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Hollywood s’en va en guerre

Encore un auteur que j’avais raté jusqu’à aujourd’hui et que je découvre avec son dernier roman publié. Hollywood s’en va en guerre d’Olivier Barde-Cabuçon.

Hollywood, septembre 1941. Vicky Mallone a voulu être actrice, elle s’est faite une raison et est devenue détective privée. Une privée qui picole, qui préfère les femmes, et qui travaille essentiellement pour des femmes. Cette fois on vient la voir pour un contrat assez particulier : Lala, l’immense star de la Metro s’est engagée dans un film qui va faire date. Un film qui pourrait inciter les US à entrer en guerre. Des photos lui ont été volées qui pourraient compromettre la réalisation et le lancement du film.

Vicky va se retrouver en pleine guerre entre une ligue d’extrême droite plutôt sympathisante du régime nazi qui ne veut pas que les US interviennent, des églises protestantes influentes, et des services secrets qui, comme toujours, ne jouent pas très franc.

Une très belle découverte pour moi, je me suis régalé. De toute évidence, l’auteur connait son sujet, et adore cette période hollywoodienne. On croise Bette Davis, Erroll Flynn, la grande Rita … Et tout cela est très bien fait, sans chercher à placer des noms, naturellement. Un plaisir. L’époque et les luttes politiques, l’ambiance des studios, la difficulté d’être différente, tout cela est documenté et très bien décrit.

Mais ce n’est qu’un ingrédient et on peut faire un très mauvais roman avec de bonnes connaissances historiques. Sauf qu’ici c’est un très bon roman. Avec une intrigue parfaitement menée, et le personnage de Vicky Mallone, à la fois très fidèle au cliché du privé hardboiled, et originale et différente. Un très beau personnage que l’on espère revoir un de ces jours.

Olivier Barde-Cabuçon / Hollywood s’en va en guerre, Série Noire (2023).

Ces femmes-là

Voilà une très belle découverte pour moi, celle d’une écrivaine américaine, Ivy Pochoda, et de son nouveau roman Ces femmes-là.

Un quartier populaire de Los Angeles. En 1999 plusieurs jeunes femmes, surtout des prostituées, ont été égorgées. Puis les meurtres ont cessé. Et tout le monde a oublié. Pas Dorian. Sa fille Lecia qui revenait de garder une gamine fut la dernière victime. Ni Deelia, même si elle fait semblant, elle qui fut la seule à survivre au tueur.

Et aujourd’hui, en 2014, voilà qu’il y a un nouveau meurtre. Alors Essie, latina, flic aux mœurs, Julianna, Marella ou Anneke qui vivent dans le quartier vont, elles aussi, être prises dans le tourbillon.

Même si le résumé peut vous le laisser supposer, oubliez tout ce que vous avez déjà lu avec un tueur en série et des meurtres qui reprennent après des années de calme. Des bouquins comme ça il y en a des tas, souvent … disons pas très bons. Ici on est vraiment ailleurs.

On n’ira pas dans la tête du tueur. On ne sera pas stressé dans la peau d’une future victime (qui finit souvent par s’en tirer in extremis). Ici on est dans la peau de celles qui restent. De celles qui doivent vivre, tous les jours, avec la peine ou la trouille. Dans celle d’une femme flic qui n’est pas prise au sérieux parce qu’elle est femme, et d’origine latino. D’une « folle » que les flics ne croient pas et qu’ils se renvoient de l’un à l’autre. Ou de prostituées dont la vie ne vaut pas un clou, ni pour les hommes qui les achètent, ni pour les flics.

Et pourtant oui, mine de rien, en passant de l’une à l’autre au fil des différentes parties du roman, l’intrigue va avancer, et on finira par trouver le coupable. Et on plongera dans une autre forme de folie.

Un roman original et fort, à découvrir absolument, parce que, comme disent les critiques qui ne lisent jamais de polar : C’est beaucoup plus qu’un simple thriller ! C’est un grand roman noir.

Ivy Pochoda / Ces femmes-là, (These women, 2023), Globe (2023) traduit de l’anglais (USA) par Adelaïde Pralon.

La fille du ninja

Je continue à prendre des risques, mais mesurés cette fois, avec La fille du ninja, de Tori Eldridge. Toujours dans le style thriller (ne vous inquiétez pas, après je change complètement), mais la catégorie bien au-dessus cette fois.

