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Les morts d’avril

Nous voici en avril avec Harry McCoy de l’écossais Alan Parks, Les morts d’avril, et c’est toujours aussi bien.

Avril 1974, c’est une boucherie dans un appartement de Glasgow. Une bombe artisanale a explosé éparpillant l’artificier maladroit dans toute la chambre. L’IRA aurait-elle décidé d’exporter sa guerre à Glasgow. Une question à laquelle Harry McCoy ne meurt pas d’envie de se confronter. D’autant plus qu’il a déjà assez d’ennuis comme ça. Il faut tenter de maîtriser son ami truand Stevie Cooper qui sort de six mois de prison et a des comptes à régler. Et un haut gradé américain lui a plus ou moins extorqué la promesse de l’aider à chercher son fils, qui a disparu de la base navale proche de la ville où son bateau était stationné.

C’est toujours un plaisir de retrouver Harry McCoy et toute la bande. Ici aux prises avec un affreux particulièrement tordu. L’intrigue est troussée aux petits oignons, les références musicales impeccables (avec un petit comique de répétition que je vous laisse apprécier), et les personnages à la hauteur des premiers épisodes.

On suit la déprime de Harry, l’embourgeoisement de son chef, les nuits blanches de son jeune adjoint, et son pote Stevie est toujours aussi imprévisible. C’est prenant dans la description de la misère, l’ambiance de la ville est toujours aussi bien rendue, avec la présence, pour ce volume, de marins américains qui dénote au milieu de la misère écossaise.

Un vrai plaisir, vivement mai.

Alan Parks / Les morts d’avril, (The april dead, 2021), Rivages/Noir (2023) traduit de l’anglais (Ecosse) par Olivier Deparis.

Tim Willocks sur les terres de Deon Meyer

Cette fois Tim Willocks voyage dans l’espace et non dans le temps et nous amène en Afrique du Sud : La mort selon Turner.

WillocksDans un township du Cap, quelques jeunes en bordée qui sont venus s’encanailler boivent trop. En quittant le bar, l’un d’eux écrase une jeune femme contre un conteneur d’ordures sans même s’en rendre compte. Ceux qui l’accompagnent eux ont vu ce qu’il s’est passé, mais décident de ne rien dire et de laisser la victime agonisante pour rentrer rapidement chez eux, dans la province aride du Cap-Nord.

Turner, flic incorruptible de la criminelle de la ville appelé sur place compte bien que justice soit rendue à cette jeune femme dont personne ne s’est jamais soucié. Pour cela il va partir sur place, affronter la famille Le Roux et sa chef Margot qui a construit un empire local et compte bien défendre son fils, quoi qu’il en coûte. Entre deux êtres qui ignorent totalement le sens du mot compromis, la guerre est inévitable.

Souvent je déteste les quatrième, surtout quand elles sont grandiloquentes. Mais cette fois c’est bien trouvé : « Le fauve Willocks est lâché ! » c’est exactement l’impression que l’on a à la lecture de son dernier roman.

En termes d’esthétique et d’efficacité narrative, avec cet « étranger » qui débarque au milieu de nulle part et va faire exploser le statu quo et affronter seul les puissances locales on pense immédiatement aux grands westerns de Clint Eastwood, Pale rider ou L’homme des hautes plaines. Seul contre tous, dans une petite ville au milieu du désert, coupé de tout. Sachez qu’une fois que vous aurez ouvert le roman, vous ne pourrez plus le lâcher, prévenez vos proches qu’ils ne vous demandent rien, avertissez au boulot que vous prenez un jour de récupération, et plongez.

Là où le roman est très différent de ces grands westerns, c’est qu’il ne porte pas de jugement. A part un personnage assez veule, ils ont tous leurs raisons d’agir comme ils le font. Et comme Tim Willocks aime créer des personnages hors norme, ils sont tous (presque) courageux, et cohérents dans leurs actions, même et surtout les pires.

L’affrontement est d’autant plus violent que peu de personnages agissent mus par un petit intérêt mesquin. Ils sont portés par l’amour, un besoin maladif de protéger un fils, le désir de paix, ou celui de justice. Et c’est dans cet enfer pavé de bonnes intentions, pimenté par une corruption généralisée, une pauvreté terrible et un racisme toujours présent que nous plonge l’auteur. Alors oui, c’est violent, oui il y a des scènes plutôt gore, mais ce n’est jamais gratuit et la violence et ses conséquences sont toujours questionnées par les personnages.

