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Petits désordres

Deux toulousains, Maïté Bernard et Christophe Guillaumot se sont mis ensemble pour nous amuser avec de Petits désordres qui font du bien.

La vie de Grégoire Leroy n’est pas simple. Commandant de police à Paris, à la tête d’une brigade de répression du proxénétisme, il doit s’occuper d’un mouton, d’un yorkshire guerrier, de deux carpes et d’une fille de 20 ans très engagée qui lui reproche en permanence de se comporter comme un vieux con.

Ajoutez un chef qui veut des résultats, des prostituées qui manifestent devant ses fenêtres, et un test à passer impérativement pour prouver, justement, qu’il n’est pas un vieux con et est conscient des changements de la société en termes d’inclusion de tous ceux qu’il faudrait inclure.

Il finit d’aggraver et de compliquer son cas quand il lâche, à bout de nerfs : « On n’est pas des pédés ». Mauvaise pioche …

Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais qu’est-ce que j’ai ri ! C’est déjà rare de sourire en lisant, et j’ai souri souvent, cela l’est beaucoup plus de rire, et j’ai éclaté de rire à deux ou trois reprises. Le style est vif, c’est drôle et enlevé, on le lit sourire aux lèvres en deux temps trois mouvements.

Maïté Bernard et Christophe Guillaumot ne reculent pas devant un poil d’exagération et de caricature, mais ce n’est jamais méchant et c’est pour la bonne cause, mettre en lumière les travers de notre société, les changements nécessaires et les travers associés.

Ajoutez un regard assez acéré sur une administration qui se couvre en jetant de la poudre aux yeux, ici la police. Ceci dit, ça ressemble tant à ce que je vis dans ma propre boite que le rire se fait parfois un peu jaune.

C’est gentil mais sans concession, c’est drôle et intelligent et on passe un excellent moment. Ce serait dommage de la rater.

Maïté Bernard et Christophe Guillaumot / Petits désordres, Liana Levi (2023).

Miss Marple chez les porteños

Si je n’avais pas connu Maïté Bernard, et si le roman ne s’était pas déroulé à Buenos Aires, je n’aurais sans doute pas lu Manuel de savoir-vivre en cas de révolution. Et j’aurais eu tort.

Bernard1810, Buenos Aires, vice-royaume du Rio de la Plata. Felicity Jones est spécialiste en savoir-vivre et en bonnes manières. Elle les connaît sur les bouts de doigts, qu’elles soient espagnoles ou anglaises. Cela ne l’empêche pas de crever de froid et de faim avec son petit-fils Felix. Mais même si elle a tout perdu économiquement, elle ne compte pas laisser filer les seules choses qu’il lui reste : son éducation, ses manières et son nom.

Les choses pourraient s’arranger quand elle se trouve chez les Padilla pour une veillée mortuaire. Le corps d’une jeune femme, abattue d’une balle dans la tête se trouve dans la bibliothèque, portes et fenêtres fermées. Et pourtant Felicity est certaine qu’il ne s’agit pas d’un suicide. A la demande de la maîtresse de maison, Felicity et Felix vont s’installer chez Padilla, officiellement pour essayer de donner un vernis d’éducation à la furieuse Luz, seize ans en rébellion contre sa famille, officieusement pour savoir ce qui s’est réellement passé.

Dans un monde en plein bouleversement, où l’Espagne et l’Angleterre se disputent un Rio de la Plata qui commence à se voir libre et indépendant, certains vont apprendre à connaître notre enquêtrice, qui sous des dehors rigides et policés cache un esprit beaucoup plus libre et affuté qu’on ne pourrait le croire.

Délicieux. C’est le premier adjectif qui me vient à l’esprit. Et piquant. Et puis instructif aussi. Et finalement, émouvant. Ca fait pas mal non ?

Maïté Bernard a écrit un « à la manière de ». A la manière d’Agatha, mais avec une miss Marple beaucoup plus intéressante que l’original (du moins que le souvenir que j’ai de l’original). Plus intéressante car plus complexe. Pour le « à la manière de », c’est la façon de mener l’enquête et de réunir tous les coupables potentiels à la fin pour faire surgir la vérité. Comme c’est pleinement assumé, c’est drôle.

Mais là où c’est intéressant, c’est qu’on a un personnage beaucoup moins monolithique qu’on ne pourrait le croire, et que sous des dehors de femme qui accepte et même revendique la place soumise que lui impose la bonne société, Felicity, sans jamais donner l’impression de se révolter, est loin de se laisser marcher sur les pieds, prend les affaires en main, met les hommes à leur place et, comble du comble, essaie d’apprendre à une jeune révoltée qui va droit dans le mur, comment faire de même. Un véritable manuel de savoir-vivre … révolutionnaire.

Tout cela étant raconté de façon fine, et en mettant en avant le rôle primordial de l’éducation et de la lecture comme armes d’émancipation, comment aurais-je pu ne pas adorer ? N’oublions pas l’humour, avec ces magnifiques ouvertures de chapitres qui sont tellement incroyables que je les espère authentiques. Je vous en cite une pour le plaisir :

« En résumé, une jeune fille excentrique, romanesque et instruite ne peut faire une bonne épouse avant un certain âge. Il faudrait un homme d’une patience à toute épreuve ou d’une trempe certaine pour l’amener à apprécier le bonheur de sa véritable place, la seconde. »

Délicieux vous disais-je.

