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Un tueur sur mesure

Revoilà Sam Millar dont on n’avait plus de nouvelle ici depuis quelque temps. Il revient avec un polar 100 % irlandais : Un tueur sur mesure.

Belfast la nuit d’halloween. Un trio de pieds nickelés décide de braquer une banque. Manque de chance, ils arrivent trop tard et l’argent a déjà été retiré du coffre. Coup de chance, un des derniers clients a en main une mallette contenant un demi-million. Voilà un casse qui rapporte.

Mais manque de chance encore, ils ont volé la personne qu’il ne fallait pas, et les flics qui les recherchent vont devenir le cadet de leurs soucis.

Si un peu de sang ne vous fait pas peur, voilà un bon polar, sec, efficace, bien mené. Des affreux très réussis, ce qui, d’après le grand Alfred est la condition numéro un pour réussir un bon polar, quelques pointes d’humour (noir l’humour), du suspense et une logique narrative implacable : pas de chevalier blanc, et ceux qui doivent mourir, même si ça fait mal au lecteur, meurent. Donc un vrai plaisir de lecture pour l’amateur de polars sévèrement burnés (les polars, pas l’amateur).

Ajoutez en prime une description sans concession de Belfast et des années post cesser le feu. Là encore, pas de chevalier blanc, pas de gentils contre des méchants. Corruption, psychopathes qui ont profité de la guerre pour lâcher leurs pires instincts, arrivistes à tous les étages et dans tous les camps … ce qui n’empêche pas une grande humanité dans la description de personnages tous plus ou moins fracassés. Et cerise sur le gâteau un bel hommage aux comics dont l’auteur, de toute évidence est un grand connaisseur, et le portrait gentiment amusé de quelques fans qui ne sont pas complètement sortis de l’adolescence.

Un vrai bon polar serré et intelligent qui vous offre quelques heures de pur plaisir de lecture.

Sam Millar / Un tueur sur mesure, (The bespoke hitman, 2018), Métailié (2021) traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal.

Ne me cherche pas demain

Je ne comprendrai jamais pourquoi, en France, les auteurs scandinaves ont tant de succès alors que les irlandais ne trouvent pas leur public. Un mystère. Toujours est-il que l’on retrouve, enfin Adrian McKinty et son flic catholique en Irlande du Nord Sean Duffy dans Ne me cherche pas demain.

Sean Duffy n’a pas la vie facile. Personne ne l’a du côté de Belfast en 1983, mais quand on est flic, irlandais, catholique, il vaut mieux vérifier sous sa voiture tous les matins qu’il n’y a pas de bombe. Quand en plus on est grande gueule et mal vu de sa hiérarchie, les choses se compliquent. C’est comme ça que Sean se fait virer et passe ses journées à boire.

Jusqu’à ce que le MI5 viennent le chercher. Dermot McCann, artificier génial de l’IRA évadé et parti s’entrainer en Lybie préparerait son retour. Dermot était à l’école avec Sean, et Sean est un bon, un très bon flic. C’est peut-être le seul qui a une chance de le retrouver avant qu’il ne frappe un grand coup. Plus au sud, Thatcher est en train de briser les mouvements ouvriers, dockers et mineurs.

Que ça fait du bien de retrouver la littérature noire irlandaise. Cette façon unique de décrire les pires horreurs en gardant lucidité désespérée, humanité et sens de l’humour. Ca m’avait manqué depuis qu’Adrian McKinty et l’immense Ken Bruen n’étaient plus traduits chez nous. Espérons que cette parution tardive marche bien et qu’elle redonne l’envie aux éditeurs (et surtout aux lecteurs) d’aller regarder du côté de l’Irlande. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une telle sortie que l’on mesure à quel point les blogs ont une influence nulle sur les chiffres de vente, sinon Ken Bruen serait la star des tables de libraires.

Bref, une excellente intrigue, à double détente, mais je vous la laisse découvrir, des personnages que l’on adore, Sean Duffy en tête et la peinture de l’horreur d’une guerre que l’on a déjà oubliée, mais également celle de la misère sociale de l’Irlande du Nord. La connerie des argumentaires des uns et des autres (la visite d’un membre du clan Kennedy est à ce titre particulièrement réussie), la connerie encore plus grande d’une répression aveugle qui précipite des jeunes dans les rangs de l’IRA par brassées, et les petites pourritures qui, là comme ailleurs, profitent des plus faibles pour les exploiter.

Bref, du grand roman noir, désespéré et pourtant pas désespérant, du 100 % irlandais, comme je les adore. Encore !