Ceci dit, soyons honnête, toutes ces réflexions vous viennent après la lecture. Pendant vous êtes complètement happé par le rythme, l’écriture, le suspense. Avec un final extraordinaire que je ne raconte pas, mais où Tim Willocks a le culot de complètement escamoter la scène d’action en prenant le point de vue de quelqu’un qui subit tout, paniqué, paralysé par le déluge de feu. Une scène inoubliable.

Pour son retour au polar Tim Willocks frappe très fort. Et devinez, oui, il est à Toulouse ce week-end pour fêter les 10 ans de Toulouse Polars du Sud.

Tim Willocks / La mort selon Turner (Memo from Turner, 2018), Sonatine (2018), traduit de l’anglais par Benjamin Legrand.

Indridason sans Erlendur

J’ai raté le premier roman de la trilogie des ombres d’Arnaldur Indridason, j’attrape le train en marche avec le second, La femme de l’ombre.

IndridasonA Petsamo, en Finlande, une jeune femme attend son fiancé. Islandais comme elle, il vivait à Copenhague, et doit rentrer en Islande à bord d’un paquebot qui va rapatrier tous les islandais se trouvant dans des pays envahis par l’Allemagne nazie. Il n’arrivera jamais.

A Reykjavik, dans une ville occupée par les britanniques puis par les américains, deux cadavres sont retrouvés : l’un, complètement défiguré, vêtu d’un uniforme américain, l’autre, celui d’un noyé porté disparu par son épouse depuis quelques jours.

Deux hommes enquêtent. Thorson, de la police militaire qui est un des rares soldats à parler islandais, et Flogent, de la police de Reykjavik. Deux hommes qui s’estiment et se respectent, malgré l’hostilité ou le mépris qui règne souvent entre locaux et occupants.

J’ai vu de bons billets sur ce roman qui, si l’on en croit la quatrième, a gagné un prix en Islande. Et pourtant, je suis déçu.

Oui l’histoire est fort bien menée, les trois histoires se mêlent petit à petit, et l’auteur s’y entend pour embrouiller son lecteur sans jamais le perdre, pour finalement révéler tous les liens entre ses histoires.

Oui aussi, le contexte historique et social est parfaitement rendu, avec le contraste entre une armée d’occupation riche et les conditions de vie très dures des islandais. Contraste, fascination pour l’Amérique, et en même temps rejet. Mépris des occupants pour une population qu’ils ne cherchent pas à connaître. Poids des conventions et du regard des autres à une époque encore très fermée.

Mais, mais, et c’est là un avis complètement subjectif, à mon goût, les personnages sont loin, très loin d’avoir l’épaisseur de ce cher Erlendur. Je les trouve moins fouillés, plus schématiques. Et du coup, je m’intéresse assez peu à ce qui leur arrive. L’émotion, qui fait la force des romans consacrés à son personnage fétiche est ici absente.

Intéressant, mais froid, sans passion, sans chaleur. Instructif mais pas émouvant. Donc je suis déçu. Et curieux de savoir si je suis le seul et si vous êtes conquis ou pas.

Arnaldur Indridason / La femme de l’ombre (Petsamo, 2016), Métailié (2017), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Mon premier polar pakistanais

C’est mon premier polar pakistanais : Le prisonnier de Omar Shahid Hamid.

ShahidHamid21 décembre 2006, un journaliste américain est enlevé par des islamistes à Karachi. Dans une vidéo postée sur internet, ils menacent de l’exécuter le 25. Toutes les forces de police de la ville sont sur les dents, il ne faut pas fâcher l’allier indispensable. Mais personne n’a de piste. Seuls deux hommes semblent pouvoir le retrouver : L’ex commissaire D’Souza, devenu directeur de prison, et son ami Akbar, ancien flic, l’un des meilleurs et des plus impitoyables policiers de la ville, actuellement dans une cellule de la prison de D’Souza, suite à une affaire politique ayant mal tourné.

Dans une ville où les différentes officines se font la guerre, où la misère et la corruption généralisée règnent, contre toute attente, ce sont ces deux bannis qui vont mener la danse.

La quatrième de couverture nous apprend que l’auteur a été flic et patron de la cellule antiterroriste de son pays. On peut donc penser que sa description du monde politique et policier de la ville est réaliste. C’est d’autant plus atterrant.

