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Le dernier loup

Un nouvel auteur sicilien chez Gallmeister. Corrado Fortuna : Le dernier loup.

Tancredi Pisciotta, 40 ans, revient passer quelques jours dans le village de Piano Battaglia en pleine montagne sicilienne pour se souvenir de son frère qui vient de décéder d’un cancer foudroyant. Et réfléchir à sa vie. Une méditation mise à mal quand, dès le premier jour, il tombe sur le corps d’un jeune berger marocain mourant. Il réussit à le faire amener à l’hôpital mais se retrouve malgré lui pris dans un réseau de secrets et de malveillances. Autant de choses qu’il n’avait pas perçues pendant son enfance et qui vont remonter à la surface.

Ce n’est pas un roman exceptionnel mais c’est un très joli texte, qui fait la part belle au paysage majestueux de la région. Beaucoup de belle descriptions, émouvantes, avec la présence fantasmée ou non (je vous laisse la surprise) du loup qui vient pimenter le récit et apporter une touche sauvage.

L’intrigue est bien menée, l’isolement de cette région, que certains subissent et que d’autres recherchent est bien décrit et les personnages sont attachants, gardant longtemps une part de mystère. Une lecture très agréable et une belle incursion dans une Sicile de l’intérieur très différente de celle de Camilleri.

Corrado Fortuna / Le dernier loup, (L’ultimo lupo, 2021), Gallmeister (2023) traduit de l’italien par Anita Rochedy.

Je suis le châtiment

Giancarlo De Cataldo s’est de toute évidence amusé à créer un nouveau personnage de procureur amateur d’opéra dans Je suis le châtiment. Le lecteur s’amuse aussi.

Manrico Spinori, aristocrate désargenté (par la faute d’une mère qui joue), amateur d’opéra, divorcé, est procureur. Il règle de nombreuses affaires courantes. Jusqu’à la mort de Mèche d’or, ancienne gloire de la pop italienne du siècle dernier qui sévit dans la Nouvelle Star. Passé les premières réactions qui ne parlent que de son charisme et de son talent, c’est un tout autre portrait qui émerge, et les coupables potentiels se multiplient.

Changement de ton par rapport au Giancarlo De Cataldo de Romanzo Criminale ou Suburra. Dans Je suis le châtiment, contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, le ton est plus léger. L’auteur s’amuse, et comme il a du talent, le lecteur aussi.

Cela tient pour commencer à son personnage principal (que l’on retrouvera peut-être ?). En partie détaché de son temps, il ne conduit pas, n’a aucune présence sur les réseaux sociaux, et vit dans un palais qui ne lui appartient plus depuis que sa mère l’a perdu au jeu. Son métier l’amène à être tous les jours avec des flics et des délinquants, à assister à des autopsies, mais chez lui un vieux serviteur l’appelle « petit comte ». Un personnage qui permet à son auteur de manier avec brio l’ironie et un certain détachement.

Mais cela serait vain et rapidement lassant s’il n’y avait pas aussi de très beaux personnages secondaires, une intrigue où De Cataldo multiplie les fausses pistes jusqu’à la révélation finale (que le lecteur un peu aguerri aura quand même anticipée, mais cela n’enlève rien au plaisir de la lecture).

Et mine de rien, au travers d’une histoire enlevée, sans y paraitre, c’est bien la société romaine qui est la toile de fond de ce polar fort divertissant. Un vrai plaisir, on aimerait bien avoir une suite.

Giancarlo De Cataldo / Je suis le châtiment, (Io sono il castigo, 2020), Métailié (2023) traduit de l’italien par Anne Echenoz.

Péché mortel

Carlo Lucarelli remonte le temps avec son personnage de flic, le commissaire De Luca que l’on retrouve à la fin de la guerre dans Péché mortel.

Eté 1943, étrange période à Bologne. La guerre sévit, les bombardements alliés font des victimes, les fascistes sont chassés du pouvoir, puis les allemands s’installent. Comment s’y retrouver ? le commissaire De Luca s’en fiche. Lui il est policier et il cherche la vérité. Lors de l’arrestation d’un trafiquant du marché noir il tombe sur un corps sans tête. Et plus tard, quand il la trouve, la tête, mais ce n’est pas la bonne.

Alors que toute sa hiérarchie lui dit de laisser tomber, qu’il y a des morts tous les jours à cause de la guerre, lui s’obstine. Il est flic, il a deux meurtres, il faut trouver les coupables. Quoi que cela lui coûte.

