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Jimmy the kid

Je continue la revisite des monuments avec le troisième volume des aventures de John Dortmunder du regretté Donald Westlake : Jimmy the kid.

John Dortmunder se méfie beaucoup des idées de Kelp. Une question d’expérience. Alors quand celui-ci se pointe avec un bouquin, que tout le plan est expliqué dedans et que c’est imparable, ce n’est plus de la méfiance, c’est la fuite.

Malheureusement, les affaires sont chiches, les gens paient de plus en plus par carte et le liquide se fait rare. Alors la mort dans l’âme il accepte d’écouter ce que son ami a à dire de cette histoire d’enlèvement, écrite par un certain Richard Stark avec un personnage de truand dur et efficace : Parker. On se doute bien que le version Dortmunder va dévier de la version Parker.

Autant le dire tout de suite, à mon avis ce n’est pas un des meilleurs Dortmunder mais il est quand même très drôle, et unique dans sa construction.

Pour ceux qui ne seraient pas des fans et/ou connaisseurs de l’œuvre du grand Donald, il faut savoir qu’il a commencé, sous le pseudo de Richard Stark, une série consacrée à une cambrioleur froid, intraitable, d’une efficacité redoutable et capable de tuer si besoin : Parker. Un jour il eut l’idée d’un casse qui foirerait à chaque fois, et s’aperçut qu’il y avait là un ressort comique. Mais on ne peut pas rire de Parker. Ainsi naquit John Dortmunder. Dont les aventures sont signées Donald Westlake.

Voilà pour l’idée géniale du bouquin, reprendre une réalisation de Parker, réussie avec, ou malgré, ses péripéties, et faire foirer tout ce qui peut foirer en la confiant à l’équipe de Dortmunder. C’est un exercice de style, il est brillamment réalisé, Westlake est un as du comique de répétition et son écriture très cinématographique, fait une fois de plus merveille.

Etant basé une aventure de Parker, le roman à le tout petit défaut de sa qualité, il lui manque l’étincelle de folie furieuse qui caractérise les meilleurs Dortmunder, mais ce serait quand même dommage de se priver de ce plaisir.

Donald Westlake / Jimmy the kid, (Jimmy the kid, 1974), Rivages/Noir (2005) traduit de l’anglais (USA) par Patrick Floersheim.

Avec Dortmunder, une année de bonheur.

Le premier John Dortmunder avait un goût de pas assez. Donc j’ai attaqué le second Comment voler une banque, que j’avais lu avec beaucoup de retard, bien après sa parution, et que j’avais même déjà chroniqué sur mon premier blog et repris ici (quelque part dans les profondeurs des archives). Je reprends ma chronique, un poil changée. L’auteur ? Je ne vous ferai pas l’injure de la rappeler.

Dortmunder-02Cambrioler une banque, c’est à la portée du premier crétin venu (ou presque), mais voler la banque ? Toute la banque ? En profitant du fait que, pendant les travaux, elle s’est installée dans un mobile home. Ca, il n’y a que l’équipe de John Dortmunder pour le réussir. Et finir, bien entendu, par tout faire foirer, ou presque.

Dès ce deuxième volume on voit, déjà, se mettre en place une complicité avec le lecteur, et un comique de répétition. Répétition quand les complices auxquels John pense sont occupés ou pris pour des raisons plus incongrues les unes que les autres. Répétition des explications de Stan Murch sur les trajets qu’il emprunte pour arriver au rendez-vous.

Un nouveau personnage entre en scène, May, la copine de John, et on a droit aux premières discussions surréalistes entre les arsouilles du O. J. Bar.

Sinon, une nouvelle fois le plan de John est génial. Une nouvelle fois malgré le génie de John, c’est au moment où tout semble bien marcher que tout se met à foirer. Et une nouvelle fois les dialogues sont d’une précision qu’envieraient beaucoup d’horlogers suisses.

Et on s’aperçoit à la lecture que, mine de rien, on peut suivre une partie de l’actualité politique de l’époque en lisant les aventures de John. Dans le premier Donald Westlake faisait allusion aux flics en train de taper sur les étudiants manifestant contre la guerre au Vietnam. Là il est fait, très vite, allusion aux mouvements pour les droits civiques. Et on a un ancien agent du FBI pas très malin qui cherche à connaître les opinions politiques de tout le monde.

