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Nocturne pour le commissaire Ricciardi

Pour tous les fans, une excellente nouvelle, la sortie chez Rivages d’un nouveau Maurizio De Giovanni, Nocturne pour le commissaire Ricciardi.

Vinnie Sannino, Vinnie le Serpent, a émigré aux US où il est devenu champion du monde poids moyens. Un champion acclamé par le Duce. Puis, par accident, Vinnie a tué son dernier adversaire sur le ring, un nègre. Et depuis Vinnie ne veut plus combattre, pour la grande honte du pouvoir fasciste qui le traite de lavette. Pire que tout, Vinnie revient à Naples, ville qu’il a quitté à 16 ans, il vient retrouver son amour d’adolescence, celle pour qui il est parti chercher fortune en Amérique.

Malheureusement, Cettina est mariée. Fou de douleur, complètement saoul, Vinnie menace son mari. Qui se fait tuer, après un tabassage en règle la nuit suivante. Pour le pouvoir fasciste, l’assassin est évident, d’autant plus qu’il a « humilié » l’Italie. Pourtant pour le commissaire Ricciardi et le brigadier Maione les choses sont moins évidentes.

Une longue semaine d’enquête, dans la pluie et le froid, alors que chacun de son côté a ses propres soucis et ses propres inquiétudes.

Ce n’est pas un mystère, je suis en fan absolu, inconditionnel de Maurizio De Giovanni et de ses personnages évoluant dans la Naples fasciste. C’est une fois de plus un bonheur absolu de retrouver Ricciardi, Maione, Bambinella, le docteur Moro, Enrica et tous les autres.

Une fois de plus avec Ricciardi, l’auteur va vous briser le cœur, une fois de plus vous allez marcher, tête nue dans les rues et les ruelles de Naples. Vous découvrirez un peu du passé de Maione, vous allez être confronté à l’enfer de Ricciardi, vous allez côtoyer des femmes sublimes, vous allez rire de la bêtise des supérieurs de nos deux flics préférés, sourire avec les réparties acerbes du légiste (ça à l’air d’être une constance en Italie si on en croit De Giovanni et Camilleri), l’exubérance de Bambinella, les fausses colères de Maione …

Du bonheur, que du bonheur. Mais un bonheur qui laisse parfois un goût bien amer quand on voit les partis qui arrivent au pouvoir en Italie, et pas seulement en Italie.

Maurizio De Giovanni / Nocturne pour le commissaire Ricciardi, (Serenata sensa nome. Notturno per il commissario Ricciardi, 2016), Rivages/Noir (2022) traduit de l’italien par Odile Rousseau.

La nuit n’existe pas

Je n’avais pas été vraiment convaincu par le premier roman d’Angelo Petrella que j’avais lu. Une bonne série B sans plus disais-je. Le suivant, La nuit n’existe pas, me convainc encore moins, ce sera ma dernière tentative avec cet auteur.

On retrouve Denis Carbone, flic hardboiled et borderline napolitain, toujours fâché avec sa hiérarchie, ciblé par les puissants et hanté par la mort de sa sœur. Son enquête sur la mort d’une gamine d’origine nigériane qui a été torturée va l’amener à douter de tous, et à affronter des adversaires qui ne reculent devant rien. Des adversaires qui ont des soutiens jusque dans les plus hautes sphères.

Dans ma note sur Fragile est la nuit je trouvais que Angelo Petrella ne décrivait pas du tout Naples, et surtout ne disait rien de ses habitants. Que c’était une série B survoltée sauvée par son humour et son ton vif. Malheureusement cette fois, les défauts (à mes yeux) sont toujours là, et les qualités ont disparu.

Toujours aucune existence réelle de la ville dans ce roman, si l’on excepte les noms de rues, ou de monuments. On pourrait se trouver n’importe où. Mais surtout, l’humour a disparu, et le côté survolté ou frénétique tourne cette fois à l’hystérie et au grand guignol. Avec secte satanique, grand complot, grand maître et explosions, hémoglobines et coups de théâtres absolument invraisemblables à tous les chapitres. Seul avantage, c’est court.

Donc ce sera tout, Denis Carbone continuera ses aventures sans moi.

Angelo Petrella / La nuit n’existe pas, (La notte non esiste, 2019), Philippe Rey/Noir (2021) traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

Revenir à Naples

C’est le traducteur (et auteur) Sébastien Rutés qui m’a signalé et fait envoyer Revenir à Naples, le nouveau roman de Paco Ignacio Taibo II dont on n’avait pas de nouvelles littéraires depuis près de 10 ans et la sortie de sa version des aventures de Sandokan. Qu’il en soit mille fois remercié.

Début du XX° siècle, un groupe d’anarchistes napolitains fuient la faim et la prison et débarquent à Veracruz, dans le cadre d’un programme d’immigration. Le gouverneur de l’état compte sur eux pour cultiver des terres et chasser les indiens qui vivent là. Manque de chance pour lui, les nouveaux arrivants qui comptent une poétesse, un curé assez particulier, une prostituée, un acrobate et quelques autres spécimens, ne sont pas du tout paysans, et sont absolument allergiques à toute forme d’injustice. Vous devinez la suite.

Quatre-vingt ans plus tard, le dernier survivant du groupe se souvient alors qu’il effectue le voyage pour revoir Naples.