Carlo Lucarelli n’est pas le premier à mettre en scène un flic obstiné qui veut rendre justice à la victime d’un meurtre alors qu’autour les morts s’accumulent dans l’indifférence générale. Patrick Pécherot dans Tranchecaille, ou Ernesto Mallo dans L’aiguille dans une botte de foin l’ont fait avant lui, pour ne parler que d’eux.

Mais ce n’est pas parce que ce n’est pas nouveau que ce n’est pas bien. A son tour l’auteur italien met parfaitement en scène l’obstination d’un homme qui, dans l’absurdité et l’arbitraire du chaos se raccroche à son boulot, en faisant abstraction de tout le reste.

C’est ici toute la force et toute l’ambiguïté de son personnage, qui n’est pas fasciste, qui, on le sent, n’approuve pas le fascisme … mais qui ne s’y oppose pas non plus, même quand il se sent très mal à l’aise. Il fait son boulot, parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il se fiche que les victimes ne comptent pas aux yeux de ses collègues, il se fiche d’atteindre des personnes dangereuses car très haut placées. Il fait son boulot.

Excellente enquête, personnage intéressant, et bien entendu, tout autour cette période que je connaissais fort mal de la fin de la guerre dans le nord de l’Italie.

Un roman passionnant.

Carlo Lucarelli / Péché mortel, (Peccato mortale, 2018), Métailié (2023) traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

Menaces italiennes

Avec Menaces italiennes, Jacques Moulins continue sa série consacrée à l’équipe d’Europol en charge de lutter contre le terrorisme d’extrême droite en Europe.

L’équipe de Deniz Salvère a démantelé un réseau de truands qui pratiquaient le rançonnage informatique au profit, entre autres, des mouvements d’extrême droite dans toute l’Europe. Fort de ce succès il obtient d’installer une partie de son groupe à Gênes, pour surveiller Ettore Guidi, industriel nostalgique de Mussolini qui s’agite et agite les clubs de supporters de foot.

Dans le même temps un ex tortionnaire de Sadam Hussein que l’équipe berlinoise surveillait est assassiné dans un parc de la ville. L’enquête sur un réseau européen et d’éventuelles tentatives de déstabilisation des démocraties européenne patine, et l’existence même de l’équipe de Salvère est remise en cause au plus haut niveau d’Europol …

Je vais commencer par un avertissement, et en même temps par quelque chose qui m’a un peu gêné. Impossible de lire (à mon avis) ce volume si vous n’avez pas lu les deux précédents, ou au moins le précédent. Il y est fait constamment référence, surtout dans la première moitié, au point que j’ai eu un peu de mal ne me souvenant pas des noms de tous les protagonistes, morts ou vivants.

C’est dommage, je trouve que ça rend la lecture de la première moitié parfois laborieuse. C’est d’autant plus dommage que l’ensemble est passionnant et tristement d’actualité. Heureusement, après une mise en place pendant laquelle j’ai un peu ramé, l’intrigue se noue, on se refamiliarise avec certains faits et personnages et on se prend au récit pour ne plus pouvoir le lâcher dans la deuxième moitié.

L’analyse et la description, jamais lourdes, des mécanismes utilisés par les forces d’extrême droite dans toute l’Europe, et ici plus précisément en Italie sont impeccables. L’auteur évite l’écueil qui aurait consisté à se concentrer sur cette analyse en oubliant de construire de vrais personnages et une vraie intrigue.

A lire donc. Il faudrait juste que l’auteur veille, par la suite, à faire des romans qui nécessitent moins de souvenirs des aventures précédentes, soit en faisant de subtils rappels, soit en les décorrélant. Mais ce n’est qu’un avis personnel.

Jacques Moulins / Menaces italiennes, Série Noire (2023).

Le tueur au caillou

Dès son premier roman traduit, Alessandro Robecchi s’est affirmé comme une auteur italien à suivre, et à d’ailleurs gagné le prix Violeta Negra décerné lors de Toulouse polars du Sud. Avec ce troisième roman Le tueur au caillou, il confirme qu’il est un grand du polar italien qui compte quelques maestros.

Un boucher « de luxe », propriétaire de plusieurs boucheries très connues à Milan est abattu dans la rue, un soir. Le tueur a laissé un caillou sur le cadavre. L’homme était inconnu des services de police, aimé de tous, il payait ses impôts … Un grand mystère. C’est ensuite un promoteur en vue qui est abattu, avec une autre arme, mais toujours avec un caillou. Lui par contre avait quelques casseroles, mais surtout des appuis politiques puissants.