Lily Wong a une double vie. D’un côté bonne fille, elle loge au-dessus du restaurant asiatique tenu par son père (qui est grand, blond et originaire du Dakota). De l’autre elle aide un foyer pour femmes battues. Et son aide peut parfois se révéler musclée. Pas bien grande, elle ne paye pas de mine mais maîtrise parfaitement plusieurs arts martiaux. Et depuis le viol et l’assassinat de sa sœur, elle a des comptes à régler avec tous ceux qui pensent qu’on peut disposer comme on l’entend du corps des femmes.

Si souvent elle n’a pas à forcer son talent pour se débarrasser de gros lourdauds qui font l’erreur de se fier à son physique, elle peut être amenée, si la femme en danger est l’épouse d’un mafieux, à affronter des adversaires beaucoup plus dangereux. Surtout si, se faisant, elle débarque dans de grosses affaires de sous et de corruption.

Je ne vais pas vous dire que c’est le roman de l’année, mais si vous recherchez un polar bien vitaminé, avec de la baston mais qui ne soit pas complètement idiot, vous pouvez vous laisser tenter. C’est visiblement un premier roman, il reste un peu sage dans son écriture et dans la façon qu’a Tori Eldridge d’utiliser sa propre vie pour modèle. Elle aussi métissée, spécialiste d’arts martiaux, elle explique parfois un peu trop, désireuse de partager ses passions. Des défauts qui ressemblent à des défauts de jeunesse, ou de débutante, qui devraient disparaitre avec les prochains volumes qui ne manqueront pas d’arriver.

Sinon sa Lily est attachante, vive, énergique, sarcastique. Les personnages qui l’entourent sont bien campés, et le manichéisme à gros sabots est évité. On visite Los Angeles à toute vitesse, en faisant quand même quelques pauses gastronomiques fort bienvenues.

Un bon divertissement, qui donne envie de retrouver bientôt Lily Wong.

Tori Eldridge / La fille du ninja, (The ninja daughter, 2019), Les arènes/Equinox (2022) traduit de l’anglais (USA) par Antoine Chainas.

Lucky

J’ai découvert Joe Ide cet été avec son premier titre qui datait déjà de quelques années. J’ai poursuivi avec le suivant : Lucky.

IdeRevoilà Isaiah Quintabe, dit IQ, petit génie de Los Angeles qui survit grâce aux maigres paiements de ceux qu’il aide par ses enquêtes dans son quartier. Retrouver une broche en toc, protéger un club scientifique de lycée d’une grosse brute, dissuader une autre brute de harceler son ex … Voilà à quoi il s’emploie, quand il ne promène pas son chien, un magnifique pitbull qui a peur des gens. Cela lui laisse le temps de ruminer, encore et encore, la mort de son grand frère Marcus, tué par un chauffard quelques années plus tôt.

C’est alors qu’il est contacté par Sarita, la fiancée de Marcus au moment de sa mort. Elle a entendu parler de ses exploits et voudrait qu’il aide sa sœur, Janine, joueuse compulsive, qui s’est mise dans un sacré pétrin à Las Vegas. Accompagné par Dodson son, ami ? faire valoir ? il part pour la cité du jeu, sans savoir où il va mettre les pieds.

Si je devais avoir une petite restriction, je dirais que ce second volume ne bénéficie pas de l’effet de surprise du premier. Surtout pour moi qui l’ai lu il y a peu. Donc il peut laisser une impression d’un peu moins bon.

Mais objectivement, toutes les qualités de ce premier roman sont là. La description que l’on sent juste de ce quartier de LA, avec ses habitants qui essaient de vivre tranquillement mais aussi sa culture de gangs dans laquelle sont pris les plus jeunes. La dénonciation sans morale mais sans concession du choix de la violence comme mode de vie.

Et puis des dialogues impeccables et souvent très drôles, quelques personnages qui murissent et évoluent, y compris IQ qui, peut-être, va commencer à être un peu moins sauvage et s’apercevoir que même lui a besoin d’un peu de chaleur humaine, et le rythme trépidant de deux enquêtes en parallèle avec tout ce qu’il faut de rebondissements et de scènes d’action.

Bref, c’est tout bon, et j’attends la suite vu qu’il semble y avoir 4 volumes publiés aux US.

Joe Ide / Lucky, (Righteous, 2017), Denoël/Sueurs Froides (2020) traduit de l’anglais (USA) par Dominique Garneray.

Gangs of L.A.

Je l’avais laissé passer en grand format, je me rattrape en poche grâce aux vacances. Gangs of L.A. de Joe Ide.

