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Poussière dans le vent

Leonardo Padura alterne : un avec Conde, un sans Conde. Pour la magnifique saga Poussière dans le vent, ce sera sans.

Janvier 1990. Le clan est réuni pour fêter dignement les 30 ans de Clara dans le jardin de sa maison, à La Havane. Ils sentent bien qu’ils sont à un tournant de leur vie, et de celle du pays, alors que la chute du mur a fait disparaitre les principaux alliés face à l’embargo américain. Clara, Dario, Bernardo, Elisa, Irving, Horacio, Walter et les autres. Ils ont été étudiants ensemble, ils sont brillants, ils travaillent et ils savent que la vie va être de plus en plus dure. Mais quoi qu’il arrive, leur amitié, les amours qui se sont forgés sont plus forts que tout. C’est leur force, leur salut, et cela le restera après l’explosion du groupe quelques jours après l’anniversaire.

Plus de 20 ans plus tard, Marcos jeune cubain récemment arrivé à Miami tombe amoureux d’Adela, new-yorkaise venue faire des études à l’université en Floride. Adela, son père argentin, sa mère cubaine « difficile à aimer » comme le dit sa fille. Adela qui a choisi d’étudier la culture cubaine, peut-être pour faire enrager sa mère qui renie totalement son passé sur l’île.

Quand Clara, la mère de Marcos qui vit toujours à La Havane publie sur facebook une photo de cette soirée de 1990, elle ne se doute pas que tout un passé va resurgir. Plus de 20 ans de vie du clan, à l’étranger et à Cuba.

Il n’y a pas d’équivalent français pour dire que ce n’est pas un livre, c’est un « librazo », un monument, un putain de bouquin. Il n’y en a pas beaucoup qui m’ont donné cette impression d’être totalement immergé pendant un temps qui parait à la fois infini et beaucoup trop court dans la vie d’un groupe de personnes qui me semblent bien plus réels que tous les pantins que l’on peut voir ou entendre ici et là.

Poussière dans le vent vous prend aux tripes et ne vous lâche plus, pendant plus de 600 pages, et vous le refermez en pleurant parce que c’est fini. Vous ne saurez pas ce qu’il adviendra de Clara, d’Irving d’Adela, d’Horacio … Leonardo Padura vous a offert un groupe d’amis intimes, dont vous n’aurez plus de nouvelles. Mais quel pied pendant les heures de lecture.

C’est tout un monde qui est décrit. Celui des cubains, ceux qui restent, ceux qui partent, ceux qui ne veulent plus entendre parler de leur île, ceux qui la regrettent tous les jours. L’analyse est fine, intelligente, jamais manichéenne. C’est presque faire injure à l’auteur de dire qu’il ne tombe dans aucun des deux travers si fréquents quand on parle de Cuba, en particulier en France : penser que c’est soit un paradis soit un enfer.

Vous allez sourire, pleurer, enrager, vous allez être gais, tristes, émus, très émus. Vous allez voyager de la Havane à Madrid en passant par Barcelone, New York, Puerto Rico, Miami et Toulouse. Mieux, vous allez connaître ces endroits à travers le regard émerveillé, critique, humain des membres du clan. L’amitié, l’amour, le rhum, les moments de partage, l’exil, les doutes, les peurs, Cuba, les émotions seront au cœur d’une lecture complexe et riche, mais jamais compliquée, toujours limpide.

Cerises sur le gâteau, il y a un mystère – Leonardo Padura n’oublie pas qu’il est aussi un auteur qui sait construire une intrigue – et un hommage à Elmore Leonard.

Franchement, s’il y a un roman à ne pas manquer en ce début d’automne, c’est bien celui-là. Et si vous n’avez pas la gorge serrée en le refermant, je ne peux plus rien pour vous.

Leonardo Padura / Poussière dans le vent, (Como polvo en el viento, 2020), Métailié (2021) traduit de l’espagnol par René Solis.

La dernière affaire de Jonnhy Bourbon

Le nouveau Carlos Salem est là, juste à temps pour Toulouse Polars du Sud. Il reprend son personnage le plus célèbre, à savoir Johnny Bourbon pour La dernière affaire de Johnny Bourbon.