Adrian McKinty / Ne me cherche pas demain, (In the morning I’ll be gone, 2014), Actes Sud/ Actes Noirs (2021) traduit de l’anglais (Irlande) par Laure Manceau.

Stuart Neville change de personnage.

L’Irlandais Stuart Neville abandonne le personnage hardboiled de Jack Lemon pour mettre en scène une nouvelle enquêtrice dans Ceux que nous avons abandonnés.

NevilleCiaran Devine va sortir de prison. Il vient d’y passer 7 ans, condamné à l’âge de 12 ans pour le meurtre de l’homme chez qui lui et son frère Thomas avaient été placés après la mort de leur mère.

Dès qu’elle le voit, Paula Cunningham, son agente de probation a des doutes sur sa culpabilité, doutes qu’elle partage avec Serena Flanagan qui avait mené l’enquête. Les deux femmes sont convaincus que c’est en fait son frère le meurtrier tant Ciaran semble sous l’emprise de Thomas. Leur enquête va remuer des souvenirs et des traumatismes qui risquent de créer de nouveaux drames.

Avec ce nouveau personnage Stuart Neville s’éloigne du thriller avec réminiscences des luttes armées d’Irlande du Nord. Les lecteurs de polars qui commencent à avoir des cheveux blancs se souviennent peut-être de Jeux d’enfants de l’anglais Jonathan Trigell, paru au début des années 2000 à la série noire où l’on suivait également la sortie de prison d’un jeune condamné vers 13, 14 ans pour un acte atroce. C’est à cela que l’on pense en commençant ce roman, avec le harcèlement de la presse pourrie et la peur de se retrouver dehors pour un gamin qui a passé son adolescence en prison.

Mais très vite l’auteur quitte ce point de vue pour axer son intrigue sur le doute, et la relation compliquée et vénéneuse entre les deux frères. Si on y perd peut-être une réflexion sur notre société du spectacle et du voyeurisme, et sur la possibilité d’une rédemption, il faut reconnaitre que l’auteur est très efficace et accroche son lecteur tout au long de son histoire.

En résulte un excellent suspense, surprenant et sensible et deux beaux portraits de femmes qui luttent dans un monde très masculin. Très recommandable donc et à suivre si Rivages poursuit les traductions de cette série (il y en a un deuxième en anglais).

Stuart Neville / Ceux que nous avons abandonnés (Those we left behind, 2015), Rivages / Noir (2019), traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau.

Superbe rentrée irlandaise

C’est le premier bouquin de la rentrée (pour moi) : Smile de l’irlandais Roddy Doyle.

DoyleVictor Forde a été un des personnages en vue du miracle irlandais. Pendant quelques années, il a publié une poignée de chroniques, a été invité à la radio, a été un de ceux dont on parle. Entre autre à cause de son mariage avec la très belle et très célèbre Rachel Carey, son grand amour, dont il vient de se séparer.

Aujourd’hui il est retourné dans un quartier populaire de Dublin, il essaie de se remettre à l’écriture et traine, le soir, dans le pub proche de son appartement. Il tente de se refaire des potes de bar, tranquillement. Jusqu’à ce que Ed Fitzpatrick le trouve. Un ancien de son collège catholique. Victor ne se souvient plus de Ed, mais, petit à petit, il va se souvenir des années du collège, de la violence des religieux, de ce qu’il a subi. Tout le passé, proche mais aussi plus lointain va lui exploser à la figure.

Le nom de Roddy Doyle ne me disait rien, jusqu’à ce que je vois qu’il était l’auteur de trois romans excellents, devenus des films caractéristiques de l’irish touch : The commitments, The Van, The Snapper. Donc je m’apprêtais à lire un bouquin à la dent dure mais plutôt drôle, avec des histoires de potes, de bière, avec des rires et des larmes.

Perdu, on est ici dans un tout autre registre. Beaucoup plus intime, plus subtil et plus mélancolique. On suit, au travers des souvenirs de Victor, le miracle irlandais vu par quelqu’un qui en faisait partie, sans jamais en être dupe. Qui a profité un temps avec en permanence l’impression d’être un imposteur. Qui semble avoir toujours gardé dans un coin de sa tête l’impression d’avoir lâché les copains, de les avoir abandonnés. Et au travers du vécu de Victor qui, du temps de son éphémère gloire a joué les provocateurs c’est une Irlande encore étouffée par le poids de l’église malgré ses allure de modernité que décrit l’auteur.

C’est fin, léger, on ne voit pas toujours où l’auteur veut en venir, entre souvenirs de la vie dorée et de son amour éperdu pour Rachel, et retours sur les traumatismes du collège des religieux, mais un malaise s’installe insidieusement pour le lecteur.

