Archives du mot-clé Arnaldur Indridason

Le roi et l’horloger

Le nouveau roman de la star islandaise, Arnaldur Indridason est un roman historique : Le roi et l’horloger.

Nous sommes à Copenhague au XVIII° siècle. Le Danemark a un roi considéré comme fou et l’Islande est une colonie danoise. Jon Sivertsen, vieil horloger d’origine islandaise venu au palais réparer une horloge découvre dans une pièce où sont remisés des objets au rebus une véritable merveille : une horloge créée par le maître suisse qui a fabriquée celle de la cathédrale de Strasbourg. Un chef-d’œuvre dans un piteux état. Jon convainc le régisseur du palais de le laisser tenter de la remettre en état.

Et c’est là, dans cette remise qu’un soir le roi en personne le trouve. Une étrange relation se noue entre les deux hommes, entre le vieil islandais dont la famille a été condamnée à mort par le père du souverain (pour des raisons que nous découvrirons) et le roi, plus ou moins dépossédé de sa couronne et perdant la raison.

Objectivement c’est un très bon roman. L’alternance du récit, entre Copenhague et l’Islande, présent et passé est parfaitement maitrisée, sans surprise, Indridason n’est pas le premier venu. L’époque est très bien rendue. Et l’auteur met au service de cette histoire tout son talent de conteur et d’auteur de romans policiers, capable de mettre du suspense dans une histoire dont on connait pourtant la fin.

Le poids de l’arbitraire, la connerie religieuse, l’hypocrisie des puissants qui s’en servent pour leurs propres intérêts, tout cela rend la partie du récit islandaise poignante. Ce qui m’a moins intéressé, mais c’est une question totalement subjective, c’est la partie se déroulant au palais. Les histoires de rois et de princes n’indiffèrent ; et j’avoue, c’est mal, être assez peu passionné par celle du royaume du Danemark. Du coup j’ai été beaucoup moins pris par la partie danoise. Mais c’est un avis très personnel et subjectif, qui n’enlève rien à la qualité du roman.

Arnaldur Indridason / Le roi et l’horloger, (Sigurverkið, 2021), Métailié (2023) traduit de l’islandais par Eric Boury.

Le mur des silences

Arnaldur Indridason fait du Indridason dans Le mur des silences, et il le fait très bien.

C’est une maison qui semble maudite. Les propriétaires ont souvent changé, souvent les femmes ne s’y sentent pas bien. C’est en faisant des travaux de rénovation dans la cave que les derniers habitants en date découvrent un cadavre dans un espace derrière un mur.

Konrad, maintenant à la retraite va s’intéresser à l’affaire. Tout en continuant, en parallèle, à chercher qui a pu, il y a bien des années, assassiner son père. Un père escroc, violent et même à tendances pédophiles. Un Konrad qui voit ses rares amis le délaisser les uns après les autres et qui sombre dans une mélancolie alcoolisée.

On ne peut pas dire qu’Arnaldur Indridason cherche absolument à nous rendre Konrad sympathique. Solitaire, pas toujours très honnête, individualiste, il arrive à se couper, petit à petit, de tous ceux qui pourraient l’aimer. Mais il reste un bon enquêteur, on ne peut pas lui reprocher de ne pas être opiniâtre, et il sait parfois faire preuve d’une certaine malice, voire d’une malice certaine (mais ça je vous laisse le découvrir). Un peu comme si l’auteur avait voulu nous offrir un remplaçant à ce cher Erlendur, mais sans que ce remplaçant puisse prendre sa place dans le cœur des lecteurs …

Toujours est-il qu’ici, une fois de plus, il fait du Indridason et le fait très bien. Du classique dans la lignée de La femme en vert. Un cold case, ou plus exactement deux ici avec l’enquête sur la mort de son père, des aller-retour entre présent et passé, la peinture émouvante et terrifiante des violences faites aux femmes. Tout cela est parfaitement maîtrisé en mené de main de maître. Ceux qui sont fan du maître islandais (dont je suis) se régaleront, ceux qui préfèrent les thrillers survoltés peuvent passer leur chemin.

Une des affaires est résolue, l’autre approche de sa résolution, vivement le prochain.

Arnaldur Indridason / Le mur des silences, (Pagnarmúr, 2020), métailié/Noir (2022) traduit de l’islandais par Eric Boury.

La pierre du remords

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de romans du maître islandais, Arnaldur Indridason. Et je m’aperçois que je n’avais pas lu ceux de la série consacrée à Konrad, cet ancien flic à la retraite. Je le découvre avec La pierre du remords que je trouve excellent.

Valborg, vieille dame à la retraite discrète et appréciée de tous est retrouvée morte chez elle. Elle a été étouffée lors de ce qui ressemble fort à un cambriolage qui a mal tourné. Sur son bureau Marta, flic en charge de l’enquête, trouve le numéro de Konrad, un ancien collègue lui aussi à la retraite.

Peu de temps avant sa mort, Valborg avait contacté Konrad pour qu’il l’aide à rechercher l’enfant qu’elle avait eu et donné en adoption 50 ans auparavant. Konrad ayant refusé de l’aider se sent coupable, et va tout faire pour aider à l’enquête et retrouver la fille ou le fils de Valborg. Dans le même temps il continue à rechercher, sur son temps perdu, l’assassin de son père, un sinistre personnage qui arnaquait sans scrupules les plus crédules et les plus fragiles.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas retrouvé intact ou presque, le plaisir des romans de la série Erlendur qui nous ont fait connaître Arnaldur Indridason. Certes ce n’est pas rock and roll, ça ne va pas à fond, les personnages ne sont pas des rebelles qui alternent vodka et ligne de coke. On est dans le calme et la lenteur.

Mais on retrouve aussi tout ce qui me plaisait dans la première série. En particulier l’empathie et l’humanité avec lesquelles l’auteur fait part des souffrances de gens ordinaires broyés par les saloperies de la vie. On retrouve la justesse de ses portraits de femmes violentées, battues, solitaires, tristes mais debout, dignes dans leur malheur. Il sait sans effets ni clinquant dépeindre la souffrance du viol, la pression de la religion.

Et mine de rien, alors que personne ne dirait que c’est un maître du suspense, il a l’art de construire ses intrigues, patiemment, et sait, sur la fin, tendre et accélérer sa narration au point qu’on ne puisse plus lâcher le roman. De même qu’il sait ici attraper son lecteur lors d’un premier chapitre magnifique.

Pour moi un roman au niveau des bons Erlendur.

Arnaldur Indridason / La pierre du remords, (Tregasteinn, 2019), Métailié (2021) traduit de l’islandais par Eric Boury.

Les roses de la nuit

Les roses de la nuit n’est pas un nouveau roman d’Arnaldur Indridason, ni un retour du la jeunesse de son héros emblématique Erlendur, c’est la traduction du roman qu’il a écrit avant La cité des jarres, premier roman traduit en français.

IndridasonLe cadavre d’une jeune femme, nue, est déposé une nuit d’été sur la tombe de Jin Sigurdsson, héros de l’indépendance nationale. C’est Erlendur le solitaire et son partenaire Sigurdur Oli, jeune policier formé aux US qui vont mener l’enquête. Une investigation qui va très rapidement les porter vers le trafic de drogue et la prostitution, mais qui étrangement semble aussi toucher les milieux d’affaires et des personnages très haut placés. Des junkies, aux villages désertés de la côte ouest et aux grandes manœuvres immobilières rien ne va faciliter le travail d’Erlendur et de ses collègues.

Je n’avais pas été convaincu par Les fils de la poussière qui, si j’en crois Wikipedia, est le premier roman de la série. Celui-ci est donc le second, juste avant La cité des jarres qui nous fit découvrir Erlendur. Et ce n’est sans doute pas un hasard ; les éditeurs français, et en l’occurrence ici Métailié, connaissent leur boulot, et avaient commencé par le premier roman totalement abouti.

Ceci dit, autant j’étais resté très sceptique à la lecture du précédent, autant ici Arnaldur Indridason fait le boulot. L’intrigue tient la route, Erlendur et Oli commencent à prendre de l’épaisseur, comme si après un premier roman flou, l’auteur s’était décidé à en faire ses personnages principaux. On commence à s’intéresser vraiment aux relations d’Erlendur avec ses enfants, et quelques allusions viennent sur les disparitions en Islande.

Les thématiques abordées par le biais de l’intrigue sont intéressantes, et cette fois pas de coupable caricatural, chaque personnage est forgé par son environnement et l’auteur évite les facilités. Bref on est vraiment dans la mise en place de la saga exceptionnelle en devenir, il ne manque plus que la qualité d’écriture et l’émotion qui en seront, dès le roman suivant, la marque de fabrique.

Si Les fils de la poussière est à mon avis très évitable, Les roses de la nuit est une bonne porte d’entrée pour la série, et un roman intéressant pour les fans de la première heure.

Arnaldur Indridason / Les roses de la nuit (Dauđarósir, 1998), Métailié (2019), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Le premier roman d’Indridason

Métailié a décidé de ressortir le tout premier roman d’Arnaldur Indridason, qui n’avait pas été traduit en français : Les fils de la poussière. Etait-ce vraiment indispensable ?

IndridasonDaniel, la quarantaine, interné depuis des années, se suicide en sautant par la fenêtre sous les yeux de son frère Palmi venu lui rendre visite. D’après les infirmiers, depuis quelques temps il était étrangement abattu.

Est-ce lié au visites qu’un vieil homme lui a rendues dernièrement ? Il s’avère que c’est un de ses anciens professeurs, qui quelques jours plus tard est retrouvé assassiné chez lui, brûlé vif attaché à une chaise dans son bureau.

Palmi, bouquiniste qui vit seul dans l’ancien appartement de leur mère va commencer à mener l’enquête en parallèle de celle des policiers : un certain Erlendur, et un petit jeune, Sigurdur Oli.

Voici donc les début d’Arnaldur Indridason. Qui révèle ici qu’il a vite appris de ses erreurs, tant son suivant, qui l’a fait découvrir en France, est beaucoup plus abouti.

Parce qu’il faut avouer que l’enquête est assez poussive, et surtout pas vraiment crédible. Le final est invraisemblable, le « méchant » caricatural, complètement cinglé dans le genre maître du monde ricanant, ses actions passées sont atroces, et en même temps il est trop gentil avec ceux qui enquêtent sur lui. En gros la partie policière est ratée.

Ensuite, pour nous qui sommes habitués à partager les doutes et la solitude d’Erlendur, de le connaître comme un proche, il est assez frustrant de ne le côtoyer ici que de loin, comme un personnage de plus, sans réelle épaisseur.

Par contre on voit déjà apparaître quelques traits caractéristiques de ce qu’allait devenir la saga Erlendur : L’intérêt de l’auteur pour les plus démunis, la mise en lumière des côtés sombres de l’Islande, le poids du passé sur nos vies actuelles, et le changement du pays qui s’américanise, jusque dans sa langue. Tout cela était déjà là, en germe, dans ce polar un peu maladroit, et allait lancer, dès La cité des jarres, la grande série du maître islandais.

Une curiosité pour les fans absolus qui veulent absolument tout lire de l’auteur, et attendent avec impatience ses premières rédactions et ses listes de courses, plutôt évitable pour les autres.

Arnaldur Indridason / Les fils de la poussière (Synir duftsins, 1997), Métailié (2018), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Jolie conclusion de la trilogie des ombres

Je n’avais pas été complètement convaincu par le précédent roman de la trilogie, je le suis davantage par le dernier tome : Passage des ombres d’Arnaldur Indridason.

indridasonReykjavik aujourd’hui. Un vieil homme est trouvé, mort, dans l’appartement qu’il occupait seul depuis des années. Une mort qui semble naturelle, mais la légiste s’aperçoit qu’il a été étouffé. Konrad, flic à la retraite, décide de s’intéresser à l’affaire sur la demande d’une ancienne collègue. Dans les tiroirs du défunt il retrouve trois coupures de journaux, concernant la mort d’une jeune fille, en 1944.