Si l’écriture n’a rien d’extraordinaire, l’histoire est suffisamment bien menée pour qu’on tourne les pages pour connaître la suite, et qu’on se plonge dans ce qui faut tout l’intérêt du roman : la peinture d’un monde qui nous est totalement inconnu et absolument incroyable. Guerre des partis politiques, magouilles à tous les étages, cupidité, vol généralisé, violence. Et surtout corruption et clientélisme érigés en système du plus petit au plus haut échelon de la société.

Un roman tristement dépaysant, effarant et passionnant.

Omar Shahid Hamid / Le prisonnier (The prisoner, 2013), Presses de la cité/Sang d’encre (2017), traduit de l’anglais (Pakistan) par Laurent Barucq.

Cape Cod Confidential ? Pas vraiment.

C’est bien joli d’invoquer le grand James Ellroy, mais nous allons voir que Un moindre mal de Joe Flanagan est quand même loin du compte.

FlanaganNous sommes à Cape Cod en 1957. Le lieutenant Warren, froid, distant avec les autres flics, est le chef par défaut de la police locale, en attendant une décision de la municipalité suite à la maladie du chef précédent. Il gère les affaires courantes jusqu’à ce qu’on découvre les cadavres de deux gamins assassinés. L’occasion d’imposer la présence de Stasiak, héros de la lutte contre la mafia à Boston qui vient prendre la main pour la police d’état.

Warren va vite s’apercevoir que Stasiak est un homme dangereux, violent, et que ce n’est peut-être pas un hasard s’il a été écarté de Boston malgré ses états de service en apparence brillants. Dans une ambiance de corruption de plus en plus évidente, les cadavres vont s’accumuler et la situation de Warren devenir intenable.

Ellroy à Cape Cod lit-on donc sur le bandeau … Certes, il y a un flic ripoux, des meurtres, et une allusion au Dalhia Noir. C’est quand même très insuffisant pour faire de ce polar somme toute moyen le Cape Cod confidential.

Au moins pour moi. Parce que si j’ai poursuivi jusqu’au bout, je n’ai jamais réussi à me passionner pour cette histoire. Des personnages pas assez incarnés, des pourris pas assez effrayants, des personnages et des intrigues secondaires qui n’apportent pas toujours grand chose à l’histoire principale.

Au final j’ai lu pour avoir le fin mot de l’histoire, parce que l’intrigue est plutôt bien menée, mais sans jamais trembler, ni sourire, ni rager, en un mot, sans vraiment m’émouvoir. Et sans ressentir, les soirs, cette impatience, cette envie de voir tout le monde à la maison aller se coucher pour pouvoir, enfin, retrouver mon bouquin. Ce qui est un signe qui ne trompe pas.

Pas mal sans plus donc.

Joe Flanagan / Un moindre mal (Lesser evils, 2016), Gallmeister (2017), traduit de l’anglais (USA) par Janique Jouin-de Laurens.

Ingrid Astier sur les toits de Paris

Ingrid Astier se lance dans la Haute Voltige.

astierRanko est le roi de la cambriole. Il escalade en solo toutes les façades de Paris, vole de toit en toit, et pénètre dans les intérieurs les plus riches et les plus haut perchés. Pour le commandant Suarez il est devenu une véritable obsession, le Gecko.

Un jour, pour obéir à son oncle Astrakan, truand de haut vol, Ranko organise, avec d’autres, l’attaque du convoi d’un riche saoudien en route vers l’aéroport. Butin énorme en bijoux, liquide et montres. Mais aussi, Ylana, perdue, sublime, prête à toutes les aventures.

Après un tel coup d’éclat, toutes les polices de Paris sont sur les dents. La partie devient plus dure pour Ranko et Astrakan.

Je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression qu’avec ce gros roman, romanesque et romantique, Ingrid Astier a vraiment trouvé sa voie/voix. Et son monde. Un monde « bigger than life » où tous les hommes sont beaux, forts et audacieux, toutes les femmes sublimes, où l’on vole de toit en toit, en apesanteur, loin des contingences, où l’on vit dans un luxe inouï (quitte à ce que cela soit celui des autres), où les personnages sont des mythes, dignes d’entrer dans une BD d’Enki Bilal, une des références permanentes du roman.