La grande bourgeoisie milanaise à peur, les journaux en font des tonnes, et Flora de Pisis, la grande prêtresse de l’émission bien putassière de notre ami producteur Carlo Monterossi ne reculera devant aucune vulgarité pour faire de l’audience et faire pleurer dans les chaumières.

De leur côté, les flics milanais, à la tête desquels se trouvent le brigadier Carella et le sous-brigadier Ghezzi que les habitués de l’auteur milanais connaissent déjà sont dessaisis de l’enquête au profit d’un grand cirque romain et d’un profileur israélien. Dessaisis ne veut pas dire inactifs, et Carlo, comme toujours, va se retrouver mêlé à l’affaire.

Alessandro Robecchi s’améliore de roman en roman, et pourtant le premier était déjà très bon. Là on passe au niveau supérieur. Il reste l’écriture vive et l’humour qui vient teinter le désespoir de plus en plus grand de Carlo et des flics. La critique de la société, jamais pesante, se fait impitoyable. Les médias, le grand cirque des réseaux sociaux sont cloués au pilori sans jamais tomber dans la leçon pesante.

Le sort des plus humbles est au centre du roman, sans pathos, sans angélisme, avec une tendresse et une humanité qui vous prend aux tripes. La morgue de ceux à qui la vie a tout donné est décrite d’une manière éclatante, d’autant plus que c’est ici au travers d’un personnage inoubliable.

Décidément un très grand auteur, un des maîtres du polar italien pourtant très riche. Et bonne nouvelle pour ceux qui n’ont pas lu les deux premiers, ils se lisent, pour l’instant, tous indépendamment, même s’il est parfois fait allusion aux romans précédents.

A lire absolument.

Alessandro Robecchi / Le tueur au caillou, (Torto marcio, 2017), l’aube noire (2023) traduit de l’italien par Paolo Bellomo et Agathe Lauriot dit Prévost.

Nuages baroques

Une nouvelle ville, un nouveau personnage et deux auteurs écrivant à quatre mains : Nuages baroques de Antonio Paolacci et Paola Ronco.

Nous sommes à Gênes. Un jeune étudiant est retrouvé battu à mort sur les quais. La veille une fête en faveur du mariage pour tous c’était tenue dans le coin et le jeune homme était ouvertement homosexuel. Même si la piste d’un meurtre homophobe semble évidente, le sous-préfet de police adjoint Paolo Nigra et son équipe ne veulent écarter aucune piste.

Une enquête particulièrement délicate pour Paolo Nigra qui ne cache pas son homosexualité dans une police italienne où cela ne va pas de soi. D’autant plus délicate qu’il n’est pas génois d’origine, et que dans cette ville où les traumatismes du G20 n’ont pas disparu, certaines portes s’ouvrent difficilement aux « étrangers ».

Ce n’est pas le roman de l’année, mais c’est un début de série très prometteur.

La seule chose qui m’a gênée est un début un peu laborieux, avec quelques dialogues qui ne fonctionnent pas totalement. Impression très subjective, qui a disparu petit à petit.

Pour le reste, on est dans l’excellente tradition du polar italien actuel, tradition d’ailleurs ouvertement revendiquée avec des personnages qui font références à leurs glorieux anciens, de Giorgio Scerbanenco à Andrea Camilleri. C’est bien fait et plaisant, clin d’œil au lecteur averti.

Les personnages sont intéressants et bien mis en place, la ville de Gènes jusqu’ici peu (ou pas) représentée dans le polar bien présente, l’intrigue sans être exceptionnelle est bien menée, et le tout permet aux auteurs de décrire l’Italie actuelle sous bien des aspects, et pas seulement de traiter de l’acceptation de la sexualité de chacun, bien que la thématique soit bien évidemment au centre du roman.

Un bon départ et du vrai bon boulot à l’italienne, on sera content de retrouver prochainement (j’espère) Paolo Nigra et ses collègues.

Antonio Paolacci et Paola Ronco / Nuages baroques, (Nuvole baroccge, 2019), Rivages/Noir (2022) traduit de l’italien par Sophie Bajard.

Almost blue

J’ai profité de la venue de Carlo Lucarelli à Toulouse polars du Sud, d’où il est reparti avec le prix Violeta Negra pour Une affaire italienne pour acheter un de ses anciens romans que je n’avais pas encore lu : Almost blue.