Juste pour le plaisir, ces quelques lignes qui définissent si bien l’attitude de John face à la vie :

« Dortmunder avait payé son apprentissage de la patience au prix fort. Des tâtonnements de la vie parmi d’autres être vivants il avait retenu que, lorsqu’un petit groupe se met à s’agiter dans tous les sens et à crier sur fond de quiproquo, la seule chose sensée à faire est de rester en retrait et de les laisser se débrouiller entre eux. L’alternative consistait à attirer leur attention, soit en explicitant le malentendu, soit en les ramenant au sujet de conversation initial mais, dans les deux cas, vous vous retrouviez vous aussi à vous agiter dans tous les sens et à crier sur fond de quiproquo. Patience, patience ; au pire, ils finiraient par se fatiguer. »

J’en profite pour vous souhaiter une excellente année 2019, si vous la passez avec John, vous aurez une année souriante.

Donald Westlake / Comment voler une banque (Bank shot, 1972), Rivages/Noir (2011), traduit de l’anglais (USA) par M. Sinet.

John Dortmunder – 01

J’avais dit que la réédition de trois aventures de John Dortmunder du génial Donald Westalke m’avait donné envie de tout relire. J’ai profité de ces jours calmes pour commencer avec Pierre qui roule.

Westlake-02Voilà donc la mise en place de la série. John Dortmunder sort de prison. C’est son second séjour, et donc ce doit être le dernier, au troisième c’est la prison à vie. Il est récupéré à la sortie par son ami et complice Kelp, qui, à son habitude, a volé la voiture d’un médecin. Comme il faut bien survivre, Kelp a une proposition.

Deux pays d’Afrique (imaginaires), se disputent une émeraude. Le pays qui l’a (l’émeraude), va l’exposer avec moult mesures de sécurité, en plein cœur de Manhattan. Un représentant du pays qui ne l’a pas (l’émeraude), la veut. Il embauche donc Kelp et John pour la voler. Ils contactent un chauffeur, Stan Murch qui vit avec sa maman chauffeur de taxi, un spécialiste des serrures Roger Chefwick, qui est aussi fanatique de trains miniatures (on verra que cela a son importance), et un homme de main Alan Greenwood.

Pour la première fois sous la plume de Donald Westlake, le plan parfait de John Dortmunder va presque réussir, mais un grain de sable va le faire presque échouer. Ce qui veut dire qu’il devra réaliser pas moins de cinq cambriolages pour finalement mettre la main sur l’émeraude. Pour le plus grand plaisir du lecteur.

La saga John Dortmunder se met en place. Deux des autres personnages récurrents sont déjà là (Kelp et Stan Murch), les autres viendront. L’O. J. Bar de Rollo est là. Dès le départ, le personnage de John Dortmunder est planté : génial, malchanceux, maussade, peu causant … Mais attention, celui qui voudrait arnaquer cet homme mince et d’apparence triste et inoffensive pourrait avoir de grosses, très grosses surprises. S’il y a une chose que John ne supporte pas, c’est qu’on se moque de lui, quelques personnages de ce premier roman vont l’apprendre à leurs dépends.

C’est vif, drôle, inventif, pétillant, c’est un vrai bonheur de reprendre les aventures de Dortmunder. Si vous connaissez déjà, sachez qu’on prend autant de plaisir à relire, si vous ne connaissez pas encore … Vous avez beaucoup de chance.

Donald Westlake / Pierre qui roule (The hot rock, 1970), Rivages (2007), traduit de l’anglais (USA) par Alexis G. Nolent.

Un peu de bonne humeur signée Donald Westlake

Besoin d’un peu de légèreté en cette fin d’année ? Facile, Rivages a retrouvé un roman de Donald Westlake qui n’avait pas encore été traduit : Tous les mayas sont bons.

Westlake-01Kirby est un gentil arnaqueur qui, quand il a voulu s’installer au Belize, s’est fait avoir par plus arnaqueur que lui, le mal nommé Innocent St Michael. Mais il a su rebondir et sur le terrain inutile qu’il a acheté il s’est allié avec des locaux pour créer de toute pièce un faux temple Maya, et en tirer des objets archéologiques absolument authentiques (et oui, ce sont les descendant des mayas qui les fabriquent) qu’il vend à des américains un peu crédules, et pas trop regardant sur la légalité, la sortie d’objets historiques étant interdite la loi.