IdeIsaiah Quintabe, dit IQ, est noir, habitant d’un quartier populaire de L.A. Il rend service aux uns et aux autres grâce à ses talents d’investigateur, et à son intelligence hors du commun. Et se fait payer quand il peut, parfois en muffins immangeables. Mais là il va peut-être avoir une affaire qui va enfin lui rapporter de l’argent. Un rappeur qui a reçu des menaces de mort et a fait appel à Dodson, connaissance d’IQ, aussi magouilleur qu’IQ est honnête, aussi agité qu’il est calme.

Comment Isaiah qui semblait promis à un brillant avenir en est arrivé là ? Pourquoi connait-il une crapule comme Dodson ? Et en quoi consiste cette mission ? Il faudra lire pour le savoir.

Ouvrez, plongez, et c’est parti, à fond, pour un bon moment de pure énergie. Une écriture dynamique en diable, des dialogues parfaits, la description sans pitié du milieu archi bling bling des rappeurs californiens, une vulgarité hors norme. Des scènes d’action très réussies, un vrai talent pour accélérer et ralentir le rythme comme il faut pour le suspens.

Bref tout le savoir faire de nos amis ricains, au service d’une histoire parfois émouvante, souvent très drôle. Un vrai moment de bonheur que cette lecture jubilatoire.

Et comme IQ ressemble fort à un personnage qui pourrait revenir, je vais regarder tout de suite s’il n’est pas déjà de retour en grand format.

Joe Ide / Gangs of L.A., (IQ 2016), Folio Policier (2020) traduit de l’anglais (USA) par Diniz Galhos.

PS. Le titre français est quand même un peu con, et n’a rien à voir avec le roman.

Paradigma, un peu aride mais passionnant

Une découverte pour moi aux éditions des Arènes : Paradigma de Pia Petersen.

PetersenLos Angeles, l’usine à rêves et à fantasmes, à la veille de la cérémonie la plus glamour du monde médiatique : les Oscars. Qui risque cette année d’être un peu perturbée.

Sur internet la mystérieuse Luna appelle, sur un blog de plus en plus suivi, tous les homeless de la ville et d’ailleurs à se rassembler lors d’une marche silencieuse pour rendre enfin visibles ces hommes et ces femmes qui ne sont que des chiffres dans les statistiques.

En parallèle, avec un collectif de hackeurs, elle prépare la prise en otage de toutes les données numériques des grandes entreprises et des comptes fédéraux. Le but : constatant que la révolution a déjà eu lieu, qu’il n’y a plus de travail pour tous, et que ce mythe du travail ne sert qu’à faire pression sur tous ceux qui en cherchent, obliger l’état à instaurer une rente universelle qui assure une vie digne à tout le monde.

Bien entendu, ceux qui ont le pouvoir et l’argent ne l’entendent pas de cette oreille.

Voilà un roman qui, s’il n’est pas totalement satisfaisant d’un point de vue romanesque (avis très subjectif) se révèle cependant extrêmement intéressant, voire passionnant.

Ce qui est passionnant ce sont les idées brassées par le récit, au travers des réflexions de Luna. Qui nous mettent le nez dedans.

Un, oui la révolution que certains appellent de leurs vœux a déjà eu lieu, mais pas dans le sens espéré. Il y a déjà des années que toutes les politiques, ou presque, dans tous les pays, ou presque, ont placé l’économie au centre du jeu, reléguant l’humain au rang d’outil et de variable d’ajustement. Ecoutez les discours et les argumentaires … C’est bon ou mauvais pour l’économie, que le discours soit libéral, écologique (où on nous vend des solutions écologiques qui vont créer du travail et donner un avantage … économique à ceux qui seront les pionniers), solidaire (on nous parle bien d’économie solidaire) etc …

Deux nous vivons, combattons, dans l’ancien monde, celui du mythe du travail. C’est terminé, il n’y a plus de travail pour tous, maintenir cette illusion permet de d’exercer une pression insupportable sur ceux qui ont un boulot, et ont forcément peur de le perdre.

Trois, nous acceptons, jusqu’à ce jour, que les pauvres, soient culpabilisés, parce qu’ils sont aidés, assistés comme disent les enflures, parce qu’ils profitent d’une richesse qu’ils ne produisent pas. Alors que, ironie du sort, ceux qui ont accaparé la plus grande partie de la richesse du monde, justement, n’en foutent pas une rame (et oui, que va faire l’inutile qui quitte Airbus pour mériter 37 millions d’euros : il va prendre sa retraite !).

