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Le sang de nos ennemis

Cela faisait un moment que l’on n’avait pas trop de ses nouvelles, Gérard Lecas revient avec Le sang de nos ennemis.

Marseille, cet été 1962 est un sacré chaudron. Entre les pieds noirs qui débarquent en masse, le SAC, l’OAS, les trafiquants de came de la French Connection, les anciens collabos et les anciens résistants ou leurs enfants …

Le cadavre d’un algérien est retrouvé vidé de son sang, pas loin de la ville. Anthureau jeune flic, communiste, fils de résistants fait équipe avec Molinari, ancien résistant, gaulliste, membre du SAC. Une façon pour les flics locaux de se débarrasser de deux indésirables en les neutralisant. Anthureau et Molinari que tout oppose et qui pourtant vont se découvrir beaucoup plus de points communs qu’ils ne le souhaiteraient, alors qu’un deuxième cadavre apparaît et que la guerre des gangs fait des ravages.

Bienvenue à Marseille.

Je ne vais pas affirmer que c’est le roman marquant du début d’année, mais c’est du bon boulot, solide. L’ambiance, ou plutôt les ambiances sont bien rendues, que ce soit côté malfrats, anciens résistants, ou parti communiste. Les personnages sont bien campés. L’intrigue est bien menée.

Et c’est surtout le contexte historique d’une époque charnière qui est passionnant. On a beau être lecteur de polars, ne plus avoir beaucoup d’illusions sur la nature humaine et savoir qu’une guerre propre n’existe pas, une partie des saloperies décrites ici n’a pas manqué de me surprendre et de me révolter. Ce qui est positif, c’est quand on ne pourra plus être ni surpris ni révoltés qu’il faudra s’inquiéter.

Un bon polar historique.

Gérard Lecas / Le sang de nos ennemis, Rivages/Noir (2023).

Notre part de ciel

Chouette un nouvel auteur argentin chez Rivages. Notre dernière part de ciel de Nicolás Ferraro.

Quelque part dans le nord-est de l’Argentine, du côté de Misiones ou Corrientes, pas trop loin de la triple frontière avec le Brésil et le Paraguay. Un avion transportant de la drogue se crashe. Les convoyeurs survivent et sauvent une grande partie de la marchandise. Mais quelques kilos sont tombés en route et ont été récupérés par des locaux qui y voient une fortune qui leur permettra de prendre un nouveau départ.

Malheureusement pour eux, la philanthropie ne fait pas partie des qualités principales des « légitimes » propriétaires des kilos en question qui envoient donc une équipe expéditive récupérer les paquets.

On le voit, on a là un grand classique. Et dans ce genre de roman la question est toujours : est-ce que l’un d’eux va s’en sortir ou vont-ils tous se faire dessouder ? Et comment ? Je ne répondrai évidemment pas à ces questions pour vous laisser le plaisir de découvrir les réponses.

Nicolás Ferraro que je découvre là fait le boulot. Il soigne le décor, donne un aperçu de la société argentine dans ces campagnes éloignées loin de Buenos Aires, et sait alterner le présent et quelques souvenirs qui étoffent les personnages et les rendent attachants (enfin pas tous). Les scènes de bastons obligatoires sont bonnes, et il n’y aura guère de pitié.

Bref sans être le polar de l’année, ça se lit très bien et on passe un bon moment. A réserver aux amateurs de jeu de massacre.

Nicolás Ferraro / Notre dernière part de ciel, (El cielo que nos queda, 2019), Rivages/Noir (2023) traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco et George Tyras.

Rétiaire(s)

Cela faisait un moment, le plaisir n’en est que plus grand. Voici le dernier DOA : Rétiaire(s).

Nous sommes en France (essentiellement), pendant le second confinement, celui de 2021. Théo Lasbleiz, flic des stups en congé abat devant témoins Nourredine Hadjaj, trafiquant connu des services de police. Amélie Vasseur, gendarme, s’occupe du trafic de drogue dans la région parisienne. Dans son collimateur, entre autres, un clan manouche, les Cerda.

Momo Cerda est en taule, c’est lui le cerveau. Dehors son demi-frère Manu est plus doué pour la violence que pour la réflexion, et Lola, la nièce, fait des études de droit souhaite rentrer dans les affaires familiales.

Ajoutez des rivalités entre renseignements, flics et gendarmes, une juge, des gangs concurrents et une énorme cargaison en provenance de Bolivie via l’Argentine. Secouez, servez chaud.