Simon est aveugle. Dans sa mansarde il suit tout ce qui se passe dans sa ville de Bologne grâce à ses scanners qui espionnent les fréquences de la police mais également pas mal de conversations privées. Et il écoute du jazz, avec une prédilection pour la version de Chet Baker d’Almost Blue.

De son côté l’inspectrice Grazia Negro doit convaincre sa hiérarchie que les différents meurtres d’étudiants plus ou moins paumés qui ont eu lieu dans la ville ces derniers mois sont liés, et qu’il y a un tueur en série en liberté à Bologne.

Un assassin que Simon a repéré au hasard de ses écoutes.

Encore un sérial killer me direz-vous. Certes, mais à la sauce Carlo Lucarelli.

Bologne est au centre du propos, avec une attention toute particulière aux voix de la ville, mais également la description de ses lieux les plus mystérieux et la multitude de ses habitants. Côté personnages, celui de Grazia permet la mise en lumière de ce que doit subir une jeune femme qui travaille dans la police, entre machisme assumé et fausse empathie condescendante.

La construction éclatée particulièrement efficace donne du rythme et des changements de rythmes au récit. Et puis les sons, les voix et la musique, omniprésente, magnifiquement décrite, qui vous donne immédiatement envie d’aller réécouter le grand Chet.

Un récit de serial killer donc, mais original et à découvrir.

Carlo Lucarelli / Almost blue, (Almost blue, 1997), La Noire (2001) traduit de l’italien par Arlette Lauterbach.

Nocturne pour le commissaire Ricciardi

Pour tous les fans, une excellente nouvelle, la sortie chez Rivages d’un nouveau Maurizio De Giovanni, Nocturne pour le commissaire Ricciardi.

Vinnie Sannino, Vinnie le Serpent, a émigré aux US où il est devenu champion du monde poids moyens. Un champion acclamé par le Duce. Puis, par accident, Vinnie a tué son dernier adversaire sur le ring, un nègre. Et depuis Vinnie ne veut plus combattre, pour la grande honte du pouvoir fasciste qui le traite de lavette. Pire que tout, Vinnie revient à Naples, ville qu’il a quitté à 16 ans, il vient retrouver son amour d’adolescence, celle pour qui il est parti chercher fortune en Amérique.

Malheureusement, Cettina est mariée. Fou de douleur, complètement saoul, Vinnie menace son mari. Qui se fait tuer, après un tabassage en règle la nuit suivante. Pour le pouvoir fasciste, l’assassin est évident, d’autant plus qu’il a « humilié » l’Italie. Pourtant pour le commissaire Ricciardi et le brigadier Maione les choses sont moins évidentes.

Une longue semaine d’enquête, dans la pluie et le froid, alors que chacun de son côté a ses propres soucis et ses propres inquiétudes.

Ce n’est pas un mystère, je suis en fan absolu, inconditionnel de Maurizio De Giovanni et de ses personnages évoluant dans la Naples fasciste. C’est une fois de plus un bonheur absolu de retrouver Ricciardi, Maione, Bambinella, le docteur Moro, Enrica et tous les autres.

Une fois de plus avec Ricciardi, l’auteur va vous briser le cœur, une fois de plus vous allez marcher, tête nue dans les rues et les ruelles de Naples. Vous découvrirez un peu du passé de Maione, vous allez être confronté à l’enfer de Ricciardi, vous allez côtoyer des femmes sublimes, vous allez rire de la bêtise des supérieurs de nos deux flics préférés, sourire avec les réparties acerbes du légiste (ça à l’air d’être une constance en Italie si on en croit De Giovanni et Camilleri), l’exubérance de Bambinella, les fausses colères de Maione …

Du bonheur, que du bonheur. Mais un bonheur qui laisse parfois un goût bien amer quand on voit les partis qui arrivent au pouvoir en Italie, et pas seulement en Italie.

Maurizio De Giovanni / Nocturne pour le commissaire Ricciardi, (Serenata sensa nome. Notturno per il commissario Ricciardi, 2016), Rivages/Noir (2022) traduit de l’italien par Odile Rousseau.

La maligredi

La maligredi, nouveau roman de Gioacchino Criaco emprunte visiblement à ses propres souvenirs d’enfance et d’adolescence. Une nouvelle réussite de l’écrivain calabrais.