Du coup, quelle autre solution que de profiter de la productivité accrue et des immenses richesses crées pour assurer un minimum de vie digne à chacun, qu’il travaille ou non ?

Donc oui, l’auteur propose une réflexion salutaire.

Autre grande réussite du roman, la description de la marche des pauvres, encadrée par les gangs de LA, dans les quartiers les plus ostensiblement friqués de LA. C’est le morceau de bravoure du roman, il est réussi, ample, spectaculaire, il a du souffle.

Mais c’est aussi là, en lisant cette fin réussie, que je me suis pris à rêver de ce qu’aurait fait le regretté Ayerdhal d’une telle thématique. Comment il nous aurait planté des personnages, la galerie d’originaux, de membres de gangs, de femmes qu’il vaut mieux de pas chercher qu’on aurait découverte. Comme on aurait trouvé jouissif de vivre avec eux le temps de cette marche, de découvrir quelques pans de leur vie, comme on aurait tremblé pour leurs vies, fêté leurs succès, comme on a vibré par exemple avec les personnages de Rainbow Warriors.

Ici, si la scène d’ensemble est impeccable, il m’a manqué ça, cette incarnation des idées, pour que ce roman passionnant mais parfois un peu aride se transforme en livre bouleversant et enthousiasmant.

A lire quand même, malgré ces regrets.

Pia Petersen / Paradigma, Les arènes / Equinox (2019).

Une petite récréation

Difficile, en ces temps de surproduction éditoriale (et en plus de surproduction de qualité), de se donner le temps de découvrir un nouvel auteur, et de choisir cet auteur ! Mais il faut bien de temps en temps. Ce que j’ai fait avec Les tribulations de l’expéditif de P. G. Sturges.

SturgesA Los Angeles, Dick est connu comme « L’expéditif ». Vous avez un problème ? Un fâcheux vous embête ? On veut vous chasser de chez vous ? Vous avez besoin d’acheter quelques produits qu’on ne trouve pas dans les supermarchés ? Appelez Dick, il s’en charge.

Cette fois c’est Pussy Grace, ancienne stripteaseuse qui vient le voir : Son amant fortuné, très fortuné, Art Lewis ne répond plus depuis 10 jours. Quand ils débarquent chez lui, ils le trouvent mort, 5 jours plus tard, il se marie … Dick qui n’aime pas qu’on se paye sa tête décide de prendre les choses en main …

J’avoue que je n’ai pas grand-chose à dire de ce sympathique polar. Je ne me suis pas ennuyé, j’ai même passé un assez bon moment. Mais …

Mais l’inconvénient quand on lit beaucoup, c’est qu’on compare. Et ce n’est pas aussi drôle que du Westlake, pas aussi déjanté que du Hiaasen ou du Dorsey, et le style n’a pas la fluidité et l’évidence de Leonard … Et pourtant on pense un peu à toutes ces références écrasantes, parce que l’Expéditif pourrait être un personnage cool à la Elmore Leonard, il y a quelques trucs bien hénaurmes à la Hiaasen, et c’est quand je lis un polar humoristique américain je pense obligatoirement à Westlake …

Et on est bien loin de ces monstres.

Donc un polar sympathique, qui se lit avec plaisir. Ni plus, ni moins.

P. G. Sturges / Les tribulations de l’expéditif (Tribulations of the shortcut man, 2012), Calmann-Lévy (2016), traduit de l’anglais (USA) par Mireille Vignol.

Avant le Dalhia noir

Les blogs consacrés au polar disent beaucoup de bien de ce True Confessions de John Gregory Dunne, précurseur du fameux Dalhia Noir de James Ellroy. Ils ont raison.

DunneLos Angeles, 1947. Le cadavre d’une jeune femme est retrouvé dans un terrain vague. Elle est nue et découpée en deux morceaux. Tom Spellacy est en charge de l’enquête. Quand la victime est enfin identifiée, Tom s’aperçoit qu’elle a croisé plusieurs personnages en vue. Dont un truand irlandais en affaire avec l’église catholique, et ses prélats … irlandais. Parmi lesquels son frère Desmond Spellacy, engagé dans une féroce lutte de pouvoir au sein de l’église californienne.

Entre flics ripoux, incapables ambitieux, presse à scandales, mafia irlandaises et magouilles de l’église, Tom qui n’est pas non plus un enfant de chœur va avoir bien du mal à faire la part des choses et découvrir qui a tué une pauvre fille à laquelle, finalement, personne ne s’intéresse vraiment.