Vous vous souvenez d’Arregui, le privé de Madrid, basque d’origine, l’un des rares personnages récurrents de Carlos Salem ? Il a le blues. La cinquantaine approche, il ne s’est jamais remis de la mort de Claudia, mais il gère son agence de main de maître, entre autres parce que les puissants savent qu’il a ses entrées au palais royal.

Mais c’est pour sa tête dure et son honnêteté que son ancien supérieur, du temps où il était flic, vient le chercher. L’un des hommes les plus haïs d’Espagne, magouilleur fini, qui doit avoir un dossier sur quasiment tous les politiques du pays, vient de se suicider en attendant sa mise en examen. Un suicide vraiment ? C’est pour mettre ses gros pieds dans les plats qu’Arregui est contacté.

Dans le même temps, son instinct lui dit d’éviter soigneusement cette fille aux cheveux verts qui veut absolument le voir. Pour combien de temps ? Il va bien avoir besoin dans cette affaire de ses deux associés, et de l’aide ponctuelle de son adjoint le moins discret, Johnny Bourbon qui s’ennuie depuis qu’il n’est plus roi.

Je ne suis pas très objectif avec les romans de Carlos (je ne suis jamais objectif en fait, mais encore moins ici), je suis un fan convaincu de la première heure. Mais là, croyez-moi, même si vous n’êtes pas comme moi, faites-moi confiance allez-y, c’est peut-être un de ses meilleurs romans.

C’est drôle, tendre, mélancolique, j’ai souri souvent, rit plusieurs fois, été au bord des larmes parfois. Du grand Salem qui maîtrise totalement son sujet sans rien perdre de sa folie et de son humour absurde. La façon qu’il a de mettre en scène le roi d’Espagne, à la fois touchant, ridicule, pathétique, courageux, le « sidekick » le plus improbable et pourtant un des plus réussis de la planète polar qui en compte un certain nombre.

Ajoutez une très belle description de son quartier à Madrid, une relation entre Arregui et son père magnifique, l’éloge de l’amitié et de l’amour, une empathie toujours là pour les perdants, les paumés, ceux qui sont différents, ceux qui ont dû se battre bec et ongles pour survivre, de très beaux portraits de femmes de tous âges, et un hommage pastiche aux grands anciens du polar.

Un grand Carlos Salem.

Carlos Salem / La dernière affaire de Johnny Bourbon, (Sigo siendo el rey (emérito) de España, El último caso de Johnny Bourbon, 2018), Actes Sud/Actes Noirs (2020) traduit de l’espagnol par Judith Vernant.

Le temps de la haine

Vous savez comme je suis attaché aux séries (aux bonnes série). Vous vous doutez donc que j’ai été enchanté de revoir Bruna Husky, la réplicante créée par Rosa Montero qui revient pour un troisième volume : Le temps de la haine.

MonteroVous vous souvenez de Bruna husky, réplicante de combat découverte dans Des larmes sous la pluie et revue dans Le poids du cœur. Elle vit toujours dans l’enclave de Madrid, et il lui rente 3 ans, 3 mois et 16 jours à vivre alors que la liaison qu’elle entretient avec le flic Paul Lizard semble battre de l’aile.

C’est alors que Paul disparaît, et réapparait otage d’un groupe terroriste qui réclame plus de justice sociale élémentaire : droit de respirer de l’air pur, droit d’accès à l’eau etc … Autant de droits réservés aux plus riches. Ils exécuteront, par égorgement, un otage par jour tant que leurs revendications ne seront pas entendues.

En parallèle le magnat d’une des entreprises les plus puissantes des Etats-Unis de la Terre se propose comme rempart contre la barbarie terroriste, et les visées hégémoniques d’un de ses satellites artificiels. Dans un renversement étonnant, c’est maintenant Lizard qui voit ses jours comptés, et seule Bruna, et ses amis, semblent pouvoir le sauver.

Un troisième roman bien dans la lignée des deux précédents. A savoir une SF hommage à Blade Runner, qui explore (ici très succinctement) un autre monde artificiel avec une autre organisation politique, et se sert du prétexte SF pour parler du monde actuel. Le tout avec une intrigue très hardboiled avec son personnage de privé réplicante qui encaisse très bien, picole comme un trou, râle beaucoup, et qu’il vaut mieux éviter de chercher parce que sinon gare aux mandales.

Les personnages sont toujours aussi attachants, et cette fois l’auteur, entre autres thématiques, explore les différentes réactions à des injustices sociales insupportables : de la création de communautés autonomes coupées du reste du monde au terrorisme nihiliste et aveugle bien manipulé, comme il se doit, par quelques malins et puissants qui y trouvent leur compte. Comme on voit, rien, absolument rien à voir avec notre monde actuel.

Le personnage de Bruna Husky lui permet d’avoir un regard à la fois extérieur et très engagé sur la condition humaine et sur nos sociétés et l’auteur a l’intelligence de poser des questions sans jamais imposer ses réponses. Ajoutez que c’est vif, parfois drôle, intelligent et souvent tendre malgré les distributions de baffes. A lire donc sauf si vous êtes vraiment allergiques à la SF en général et à Blade Runner en particulier.

Rosa Montero / Le temps de la haine (Los tiempos del odio, 2018), Métailié (2019), traduit du l’espagnol par Myriam Chirousse.

La fiancée de la gitane : assez mauvais

Le premier polar d’une auteur espagnole, ça s’essaye. Mais on ne peut pas réussir à tous les coups. Echec avec La fiancée gitane de Carmen Mola.

MolaLe corps de Susana Macaya est retrouvé dans un parc du quartier de Carabanchel, à Madrid. Elle est morte de façon atroce. C’est l’équipe d’élite d’Elena Blanco qui hérite de l’enquête. Parce qu’il y a eu un antécédent, le meurtre de Lara, la grande sœur de Susana, sept ans auparavant, dans les mêmes circonstances. Lara elle aussi tuée à la veille de ses noces avec un gadjo, les sœurs sont gitanes.

Et pourtant l’assassin de Lara avait été arrêté, et il est en prison. Une horreur de plus dans la vie d’Elena qui, depuis des années, dans son temps libre recherche désespérément un être cher disparu, enlevé.

Raté, complètement raté pour moi.

Premier défaut, je trouve le roman assez mal écrit, très scolaire, toutes les actions, tous les sentiments des personnages nous sont expliqués, comme si l’auteur ne faisait pas confiance au lecteur pour comprendre leurs motivations. Donc c’est scolaire et lourdingue.

Ensuite on a droit à la surenchère dans l’horreur, comme si l’auteur s’était demandée : « voyons, qu’est-ce qu’on n’a pas encore inventé comme torture particulièrement barbare dans les polars ? ». Je trouve ça malsain, et surtout vain. En fait c’est superficiel, et putassier.

La seule question que me fait me poser un el roman est celle de la cohérence du catalogue d’actes noirs. Comment peut-on publier côte à côte Carlos Salem, Victor del Arbol, dernièrement le très bon polar argentin Le gardien de la Joconde, et ça, qui est vraiment du tout-venant horrifico-commercial ? Un mystère.

Carmen Mola / La fiancée gitane (La novia gitana, 2018), Actes sud / actes noirs (2019), traduit de l’anglais (Irlande) par Anne Proenza.

Piedad sans pitié ni piété.

En 2009 les lecteurs de polars découvraient, avec étonnement et ravissement, un auteur au look de pirate, capable de ressusciter Carlos Gardel, de mettre en scène le roi d’Espagne ou de nous faire partager la vie du petit frère de Jésus. Entre autres joyeusetés. Cette année Carlos Salem revient nous chanter des boléros dans Attends-moi au ciel.

SalemPiedad de la Viuda (tout un programme !) est à quelques jours de la cinquantaine quand elle se rend compte que son mari, récemment décédé, non content de la cocufier pendant des années, a également dilapidé la fortune héritée de ses parents (de ses parents à elle), et s’apprêtait à s’envoler, le jour même de ses cinquante ans, avec une jeune ukrainienne.