Facile de parler de ce bouquin. Si vous êtes fan de DOA vous allez adorer, si vous n’aimez pas, n’essayez même pas. Parce que c’est du DOA pur jus.

Dense, documenté, rythmé, sec comme un coup de trique. Il vous faudra faire un petit effort, l’auteur part du principe qu’il s’adresse à des lecteurs capables de concentration et d’attention. Et cet effort sera récompensé mille fois tant vous prendrez plaisir à suivre les différents personnages, à comprendre petit à petit les rouages des luttes, des trafics, des alliances et des rivalités.

Pas de chevalier blanc, ni chez les truands, ni chez les flics, tout le monde en prend pour son grade. Des scènes d’action réglées au millimètre, un beau travail sur la langue, un humour pince sans rire, des dialogues au cordeau, jonglant avec les niveaux de langage, et une maîtrise parfaite de l’intrigue.

Que vous dire de plus ? A garder pour une période où vous n’êtes pas fatigués. Avec une très bonne nouvelle, a priori il devrait y avoir une suite.

DOA / Rétiaire(s), Série Noire (2023).

Queens gangsta

Karim Madani traverse l’Atlantique pour le Queens des années 80 avec ce Queens Gangsta.

Années 80, dans les cités noires ravagées par les politiques successives de Reagan puis de Bush père, Kenneth « Preme » McGriff, et son neveu, de quelques années plus jeune que lui, Gerald « Prince » Miller montent la Supreme Team, une organisation qui va régner sur le quartier dans le domaine de la vente de crack et de cocaïne. L’argent coule à flot, mais attire les convoitises et l’attention des flics.

Grandeur et décadence d’un gang, ascension et dégringolade de leaders, on est dans l’archi classique du polar. Suivant comment c’est écrit et construit, cela peut être juste une redite, ou un roman original et passionnant. Ici, c’est original et passionnant.

Tout d’abord parce que l’histoire est bien menée, portée par de vrais personnages dont l’auteur ne masque ni les défauts, ni les doutes. Il n’en fait pas des héros, pas de simples victimes, pas de simples salauds non plus. Certes ils sont victimes de la politique américaines des années 80, certes ils tuent et font fortune avec un commerce de mort, mais, comme souvent dans la vraie vie, les choses sont complexes. Et toute cette complexité est bien décrite.

Ensuite parce que même s’il s’attache à quelques destins individuels, Karim Madani élargit son propos et parle du collectif, montre (sans se perdre dans les explications), en quoi ces destins sont forgés par tout en environnement et tout un contexte politique. Et c’est là qu’en plus du pur plaisir de lecture, du plaisir de suivre ces destins particuliers, le lecteur referme le bouquin en se sentant un peu moins ignare. Ce qui est toujours valorisant.

A découvrir donc.

Karim Madani / Queens Gangsta, Rivages/Noir (2022).

Viper’s dream

Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas de nouvelles de Jake Lamar. Il revient avec Viper’s dream.

Dans les années 30, le jeune Clyde Morton quitte l’Alabama pour New-York, sa trompette sous le bras. Il est persuadé qu’il a du talent et que c’est là qu’il doit aller pour le faire reconnaître. La désillusion est rapide et cruelle, il est nul.

Trente ans plus tard, Clyde Viper Morton qui a tué pour la troisième fois passe ce qui pourrait bien être sa dernière soirée chez la baronne Pannonica, légendaire mécène des jazzmen. Il est richissime, craint de Harlem à los Angeles, fournisseur d’herbe de tous les musiciens et bien au-delà. Il se souvient de ces trente années, de l’évolution du jazz, de New-York et de Harlem, de la déferlante de l’héroïne …

Un roman court, concis, qui dresse le portrait de Viper, certes, mais surtout de Harlem et du jazz entre les années 30 et le tout début des années 60. Je ne vous le vendrai pas comme le roman de l’année, l’auteur fait le choix de prendre une certaine distance et de nous faire tout revivre au gré des souvenirs de son personnage. Mais pour qui s’intéresse au jazz, c’est passionnant de voir l’évolution de cette musique, mais également celle de son public, de voir les plus grands clubs quitter Harlem pour se rapprocher de la clientèle blanche, d’assister aux ravages de l’héroïne, à l’arrivée du bebop, de passer une soirée chez la mythique Panonica en compagnie de Monk, Miles et les autres …

Une belle histoire, racontée par un personnage haut en couleur et dominée par une figure de femme fatale. Que demander de plus quand on aime le polar et le jazz ?