Pour finir, on y apprend beaucoup de choses sur le contexte historique et sociologique des années qui ont précédé les années de guerre d’indépendance de l’Argentine. Et cerise sur le gâteau, un roman qui commence sur le ton de l’humour discret et léger finit avec quelques touches très émouvantes renforcées par la postface où Maïté Bernard explique la genèse du roman.

A lire donc, vous avez le temps, les vacances arrivent !

Maïté Bernard / Manuel de savoir-vivre en cas de révolution, Le passage (2017).

 

Poulpe sauce espagnole.

Gabriel déprime. Ce n’est pas nouveau, cela fait quelques titres qu’il déprime. Sous la plume de Laurence Biberfeld il a même passé le temps à se faire casser la gueule par un soupirant de sa belle un peu ramolli du bulbe. En parlant de la belle, sa relation avec Chéryl a de l’eau dans le gaz. Alors quand Brifid Waterford, rousse incendiaire qu’il a déjà croisé quelques années auparavant débarque dans sa vie … Il prend feu. Les voilà partis, mains dans la mains, et zigounette dans le pilou pilou (comme disait le Maître) sur les traces d’une trafic d’antiquités afghanes. Une enquête qui les mènera de Toulon à Londres, en passant par Séville, Barcelone et Cadaqués, pour le plus grand plaisir d’un poulpe qui se demande quand même où il met les pieds.

Pourquoi ouvre-t-on un Poulpe ? Pour passer un bon moment de détente en compagnie d’un personnage éminemment sympathique, et pour voir comment un nouvel auteur va prendre le bestiau en main. En général aussi parce que s’attend à trouver un minimum d’humour. Maïté Bernard a accepté la mission, elle a écrit Même pas Malte, elle a bien fait. C’est un poulpe délicieux. Léger, sensuel, pétillant, ensoleillé …

Déjà il commence sous de bons auspices, Maïté Bernard rendant hommage à Marcus Malte, preuve qu’elle a bon goût. Elle nous amène à Cadaqués, Barcelone et Séville. Ce qui confirme qu’elle a bon goût. Et elle nous fait « entendre » l’album magique Lagrimas Negras, ce qui devrait finir de convaincre tout le monde … Qu’elle a bon goût.

Un petit moment de bonheur sans complication. Quelque coups de tatane dans une ambiance de comédie américaine à l’ancienne (vous savez, les élégantes, qui laissent un sourire ravi sur les lèvres) Gabriel fait un break (nous aussi), est à deux doigts de laisser tomber Chéryl et une partie de ses principes pour deux yeux verts, une tignasse rousse … Et tout ce qui va avec. Une bouffée d’oxygène avant de replonger dans du noir bien noir.

Maïté Bernard / Même pas Malte, Baleine/Poulpe (2010).

Que lire après Dennis Lehane ? Maïté Bernard.

J’ai fait un très sale coup à Maïté Bernard. Avant toute chose, si elle passe par ici, je la prie de m’en excuser …

Voilà. Après le monumental Un pays à l’aube, je ne savais pas trop quoi lire qui tienne le choc. J’avais sous le coude monsieur madone, que très gentiment Maïté (croisée à l’occasion de divers festivals) m’avait fait parvenir. U roman qui, de toute évidence, n’avait rien à voir avec le Lehane : ce n’est pas un polar, il est court, il est intimiste. C’est donc elle qui a eu la lourde tâche de succéder au monument … Mon choix aurait pu lui être fatal, il n’en fut rien.

La narratrice est photographe. Elle est en deuil. Depuis 5 ans. Depuis qu’Hugo, son compagnon, s’est suicidé pour ne pas vivre l’agonie d’un cancer. Depuis elle fuit, d’un pays en guerre à un autre, coupant les ponts avec la famille d’Hugo. Aujourd’hui elle est de retour à Versailles, où elle va passer un après-midi avec Nicolas, le frère d’Hugo. Un après-midi pour marcher dans le parc, parler d’Hugo, comprendre la douleur des autres, et, peut-être, retrouver l’envie de vivre.

Maïté Bernard quitte le polar de ses débuts (Nimes Santiago et Fantômes) et donne la parole à une femme blessée. Elle le fait avec beaucoup d’humanité et de tendresse, lors d’une promenade sous la pluie qui laisse une impression à la fois douce et triste. Comme la saudade tant chantée par les portugais, les cap verdiens et les brésiliens.

Son court roman passe du bonheur des souvenirs heureux, à la douleur indicible du manque. Une douleur qui ne s’en va jamais, même si elle se fait moins vive et plus « supportable ». Elle dit très justement le refus d’être comprise par des gens qui ne peuvent pas comprendre, le refus d’être consolée d’un chagrin inconsolable. Elle dit avec beaucoup de tact l’impossibilité à partager ses sentiments, et pourtant, le partage possible avec un proche qui a connu la même perte. Et elle dit aussi l’envie de vivre, de nouveau.

Un très joli roman, plein d’émotion, de tact, de tendresse. Un bon choix après l’ampleur, le bruit et la fureur de Lehane.

Maïté Bernard / monsieur madone Le passage (2009).