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Dernier rempart

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de novella de chez In8. Je me suis rattrapé, un peu, avec Dernier rempart d’Yvon Coquil.

Maout est soudeur sur le chantier naval pour gagner sa vie, et supporter de l’équipe de foot de Brest pendant ses loisirs. Il est surtout fan de Kerberos, le gardien de but. Et avec son pote Polvo, que l’on ne peut mieux qualifier que de gros con, il s’occupe, après les matchs, à fracasser des cranes de supporters des clubs adverses. Seuls son boulot, son reste d’amour pour sa femme qui l’a quitté et celui, intact, pour sa grande fille le sauvent du gouffre. Mais on sent bien que tout cela ne peut pas bien finir.

Heureusement que le texte est court parce qu’il n’est pas forcément très agréable … c’est qu’on est dans la tête d’un bonhomme pas très malin, et surtout au contact d’un pote particulièrement bête et méchant. C’est très bien écrit, la montée de la connerie vers le final que l’on devine dès le départ peu réjouissant bien menée. Les conséquences d’une vie vide de sens et de projets sont très bien illustrées.

Un texte fort, qui en dit beaucoup en peu de lignes et décrit, on n’en doute pas, la vie de pas mal d’hommes seuls. A lire donc, même s’il faut prévoir de quoi se remonter le moral après.

Yvon Coquil / Dernier rempart, In8/Polaroïd (2023).

La somme de toutes nos larmes

Je découvre Jean-Christophe Boccou avec ce roman qui se déroule entre Paris et Haïti : La somme de toutes nos larmes.

Quelque part dans Paris la police trouve un prêtre perdu dans les rues, drogué, ayant perdu la tête. Hugo en charge de l’enquête recherche Nylah Dévereaux, dont le prêtre était le tuteur. La jeune femme, originaire d’Haïti est aujourd’hui agente de sécurité dans un supermarché en région parisienne.

Il va falloir remonter à un peu plus d’une dizaine d’année en arrière, en Haïti, pour découvrir le fin mot de l’histoire.

Sans être le polar de l’année, La somme de toutes nos larmes a de nombreux atouts qui en font une lecture agréable et instructive.

Pour commencer le mélange entre la France et Haïti est réussi. Les deux décors, les deux lieux fonctionnent. L’intrigue est bien menée. L’auteur arrive à pimenter son histoire d’une pincée de vaudou sans en faire trop et sans que cela devienne un Deus ex Machina trop facile. Et la description de la situation en Haïti est très bien faite, sans misérabilisme, sans concession, mais non sans humanité.

Donc c’est un bon polar qui se lit facilement grâce à une écriture claire et fluide, et que l’on lâche en ayant appris quelque chose. Il lui manque ce petit quelque chose, peut-être dans la construction des personnages, pour qu’il soit complètement envoutant et qu’il prenne aux tripes, mais c’est quand même du bon boulot.

Jean-Christophe Boccou / La somme de toutes nos larmes, Harper Collins/Noir (2023).

Un conte parisien violent

C’est le troisième roman de Clément Milian que je lis, et c’est à chaque fois une très belle surprise. Une fois de plus donc avec Un conte parisien violent.

Salomé, Sal, Gomme, Gamine, Salamandre … C’est la même. Une ado de 14 ans, garçon manquée, toujours sur sa planche, qui tourne sur la place Stalingrad où elle connait tout le monde. Les clodos, les paumés, les dealers. Elle y est chez elle, davantage que dans son appartement avec un père flic jamais là, une mère qui voyage et disparait des semaines sans donner de nouvelles, et une grande sœur qui a autre chose à faire que s’occuper d’elle.

D’autant plus que Sal est du genre cactus, majeur dressé et insulte à la bouche quand on veut lui donner un conseil ou seulement lui demander si ça va. Or cet été ça ne va pas fort. Ça fait vraiment trop longtemps que maman a disparu, Mamadou, son pote de la place part de plus en plus en vrille, et il fait chaud, très chaud. Et malgré tout, Sal n’a que 14 ans. Comme dit sa sœur Rose, tout ça va mal tourner.

Chapitres courts, langue qui claque, comme les reparties de Sal. Deux mois de la vie d’un microcosme, d’un lieu en train de changer. Tout cela au rythme frénétique d’une gamine virevoltante sur son skate qui n’a pas toujours conscience des risques qu’elle prend, toujours au bord de la falaise, comptant sur sa vitesse et sa vivacité pour s’en tirer.

Une gamine inoubliable, tout autant que quelques-uns des personnages qu’elle croise. On passe de l’horreur à l’enchantement, le lecteur qui voit le gouffre permanent que frôle Sal tremble et en même temps se laisse griser par son énergie.