Voici donc ce qui fut le premier polar à s’intéresser à la mort d’Elizabeth Short, meurtre jamais élucidé, qui donnera naissance au fameux Dalhia Noir. C’est peu dire que le traitement de l’histoire par John Gregory Dunne n’a rien à voir avec celui de James Ellroy.

Il faut quand même avertir le lecteur : le roman n’est pas de ceux que l’on lit facilement, la multiplicité des personnages et l’art de l’ellipse de l’auteur font que le démarrage de la lecture est un peu ardu. Un conseil, persévérez, cela en vaut la peine.

On retrouve bien évidemment des choses connues grâce au bouquin d’Ellroy (écrit bien plus tard, mais traduit il y a bien longtemps ici). Le racisme et la corruption des flics de l’époque et la presse de caniveau. Dunne n’épargne pas le lecteur et les dialogues entre flics sont … disons crus.

Mais deux choses distinguent ce roman (à découvrir, vraiment), de son illustre successeur :

Tout d’abord l’humour et la vivacité de l’écriture de l’auteur. On sourit souvent. Tom peut être un vrai pourri, mais un pourri drôle. Les femmes ont la dent dure. Et l’auteur a un vrai sens du rythme et de l’humour. A ce titre, la description d’un repas entre Tom et sa femme complètement cintrée, en présence de Desmond vaut son pesant d’or.

Vient ensuite la description, inédite, d’une église catholique californienne pourrie jusqu’à la moelle, empêtrée dans des scandales immobiliers à répétition, s’appuyant, pour son impunité, sur la mafia des flics irlandais. Une église xénophobe en son sein même, où les prêtres mexicains sont considérés comme les derniers des derniers, juste au-dessus des italiens … Là encore quelques scènes avec bonnes sœurs, cardinaux impitoyables et avocats véreux valent leur pesant d’or.

Pour un bouffe curés comme moi, un vrai plaisir.

Bref, une lecture revigorante en ces jours particulièrement moroses.

John Gregory Dunne / True Confessions (True Confessions, 1977), Seuil/Policiers (2015), traduit de l’anglais (USA) par Patrice Carrer.

La nouvelle quadrilogie de James Ellroy

J’ai attendu les vacances pour attaquer le pavé de James Ellroy. Il fallait bien ça pour lire Perfidia.

perfidia.indd6 décembre 1941, Los Angeles. La tension avec le Japon est à son comble, les nombreux immigrants japonais de la ville dans le collimateur des forces de justice et de police. Les quatre membres de la famille Watanabe sont découverts, éventrés, dans ce qui ressemble à un suicide très japonais. Le lendemain, c’est l’attaque de Pearl Harbour. L’hystérie nationaliste fait passer ce meurtre au dernier rang des préoccupations du LAPD.

Mais pas pour tout le monde. Hideo Ashida, qui est en train de jeter les base de la police scientifique de la ville, Duddley Smith qui sent qu’il y a quelque chose de louche et de lucratif derrière, William Parker fanatique religieux et alcoolique qui veut devenir chef de la police de la ville … Et bien d’autres, gauchistes, racistes, fascistes, traitres, activistes, opportunistes, fanatiques, loyaux, corrompus … Dans le chaos de la guerre naissante toutes les dérives et toutes les horreurs deviennent possibles.

On ne peut pas régler le sort de ce pavé de plus de 800 pages en quelques lignes. D’autant plus que mon impression est mitigée. Et étrange.

Par rapport à certains autres romans du grand James, j’ai trouvé un manque de quelque chose, quelque chose de très compliqué à définir. On ne peut pas lui reprocher le manque de souffle ou de puissance, et pourtant c’est un peu ce qu’on ressent. Cette lecture fut étrange. Je m’essoufflais au bout de quelques chapitres, refermais le bouquin, mais ensuite il me tardait toujours de m’y replonger.

Accroché par l’intrigue, par la multitude de personnages, par l’ampleur du tableau, dès que je le fermais j’avais envie de m’y remettre pour poursuivre la saga. Mais une fois dedans, j’étais un peu asphyxié, submergé par les quantités d’information, et il me manquait un élan qui permette de continuer à chevaucher la vague. J’étais noyé dans l’écume et obligé d’arrêter un moment. Etrange, comme si Ellroy avait toujours son immense capacité à tresser les multitudes de destin dans la trame de la grande histoire, mais manquait un peu de romanesque.