Et puis, et puis … Et puis les dernières pages vous retournent comme un crêpe, vous coupent le souffle et donnent une toute autre force à l’ensemble. Il serait impardonnable d’en dire plus, mais allez-y, lisez tranquillement, profitez de cette description de l’Irlande, puis prenez-vous la claque finale.

Roddy Doyle / Smile (Smile, 2017), Joelle Losfeld (2018), traduit de l’anglais (Irlande) par Christophe Mercier.

Blues irlandais

Un nouveau venu, irlandais, chez Rivages. Un blues : Killarney Blues de Colin O’Sullivan.

OSullivanKillarney, ville emblématique du Ring of Kerry, dans la verte Irlande. Killarney, son lac, ses pubs, sa musique. Bernard Dunphy est un peu inadapté, timide, solitaire. Avec sa calèche il promène les touristes et leur raconte des histoires. Comme son père avant lui. Il est amoureux de la belle Marian, mais n’ose rien lui dire.

Pour lui parler, il a le blues, appris de son père mort depuis des années. Chez lui, seul, il joue, joue et joue encore sur sa guitare, et il enregistre des cassettes pour Marian.

Bernard a un seul ami, depuis l’enfance, Jack, tout son contraire. Joueur de foot brutal, tombeur de ces dames, souvent violent, souvent saoul. Et pourtant, ils se retrouvent tous les soirs au pub, devant une Guiness.

Jusqu’à ce qu’une nuit de tempête, un drame vienne révéler d’anciennes blessures.

Je suis assez d’accord avec Yan, et plus indulgent que Christophe.

Killarney Blues n’est pas un roman pour les amateurs de thrillers. Ni de suspense ou d’énigmes. C’est vrai qu’on ne comprend pas forcément les ressorts de la violence du roman, que les motivations des deux tabassages ne sont pas vraiment claires.

Mais c’est pour son ambiance et la description de la ville de Killarney que j’ai apprécié ce roman bluesy. Pour ce personnage central un peu décalé, pour son amour pour sa ville et le blues. Pour l’ambiance du pub, pour la belle description d’une soirée musicale. Parce que l’auteur a très bien su rendre le bonheur de tout le monde quand il y a un jour de soleil. Parce qu’on y touche du doigt la détresse, la tristesse, mais aussi les moments de joie.

Finalement, Killarney Blues porte bien son nom. On est dans quelque chose de connu, 12 mesures et 3 accords, Colin O’Sullivan n’est pas le nouveau Muddy Waters du polar irlandais, il n’a pas l’humour désespéré et la force de Ken Bruen ou la puissance d’évocation de Stuart Neville, mais sa musique est agréable, le temps d’une lecture. Et j’essaierai le prochain.

Colin O’Sullivan / Killarney Blues (Killarney Blues, 2013), Rivages (2017), traduit de l’anglais (Irlande) par Ludivine Bouton-Kelly.

Karl Kane affronte son cauchemar

Sam Millar est devenu un habitué du paysage polar, et c’est tant mieux. Il remet en scène son privé Karl Kane dans Au scalpel.

MillarLes affaires roulent pour Karl Kane, privé à Belfast. Ses relations avec le police restent exécrables, et il continue à se mettre dans des situations impossibles, en allant par exemple tabasser un ponte de la pègre londonienne, aussi bête et lâche que méchant, qui était en train de cogner sur Lipstick, jeune prostituée camée que Karl s’est juré de protéger.

Mais tout cela n’est rien quand il s’avère qu’une gamine a été enlevée, et qu’elle pourrait bien l’avoir été par le pire cauchemar de Karl, l’homme qui a assassiné sa mère, Walter Arnold. Une dernière confrontation semble inévitable.

Vous voulez un vrai privé actuel, ancré dans sa ville, mal embouché, dur à cuire et dur au mal, méchant comme une teigne avec les pourris, cœur d’artichaut avec les plus faibles, amoureux d’une beauté coriace, à la répartie qui fait mouche et en conflit avec les flics ? Vous voulez qu’il explore les côtés les plus sombres de sa ville et qu’il lutte contre ses fantômes ? Vous voulez une ambiance qui vous fasse rire, rager, ou trembler comme devant les grands films noirs ? Vous aimez les références aux grands anciens ?

Facile, lisez Au scalpel de Sam Millar, vous aurez tout ça.

Sam Millar / Au scalpel (Past darkness, 2015), Seuil/Cadre noir (2017), traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal.