Tout ça fonctionne très bien, pour le plus grand bonheur de tous quand débarque Valerie Greene qui, dès les premières minutes, lui fait une forte impression : « Cette fille était une vraie peste ». Ce n’est que le début d’un enchainement de catastrophes qui va mettre à mal son petit commerce.

Je ne vais pas prétendre que Tous les mayas sont bons est le meilleur Westlake. Sinon on n’aurait pas attendu 10 ans après sa mort pour le traduire. N’empêche qu’on ne s’ennuie pas une seconde, que c’est vif, que la mécanique d’enchainement des catastrophes est réglé comme une montre suisse et que les personnages sont assez truculents.

Ajoutez une pincée d’aventures, les dialogues toujours particulièrement réussis, et vous avez une excellente comédie américaine d’époque, du cousu main qu’on aurait bien vu filmé par les grands studios hollywoodiens.

Westlake-02Et si vous voulez compléter votre culture polar et que vous avez la chance de ne pas encore connaître le génial John Dormunder, ou si vous ne savez pas quoi offrir en cadeau à Noël, Rivages réédite trois des aventures du cambrioleur le plus malchanceux, et le plus drôle de la planète polar. Ça s’appelle Encore raté, et on y retrouve Pierre qui roule, Personne n’est parfait et Dégâts des eaux. Et ça me donne envie de relire tout Dortmunder.

 

Donald Westlake / Tous les mayas sont bons (Titre original ?, 1985), Rivages/Noir (2018), traduit de l’anglais (USA) par Nicolas Bondil.

Encore un Westlake inédit

Donald Westlake est mort depuis déjà quelques années, et pourtant quelques pépites nous arrivent encore, comme ce Finie la comédie découvert aux US en 2012.

WestlakeKoo Davis est un comique de droite. Pendant le Vietnam, il a fait des tournées parmi les soldats comme faire-valoir des blondes de services qui allaient exhiber leurs formes généreuses. Et il a fait des blagues, de droite. Et c’est tout. Depuis il est revenu à son credo d’avant le Vietnam : surtout pas de blagues politiques. Maintenant il a la soixantaine et a son show télévisé. Jusqu’au jour où il est enlevé par une bande de bras cassés, nostalgiques des années passées et qui veulent relancer le mouvement révolutionnaire mort depuis quelques années.

Malheureusement pour Koo, il vaut mieux être enlevé par des pros qui savent ce qu’ils veulent (du fric) que par des charlots qui ne veulent pas voir que le monde a changé. Si en plus les responsables du FBI qui s’occupent de son cas ne sont pas des lumières, on sent bien que les jours à venir du pauvre Koo ne sont pas roses.

C’est vraiment intéressant de retrouver ces « vieux » romans de Donald Westlake. On y trouve un humour qui s’est affiné par la suite, mais il est souvent plus grinçant que dans les romans suivants en général, et que la série des John Dortmunder en particulier.

Ici l’humour vient bien entendu de ce pauvre Davis Koo qui ne peut jamais retenir une réplique, même dans les situations les plus dramatiques. Il vient aussi (mais teinté de noir) de l’amateurisme et de la bêtise des ravisseurs.

Et pourtant, stupides, bras cassés, dangereux et potentiellement sans pitié … le grand Westlake arrive, à un moment ou un autre, à tous nous les rendre proches, à nous faire sentir leurs souffrances, leurs illusions parfois (souvent) généreuses, leurs rêves, avant de nous faire replonger dans les catastrophes que déclenchent leur stupidité et leur folie (car ils sont tous assez atteints, de façon parfois émouvante, parfois ridicule, souvent les deux).

Et que dire de ce pauvre Koo, qu’on finit par trouver sympathique alors que lui non plus n’est pas un modèle pour l’humanité. Mais son entêtement à faire son boulot (faire rire) dans toute circonstance est touchant et même parfois admirable.

Alors oui, sans doute pas le meilleur Westlake, mais un très bon roman, drôle, grinçant, très humain qui fait revivre une époque qui semble bien lointaine.

Donald Westlake / Finie la comédie (The comedy is finished, 2012), Rivages/Thriller (2014), traduit de l’américain par Nicolas et Pierre Bondil.