Un texte superbe, une réussite de plus pour cet auteur. Ce serait très dommage de passer à côté.

Clément Milian / Un conte parisien violent, L’Atalante/Fusion (2023).

Shit

Je retrouve le sourire et la patate grâce au dernier roman de Jacky Schwartzmann : Shit.

Thibault est CPE dans le collège de la Planoise, banlieue difficile de Besançon. Et comme il veut changer de vie après s’être fait plaquer par celle qu’il aime, il décide, courageusement, d’habiter le quartier. Le hasard lui fait louer un appartement juste en face du four des frères Mehmeti, à savoir l’appartement qui sert d’arrière-boutique à leur trafic de shit.

C’est comme ça que, à la suite d’un règlement de compte qu’il a vécu terré dans sa chambre, il se retrouve à la tête d’un petit paquet d’argent et de 40 kilos de shit. A partager avec sa voisine Mme Ramla, comptable. Et que lui, CPE de gauche, va se retrouver bombardé chef d’entreprise, spécialisé dans le vente de drogue.

Le pied. Ca fait du bien. C’est bon, de façon marginale, parce que l’histoire tient la route. Mais c’est surtout très bon grâce à l’écriture de Jacky Schwartzmann et à l’acuité de son regard sur nos compatriotes. Et tout le monde en prend pour son grade.

Du prof révolté professionnel « seules deux choses priment réellement à ses yeux : le combat et lui-même. Frédéric aime combattre et aime surtout se regarder combattre. Persuadez-le que les tomates sont des êtres vivants comme les autres et il voudra interdire le gaspacho, il deviendra gaspachiste. »

A la végane persuadée qu’il y a des complots partout : « Heureusement […] qu’elle ne décide pas toute seule, sans quoi nous mangerions du foin et des pruneaux arrosés de jus de pissenlit. […] son cerveau reptilien a cédé la place à un cerveau waltdisneyen ? […] Elle serait capable d’interdire les documentaires animaliers parce que ces cons de tigres n’agissent pas comme elle souhaite. »

Et ce petit manuel de survie à Planoise à propos d’un pion :

« Farid ne prend pas de précaution de langage, il est dur, ferme, il chambre lorsque la situation l’exige et y va fort. C’est la seule et unique façon de se faire respecter, et se faire respecter, et se faire respecter représente la survie en milieu sinon hostile, du moins acide. L’acide de ces rues de cité où invectiver et se foutre de la gueule des autres est naturel. Si on ne charrie pas on est mort. »

Bref c’est un jubilation permanente, c’est juste et intelligent. Ce serait vraiment stupide de passer à côté.

Jacky Schwartzmann / Shit, Seuil/Cadre noir (2023).

La ligne

Jean-Christophe Tixier change de style avec un conte politique noir, La ligne.

Un village quelque part en France. Une vie tranquille, sans heurts mais non sans rancœurs. Et puis les consignes gouvernementales viennent s’appliquer ici aussi, et de nuit un traceur vient matérialiser une ligne qui passe au centre du village. Une ligne qui va vite cristalliser tous les différents et secrets plus ou moins tus jusque-là. Jusqu’au drame.

Je n’ai rien d’objectif à reprocher à ce roman, au contraire. L ‘image est bien trouvée pour décrire certains des déchirements de notre société actuelle. L’idée est ensuite bien menée, l’enchainement de réactions, de la montée de la haine est intelligemment décortiqué. Et c’est bien le cynisme de gouvernants faisant tout pour exploiter la tendance de chacun à se replier sur lui-même et à favoriser ses petits intérêts qui est dénoncé.

Pas de grand discours, mais une histoire racontée.

Et pourtant, même si je ne me suis pas ennuyé, je suis un peu déçu. Je n’ai pas retrouvé l’émotion de Effacer les hommes et surtout du roman précédent Les mal-aimés. Le coté conte philosophique et politique qui m’a certes intéressé m’a également laissé un peu de côté, m’empêchant de m’impliquer dans le récit. Plus intellectuel qu’émotionnel, plus centré sur la réflexion que sur les personnages.

Ce n’est pas ce que je préfère, à vous de vous faire une idée.

Jean-Christophe Tixier / La ligne, Albin Michel (2023).

Petits désordres

Deux toulousains, Maïté Bernard et Christophe Guillaumot se sont mis ensemble pour nous amuser avec de Petits désordres qui font du bien.