Pas emballé par le duel de faussaires

Des faussaires, un duel démoniaque annoncé, je suis entré dans ce Duel de faussaires de Bradford Morrow en me disant que j’allais m’amuser. Raté pour moi.

morrowLe narrateur est faussaire. Il ne fabrique pas de faux billets, ni de faux tableaux, mais de fausses dédicaces sur des premières éditions, ou de fausses lettres d’auteurs célèbres. Son champ d’action préféré ? Le XIX ° et plus particulièrement Sir Conan Doyle. Mais le narrateur a été dénoncé par un inconnu qui le menaçait depuis quelque temps, il a négocié avec ses victimes, a échappé à la prison et s’est retiré des affaires.

Jusqu’au jour où son beau-frère, Adam Diehl, bibliophile et faussaire assez médiocre est assassiné, et a les deux mains coupées. Peu de temps après, l’anonyme se manifeste de nouveau, et il va bien devoir l’affronter, quitte à devoir reprendre la plume au risque de perdre Meghan, la femme qu’il aime.

Raté donc pour moi.

Première raison, je ne suis pas du tout collectionneur, ni bibliophile, je me contrefiche de l’édition des bouquins que j’ai, je les prête (et je ne sais plus qui les a), je les rachète, je les retrouve. Bref, le monde très feutré et spécialisé du roman ne me parle guère.

Ensuite je n’ai pas cru à l’histoire, au méchant, aux rebondissements. La violence présente est très forcée et je n’ai pas cru un instant aux motivations et aux agissements des différents protagonistes. Donc je finis frustré.

Et puis j’ai trouvé qu’il y avait de sacrées longueurs. Le narrateur est amoureux. Soit. Il le dit, le répète, dis combien il l’aime, combien elle est belle et patati, et patata. Mais pas une once de sensualité dans l’écriture, et à part le fait que Meghan est rousse, rien, que pouic sur la femme aimée. Du coup c’est long, plutôt plat et répétitif.

Et les pages sur les pleins et les déliés … Ben j’avoue que j’ai sauté des paragraphes une fois constaté qu’il n’y avait pas là d’indices cachés.

Donc raté, j’attendais un roman vif et pétillant, je l’ai trouvé lourd et ennuyeux, long même alors que pourtant j’ai sauté des passages entiers.

Bradford Morrow / Duel de faussaires (The forgers, 2014), Seuil/Policiers (2017), traduit de l’anglais (USA) par Philippe Loubat-Delranc.

Le retour de Jack Lennon de Belfast

Je suis fan des premiers romans de l’irlandais Stuart Neville. Je n’avais pas été convaincu par son roman historique Ratlines. Il revient avec son personnage de flic cabossé dans Le silence pour toujours. Je redeviens fan.

le silence pour toujours.inddRevoilà donc Jack Lennon, suspendu après une fusillade contre un flic ripoux, boitant bas, et accro aux analgésiques (voir Les âmes volées). Il essaie de profiter de sa fille, et vivote, en attendant de voir s’il pourra recevoir une pension ou si les affaires internes vont le clouer au pilori.

C’est alors que Rea Carlisle, une ex, l’appelle : Elle vient de découvrir dans la maison d’un oncle décédé un album atroce, preuve que l’homme a tué et torturé pendant des années. Sa mère et son père ne veulent rien dire à la police pour ne pas nuire à la brillante carrière politique monsieur Carlisle. Le temps qu’un Jack sceptique vienne la voir, l’album a été volé. Peu après sa visite, Rea est sauvagement assassinée, et Jack est le dernier à avoir été vu entrant chez elle …

On retrouve donc le Jack Lennon et le Stuart Neville teigneux des premiers romans. Il y a du Jack Taylor dans ce Jack de Belfast ! Il va de plus en plus mal, chaque jour qui vient lui apporte son nouveaux lot d’emmerdes, toutes plus graves les unes que les autres, ses ennemis triomphent auprès des puissants et lui paraît de plus en plus minable mais … mais il ne lâche rien, jamais.

Et c’est pour ça qu’on l’aime. Une histoire bien noire, avec une vraie tendresse pour les perdants qui se battent. Une corruption partout présente, des politiques sans morale et sans âme, des flics toujours prêts à se vendre. Mais aussi des irréductibles, des gens qui souffrent, des pions qui ont été manipulés, et ont tout perdu, sauf la dignité, et qui ont des mouvements de révolte et d’humanité.

Du bon vrai roman noir irlandais comme on l’adore ! Vivement le prochain.

Stuart Neville / Le silence pour toujours (The final silence, 2014), Rivages/Thriller (2017), traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau.

Privé dur à cuire à Belfast

J’aime en général les romans de Sam Millar. Mais je n’avais pas accroché avec le second de la série Karl Kane, Le cannibale de Crumlin Road. Je raccroche avec le troisième Un sale hiver.