Le dernier Dortmunder

Putain et de deux ! Après le dernier Elmore Leonard, voici le dernier Dortmunder. On avait beau savoir que c’était la fin, c’est dur à admettre. C’est pourquoi cela faisait quelques jours que Top réalité de l’immense Donald Westlake trainait sur ma table de chevet sans que j’ose l’ouvrir.

WestlakeJohn Dortmunder vous connaissez forcément. Où alors c’est que vous êtes tombé ici en recherchant « baise dans une limousine à Nouille York » … Stan, le chauffeur de taxi, et de la bande, a une maman, chauffeur aussi. Un jour à l’aéroport, la maman embarque un réalisateur d’émissions de téléréalité en mal d’inspiration. Et vous savez comment sont les mamans, il faut toujours qu’elles vantent les mérites de leurs enfants. C’est comme ça que le réalisateur a une idée géniale : filmer un gang en vrai, pendant la préparation et la réalisation d’un casse. Et bien entendu, c’est la bande à John Dortmunder qui va officier. Vous imaginez bien que si John, Kelp, Tiny, Stan et Judson (le petit dernier) acceptent, c’est qu’ils ont une idée derrière la tête …

Il n’y a déjà pas grand monde qui pourrait avoir une idée aussi tordue et géniale. A ma connaissance, personne n’aurait pu la mener au bout. Encore moins avec cette élégance et ce brio.

Pour son dernier Dortmunder, Donald Westlake se paye les émissions de téléréalité, dont on apprend qu’elles ne doivent leur engouement auprès des « réalisateurs » que parce qu’elle permettent de ne pas payer des acteurs et scénaristes syndiqués. Vous connaissez tous le goût de John Dortmunder pour les gadgets du monde moderne, vous pouvez imaginer son regard sur la téléréalité.

De cette distance (entre autres) nait le comique. Comique renforcé par l’écart entre les incidents ridicules imaginés par l’équipe de l’émission pour rendre la téléréalité plus réelle que la réalité (vous suivez ?) et le professionnalisme de l’équipe de John. Renforcé aussi par des effets géniaux de comique de répétition, ou par la découverte qu’il suffit de planter, n’importe où, un comptoir de bar pour voir apparaître des clones des fameux habitués du OJ Bar&Grill.

Bref c’est génial, pour la dernière fois. Vous pouvez, si vous n’êtes pas convaincus, aller lire l’excellent billet de Yan. Et je conclurai en répétant ce que j’y écris dans les commentaires : JE VEUX PAS QUE CA S’ARRETE !

Donald Westlake / Top réalité (Get real, 2009), Rivages/Thriller (2014), traduit de l’américain par Pierre Bondil.

Parker récupère le magot

Roman d’outre tombe, un de plus du géant Westlake/Stark, voici donc côté Richard Stark une nouvelle aventure de l’implacable Parker : Argent sale.

argent sale.inddVous vous souvenez peut-être que dans A bout de course ! Parker et deux complices avaient braqué deux camions pleins de billets, au bas mot, quelques deux millions de dollars. Et qu’ils avaient dû fuir en laissant le magot dans une église désaffectée. Depuis Parker a réussi à échapper aux flics et maintenant, avec l’aide de sa copine Claire il compte bien le récupérer. Mais ça urge, car Nick Dalesia, un de ses complices a été pris par le FBI puis a réussi à s’évader, ce qui veut dire qu’il est aux abois. Et Sandra, une privée chasseuse de prime est sur leurs traces. Il va même peut-être falloir qu’il s’associe avec elle …

Le début du roman est un peu rude pour ceux qui, comme moi, ont un peu oublié les détails de A bout de course. Mais on se remet vite dans le bain, et ensuite c’est toujours aussi bon. Quand il signe Stark, Westlake est d’une efficacité d’écriture qui touche au magique ! Impressionnant de voir comme son style alors est aussi pur et tranchant que celui de son personnage.

Au plaisir habituel, on ajoutera ici celui de l’importance donnée aux personnages féminins, Claire et surtout Sandra qui sont très « léonardiennes », cools et malines comme les meilleurs personnages du grand Elmore. Et avoir pour le même prix l’inflexible Parker et des héroïnes de cette classe c’est le bonheur !