Ca fait beaucoup. Et ça peut faire vaciller une vie de piété (piedad) et de confessions. Surtout que notre héroïne a un corps à se damner, ayant très peu servi, des études d’économie brillantes, et une immense revanche à prendre sur la vie. Quand elle découvre dans les papiers de son défunt mari, une sorte de jeu de piste pour retrouver une partie de l’argent, elle se lance à corps perdu (mais pas pour tout le monde) dans une quête dangereuse, parfois torride, et maintenant sans pitié (piedad encore). Et malheur au bas de front qui fera l’erreur de prendre encore Piedad pour une cruche.

On est dans du Carlos Salem 100 %. Il me suffirait presque de dire que ceux qui aiment peuvent y aller les yeux fermés, et ceux qui sont hermétiques peuvent s’abstenir.

Mais je vais faire un petit effort, au cas très improbable où certains d’entre vous n’aient jamais lus de bouquins de l’énergumène. Carlos est donc capable, de façon totalement invraisemblable, mais néanmoins totalement cohérente de faire vivre Gardel et de lui donner envie d’assassiner Julio Iglesias (Aller simple), d’envoyer un tueur à gage en vacances avec ses enfants dans un camp de nudistes où il doit honorer un contrat (Tuer sans se mouiller), de faire se croiser un magouilleur argentin, Paco Ignacio Taibo II et le roi d’Espagne (Je reste le roi d’Espagne) ou de suivre la carrière du plus jeune fils de Dieu dans les émissions de téléréalité (Le plus jeune fils de Dieu).

Personne ne devrait donc s’étonner qu’il puisse transformer un veuve de cinquante ans, de grenouille de bénitier engoncée dans des tenues de bonne sœur en une bombe qui dézingue à tour de bars tous ceux qui lui manquent de respect et carbure au Southern Comfort et au Cohibas, tout en chantant des boléros.

Personne ne devrait non plus s’étonner que l’on suive ses aventures avec passion (c’est la moindre de choses), le sourire aux lèvres, ni qu’à l’arrivée on s’aperçoive que, derrière la blague, il y a le tableau pas si exagéré que ça de la condition des femmes, en Espagne (et pas uniquement en Espagne).

Alors certes, les solutions du couple Carlos/Piedad sont un poil expéditives, mais cela s’appelle du défoulement, et ça fait vraiment du bien. Désolé pour ceux qui ont déjà trop de livres à lire, mais il faut impérativement ajouter celui-ci.

Carlos Salem / Attends-moi au ciel (Muerto el perro, 2014), Actes Sud/actes noirs (2017), traduit de l’espagnol par Judith Vernant.

Un blues galicien

Son premier roman choral traduit en France avait reçu le prix Violeta Negra à Toulouse. Anibal Malvar revient avec un roman d’une structure beaucoup plus classique : Comme un blues.

MalvarCarlos Ovelar est patron d’une petite agence de photographes à Madrid. Il vivote, de mariage en événement de seconde zone. Il est en train de s’imbiber au whisky, comme tous les soirs, quand il reçoit un coup de fil du mari de son ex. Ce riche avocat galicien fait appel à lui pour retrouver sa fille de dix-huit ans disparue de La Corogne depuis quelques jours.

Pourquoi appeler Carlos ? Parce qu’il est originaire de cette Galice qu’il a quitté depuis une vingtaine d’années, et qu’avant, dans une autre vie, il a travaillé pour les services secrets, à l’époque de la transition démocratique. Parce qu’il s’ennuie, pour faire quelque chose de sa vie, pour renouer avec le passé ou pour bien d’autres raisons, Oscar accepte.

Le titre français (qui n’a rien à voir avec le titre espagnol), est particulièrement bien trouvé, tant ce roman a des points communs avec le blues.

Comme cette musique géniale dans sa simplicité, il part d’une trame extrêmement simple et classique : retrouver une personne disparue. On sait bien, depuis les premiers polars mettant en scène des privés (installés ou improvisés) combien ce point de départ permet tous les développements.