Jake Lamar / Viper’s dream, (Viper’s dream, 2021), Rivages (2021) traduit de l’anglais (USA) par Catherine Richard-Mas.

Poudre blanche sable d’or

Un nouvel auteur à la manufacture, Matthieu Luzak qui publie son premier roman Poudre blanche sable d’or. Pas convaincu.

Matthieu est journaliste, séparé de sa copine, survivant grâce à des piges ici ou là. Son pote Farid est trafiquant, il vient de sortir de prison et lui propose d’aller quelques jours en vacances en Andalousie. Les voilà partis direction Malaga où Farid va lui montrer les endroits qu’il connait, les coins investis par les truands de toute l’Europe et les lieus de ses précédentes aventures lors de livraisons mouvementées. Entre bières, tapas, lignes de coke et joints Matthieu essaiera de tirer un livre de tout ça.

Si l’on en croit le choix des prénoms et ce que l’on peut trouver sur l’auteur sur le net, voilà un récit fortement autobiographique. C’est courageux car le moins que l’on puisse dire est que l’auteur ne se flatte guère en journaliste pas très vaillants, remettant toujours à plus tard le moment de bosser à son bouquin, pas franchement gentleman avec sa copine et courant les rendez-vous de baise rapide sur internet. Donc c’est courageux et franc.

Mon problème est que ça ne m’intéresse pas. Après à chacun de savoir ce qu’il cherche dans la littérature, l’autofiction m’a toujours profondément ennuyé, avec une seule exception John Fante. Une autofiction centrée sur le rap et des journées passées à glander en fumant avait toutes les chances de m’ennuyer encore plus.

Raté pour moi donc, et attention, glisser une référence à David Simon et à The Wire en fin de bouquin est certes la preuve d’un excellent goût, mais c’est aussi très risqué si cela appelle à la comparaison.

Matthieu Luzak / Poudre blanche sable d’or, La Manufacture des livres (2021).

El Edén

Dernièrement les polars qui nous arrivent du Mexique sont rarement joyeux et légers. Et ce n’est pas El Edén d’Eduardo Antonio Parra qui va déroger à cette règle.

Dans une cantina de Monterrey le narrateur qui s’abruti au rhum reconnaît Dario dans l’alcoolique qui enchaine les seaux de bières au comptoir. Quelques années auparavant, il était professeur de littérature au collège de la petite ville d’El Edén. Dario était son meilleur élève, star du collège et de son équipe de foot.

C’était quand la ville méritait son nom, avant qu’elle ne devienne l’enjeu d’une lutte de territoire entre deux cartels. Avant qu’ils ne la mettent à feu et à sang. Après la première nuit de carnage, le narrateur avait quitté la ville et son poste. Quelques temps plus tard, c’est Dario qui vivait une nuit d’épouvante. Entre verres de rhum et bouteilles de bière glacée, ils vont revivre des jours atroces, le temps d’une nuit.

Je ne vais pas vous mentir, El Edén n’est pas un livre aimable dont la lecture vous rendra souriant et content de faire partie de la compagnie des hommes. C’est dur, dense, d’un seul tenant, sans chapitres, avec une alternance de description de l’état d’éthylisme qui va en avançant, de souvenirs du narrateur et de récits de Dario.

Les deux parties, qui n’en font qu’une, qui se passent dans le village martyr sont dures, hallucinantes, même si quelques souvenirs heureux arrivent à s’y glisser, éclairant de façon émouvante et étonnante autant de noirceur. Le constat d’impuissance face à de véritables armées de narcos, tueurs sans pitié qui, quand ils n’ont pas quelqu’un du camp adverse sous la main se défoulent en massacrant la population locale est terrible. L’action, toujours tardive, des différentes « forces de l’ordre » est au mieux affligeante de nullité, au pire vient mettre du sel sur les plaies, les flics et soldats, se vengeant sur la population de ne pas pouvoir, ou vouloir, combattre les véritables assassins.

On lit en apnée, avec l’impression de subir la même gueule de bois que les deux personnages. Un roman impressionnant qui marque durablement.

Eduardo Antonio Parra / El Edén, (Labirento, 2018), Zulma (2021) traduit de l’espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo.