Tout cela c’est pendant la lecture. Ensuite, quand on ferme définitivement la livre, on reste quand même impressionné par l’ambition du projet, la complétude et la complexité du tableau dans lequel l’auteur ne se perd jamais, malgré la multitude des personnages, des points de vue et des thématiques traitées. Impressionné aussi par la quantité de choses que j’ai apprises, sur les réseaux fascisant aux US, sur la vie à cette époque, sur les internements de citoyens américains d’origine japonaise … Et impressionné également par la façon dont Ellroy reprend une quantité de personnages déjà croisés dans ses livres précédents, à se demander s’il a des fiches ou si ces personnages vivent en permanence en lui.

Pour résumer, une lecture difficile, exigeante, pas aimable (on s’en doutait bien !) mais assez impressionnante, même si je n’ai pas eu la sensation de retrouver pleinement le grand James.

James Ellroy / Perfidia (Perfidia, 2014), Rivages/Thriller (2015), traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

Un Matthew Stokoe pas si terrifiant que ça.

Matthew Stokoe, traduit par Antoine Chainas, c’est l’une des grandes découvertes de la série noire de ces dernières années. Pas une découverte aimable, mais un sacré choc. C’est donc avec impatience, et une certaine appréhension que j’ai ouvert le dernier en date : Sauvagerie.

StokoeHollywood, machine à rêve et à désillusions.

Tim est un scénariste sans succès qui a sombré après le meurtre de sa sœur avec qui il a eu une relation amoureuse pendant des années. Denning a été journaliste. Il a été blacklisté après avoir tenté de faire une enquête sur une maison de production indépendante et sa star vedette, la très belle Dolores Fuentes. Quand son épouse a été assassinée, il a eu, durant quelques années, une relation avec sa fille (adulte et consentante). Chick est une jeune réalisatrice en guerre contre les studios qui ne produisent plus que de la merde. Sa rage est alimentée par le viol dont elle a été victime à l’âge de quinze ans.

Leurs colères vont converger et se concentrer sur deux jumeaux, producteurs complètement dérangés et deux anciens de l’industrie du porno reconvertis dans le cinéma à succès (et à pognon), entre autres. Viols, meurtres et spoliations remontent au moment de la découverte du scénario sur lequel travaillait la sœur de Tim au moment de sa mort. Le clash va être sanglant.

Même si ce nouveau roman se déroule à Los Angeles, et même s’il tourne autour du cinéma, il n’a rien à voir avec le très éprouvant La belle vie. Et au final, si c’est plus confortable, c’est aussi un peu décevant.

Parce qu’au final, si on y regarde bien, Sauvagerie est un polar assez classique. On a des histoires de vengeance, de coucheries, d’illusions perdues, de rédemption. Ca finit dans le sang, mais pas plus que ça, les personnages sont complètement ravagés, mais pas plus qu’ailleurs et il y a même quelques personnages qui ont des valeurs, des convictions et des remords ! Rien à voir donc avec la vertigineuse plongée dans le néant de La belle vie.

Mais on ne retrouve pas non plus l’émotion d’Empty Mile, ni sa savante construction qui donnait l’illusion que le personnage (et le lecteur) s’enfonçait dans des sables mouvants à chaque mouvement.

Ici tout est raconté très à plat, on a l’impression, renforcée par le sujet du roman, de lire presque davantage un scénario qui donne des indications de tournage qu’un roman (je dis sans doute n’importe quoi, je n’ai jamais vu de scénario …). A plat et sans implication émotionnelle. On sait qu’il va y avoir des morts, certains personnages ont beaucoup souffert, mais le lecteur reste à distance et ce qui compte, avant tout, à l’arrivée, c’est la vengeance (décrite assez froidement également) et le succès.

Pour le fond, mis à part l’histoire, l’auteur démonte bien les mécanismes du succès et de l’échec dans l’usine à film

Tout cela est très certainement voulu, et en accord avec le sujet, mais moi qui m’attendais à en prendre plein la poire (effroi, empathie, peur, tendresse etc …) comme dans les deux précédents, je suis resté un peu sur ma faim. Finalement le lecteur de polar est un peu maso. Il est déçu de ne pas prendre autant de coups dans la figure que prévu et est capable de râler parce que le baquet d’eau glacée attendu se révèle à peine froid !

Matthew Stokoe / Sauvagerie (Colony of whores, 2014), Série Noire (2015), traduit de l’anglais (USA) par Antoine Chainas.