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Le tournoi des ombres

Ce n’est que le second roman que je lis de Jean-Pierre Perrin, et c’est une nouvelle claque. Direction l’Afghanistan avec Le tournoi des ombres.

Charles, ancien commando longtemps en poste en Afghanistan, ancien proche de Massoud, s’est retiré en Bourgogne où il commence à faire du vin. Il est contacté par Judith, une romancière à succès qui veut écrire un livre sur l’épopée d’Alexandre le Grand dans ce pays, en prenant le point de vue de Roxane, la femme qu’il y a épousée. Elle lui demande de l’accompagner, pour la guider et la protéger, moyennant finances bien entendu. Charles accepte, chacun a ses raisons cachées.

Judith veut venger son ancien amant, flic de l’antiterrorisme qui s’est suicidé. L’homme responsable de son suicide serait dans ce pays. Quant à Charles, il a encore des comptes à régler avec un ancien criminel de guerre de l’époque de l’occupation soviétique. Leur voyage dans un pays en plein chaos les amènera à croiser la route d’un étudiant français à la recherche d’un manuscrit rare.

Premier choc dès la première phrase, une écriture superbe. La bise bourguignonne, le vent sur une passe en Afghanistan, et on est happé par le récit qui débute. Et ce n’est que le début. On est ensuite embarqués, à la suite de Charles et Judith dans un monde chaotique, à la fois magnifique, fascinant et dévasté par la guerre et l’absurdité.

Magnifique roman d’aventure au souffle puissant, des personnages inoubliables et une écriture qui fait défiler sous vos yeux émerveillés des paysages incroyables. Plaqué sur ce décor magistral, une situation humaine insupportable, dont on sent qu’avec la montée en puissance des talibans elle ne pourra qu’empirer. Une érudition constante qui ne se fait jamais pédante, une construction narrative prenante, un véritable talent pour les scènes d’action, et la montée de la tension vers un final époustouflant.

Il n’est peut-être pas nécessaire que j’en rajoute, j’espère que vous êtes convaincus, précipitez-vous sur Le tournoi des ombres.

Jean-Pierre Perrin / Le tournoi des ombres, Rivages (2023).

Une guerre sans fin

Je continue dans les découvertes convaincantes avec Une guerre sans fin de Jean-Pierre Perrin.

Joan-Manuel est romancier, franco-espagnol, et il vient d’être relâché près de la frontière turque par les djihadistes qui le retenaient otage en Syrie. Alexandre est diplomate, il travaille parfois pour les services secrets. Il accepte d’aller à Homs, ville martyre noyée sous le bombes de Hafez el-Assad pour exfiltrer un homme qui a des clés USB contenant des fichiers compromettants pour le régime syrien. Daniel a travaillé pour les services secrets français, il a maintenant une société privée de sécurité et accepte, pour rendre service à un ami, d’aller tenter de chercher sa fille, enlevée quelque part en Syrie.

Sous les bombes, au milieu de l’horreur et dans les méandres des compromissions et des excuses diplomatiques nauséabondes, trois destins qui vont se croiser.

Je ne connaissais pas du tout cet auteur, et je n’aurais sans doute pas eu l’occasion de le lire s’il n’avait pas été publié chez Rivages/Noir. Et cela aurait été bien dommage car c’est un roman qui vaut la peine d’être découvert.

Tout d’abord parce qu’ils sont rares les romans qui traitent du martyre de la Syrie, entre répression et torture du régime, bombardements, et atrocités de l’état islamique. Parce que l’auteur sait de quoi il parle, et rend un hommage émouvant aux victimes, à ceux qui se battent, sans aucun moyen pour amener un peu d’humanité dans cet enfer, et aux journalistes qui ont tout risqué pour aller voir et rendre compte de ce qu’il s’y passe. Cela nous vaut de bouleversantes pages se déroulant à Homs, entre autres.

Ensuite parce que l’auteur ayant pris résolument le parti de la fiction, il ne sacrifie jamais son ambition littéraire à son évidente et très compréhensible envie de témoigner. Les trois personnages principaux sont parfaitement construits, leur part de mystère maintenue jusqu’au final, ce qui crée une tension et une attente propre au polar, même si ici ce n’est de toute évidence pas le cœur du sujet.

Et autour de cette thématique très actuelle, il mène des réflexions intéressantes, qu’il partage avec son lecteur sur la responsabilité des états « démocratiques », France et US particulier, sur le parallèle avec la guerre d’Espagne, ou sur la force et les limites de l’art face à la barbarie.

Un roman prenant, parfaitement conté, qui suscitera bien après avoir été refermé réflexions et interrogations. Certes ce n’est pas drôle, mais chaudement recommandé à tous les lecteurs exigeants.

Jean-Pierre Perrin / Une guerre sans fin, Rivages/Noir (2021).