La vie de Grégoire Leroy n’est pas simple. Commandant de police à Paris, à la tête d’une brigade de répression du proxénétisme, il doit s’occuper d’un mouton, d’un yorkshire guerrier, de deux carpes et d’une fille de 20 ans très engagée qui lui reproche en permanence de se comporter comme un vieux con.

Ajoutez un chef qui veut des résultats, des prostituées qui manifestent devant ses fenêtres, et un test à passer impérativement pour prouver, justement, qu’il n’est pas un vieux con et est conscient des changements de la société en termes d’inclusion de tous ceux qu’il faudrait inclure.

Il finit d’aggraver et de compliquer son cas quand il lâche, à bout de nerfs : « On n’est pas des pédés ». Mauvaise pioche …

Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais qu’est-ce que j’ai ri ! C’est déjà rare de sourire en lisant, et j’ai souri souvent, cela l’est beaucoup plus de rire, et j’ai éclaté de rire à deux ou trois reprises. Le style est vif, c’est drôle et enlevé, on le lit sourire aux lèvres en deux temps trois mouvements.

Maïté Bernard et Christophe Guillaumot ne reculent pas devant un poil d’exagération et de caricature, mais ce n’est jamais méchant et c’est pour la bonne cause, mettre en lumière les travers de notre société, les changements nécessaires et les travers associés.

Ajoutez un regard assez acéré sur une administration qui se couvre en jetant de la poudre aux yeux, ici la police. Ceci dit, ça ressemble tant à ce que je vis dans ma propre boite que le rire se fait parfois un peu jaune.

C’est gentil mais sans concession, c’est drôle et intelligent et on passe un excellent moment. Ce serait dommage de la rater.

Maïté Bernard et Christophe Guillaumot / Petits désordres, Liana Levi (2023).

Double fond

Un roman à côté duquel j’étais passé lors de sa sortie, Double fond de l’argentine Elsa Osorio.

Marie Le Boullec, médecin à l’hôpital de Saint-Nazaire est retrouvée morte, noyée. Elle vivait seule depuis la mort de son mari, photographe, fils d’une famille connue dans la région. Muriel, jeune journaliste de la feuille de chou locale va se passionner pour cette femme dont elle va rapidement découvrir qu’elle était d’origine argentine, et que son identité avant son mariage était bien mystérieuse.

Et qui est Juana, ex guérillera de l’ERP puis montonera, ces mouvements d’extrême gauche des années 70 en Argentine victimes de la sanglante guerre sale menée par la junte de Vidella à partir de 76. Une femme qui fut prisonnière à l’école de Mécanique de sinistre mémoire, puis collabora pour sauver la vie de son fils. Héroïne ? Traitre ? C’est ce que l’on va peu à peu découvrir au travers d’une longue lettre qu’elle écrit à ce fils.

Et quel est le lien avec Marie Le Boullec ?

Attention grosse claque.

Ce n’est pas le plus important, loin de là, mais il faut quand même le dire, l’intrigue est parfaitement tricotée, tordue à souhait, vous baladant d’un côté à l’autre à vous rendre parano.

Mais ce sont surtout les personnages, et l’horreur décrite qui vont vous tordre les tripes. On a beau penser tout savoir sur la saloperie de la junte argentine, la torture, les disparus, les gamins volés, les mères de la place de Mai, la folie des militaires … le revivre décrit avec un tel talent vous remet un très grosse claque.

Et on en apprend encore. Sur la cupidité de ceux qui commandaient, sur leur arrogance, sur leur violence permanente, sur leurs tentatives pour apparaître aux yeux du monde comme des dirigeants « normaux ». Et on revit, pour les moins jeunes d’entre nous, ce mondial honteux de 78, où des foules de supporters sont allé faire la fête à moins d’un kilomètre d’un endroit où l’on pratiquait les pire tortures, certaines d’ailleurs enseignées aux argentins par des militaires français.

Un roman bouleversant, intelligent et sinistrement instructif.

Elsa Osorio / Double fond, (Doble fondo, 2017), Métailié (2018) traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry.

Le sang de nos ennemis

Cela faisait un moment que l’on n’avait pas trop de ses nouvelles, Gérard Lecas revient avec Le sang de nos ennemis.

Marseille, cet été 1962 est un sacré chaudron. Entre les pieds noirs qui débarquent en masse, le SAC, l’OAS, les trafiquants de came de la French Connection, les anciens collabos et les anciens résistants ou leurs enfants …

Le cadavre d’un algérien est retrouvé vidé de son sang, pas loin de la ville. Anthureau jeune flic, communiste, fils de résistants fait équipe avec Molinari, ancien résistant, gaulliste, membre du SAC. Une façon pour les flics locaux de se débarrasser de deux indésirables en les neutralisant. Anthureau et Molinari que tout oppose et qui pourtant vont se découvrir beaucoup plus de points communs qu’ils ne le souhaiteraient, alors qu’un deuxième cadavre apparaît et que la guerre des gangs fait des ravages.