Ensuite, comme le musicien de blues tourne autour de ses 3 accords et de ses 12 petites mesures, le roman tourne autour d’un passé, remontant sans cesse à la surface, et d’un lieu, la Galice, sa pluie, ses conditions de vie rudes, ses kilomètres de côte propices à tous les trafics.

Et comme dans le blues, à partir d’une trame simple, utilisée, usée même par bon nombre d’autres auteurs, Anibal Malvar crée sa propre musique. Dans un paysage noyé sous une pluie qui correspond parfaitement à l’état d’âme d’un narrateur qui lui se noie dans l’alcool, il nous ramène aux premières années de la transition démocratique en Espagne. Ses espoirs, ses trahisons, ses inévitables saloperies. En parallèle il dresse le portrait désabusé d’une région et d’une jeunesse qui semblent ne pas espérer grand-chose de l’avenir.

L’intrigue avance lentement, au rythme des cuites et des gueules de bois du narrateur, jusqu’à une conclusion à la fois prévisible, et parfois surprenante dans ses rebondissements … comme un blues.

Anibal Malvar / Comme un blues (Ala de mosca, 2009), Asphalte (2017), traduit de l’espagnol par Hélène Serrano.

Un conseil de film, pour changer

Je ne vais pas souvent au cinéma. Pas assez à mon goût. Et souvent je vais voir les films avec pas mal de retard, quand je ne les vois pas en DvD … Alors pour une fois que je vois un film actuel, qui passe encore, je ne vais pas me gêner pour vous le conseiller : Allez voir Truman, film espagnol de Cesc Gay avec deux « actorasos » comme disent les argentins, deux monstres : Ricardo Darín, et Javier Cámara.

Si je vous résume le film, vous risquez de ne pas y aller … Darín est Julian, acteur argentin vivant à Madrid. Après des mois de lutte contre le cancer, à l’annonce d’une généralisation de la maladie il décide de cesser tout traitement et de vivre ses derniers jours.

Cámara est son ami Tomas, espagnol vivant au Canada, qui va venir le voir une dernière fois pour une visite de 4 jours.

Julian n’a plus qu’un détail à régler : Que faire de Truman, son très gros chien, quand il sera mort.

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Je vous avais averti, le résumé ne donne qu’une envie : s’échapper. Et pourtant quel putain de film qui tient bien entendu grâce aux deux personnages et aux deux monstres qui les incarnent.

Darín … Ben Darín c’est Darín. Exubérant, cynique, drôle, injuste, monstrueux d’égoïsme et impressionnant de courage et de vitalité. Comme toujours il bouffe l’écran, explose, donne envie de le gifler et de le prendre dans les bras en même temps. L’exploit de Cámara c’est d’exister face à ce monstre. Exploit d’autant plus remarquable qu’il a un rôle tout en silence et en retenue.

Un duo qui porte magistralement une belle histoire d’amitié, une histoire de solitude, une histoire de courage face à la mort et à la maladie, une histoire de fidélité …

Le film ne joue jamais du violon, il arrive à vous faire sourire, rire même parfois, et en même temps, je vous mets au défi de ne pas avoir les yeux rouges. Mais sans en avoir honte, sans jamais avoir l’impression qu’on vous a tiré les larmes à coups de pathos et de scènes obligatoires.

Un beau film et deux acteurs monumentaux, qui fait réfléchir, met la pêche et fait pleurer et sourire.

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Carlos Salem : Cuentos

C’est la fête pour les amateurs de Carlos Salem. Après son excellent évangile, voici une autre facette de son talent avec Japonais grillés, un recueil de nouvelles paru chez In8.

Cinq nouvelles dans ce recueil, cinq perles, pas une fausse note.

Salem-JaponaisJaponais grillés est drôle et nous permet de retrouver le tueur à gage très pro et très minutieux de Nager sans se mouiller. Ou au moins un personnage qui lui ressemble étrangement. Humour noir au menu, avec le gouffre entre les atrocités racontées et le ton très neutre et pro du narrateur. Au point qu’on doit réfléchir pour se rendre compte qu’il raconte des atrocités. Et une très jolie chute.