MillarL’hiver est rude à Belfast. Neige, froid, ciel bas, jours courts … Sale temps pour tout le monde, y compris pour Karl Kane et Naomi son amante et secrétaire. Un sale temps qui va encore se gâter quand une main coupée atterrit sur leur palier, entre le journal et la bouteille de lait. Comme c’est la deuxième main trouvée à Belfast, contre l’avis de la police, Karl pense à un tueur en série. Appâté par la promesse de récompense proposée par un riche industriel à quiconque trouve qui coupe des mains dans la ville, Karl commence à fouiner.

Dans le même temps il est embauché par une jeune femme qui désire retrouver un oncle disparu. Bien que peu convaincu par son histoire, il accepte l’affaire. Il va bien entendu se retrouver au milieu d’un nid de serpents, pris dans une vieille histoire de vengeance, de flics pourris et de justice véreuse.

J’avais bien aimé le premier Karl Kane, décroché au second, j’aime ce troisième qui se revendique ouvertement de la veine hard-boiled à l’ancienne, avec privé coriace à la répartie assassine, références aux films noirs (tous les titres de chapitres sont des titres de film) et de très nombreuses citations de Raymond Chandler en exergue des chapitres.

On retrouve ce plaisir à l’ancienne, avec de belles femmes, un privé qui envoie balader la police, qui prend des coups mais ne lâche jamais, de l’humour, du suspense … Et la description d’une société pourrie jusqu’à la moelle. C’est classique mais quand ça marche c’est le pied, et là ça marche.

Les curés de toutes confessions, les politiciens démagogues et les flics ripoux en prennent pour leur grade, on suit les aventures de Karl avec la rage et le sourire. Que demander de plus ?

Sam Millar / Un sale hiver (Dead of winter, 2012), Seuil/Policiers (2016), traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal.

Un Stuart Neville historique

Stuart Neville laisse de côté son flic irlandais, Jack Lennon. Avec Ratlines, il revient sur le passé récent, et pas toujours reluisant de l’Irlande.

RATLINES.indd1963, trois anciens nazis qui ont trouvé refuge en Irlande sont trouvés assassinés. Une affaire qui embête beaucoup le gouvernement, peu fier de ses sympathies l’Allemagne hitlérienne, à la veille de la visite du Président Kennedy. Sur le dernier cadavre, un message est adressé au colonel Otto Skorzeny, ancien commando d’Hitler, qui vit très bien à Dublin, invité par les plus grandes fortunes du pays. Le ministre de la justice, ami d’Otto, charge Albert Ryan, des services secrets irlandais, qui a combattu avec les anglais durant la guerre, de faire la lumière sur cette affaire de la manière la plus discrète possible.

Ryan va se retrouver face à des choix douloureux, entre les ordres qu’on lui donne et l’horreur que lui inspire la personne qui tire les ficelles de son ministre. Et il n’a pas encore conscience du nid de serpents qui l’attend.

J’ai beaucoup aimé, vraiment beaucoup les premiers romans de Stuart Neville traduits en français. Et j’avais très envie d’être aussi enthousiaste avec ce dernier. Et puis non.

Le fond historique est passionnant et j’y ai appris quantité de choses. Pas que les nazis étaient des affreux, ça on le sait. Je savais aussi vaguement que, partant de l’imbécillité trop répandue disant que « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » certains irlandais avaient eu des sympathies pour l’Allemagne hitlérienne juste parce qu’ils étaient en guerre contre les anglais. Mais je ne savais pas que c’était à ce point, que des filières pour extrader les nazis étaient passées par l’Irlande, que certains personnage peu recommandables y étaient restés. Je ne connaissais pas non plus le lien avec les bretons bretonnants … Bref passionnant historiquement.

Par contre j’ai eu un peu de mal avec la partie littéraire : Une intrigue parfois tirée par les cheveux, et surtout, je ne suis pas parvenu à m’intéresser aux personnages qui m’ont semblé manquer singulièrement de chair, d’émotions et de tripes. Seul le ministre irlandais corrompu et tordu m’a bien plu, seul ce personnage est un peu complexe. Les autres sont vraiment trop rapidement esquissés ou même trop caricaturaux à mon goût.

Alors certes, comme le fond est très intéressant, j’ai lu le roman sans déplaisir, mais j’aurai aimé être beaucoup plus enthousiaste. Comme si l’auteur avait été trop centré sur la réalité historique pour donner vie aux personnages inventés et soigner son intrigue. Dommage.

Stuart Neville / Ratlines (Ratlines, 2013), Rivages/Thriller (2015), traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau.