Caryl Férey est toujours un voyageur. Direction le grand nord sibérien dans Lëd.
Norilsk, très au nord en Sibérie. Ancien goulag, devenu la ville la plus polluée au monde (ou une des …), où tout tourne autour des mines de Nickel exploitées par un énorme consortium. Un hiver sans fin, des températures pouvant descendre à -60 °, des tempêtes dantesques. Loin des yeux, loin du centre, les conditions de travail et de pollution sont atroces, c’est le pays des bonhommes, des mineurs durs au mal, fiers de vivre ce qu’aucune bête au monde ne supporterait.
Boris y est flic, envoyé là en punition pour avoir voulu dénoncer la corruption dans sa ville natale d’Irkoutsk. Gleb et Nikita y sont mineurs, et amants cachés, l’homosexualité est un crime honteux au pays des cosaques. Sacha est un colosse, mineur, adepte d’un sport où on se bat à l’ancienne, à coups de masses d’armes, pour rigoler, avant de soigner les hématomes à la bière. Lena est assistante du médecin légiste, Dasha couturière pour le théâtre local et créatrice quand elle arrive à acheter des tissus.
La découverte du cadavre d’un vieux Nenet, peuple nomade d’éleveur de rennes, premiers habitants de la région réduits à la misère par des dizaines d’années de persécution va bouleverser leurs destins.
Si vous cherchez une lecture qui vous remonte le moral en ces temps sinistres, Lëd n’est pas pour vous. Qu’elle est sombre cette nuit polaire. Cela commence par une scène dantesque, une tempête monumentale qui vous glace même si vous êtes confortablement assis au coin du feu. Et ça ne s’arrange pas ensuite. Des conditions de travail atroces ; une pollution qui détruit tout alentours, la nature, la terre, les femmes et les hommes ; corruption et loi du plus fort à tous les étages de la société ; héritage, non assumé, du stalinisme et du goulag, sur lequel vient s’ajouter l’autoritarisme nationaliste et religieux de la Russie de Poutine.
Il ne devrait y avoir là que des êtres démoralisés, désespérés, sans énergie et sans force vitale, et pourtant elle explose de partout. Les personnages crient, chantent, boivent, dansent, aiment, haïssent, jouissent comme si chaque jour était le dernier, et le roman est traversé par une énergie, une force complètement folles. Des personnages auxquels l’auteur donne chair et qui vont vous emporter avec eux.
Depuis le temps qu’il nous balade de l’Australie à la Sibérie en passant par l’Argentine, l’Afrique du Sud ou l’Argentine, Caryl Férey sait parfaitement intégrer les paragraphes explicatifs qui permettent de comprendre les lieux où il nous amène sans que jamais ne cela nuise au rythme de son récit. Il sait donner ce qu’il faut sans donner l’impression de recracher ce qu’il a appris de ses lectures et de ses voyages.
C’est une fois de plus parfaitement dosé. Alors prenez votre meilleure doudoune, et partez pour Norilsk, mais attention, ça va secouer.
Caryl Férey / Lëd, Les arènes/Equinox (2021).