Dans Petits paquets, c’est Poe, le pote de Dieu Junior (ou, là encore, quelqu’un qui lui ressemble étrangement) qui raconte. Une nouvelle très émouvante sur le talent massacré, l’amitié, l’exploitation des plus faibles, sur la lente chute de ceux qui ne trouvent pas leur place dans une société de « gagnants » autoproclamés. Et là encore, très belle chute qui prend aux tripes.

On retrouve Poe, dans un bar (quelle surprise !) dans Comme voyagent les nuages. La nouvelle qui, parmi les cinq, flirte le plus avec l’absurde et le fantastique, ou le rêve. Mais un rêve bien sombre, perdu dans les sous-sols du métro. Une nouvelle dans laquelle j’ai senti un hommage au grand Cortazar, mais je peux me tromper, faudra que j’en discute avec Carlos. Toujours est-il qu’elle m’a fait penser au maître argentin, sans souffrir de la comparaison, ce qui est en soi une sacrée performance !

Des marguerites dans les flaques se déroule de nouveau dans un bar. Dialogue entre le barman et un vieux flic de plus en plus imbibé. Un vieux flic qui ne veut pas lâcher une affaire, bien que tout le monde se fiche du meurtre d’une prostituée. Un vieux flic qui noie son échec dans l’alcool … Jusqu’à l’excellente chute, encore.

Et revoilà Poe dans Mais c’est toi qu’elle aimait le plus, excellente variation sur le thème de la femme fatale mais fragile. Fort bien écrite, très bien construite, avec encore une chute parfaite.

Bref, cinq pépites, des personnages émouvants, des bars la nuit, de l’humour noir, un hommage aux grands classiques du polar et de la littérature argentine. Que vous faut-il de plus ?

Carlos Salem / Japonais grillés??, ??), In8/Polaroïd (2015), traduit de l’espagnol (Argentine ?) par Judith Vernant.

Dieu Jr est grand, Carlos Salem est son prophète.

Cela commençait à faire un moment qu’on l’attendait, Carlos Salem est de retour avec Le plus jeune fils de Dieu.

Salem-DieuLe narrateur, surnommé Poe, est poète et vit à Madrid. Il est persuadé d’être un roi Midas à l’envers qui change tout ce qu’il touche en merde. Déprimé mais plus dans la dèche depuis que, pour rire, il a écrit sous pseudo un roman érotico-cucul, genre qu’il méprise copieusement. Croyant faire une farce, il se retrouve best-seller et se présente comme le secrétaire particulier de la supposée auteur … Enfin tout cela l’assure de ne jamais manquer de bières.

Tout se complique quand deux journalistes de ce que la presse compte de plus vulgaire sont assassinés de façon très imaginative, et qu’on trouve près de leur cadavre un petit mot disant : « Maintenant vous allez me croire. Mais il est trop tard ». Or ces deux vautours avaient, trois ans auparavant, participé à une émission télé qui s’était terminée par l’assassinat médiatique d’un allumé se prétendant le petit frère de Jésus, le plus jeune fils de Dieu. Et Dieu Jr était un pote de Poe. Voici donc Poe lancé dans la quête de la vérité pour disculper son ami que tout accuse. Il part à la recherche des anciens disciples, de Mariah, la redoutable mère de Dieu Jr, et de Madeleine, un trans qui fut son grand amour. Tout cela avec l’aide d’un privé qui ne manque pas de ressources, un certain Arregui. Bien entendu, tout va partir en sucette …

Yeepee ! Le grand Salem est de retour. Sa version de la vie de Jésus, que lui-même appelle « Un évangile de bière-fiction » devrait être un simple exercice de style potache, un machin un peu rigolo où il s’amuse à transporter de façon plus ou moins irrévérencieuse et iconoclaste l’évangile dans notre monde surmédiatisé. Il devrait. Mais comme Almodovar qui arrive à faire un grand film là où d’autres feraient d’abominables mélos dégoulinants de vulgarité, Carlos Salem transforme la pantalonnade en véritable roman qui vous fait réfléchir, vous fait rire (ou sourire) et pourrait presque vous tirer les larmes.