Richard Stark / Argent sale (Dirty money, 2008), Rivages/Thriller (2013), traduit de l’américain par Elie Robert-Nicoud.

Et vous trouvez ça drôle ? Oui !

La veine semble inépuisable. L’immense Donald Westlake est mort depuis maintenant plus de quatre ans et il nous fait encore le cadeau d’un Dortmunder inédit ici. Malheureusement Et vous trouvez ça drôle ? est l’avant dernier. Heureusement on pourra ensuite faire comme Yan, tous les relire en reprenant depuis le début.

WestlakeC’est inédit, John c’est fait coincer par un flic. Heureusement c’est un flic à la retraite. Malheureusement c’est un flic qui a une idée derrière la tête. Cette idée : obliger John et sa bande à voler un jeu d’échec historique, fait de pièces en or, un cadeau à l’origine destiné à un tsar et qui se trouve maintenant dans une chambre forte au sous-sol d’une des banques les mieux gardées de New York. John a beau lui expliquer qu’on ne rentre pas comme ça dans une chambre forte, et qu’on en sort encore plus difficilement, rien à faire, le flic le tient, il va falloir qu’il s’y mette.

Si vous voulez savoir pourquoi Westlake et John sont uniques, lisez ce roman, vous comprendrez. Je ne connais aucun auteur (sauf peut-être Terry Pratchett avec sa série du Disque Monde) qui soit arrivé à un tel degré de complicité avec ses lecteurs, et qui sache en jouer avec autant de maestria.

Westlake sait exactement ce que sait son lecteur, ce qu’il doit dire, ce qu’il peut sous-entendre ou suggérer. Il donne cette impression unique de reprendre, à chaque ouvrage, une conversation suivie avec un ami, de ceux à qui il n’est pas nécessaire de tout dire pour qu’il comprenne. Et cela donne un humour et une légèreté inégalables.

A noter dans ce volume quelques scènes d’anthologie. Le vol pour commencer, un des plus extraordinaire de la bande, qui en a pourtant quelques uns à son actif et qui prouve que John (et Donald), en plus d’être d’excellents organisateurs, sont des improvisateurs géniaux. J’ai éclaté de rire et j’en suis resté baba, bouche ouverte pendant quelques minutes.

Et puis, qui d’autre que Westlake pourrait oser enfiler des clichés aussi rabattus que le gus planqué dans le placard, et s’en sortir de façon aussi magistrale ? Qui ? Personne. Donald Westlake est grand, John Dortmunder est son prophète.

Donald Westlake / Et vous trouvez ça drôle ? (What’s so funny ?, 2007), Rivages/Thriller (2013), traduit de l’américain par Pierre Bondil.

Parker et le perroquet

Ca faisait un moment que je le regardais avec gourmandise, posé sur ma table de nuit. Je me faisais plaisir par anticipation. Et puis j’ai craqué. Et ce fut aussi bon que prévu. Et trop court, comme prévu. Décidément, plus de trois ans après sa mort Dr Westlake and Mister Stark nous étonne encore. Cette fois c’est Richard Stark, qui dans Demandez au perroquet, retrouve Parker là où il l’avait laissé à la fin de A bout de course !

demandez au perroquet.inddOn retrouve donc un Parker en mauvaise posture, traqué par les flics, en plein pays bouseux. Au sommet d’une colline il tombe sur Lindahl, chasseur plein de ressentiment qui, entendant à la radio que trois truands sont recherchés pour la casse d’une banque, est venu voir s’il ne pouvait pas en tirer profit. Lindahl travaillait dans un hippodrome, et il était trop honnête. Il a voulu dénoncer des magouilles, il s’est fait virer. Depuis il rêve de se venger en allant prendre la caisse. Et Parker semble être l’homme de la situation, celui qui l’aidera à prendre sa revanche. Traqué celui-ci n’a pas le choix et s’installe donc chez le chasseur, au cœur même de la région où on le recherche activement. Mais comme toujours quand on travaille avec des amateurs, les grains de sable vont s’accumuler …

A la fois du pur Parker, comme le montre ce dialogue :

« Regardez-moi Tom.

– Lindahl leva les yeux à contrecœur.