Santa Muerte

Santa Muerte de Gabino Iglesias n’est pas, comme son titre et son auteur pourraient le laisser penser, un roman mexicain, mais nord-américain, avec quand même pas mal de latino dedans.

IglesiasFernando est mexicain, arrivé illégalement à Austin, Texas. Depuis il est videur et dealer. Plus ou moins directement pour le compte des Zetas, cartel mexicain. Jusqu’au jour où il est enlevé par des membres de la Mara Salvatrucha qui torturent et assassinent son pote Nestor devant lui et le renvoient à son chef pour faire passer un message : Maintenant Austin est à eux.

Fernando n’est pas le plus courageux de la bande, mais quand faut y aller, faut y aller. Alors avec l’aide de la Santa Muerte, de tous les saints qui veulent bien l’assister, et de quelques tueurs, il va y aller.

Première impression : ça déménage. Le ton est vif, les chapitres courts, l’action resserrée. On attaque le roman, puis on ne le lâche plus jusqu’à la dernière page. Une sorte de polar survolté à la Tarantino avec une pincée de fantastique, juste pour épicer. Pur plaisir si on n’a pas peur d’un peu d’hémoglobine.

Mais en plus, au détour d’un chapitre, et sans s’appesantir, l’auteur livre quelques réflexions non dénuée d’intérêt sur un sujet que l’on devine personnel, à savoir l’exil, l’immigration, le passage à un autre pays, une autre langue, une autre culture, au milieu de gens qui ne vous portent pas forcément dans leur cœur.

Du plaisir donc, et un peu d’émotion et de réflexion. Le tout en moins de 200 pages. Convaincus ?

Gabino Iglesias / Santa Muerte, (Zero saints, 2015), Sonatine (2020) traduit de l’anglais (USA) par Pierre Szczeciner.

Mon territoire

Une quatrième de couverture intrigante, et une femme auteur dans la catégorie « petits blancs pourris dans les montagnes américaines ». De quoi attiser ma curiosité pour Mon territoire de Tess Sharpe.

SharpeA huit ans Harley McKenna a vu flamber la maison dans laquelle se trouvait sa mère, puis a vu son père tuer un homme. Duke l’a ensuite élevée seul, dressée serait un terme plus exact, tant il en a fait une femme redoutable, habile à tuer, de ses mains ou avec toute sorte d’armes. Il faut dire que Duke McKenna est le boss de ce comté dans les montagnes proches de la Californie, trafics en tous genres.

Aujourd’hui Harley a 23 ans, elle est proche de reprendre les commandes, mais elle sait que ce ne sera pas simple, et surtout elle veut le faire à sa manière, pas à celle de Duke.

Un avis élogieux de David Joy, et une quatrième de couverture qui compare le roman au magnifique Un hiver de glace de Daniel Woodrell, ça donne envie, mais ça place aussi la barre très haut. Très très haut. Du coup j’ai été déçu.

C’est la comparaison avec Woodrell qui est terrible. Car s’il n’est pas exempt de défauts, ce premier roman n’est pas non plus inintéressant.

Côté négatif, la construction systématique, un chapitre aujourd’hui, un chapitre de flashback, qui marche plutôt bien au début, finit par être mécanique et ralentit le rythme au moment où, approchant de la fin, il faudrait pouvoir resserrer l’action.

Ensuite si le personnage de Harley est bien construit, au centre de tout, les autres autour restent schématiques, et c’est bien dommage tant certains d’entre eux sont prometteurs et auraient mérité de gagner en épaisseur, en particulier certains autres personnages de femmes. Et pour finir avec ce qui pourrait être amélioré, Harley s’en tire vraiment trop bien. Dans un roman qui semble vouloir être très noir, au final tout est rose … Bon pas rose, mais tout finit trop bien.

C’est d’autant plus dommage que le roman ne manque pas d’intérêt et que finalement il se lit bien. Parce qu’on apprécie Harley, parce que le propos est intéressant, que son éclairage sur une façon de répondre aux violences faites aux femme est original et loin de tout misérabilisme, très loin (vous comprendrez si vous lisez). Parce que ce coin de montagnes est bien décrit, et parce que ça change un roman sur les petits blancs avec des personnages de femmes fortes.

Donc pas mal, une auteur à suivre, même s’il lui reste beaucoup de chemin avant de pouvoir être comparée à Daniel Woodrell.

Tess Sharpe / Mon territoire (Barbed wire heart, 2018), Sonatine (2019), traduit de l’anglais (USA) par Héloïse Esquié.