Alors oui, il y a un côté sale gosse à transformer Marie et virago hippie, divorcée et remariée avec un certain George S. Atan, à faire de Dieu Jr un homme frustré parce que sa divinité, malheureusement, est concentrée dans … une bite lumineuse qui convertit immédiatement toute femme qui la voit et l’envoie directement dans les ordres (ce qui est fâcheux pour la vie sexuelle de Jr) etc … Mais sale gosse talentueux car tout ça est bien trouvé et c’est rigolo !

En plus de la rigolade, il y a la description au vitriol de la presse et de la télé poubelle, de la religion, de la vacuité d’une partie de la société. Une critique sans pitié qui ne veut pas dire que le roman est uniquement un roman à charge. Il y a aussi de très belles pages sur la folie, sur l’écriture et sur ce que devrait être l’exigence de l’écrivain vis-à-vis de son art, sur la culpabilité. Et comme toujours chez Carlos Salem, de belles descriptions de bars et d’ambiances de quartiers, et bien entendu l’amour sous toute ses formes, de la plus fleur bleue à la plus sensuelle.

Une vraie réussite, une de plus, du funambule argentino-madrilène.

Carlos Salem / Le plus jeune fils de Dieu (En el cielo no hay cerveza, 2012), Actes Sud/Actes Noirs (2015), traduit de l’espagnol (Argentine ?) par Amandine Py.

Un nouvel auteur espagnol chez Asphalte

Les éditions Asphalte ont le chic pour dénicher des romans urbains latinos. En voici un nouveau avec La ballade des misérables de l’espagnol Aníbal Malvar.

MalvarDans le bidonville de Poblao, peuplé de gitans, la petite Alma vient de se faire enlever. Ce n’est pas la première gamine gitane à disparaître à Madrid. Mais cette fois, c’est la petite fille du patriarche et l’affaire fait enfin du bruit. L’inspecteur O’Hara et son partenaire Ramos sont en charge de l’enquête. Mais les gitans n’ont pas confiance et le grand-père demande à Tirao, un colosse, de chercher de son côté. De la décharge voisine aux beaux quartiers ils vont mettre en lumière de sordides trafics.

Il m’a manqué très peu de choses pour que ce roman m’emballe complètement. En fait, je crois plutôt qu’il y avait trop de choses … L’auteur fait le choix de passer en permanence d’un narrateur à l’autre, avec une priorité donnée aux protagonistes principaux, mais en prenant aussi un perroquet, la lune, la ville, un insigne de police ou la vieillesse comme intervenants.

Un choix qui s’avère parfois très émouvant, poétique et humain comme le chapitre raconté par la vieillesse, mais qui m’a parfois ennuyé et donné l’impression qu’on avait là un chapitre qui aurait gagné à être coupé (comme celui de l’insigne de police). De fait j’ai eu quelques coups de mou dans la lecture …

Dommage car si l’on excepte ces lenteurs, l’ensemble est vraiment original et convaincant. De beaux personnages, avec une façon très personnelle de tordre les clichés (le couple de flics est très réussi), de belles scènes, spectaculaires, émouvantes ou rageantes.

Et surtout la peinture de la situation des gitans, faite avec beaucoup d’humanité, sans concession mais sans non plus d’angélisme : on peut être victime d’une société et être un parfait pourri. Les gitans du Poblao ne sont pas des enfants de cœur, ils souffrent, vivent dans des conditions lamentables, sont victimes du racisme du reste de la population … mais cela n’empêche pas qu’ils sont aussi capables d’être de vrais pourritures, d’arnaquer ou de violenter leurs compagnons de misère, de s’enrichir sur le dos de plus faibles qu’eux … Bref des humains, comme les autres, mais qui vivent dans des conditions indignes.

Pour conclure, les scènes finales, très fortes, emportent l’adhésion et gomment les réticences que l’on peut avoir. A découvrir donc au prix d’un petit effort, et en sachant que les fans de polars carrés et classiques risquent d’être déroutés.

Aníbal Malvar / La ballade des misérables (La balada de los miserables, 2012), Asphalte (2014), traduit de l’espagnol par Hélène Serrano.