Soixante ans plus tôt, alors que l’Islande sur le point de devenir indépendante est sous occupation américaine, le corps sans vie d’une jeune femme est trouvé par un soldat américain et son amie islandaise. Flovent, un des premiers flics de la criminelle en Islande, et son collègue et ami Thorston de la police militaire américaine mènent l’enquête.

A mon humble avis, ce n’est pas le meilleur roman d’Indridason, et je le trouve plus émouvant et plus juste dans la série Erlendur. Ceci dit, il est quand même excellent, et retrouve un peu de l’épaisseur des personnages que je n’avais pas trouvé dans précédent ouvrage de la série.

Il faut déjà dire que la construction, avec ces deux histoires qui se répondent à plus de 60 ans d’écart est parfaitement maîtrisée et que le résultat est assez jouissif. Certes ce n’est pas le premier auteur qui nous promène ainsi entre présent et passé, c’est même un procédé assez classique dans le polar. Mais seuls les très bons le maîtrisent à ce point, laissant le lecteur dans le doute jusqu’au dernier moment, ne lui révélant tous les liens entre les deux affaires que petit à petit.

L’auteur a également l’habileté de donner assez d’éléments du contexte historique pour comprendre l’intrigue et les motivations des personnages, et de laisser assez de points dans l’ombre pour donner envie au lecteur d’aller voir ailleurs quels sont ces événements touchant l’Islande dont il parle. C’est peut-être moi qui suis complètement ignare, mais j’ignorais tout de la récente indépendance de l’Islande !

Pour finir, les victimes sont particulièrement émouvantes, la description de l’extrême vieillesse touchante, et quelques personnages secondaires hauts en couleur viennent pimenter un petit peu cette Islande crépusculaire. Un bon roman du maître islandais.

Arnaldur Indridason / Passage des ombres (Skuggasund, 2013), Métailié (2018), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Indridason sans Erlendur

J’ai raté le premier roman de la trilogie des ombres d’Arnaldur Indridason, j’attrape le train en marche avec le second, La femme de l’ombre.

IndridasonA Petsamo, en Finlande, une jeune femme attend son fiancé. Islandais comme elle, il vivait à Copenhague, et doit rentrer en Islande à bord d’un paquebot qui va rapatrier tous les islandais se trouvant dans des pays envahis par l’Allemagne nazie. Il n’arrivera jamais.

A Reykjavik, dans une ville occupée par les britanniques puis par les américains, deux cadavres sont retrouvés : l’un, complètement défiguré, vêtu d’un uniforme américain, l’autre, celui d’un noyé porté disparu par son épouse depuis quelques jours.

Deux hommes enquêtent. Thorson, de la police militaire qui est un des rares soldats à parler islandais, et Flogent, de la police de Reykjavik. Deux hommes qui s’estiment et se respectent, malgré l’hostilité ou le mépris qui règne souvent entre locaux et occupants.

J’ai vu de bons billets sur ce roman qui, si l’on en croit la quatrième, a gagné un prix en Islande. Et pourtant, je suis déçu.

Oui l’histoire est fort bien menée, les trois histoires se mêlent petit à petit, et l’auteur s’y entend pour embrouiller son lecteur sans jamais le perdre, pour finalement révéler tous les liens entre ses histoires.

Oui aussi, le contexte historique et social est parfaitement rendu, avec le contraste entre une armée d’occupation riche et les conditions de vie très dures des islandais. Contraste, fascination pour l’Amérique, et en même temps rejet. Mépris des occupants pour une population qu’ils ne cherchent pas à connaître. Poids des conventions et du regard des autres à une époque encore très fermée.

Mais, mais, et c’est là un avis complètement subjectif, à mon goût, les personnages sont loin, très loin d’avoir l’épaisseur de ce cher Erlendur. Je les trouve moins fouillés, plus schématiques. Et du coup, je m’intéresse assez peu à ce qui leur arrive. L’émotion, qui fait la force des romans consacrés à son personnage fétiche est ici absente.

Intéressant, mais froid, sans passion, sans chaleur. Instructif mais pas émouvant. Donc je suis déçu. Et curieux de savoir si je suis le seul et si vous êtes conquis ou pas.

Arnaldur Indridason / La femme de l’ombre (Petsamo, 2016), Métailié (2017), traduit de l’islandais par Eric Boury.