Pas de médiocres ici (ou si peu), que du flamboyant, avec du panache, des amours fous, des rêves sans limite, les toits et le ciel de Paris. Ingrid Astier en digne héritière de Dumas magnifie Paris et ses personnages qui brûlent d’une flamme d’autant plus vive que la combustion sera courte.

Si vous voulez du souffle, de l’héroïsme, du beau et du rêve, c’est pour vous. Si vous voulez du terre à terre, du réaliste, du sang dans le boue, attendez ma prochaine chronique polar.

Ingrid Astier / Haute Voltige, Série Noire (2017).

Le retour de Jack Lennon de Belfast

Je suis fan des premiers romans de l’irlandais Stuart Neville. Je n’avais pas été convaincu par son roman historique Ratlines. Il revient avec son personnage de flic cabossé dans Le silence pour toujours. Je redeviens fan.

le silence pour toujours.inddRevoilà donc Jack Lennon, suspendu après une fusillade contre un flic ripoux, boitant bas, et accro aux analgésiques (voir Les âmes volées). Il essaie de profiter de sa fille, et vivote, en attendant de voir s’il pourra recevoir une pension ou si les affaires internes vont le clouer au pilori.

C’est alors que Rea Carlisle, une ex, l’appelle : Elle vient de découvrir dans la maison d’un oncle décédé un album atroce, preuve que l’homme a tué et torturé pendant des années. Sa mère et son père ne veulent rien dire à la police pour ne pas nuire à la brillante carrière politique monsieur Carlisle. Le temps qu’un Jack sceptique vienne la voir, l’album a été volé. Peu après sa visite, Rea est sauvagement assassinée, et Jack est le dernier à avoir été vu entrant chez elle …

On retrouve donc le Jack Lennon et le Stuart Neville teigneux des premiers romans. Il y a du Jack Taylor dans ce Jack de Belfast ! Il va de plus en plus mal, chaque jour qui vient lui apporte son nouveaux lot d’emmerdes, toutes plus graves les unes que les autres, ses ennemis triomphent auprès des puissants et lui paraît de plus en plus minable mais … mais il ne lâche rien, jamais.

Et c’est pour ça qu’on l’aime. Une histoire bien noire, avec une vraie tendresse pour les perdants qui se battent. Une corruption partout présente, des politiques sans morale et sans âme, des flics toujours prêts à se vendre. Mais aussi des irréductibles, des gens qui souffrent, des pions qui ont été manipulés, et ont tout perdu, sauf la dignité, et qui ont des mouvements de révolte et d’humanité.

Du bon vrai roman noir irlandais comme on l’adore ! Vivement le prochain.

Stuart Neville / Le silence pour toujours (The final silence, 2014), Rivages/Thriller (2017), traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau.

Lucarelli retourne en Ethiopie

Cela faisait un bon moment que l’on n’avait plus de nouvelles de Carlo Lucarelli. Il nous revient avec une suite de la très belle Huitième vibration : Albergo Italia.

lucarelliOn est sur le point d’inaugurer l’Albergo Italia, l’hôtel le plus luxueux de la nouvelle Asmara, sur les hauts plateaux éthiopiens. Parmi les invités le Capitaine Colaprico des carabiniers, et son aide abyssin, le très perspicace Ogbà. La fête tourne court quand le cadavre d’un certain Farandola est trouvé, pendu dans sa chambre. Très vite Ogbà et le capitaine se rendent compte que malgré la mise en scène il s’agit d’un meurtre.

Une affaire vite réglée ? certainement pas, de la chaleur de Massaoua à l’air raréfié d’Asmara Colaprico va avoir bien besoin de la perspicacité de son adjoint pour se dépêtrer d’une superbe rousse fatale, d’un étrange géologue, d’un fourrier corrompu et des manigances d’Oualla, la polissonne.

La première impression ressentie à la lecture est que l’auteur s’est bien amusé à écrire ce court roman. On sent son humour et son amusement, à son hommage aux feuilletonistes, avec des relances « à l’ancienne » en fin de chapitres, et à son clin d’œil au grand ancien Conan Doyle.

