touchant l’Islande dont il parle. C’est peut-être moi qui suis complètement ignare, mais j’ignorais tout de la récente indépendance de l’Islande !

Pour finir, les victimes sont particulièrement émouvantes, la description de l’extrême vieillesse touchante, et quelques personnages secondaires hauts en couleur viennent pimenter un petit peu cette Islande crépusculaire. Un bon roman du maître islandais.

Arnaldur Indridason / Passage des ombres (Skuggasund, 2013), Métailié (2018), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Un bon polar historique

En attendant de me plonger dans les romans de début 2018, j’en ai repêché quelques-uns qui étaient restés enfouis sous la pile. Dont La maison pâle de Luke McCallin.

McCallin1944, Le capitaine Gregor Reinhart est affecté dans les Feldjägerkorps, une unité de police militaire aux pouvoir étendus nouvellement créée, et envoyé à Sarajevo, livrée aux oustachis et cernée par les partisans. Tout en organisant la retraite de l’armée allemande, cet ancien soldat de la première guerre, ex policier berlinois, enquête sur des massacres qui se multiplient dans une ville de plus en plus folle : Des civils, mais également des soldats allemands ont été tués, en marge des combats, certains complètement défigurés.

Son enquête va déranger beaucoup de monde.

La maison pâle est un bon polar historique, solide et bien mené. Gregor Reinhart est un personnage attachant, même si j’aurais sans doute gagné à lire le premier volume de ses aventures auquel il est fait plusieurs fois allusion. On peut commencer avec ce roman, mais j’ai eu l’impression de perdre un peu de la compréhension du personnage et de ce qui l’anime. Les seconds rôles ne sont pas sacrifiés, oustachis, partisans, nazis convaincus, soldats allemands corrompus, ou simple trouffions pris dans un engrenage qu’ils ne savent comment combattre. Ils ont une vraie identité et ne sont jamais réduits à des caricatures.

L’intrigue est bien menée, même si je trouve qu’elle aurait sans doute gagné à être élaguée. Je me suis perdu parfois, et je n’ai pas réussi à voir si la complexité de l’histoire, et la multiplicité des personnages étaient vraiment indispensables pour rendre compte de la complexité d’un lieu et d’une époque, ou s’ils auraient pu être simplifiés sans nuire au propos.

Ce qui fait tout l’intérêt du roman, c’est la peinture d’un moment historique avec lequel le lecteur français n’est guère familier : la fin de l’occupation de Sarajevo par l’armée allemande et ses alliés oustachis, au moment où ces derniers sentent que leur fin est proche. La violence et la folie de ce moment sont très bien rendus. La rage désespérée des alliés d’un nazisme qui s’écroule est palpable, le martyre (un de plus) d’une ville, Sarajevo est terrible. Une période d’autant plus intéressante qu’elle annonce les drames à venir, des décennies plus tard.

En résumé si l’on n’a pas là un chef d’œuvre, c’est un roman historique solide, qui tient ses promesses, et donne envie de découvrir le roman précédent, et de suivre les prochains.

Luke McCallin / La maison pâle (The pale house, 2014), Folio/Policier (2017), traduit de l’anglais par Nicolas Zeimet.

Indridason sans Erlendur

J’ai raté le premier roman de la trilogie des ombres d’Arnaldur Indridason, j’attrape le train en marche avec le second, La femme de l’ombre.

IndridasonA Petsamo, en Finlande, une jeune femme attend son fiancé. Islandais comme elle, il vivait à Copenhague, et doit rentrer en Islande à bord d’un paquebot qui va rapatrier tous les islandais se trouvant dans des pays envahis par l’Allemagne nazie. Il n’arrivera jamais.

A Reykjavik, dans une ville occupée par les britanniques puis par les américains, deux cadavres sont retrouvés : l’un, complètement défiguré, vêtu d’un uniforme américain, l’autre, celui d’un noyé porté disparu par son épouse depuis quelques jours.

Deux hommes enquêtent. Thorson, de la police militaire qui est un des rares soldats à parler islandais, et Flogent, de la police de Reykjavik. Deux hommes qui s’estiment et se respectent, malgré l’hostilité ou le mépris qui règne souvent entre locaux et occupants.

J’ai vu de bons billets sur ce roman qui, si l’on en croit la quatrième, a gagné un prix en Islande. Et pourtant, je suis déçu.

Oui l’histoire est fort bien menée, les trois histoires se mêlent petit à petit, et l’auteur s’y entend pour embrouiller son lecteur sans jamais le perdre, pour finalement révéler tous les liens entre ses histoires.

Oui aussi, le contexte historique et social est parfaitement rendu, avec le contraste entre une armée d’occupation riche et les conditions de vie très dures des islandais. Contraste, fascination pour l’Amérique, et en même temps rejet. Mépris des occupants pour une population qu’ils ne cherchent pas à connaître. Poids des conventions et du regard des autres à une époque encore très fermée.

Mais, mais, et c’est là un avis complètement subjectif, à mon goût, les personnages sont loin, très loin d’avoir l’épaisseur de ce cher Erlendur. Je les trouve moins fouillés, plus schématiques. Et du coup, je m’intéresse assez peu à ce qui leur arrive. L’émotion, qui fait la force des romans consacrés à son personnage fétiche est ici absente.

Intéressant, mais froid, sans passion, sans chaleur. Instructif mais pas émouvant. Donc je suis déçu. Et curieux de savoir si je suis le seul et si vous êtes conquis ou pas.

Arnaldur Indridason / La femme de l’ombre (Petsamo, 2016), Métailié (2017), traduit de l’islandais par Eric Boury.