Bienvenue à Marseille.

Je ne vais pas affirmer que c’est le roman marquant du début d’année, mais c’est du bon boulot, solide. L’ambiance, ou plutôt les ambiances sont bien rendues, que ce soit côté malfrats, anciens résistants, ou parti communiste. Les personnages sont bien campés. L’intrigue est bien menée.

Et c’est surtout le contexte historique d’une époque charnière qui est passionnant. On a beau être lecteur de polars, ne plus avoir beaucoup d’illusions sur la nature humaine et savoir qu’une guerre propre n’existe pas, une partie des saloperies décrites ici n’a pas manqué de me surprendre et de me révolter. Ce qui est positif, c’est quand on ne pourra plus être ni surpris ni révoltés qu’il faudra s’inquiéter.

Un bon polar historique.

Gérard Lecas / Le sang de nos ennemis, Rivages/Noir (2023).

Rétiaire(s)

Cela faisait un moment, le plaisir n’en est que plus grand. Voici le dernier DOA : Rétiaire(s).

Nous sommes en France (essentiellement), pendant le second confinement, celui de 2021. Théo Lasbleiz, flic des stups en congé abat devant témoins Nourredine Hadjaj, trafiquant connu des services de police. Amélie Vasseur, gendarme, s’occupe du trafic de drogue dans la région parisienne. Dans son collimateur, entre autres, un clan manouche, les Cerda.

Momo Cerda est en taule, c’est lui le cerveau. Dehors son demi-frère Manu est plus doué pour la violence que pour la réflexion, et Lola, la nièce, fait des études de droit souhaite rentrer dans les affaires familiales.

Ajoutez des rivalités entre renseignements, flics et gendarmes, une juge, des gangs concurrents et une énorme cargaison en provenance de Bolivie via l’Argentine. Secouez, servez chaud.

Facile de parler de ce bouquin. Si vous êtes fan de DOA vous allez adorer, si vous n’aimez pas, n’essayez même pas. Parce que c’est du DOA pur jus.

Dense, documenté, rythmé, sec comme un coup de trique. Il vous faudra faire un petit effort, l’auteur part du principe qu’il s’adresse à des lecteurs capables de concentration et d’attention. Et cet effort sera récompensé mille fois tant vous prendrez plaisir à suivre les différents personnages, à comprendre petit à petit les rouages des luttes, des trafics, des alliances et des rivalités.

Pas de chevalier blanc, ni chez les truands, ni chez les flics, tout le monde en prend pour son grade. Des scènes d’action réglées au millimètre, un beau travail sur la langue, un humour pince sans rire, des dialogues au cordeau, jonglant avec les niveaux de langage, et une maîtrise parfaite de l’intrigue.

Que vous dire de plus ? A garder pour une période où vous n’êtes pas fatigués. Avec une très bonne nouvelle, a priori il devrait y avoir une suite.

DOA / Rétiaire(s), Série Noire (2023).

De femme en femme

Après le Thomas Mullen il me fallait quelque chose de vif. Avec De femme en femme d’Hélène Couturier j’ai été servi.

Ilyas est Kabyle (attention, pas arabe). Il enseigne le Krav-maga. Il déteste sa pourriture de géniteur qu’il n’appelle jamais que l’enfoiré et vénère sa mère. A quarante ans, il est célibataire et tous les week-end sort à Paris, danse, et repart en général passer la nuit avec une femme différente. Si elle veut, car Ilyas est très tatillon sur ce point. Il a un immense respect pour les femmes, beaucoup plus que pour les hommes qu’il trouve assez peu malins, et il ne s’impose jamais.

Ce soir il repart avec Elodie, qui s’avère être flic. Qu’importe. Et pourtant ce soir sa vie va basculer.

Ouf, après le Thomas Mullen donc ça fait du bien. Deux cent pages (un peu moins). Ecriture vive, quelques dialogues, des paroles de chanson et la voix d’Ilyas le narrateur. Hélène Couturier trouve la distance parfaite. Ce qui commence comme une chronique se tend, petit à petit, et le malaise s’installe. Quant au final, je n’en dit rien, sinon que ça secoue.

Bref, vif, bien noir, tout ce que j’aime.

Hélène Couturier / De femme en femme, Rivages/Noir (2023).