La jeunesse d’erlendur, suite.

Arnaldur Indridason poursuit avec Le lagon noir l’exploration de la jeunesse d’Erlendur. Et c’est toujours aussi bien.

IndridasonNous sommes à la fin des années 70. Le jeune Erlendur est maintenant inspecteur à la brigade criminelle, sous les ordres de Marion. Ils sont appelés quand le cadavre d’un homme est retrouvé par une baigneuse dans un lagon réputé pour ses vertus médicale. L’homme est visiblement mort à la suite d’une chute d’une grande hauteur, et les responsables sont venus le cacher là. Quand il est identifié, il s’avère qu’il travaillait sur la base américaine voisine. Une base dont la présence en Islande n’est pas appréciée de tout le monde. L’enquête s’annonce d’autant plus difficile que les autorités militaires américaines refusent que la police islandaise vienne poser des questions sur la base.

En parallèle, Erlendur reste intrigué par la disparition, 25 ans plus tôt, d’une jeune fille, sortie un matin de chez elle pour aller à son école, et jamais revue depuis. Avec la permission de Marion il décide de reprendre les recherches sur son temps libre.

Tout ce qu’on aime chez Indridason. Et très mystérieusement, chez Erlendur. Mystérieusement parce qu’on ne peut pas dire qu’il soit très glamour le jeune Erlendur. Comme dit sa chef, il paraît déjà vieux, il est trop sérieux, et il ne s’intéresse qu’à son boulot. Un boulot qu’il fait bien, à sa manière lente, sans un mot plus haut que l’autre, pas rebelle ni borderline (loin de là !) mais, à sa façon à lui, n’en faisant qu’à sa tête et avançant toujours, implacable. Et on l’aime quand même !

Grace à lui, l’auteur met en scène la confrontation entre deux mondes : Une Islande encore pauvre et isolée, très campagnarde, face à l’armée américaine, représentante arrogante de la nation la plus puissante et la plus moderne du monde. Une confrontation où les autochtones, comme dans le reste de l’Europe mais de façon peut-être plus marquée oscillent entre la fascination et la rage et le rejet.

Et surtout, une fois de plus Indridason excelle dans les portraits sensibles de ses personnages secondaires : une jeune fille pleine de vie qui ensoleille son entourage, des hommes brisés par la vie, le froid, la solitude, la folie ou le remords … A chacun il accorde son importance, chacun prend vie et devient un être de chair et d’émotions, un être que nous pouvons comprendre.

On peut regretter qu’Arnaldur Indridason n’ait pas souhaité poursuivre les aventures de son héros si peu charismatique dans l’Islande post-crise. Mais on ne peut que se réjouir de cette plongée dans le passé.

Arnaldur Indridason / Le lagon noir (Kamp Knox, 2014), Métailié/Noir (2016), traduit de l’islandais par Eric Boury.

La jeunesse d’Erlendur

Revoici Erlendur, mais un Erlendur jeune, tout jeune, à peine entré dans la police. C’est dans Les nuits de Reykjavik qu’Arnaldur Indridason le met en scène.

Indridason-NuitsNous sommes dans les années 60-70. C’est l’été, Erlendur vient de rentrer dans la police de proximité et effectue des tournées en voiture, souvent la nuit, avec deux collègues. Arrestation de conducteurs en état d’ivresse, bagarres, accidents de la route, drames domestiques, cambriolages complètement foireux sont son quotidien. En marge, son histoire personnelle l’amène à s’intéresser à toutes les disparitions, et son empathie le rapproche des clochards qui luttent contre le froid à coups de « gnole », un alcool à 70° qu’ils rusent pour acheter en pharmacie.

Un jour il est le premier à repêcher Hannibal, un clodo qu’il connaissait un peu, mort noyé dans une mare. L’homme avait beaucoup d’alcool dans le sang et l’enquête conclue très rapidement à un accident. Sans savoir pourquoi, Erlendur, sur son temps libre, décide d’en savoir plus sur la passé de cet homme et sur son parcours jusqu’à cette triste fin.

