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Menaces italiennes

Avec Menaces italiennes, Jacques Moulins continue sa série consacrée à l’équipe d’Europol en charge de lutter contre le terrorisme d’extrême droite en Europe.

L’équipe de Deniz Salvère a démantelé un réseau de truands qui pratiquaient le rançonnage informatique au profit, entre autres, des mouvements d’extrême droite dans toute l’Europe. Fort de ce succès il obtient d’installer une partie de son groupe à Gênes, pour surveiller Ettore Guidi, industriel nostalgique de Mussolini qui s’agite et agite les clubs de supporters de foot.

Dans le même temps un ex tortionnaire de Sadam Hussein que l’équipe berlinoise surveillait est assassiné dans un parc de la ville. L’enquête sur un réseau européen et d’éventuelles tentatives de déstabilisation des démocraties européenne patine, et l’existence même de l’équipe de Salvère est remise en cause au plus haut niveau d’Europol …

Je vais commencer par un avertissement, et en même temps par quelque chose qui m’a un peu gêné. Impossible de lire (à mon avis) ce volume si vous n’avez pas lu les deux précédents, ou au moins le précédent. Il y est fait constamment référence, surtout dans la première moitié, au point que j’ai eu un peu de mal ne me souvenant pas des noms de tous les protagonistes, morts ou vivants.

C’est dommage, je trouve que ça rend la lecture de la première moitié parfois laborieuse. C’est d’autant plus dommage que l’ensemble est passionnant et tristement d’actualité. Heureusement, après une mise en place pendant laquelle j’ai un peu ramé, l’intrigue se noue, on se refamiliarise avec certains faits et personnages et on se prend au récit pour ne plus pouvoir le lâcher dans la deuxième moitié.

L’analyse et la description, jamais lourdes, des mécanismes utilisés par les forces d’extrême droite dans toute l’Europe, et ici plus précisément en Italie sont impeccables. L’auteur évite l’écueil qui aurait consisté à se concentrer sur cette analyse en oubliant de construire de vrais personnages et une vraie intrigue.

A lire donc. Il faudrait juste que l’auteur veille, par la suite, à faire des romans qui nécessitent moins de souvenirs des aventures précédentes, soit en faisant de subtils rappels, soit en les décorrélant. Mais ce n’est qu’un avis personnel.

Jacques Moulins / Menaces italiennes, Série Noire (2023).

Nuages baroques

Une nouvelle ville, un nouveau personnage et deux auteurs écrivant à quatre mains : Nuages baroques de Antonio Paolacci et Paola Ronco.

Nous sommes à Gênes. Un jeune étudiant est retrouvé battu à mort sur les quais. La veille une fête en faveur du mariage pour tous c’était tenue dans le coin et le jeune homme était ouvertement homosexuel. Même si la piste d’un meurtre homophobe semble évidente, le sous-préfet de police adjoint Paolo Nigra et son équipe ne veulent écarter aucune piste.

Une enquête particulièrement délicate pour Paolo Nigra qui ne cache pas son homosexualité dans une police italienne où cela ne va pas de soi. D’autant plus délicate qu’il n’est pas génois d’origine, et que dans cette ville où les traumatismes du G20 n’ont pas disparu, certaines portes s’ouvrent difficilement aux « étrangers ».

Ce n’est pas le roman de l’année, mais c’est un début de série très prometteur.

La seule chose qui m’a gênée est un début un peu laborieux, avec quelques dialogues qui ne fonctionnent pas totalement. Impression très subjective, qui a disparu petit à petit.

Pour le reste, on est dans l’excellente tradition du polar italien actuel, tradition d’ailleurs ouvertement revendiquée avec des personnages qui font références à leurs glorieux anciens, de Giorgio Scerbanenco à Andrea Camilleri. C’est bien fait et plaisant, clin d’œil au lecteur averti.

Les personnages sont intéressants et bien mis en place, la ville de Gènes jusqu’ici peu (ou pas) représentée dans le polar bien présente, l’intrigue sans être exceptionnelle est bien menée, et le tout permet aux auteurs de décrire l’Italie actuelle sous bien des aspects, et pas seulement de traiter de l’acceptation de la sexualité de chacun, bien que la thématique soit bien évidemment au centre du roman.

Un bon départ et du vrai bon boulot à l’italienne, on sera content de retrouver prochainement (j’espère) Paolo Nigra et ses collègues.

Antonio Paolacci et Paola Ronco / Nuages baroques, (Nuvole baroccge, 2019), Rivages/Noir (2022) traduit de l’italien par Sophie Bajard.

La nuit est tombée sur nos âmes

Je vous avais averti, je continue avec les lectures pas drôles mais ô combien indispensables. La nuit tombée sur nos âmes de Frédéric Paulin.

Juillet 2001, tout ce que l’Europe compte de militants de gauche, de toutes les gauches, se dirigent vers Gênes pour manifester contre l’ordre prôné par les puissants du G8. On y trouve des anarchistes comme Nathalie, des membres de la LCR comme son copain Wag, mais aussi les mouvements plus ou moins radicaux italiens, Attac, les différents partis de gauche. Plus bien entendu la presse, comme Génovéfa Gicquel qui voit là, enfin, l’occasion de faire le métier qu’elle aime.

Côté pouvoir, Berlusconi et ses alliés fascistes entendent bien montrer au monde que la chienlit gauchiste ne viendra pas troubler le bon ordonnancement du sommet et que l’Italie est un pays d’ordre. A la manœuvre, entre autres, Franco de Carli, proche du ministre de l’intérieur, fasciste convaincu qui voit là l’occasion de mater les rouges. Chauffés à blancs par les discours, parqués au soleil dans leurs cuirasses, les flics, carabiniers et autres barbouzes n’attendent que l’étincelle pour massacrer les manifestants.

Pour qui a suivi, à l’époque, l’actualité de ces jours infâmes, il n’y a malheureusement pas de surprise dans ce roman. On ne peut cependant pas s’empêcher, même si ce n’est pas une découverte, de se sentir envahi par une immense incrédulité et une rage impuissante. Rage devant une telle impunité, rage devant le cynisme des politiques, rage devant la docilité de la majorité des médias (qui il faut le reconnaitre appartiennent en grande partie aux amis des politiques).

L’écriture est serrée, acérée même. Je trouve qu’il y a des ressemblances fortes entre les romans de Frédéric Paulin et ceux de Dominique Manotti, dans les thématiques abordées, dans l’efficacité et la clarté de l’écriture. Pas de simplification, les mouvements contestataires sont montrés dans leurs complexité, avec leurs haines, leurs rivalités, leurs raideurs doctrinaires. De même tous les flics ne sont pas des brutes primaires, mais le mécanisme qui va amener un homme « ordinaire » à se comporter en bourreau impitoyable est décrit, sèchement.

C’est d’autant plus atroce et rageant que rien, absolument rien n’a été fait suite à cette honte, dans un pays qui se prétend démocratique et qui s’est transformé, le temps de quelques jours, en une zone de non droit et de violence digne des pires dictatures sud-américaines des années 70. Pire que ça, si des leçons ont été apprises, c’est dans la façon de cadenasser, encore et toujours plus, les lieux de rendez-vous des quelques pourritures qui mènent le monde.

Une lecture indispensable, à défaut d’être aimable et agréable.

Frédéric Paulin / La nuit tombée sur nos âmes, Agullo (2021).