– Vous voulez que je vous considère comme une source d’ennuis Tom ? »

Et une innovation dans la série : Du début à la fin Parker ne maîtrise rien, à la merci des amateurs chez qui il est tombé bien malgré lui. Son sens de l’organisation peu mis en lumière il lui reste sa capacité tactique à se sortir de toutes les situations, son génie de l’adaptation qui, à chaque moment critique, lui fait choisir la seule option qui lui permettra de survivre, sans la moindre considération morale.

C’est ça qui est délectable dans cette série, Parker est le survivant absolu, le prédateur universel : Il ne tue jamais par plaisir, évite même les morts inutiles qui rendent les flics enragés, mais n’hésite pas une seconde en cas de nécessité, avec une efficacité redoutable. Efficacité qui n’a n’égale que celle de l’écriture de Stark, au cordeau une fois de plus.

Parker aussi fascinant à voir évoluer qu’un grand fauve, économe et parfaitement précis dans ses mouvements et ses choix. On adore le « voir », on n’aimerait vraiment pas qu’il nous considère comme une source d’ennuis … Un vrai plaisir, de bout en bout.

Richard Stark / Demandez au perroquet (Ask the parrot, 2006), rivages/Thriller (2012), traduit de l’américain par Marie-Caroline Aubert.

Un inédit étonnant de Donald Westlake

Donald Westlake est mort, et pourtant il n’a pas fini de nous surprendre. Son œuvre est tellement riche qu’il est quasiment impossible de la connaître à fond. La publication ce mois-ci de Mémoire morte, redécouvert aux US après sa mort (alors qu’il date des années 60 et n’avait jamais été publié) en est la preuve éclatante.

Westlake memoirePaul Edwin Cole est acteur. Etait acteur plus exactement. Jusqu’au jour où, dans une petite ville perdue, un mari jaloux le surprend dans sa chambre d’hôtel avec madame et lui fait subir un tabassage en règle. Après quelques jours de coma Paul doit se rendre à l’évidence, il a perdu la mémoire. Il sait vaguement qu’il était (est ?) acteur et qu’il habite (habitait) New York, rien de plus. Situation d’autant plus précaire qu’il n’a pas assez d’argent pour revenir chez lui. Il va lui falloir s’installer quelque part et travailler pour gagner le prix du billet de bus. Au risque, peu à peu, d’oublier son identité première … Un tragique course contre l’amnésie commence.

Ecrit donc dans les années soixante ce magnifique roman ne fut publié qu’après la mort de Donald Westlake. Trop sombre ? Trop désespéré ? Il est vrai qu’il ne colle pas, a priori, avec ce que l’on croit savoir de l’inventeur de John Dortmunder … Sauf au moins une chose. Dans un excellent documentaire Tonino Benacquista dit son admiration pour le Maître et en particulier pour sa capacité à prendre une idée ou une situation archi classique, et à la retourner comme une crêpe pour en faire une intrigue absolument unique. C’est comme ça qu’avec Dortmunder voler une banque veut dire emporter la banque entière … Idem ici. Les amnésiques ont été et seront encore utilisés dans le polar. En général l’amnésique était un super flic/agent/truand … Bref un type dangereux, qui sait faire plein de choses qu’il redécouvre petit à petit. Ici non. Paul Cole est désespérément normal, un tout petit peu glamour avant, complètement terne après. Et n’attendez aucune révélation fracassante, il n’y en aura pas. Voilà la crêpe retournée, et une intrigue unique.

C’est à une plongée, un naufrage dans la grisaille que nous invite Westlake. C’est poignant, désespéré et désespérant. D’un pessimisme absolu sur la nature humaine et nos relations avec les autres. Un roman absolument magnifique qui voit un personnage sombrer sans rémission à la recherche de lui-même. L’écriture est d’une sobriété exemplaire, la progression dramatique fine et subtile et la conclusion implacable.

Implacable et là aussi tout en finesse, car voici la dernière phrase : « Il aurait pu pleurer en cet instant, enfin, mais la fille revenait déjà. » Ce pourrait être une conclusion qui ouvre sur un avenir souriant. Il n’en est rien, c’est le dernier clou du cercueil …

Un autre avis (un autre mais fort semblable comme souvent …) et surtout d’intéressants détails expliquant pourquoi ce roman nous arrive si tard chez Yan.

Donald Westlake / Mémoire morte (Memory, 2010), Rivages/Thriller (2012), traduit de l’américain par Gérard de Chergé.