Voici donc les débuts d’Erlendur, qui ne sont pas, loin s’en faut, les débuts d’Indridason. Tout ça pour dire que si ici le talent d’enquêteur du flic le plus connu de Reykjavik est encore sous forme de chrysalide, celui de son auteur est déjà plus que confirmé.

On retrouve donc avec un grand plaisir l’empathie de l’auteur, sa façon discrète, sans effet et pourtant terriblement efficace de s’intéresser aux victimes les plus anonymes (femmes battues, hommes et femmes complètement sortis de la société) et de leur donner la parole. C’est quand même idiot, mais en bon habitant du sud, je pensais bêtement qu’il était déjà assez dur de vivre dans une maison en Islande, et qu’il ne pouvait donc y avoir personne, dans ce grand nord, qui vive dans la rue. Imbécile que j’étais.

C’est donc un récit au ras du bitume et au plus près des gens. Erlendur s’intéresse à tout le monde, côtoie l’humanité douloureuse, les victimes d’accidents de la route, les femmes battues, les imbéciles rendus méchants par l’alcool, et les clodos, définitivement abimés par la vie.

C’est humain, c’est touchant, ça prend aux tripes. Et mine de rien, Indridason construit son intrigue, sans avoir l’air d’y toucher mais en nous embarquant à droite et à gauche, de fausse piste en révélation, sans jamais donner l’impression d’appuyer ses effets. Du grand art parfaitement maîtrisé.

Arnaldur Indridason / Les nuits de Reykjavik (Reykjavíkurnætur, 2012), Métailié/Noir (2015), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Le retour d’Erlendur

Cela fait deux romans d’Arnaldur Indridason qu’on sait qu’Erlendur est en vacances. Il faut savoir que les vacances façon Erlendur c’est pas vraiment sea, sex and sun … Non, le revoilà sur son lieu de villégiature préféré, les fjords de l’est. On l’y trouve dans Etranges rivages.

IndridasonErlendur est donc en vacances dans l’Est, dans sa région d’origine, là où gamin il a perdu son petit frère dans une tempête. Comme chaque fois qu’il revient, il campe dans leur ancienne maison, en train de tomber en ruine. Ses discussions avec un paysan voisin lui rappellent une disparition dont il avait entendu parler dans son enfance, celle d’une jeune femme qui n’avait jamais atteint la maison de ses parents qu’elle allait rejoindre à travers la lande. Par curiosité, par désœuvrement, pour régler ses comptes avec son passé … Il décide de s’intéresser à cette disparition qui lui semble étrange.

Il est fort cet Indridason. Il est très fort même. Parce qu’arriver à nous passionner pour ce personnage de plus en plus dépressif, de plus en plus isolé, de moins en moins rock & roll, il faut le faire ! Comme le dit un des vieux qu’il interroge et qu’il finit par faire craquer :

« Vous êtes l’homme le plus buté que j’aie rencontré dans ma longue existence. »

Têtu, buté … et humain. Malgré sa misanthropie, malgré sa vie de solitaire, au fond, Erlendur aime les gens, et encore plus, aime la vérité. Et cela se sent. S’il y a un domaine dans lequel Indridason excelle, outre la subtilité de ses intrigues, c’est dans le rendu des émotions et des sensations. Ses enquêtes ne sont jamais aussi fortes que lorsqu’il se penche sur l’intime. On a froid avec Arnaldur, on revit avec lui les journées entourant la disparition de son frère, on partage sa peine, sa culpabilité. On compatit avec lui, on sent cette vie rude d’une Islande en voie de disparition, bien différente de celle des requins de la finance. Une Islande qui vit au rythme de la nature, parfois somptueuse, parfois meurtrière. Une nature que les habitants avaient appris à aimer, mais aussi à respecter et à craindre.

Encore un très bon cru islandais, avec le plaisir de retrouver Erlendur. Reste que j’aimerais bien maintenant voir comment Indridason traite la situation de crise, pour avoir une autre regard, après celui très pertinent d’Arni Thorarinsson.

Arnaldur Indridason / Etranges rivages (Fur∂ustrandir, 2010), Métailié (2013), traduit de l’islandais par Eric Boury.