On le sent également à son jeu avec la langue, avec les langues. Les langues locales quand Ogbà, ou Oualla pensent ou peinent à traduire un mot ou une idée, mais également avec les différentes langues italiennes, les personnages venant de différentes régions. Celui qui a dû moins s’amuser c’est le traducteur, Serge Quadruppani, qui doit rendre cette richesse sans perdre le lecteur. Même pour quelqu’un habitué à traduire Camilleri, cela a certainement été un sacré casse-tête, brillamment résolu : On se régale aux différentes sonorités, et on comprend tout.

Au-delà de l’amusement, Carlo Lucarelli excelle quand il s’agit de nous faire ressentir la chaleur, la transpiration qui dégouline, l’air raréfié du plateau, les odeurs lourdes et enivrantes de Massaoua, ou légères mais tout aussi entêtantes d’Asmara.

Et au travers de cette intrigue « à la manière de » et de cette avalanche de sensations, il nous fait vivre un lieu et une époque découverts avec La huitième vibration mais dont sinon je n’avais jamais entendu parler, sinon par une phrase dans les livres d’histoire disant que l’Ethiopie avait été une colonie italienne. Une façon de prolonger la fascination des Ethiopiques de l’immense Hugo Pratt.

Carlo Lucarelli / Albergo Italia (Albergo Italia, 2014), Métailié (2016), traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

La nouvelle quadrilogie de James Ellroy

J’ai attendu les vacances pour attaquer le pavé de James Ellroy. Il fallait bien ça pour lire Perfidia.

perfidia.indd6 décembre 1941, Los Angeles. La tension avec le Japon est à son comble, les nombreux immigrants japonais de la ville dans le collimateur des forces de justice et de police. Les quatre membres de la famille Watanabe sont découverts, éventrés, dans ce qui ressemble à un suicide très japonais. Le lendemain, c’est l’attaque de Pearl Harbour. L’hystérie nationaliste fait passer ce meurtre au dernier rang des préoccupations du LAPD.

Mais pas pour tout le monde. Hideo Ashida, qui est en train de jeter les base de la police scientifique de la ville, Duddley Smith qui sent qu’il y a quelque chose de louche et de lucratif derrière, William Parker fanatique religieux et alcoolique qui veut devenir chef de la police de la ville … Et bien d’autres, gauchistes, racistes, fascistes, traitres, activistes, opportunistes, fanatiques, loyaux, corrompus … Dans le chaos de la guerre naissante toutes les dérives et toutes les horreurs deviennent possibles.

On ne peut pas régler le sort de ce pavé de plus de 800 pages en quelques lignes. D’autant plus que mon impression est mitigée. Et étrange.

Par rapport à certains autres romans du grand James, j’ai trouvé un manque de quelque chose, quelque chose de très compliqué à définir. On ne peut pas lui reprocher le manque de souffle ou de puissance, et pourtant c’est un peu ce qu’on ressent. Cette lecture fut étrange. Je m’essoufflais au bout de quelques chapitres, refermais le bouquin, mais ensuite il me tardait toujours de m’y replonger.

Accroché par l’intrigue, par la multitude de personnages, par l’ampleur du tableau, dès que je le fermais j’avais envie de m’y remettre pour poursuivre la saga. Mais une fois dedans, j’étais un peu asphyxié, submergé par les quantités d’information, et il me manquait un élan qui permette de continuer à chevaucher la vague. J’étais noyé dans l’écume et obligé d’arrêter un moment. Etrange, comme si Ellroy avait toujours son immense capacité à tresser les multitudes de destin dans la trame de la grande histoire, mais manquait un peu de romanesque.

Tout cela c’est pendant la lecture. Ensuite, quand on ferme définitivement la livre, on reste quand même impressionné par l’ambition du projet, la complétude et la complexité du tableau dans lequel l’auteur ne se perd jamais, malgré la multitude des personnages, des points de vue et des thématiques traitées. Impressionné aussi par la quantité de choses que j’ai apprises, sur les réseaux fascisant aux US, sur la vie à cette époque, sur les internements de citoyens américains d’origine japonaise … Et impressionné également par la façon dont Ellroy reprend une quantité de personnages déjà croisés dans ses livres précédents, à se demander s’il a des fiches ou si ces personnages vivent en permanence en lui.

Pour résumer, une lecture difficile, exigeante, pas aimable (on s’en doutait bien !) mais assez impressionnante, même si je n’ai pas eu la sensation de retrouver pleinement le grand James.

James Ellroy / Perfidia (Perfidia, 2014), Rivages/Thriller (2015), traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.