La frontière

Quelques jours sans nouvelles, j’étais plongé dans un des monuments de cet automne, la conclusion de la magistrale trilogue de Don Winslow : La frontière.

WinslowA la fin de Cartel Art Keller reste vivre au Mexique, auprès de Martisol, son épouse. Jusqu’à ce que le sénateur O’Brien vienne lui proposer de reprendre la guerre contre la drogue, avec de nouveaux pouvoirs : ni plus ni moins que la direction de la DEA.

Dans le même temps, côté mexicain, la disparition mystérieuse d’Adan Barrera a laissé un vide. Un vide qu’ils sont nombreux à vouloir combler et les morts recommencent à s’accumuler de Tijuana à El Paso. Ce qui n’empêche pas les différents groupes de continuer à faire transiter la drogue, avec un retour en force de l’héroïne, une héroïne améliorée. Les overdoses se multiplient à New York et dans tout les US.

Alors qu’Art tente de changer la politique de l’agence pour s’attaquer aux finances du trafic avec l’aide de chef de la brigade anti drogue de New York, les élections nationales approchent, dans lesquelles un candidat très à droite le critique avec de plus en plus de virulence sur les réseaux sociaux.

On a déjà lu plus de 1500 pages de l’histoire d’Art Keller et de la relation entre le trafic de drogue, les US et le Mexique, et on en redemande ! En voilà plus de 800 de plus toujours aussi fascinantes, passionnantes, bouleversantes, rageantes …

Cette fois Don Winslow s’attaque à l’origine du trafic de drogue, une origine qui ne se situe pas sur le sol mexicain, mais sur le sol américain.

« Il est tentant de penser que les causes de l’épidémie d’héroïne sont au Mexique, car il est focalisé sur la prohibition, mais la véritable source est ici même, et dans une multitude d’autres villes, petites et grandes.

Les opiacés sont une réponse à la douleur.

La douleur physique, émotionnelle, économique.

Il a les trois devant les yeux. »

Et quitte à se faire des amis aux US après s’en être fait au Mexique :

« Tu montes la garde sur le Rio Grande, se dit-il, et tu essayes de repousser le flot d’héroïne avec un balai, pendant que des milliardaires délocalisent des boulots à l’étranger, ferment des usines et des villes, tuent les espoirs et les rêves, répandent la douleur.

Et ils viennent te dire : arrêtez l’épidémie d’héroïne. 

Quelle est la différence entre un directeur de fonds spéculatifs et le chef d’un cartel ?

La Wharton Business School. »

Quand à ce qu’il pense de nouveau président US, qui dans le roman succède à Obama et s’appelle John Dennison :

« En se réveillant le lendemain de l’élection, Keller se dit qu’il ne comprend plus son pays. (…)

Car son pays a voté pour un raciste, un fasciste, un gangster, un être narcissique qui se pavane et fanfaronne. Un homme qui se vante d’agresser les femmes, qui se moque d’un handicapé, qui copine avec des dictateurs.

Un menteur avéré. »

Tout cela c’est pour le fond. Et il y a la force romanesque le souffle, la puissance du récit où l’on retrouve avec beaucoup de plaisir certains personnages de La griffe du chien, où on en découvre de nouveaux. Où on passe des « hijos » les héritiers des cartels, violents, immatures, qui se vantent sur les réseaux sociaux et postent des vidéos où on les voit torturer et tuer leurs ennemis aux flics new yorkais en écho à Corruption, en passant par les arcanes du pouvoir à Washington, ou les gamins vivant sur les tas d’ordure au Guatemala.

Plus que jamais ici le polar tranche au travers de toute la société, des lieux de pouvoir, financier ou politique, jusqu’à ceux qui vivent ou survivent dans les rues. C’est magistral. Je pourrait continuer longtemps, pour évoquer les différentes thématiques abordées, les épisodes réels de la guerre qui se déroule au Mexique que l’on reconnaît, les personnages auxquels on s’attache, mais il suffit de dire : LISEZ-LE.

Et si La frontière peut se lire indépendamment, il serait impardonnable de ne pas lire les trois, qui offrent une fresque pleine de sang, de fureur, de rage et d’émotions, une fresque magistrale qui éclaire toute l’histoire de ce que les media appellent la guerre contre la drogue.

Don Winslow  / La frontière (The boarder, 2019), Harper Collins / Noir (2019), traduit de l’anglais (USA) par Jean Esch.