Africo, dans l’Aspromonte calabrais. Un village nouveau où ont été relogés les habitants d’Africo, anciennement plus haut dans la montagne, détruit par des inondations. Un village sans gare où l’on doit prendre le train en courant. Un village sans école et presque sans hommes, les adultes étant presque tous partis travailler dans le Nord de l’Italie ou dans le reste de l’Europe. Restent les femmes, les enfants, des bergers, quelques truands et les adolescents.

Niccolino est l’un d’eux. Avec ses deux amis inséparables, Antonio et Filippo ils sont à cet âge où la vie peut basculer d’un côté ou de l’autre.

Un grand, très grand bouquin. Moi qui me suis plaint dernièrement d’avoir des livres intéressants mais sans âme et sans émotion, là j’ai été servi, au-delà de toute espérance. Sans pathos, sans pleurnicherie, sans violons, l’auteur « ose » dire son amour pour sa mère, pour les femmes de son village, il vous fait vivre la solidarité, il vous fait sentir le soleil sur la peau, la liberté d’une journée en bord de mer, le goût incomparable de l’eau d’une source après une longue marche …

Il sait démonter les mécanismes d’oppression, l’hypocrisie des « malandrins » ces truands bouffis de suffisance qui décident, juste parce qu’ils font peur, qui pourra travailler ou non, et dans quelles conditions. Il raconte une révolte. Il fait vivre une langue et une culture.

Et surtout il vous attache à jamais à Niccolino, Antonio et Filippo, à leurs familles, à leurs voisins, à leur terre. S’il en parle si bien, de façon aussi engagée et émouvante, c’est qu’on devine aisément qu’il y a beaucoup de lui dans ces mômes, qu’avec des différences dans le parcours final, c’est son adolescence et celle de ses amis et de ses proches qu’il raconte. Et je vous mets au défi, à la lecture du roman, de ne pas être ému, et de ne pas avoir envie d’aller découvrir l’Aspromonte en compagnie de Gioacchino Criaco.

A découvrir absolument.

Vous pouvez lire ici quelques mots de l’auteur à propos du roman, et du titre.

Gioacchino Criaco / La maligredi, (La maligredi, 2018), Métailié (2022) traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

La main de Dieu

On a de la chance avec nos amis italiens, après Rocco, revoilà Soneri de Valerio Varesi. Il nous amène en montagne, l’hiver, dans La main de Dieu.

Un cadavre venu s’échouer, l’hiver dans La Parma (on apprend qu’à Parme les torrents sont féminins), une camionnette retrouvée en amont qui appartient à quelqu’un d’un village, plus haut, toujours plus haut, et voilà Soneri coincé en plein hiver dans un village de montagne. Un village loin de l’image idyllique que l’on peut avoir de la vie proche de la nature. Un village qui n’aime pas les étrangers, et où il se passe de drôles de choses.

Qu’il soit à la ville ou à la montagne, la vision de Soneri de l’humanité reste sombre. C’est vrai, il est flic, et confronté au pire de l’âme humaine. Ici un village renfermé, où des habitants aigris ne supportent pas que des « étrangers » qu’ils soient vraiment d’un autre pays, ou juste de la ville, viennent leur dire comment il faut vivre, ou même simplement viennent essayer de vivre autrement.

Des paysages magnifiques, une nature sauvage, mais des gens tristes et agressifs, ayant totalement perdu les notions de solidarité qui prévalaient il n’y a pas si longtemps, et qui sont prêts à tout pour gagner l’argent qui leur permettra d’acquérir tout ce qu’on leur promet à la télévision, mais auquel ils n’ont pas accès.

Comme le dit un garde forestier bien seul :

« Ce n’est plus la peine de montrer les crocs comme les loups, il suffit de domestiquer l’argent, d’abrutir avec la télé et de faire semblant d’être démocrate. Voilà comment on se fait élire sans contraindre personne. Simple, non ? » Et ça ne marche pas que dans la montagne du nord de l’Italie …

C’est donc au règne de l’argent plus ou moins facile, sans règle ni morale, et à la bêtise bien grasse que Soneri sera confronté cette fois. Encore un très bon Varesi, sombre, mais illuminé par quelques visions de la montagne et quelques plats réconfortants. Parce qu’en Italie, même les sales cons savent cuisiner.

Valerio Varesi / La main de Dieu, (La mano di Dio, 2009), Agullo (2022) traduit de l’italien par Florence Rigollet.

PS. Valerio sera demain mardi à partir de 19h00 à la librairie de la Renaissance.