« Une dictature, ce n’est pas seulement une structure de pouvoir verticale construite sur la peur, l’armée et la répression, les curés, les apparences, le contrôle de l’information, le mensonge et l’habitude, la fausse promesse d’un progrès dont personne ne sera soi-disant exclu ; c’est aussi tout un réseau de passe-droits, de complicités, de copinages, de fraudes et d’accommodements qui huilent la machine de haut en bas de la pyramide. La dictature, c’est de la merde. »

Voilà, comme on pouvait s’y attendre, les goûts et dégouts de l’auteur n’ont pas changé pendant ce long moment où l’on n’a pas eu de ses nouvelles. Sa tendresse va toujours vers les perdants magnifiques, ceux qui se révoltent, et il n’a rien perdu de sa verve quand il s’agit de saigner les puissants ridicules.

Donc même si l’on est loin de la puissance, de la tornade d’imagination de ses chefs-d’œuvre, on se régale à lire sa prose et à suivre, dans ce court roman, les aventures de son groupe d’anarchistes italiens, de découvrir la province de Veracruz en 1900, et la ville de Naples aujourd’hui. On peut juste regretter que ce soit si court, et espérer ne pas avoir à attendre encore dix ans pour lire le prochain.

Paco Ignacio Taibo II / Revenir à Naples, (El olor de las magnolias, 2018), Nada (2021) traduit de l’espagnol (Mexique) par Sébastien Rutés.

Des phalènes pour le commissaire Ricciardi

Il s’est un peu fait attendre, je commençais à m’inquiéter … mais il est arrivé, enfin. Il se déroule en septembre, quand les nuits sont belles à Naples, c’est le nouveau Maurizio De Giovanni, Des phalènes pour le commissaire Ricciardi.

Septembre donc. La grosse chaleur est passée, le froid n’est pas encore là, il fait bon marcher, la nuit, dans les rues de Naples. Mais tout le monde n’en profite pas. Accablé de solitude, ne voulant pas imposer la charge du poids des morts qu’il porte à une femme, resté seul après la mort de sa « tata » qui s’est occupé de lui toute sa vie, Ricciardi s’ennuie et dépérit.

C’est pour cela qu’il accepte d’aider la très belle et très hautaine comtesse Bianca de Roccaspina. Son mari, joueur compulsif, s’est accusé du meurtre d’un usurier auquel il devait beaucoup d’argent. Et pourtant Bianca le sait, la nuit du meurtre, il était chez eux, dans leur palazzo. Alors pourquoi refuse-t-il toute aide ? Pour quelle étrange raison s’accuse-t-il ?

Bien qu’il ne soit pas convaincu, Ricciardi accepte de reprendre l’enquête en cachette d’une hiérarchie qui ne veut pas avoir de meurtre sans solution. Dans une Naples où l’emprise fasciste se fait chaque jour plus forte, au moment où l’Allemagne hitlérienne et l’Italie mussolinienne envisagent de s’allier, Ricciardi et le brigadier Maione vont devoir, une fois de plus, sonder les cœurs.

Vous le savez je suis un fan absolu de Maurizio de Giovanni et de son commissaire Ricciardi. J’étais donc aux anges de les retrouver. De visiter Naples, de goûter les paupiettes de veau que Lucia prépare amoureusement pour son brigadier, de rendre visite à Bambinella et de profiter de ses échanges toujours drôles avec Maione, de profiter du bleu de la mer, des cris des vendeurs de légumes …

Si l’intrigue est un peu plus mince que dans d’autres volumes, on est bien dans la poésie et la nostalgie propres à cette série, superbement orchestrées autour d’une chanson populaire, d’un air de guitare, et des rêves et des cauchemars des différents protagonistes. Et un peu plus que d’autres fois, l’arbitraire et la violence du contrôle fasciste se font sentir.

Une fois de plus, Ricciardi va devoir comprendre les raisons d’un meurtre, et celles d’un aveu, des raisons encore liées à ces deux invariables : l’amour et la faim. Et on continue à suivre le suspense qui dure depuis le tout début de la série, notre commissaire préféré, mélancolique et désespéré restera-t-il seul à jamais …

Merci maestro, et vivement le prochain.

Maurizio De Giovanni / Des phalènes pour le commissaire Ricciardi, (Anime di vetro. Falene per il commissario Ricciardi, 2015), Rivages/Noir (2020) traduit de l’italien par Odile Rousseau.

Fragile est la nuit

Un nouvel auteur napolitain, chouette. Il faut quand même avouer que Fragile est la nuit de Angelo Petrella n’est pas près de supplanter l’immense Maurizio de Giovanni.

PetrellaDenis Carbone est un bon flic. Mais ça ne lui sert plus à grand-chose. Un peu ripoux il a été attrapé la main dans le sac et muté dans le quartier chic de Naples, où rien ne se passe. Jusqu’à ce qu’une femme d’une quarantaine d’année soit retrouvée morte au pied de la tour de sa magnifique villa. La possibilité pour Carbone de faire, enfin, un vrai boulot de flic.

Mais outre qu’on l’oblige à collaborer avec celui qui l’a fait tomber, il semble que son enquête dérange des gens qui ne plaisantent pas, et sont prêts à tout pour la faire capoter. Ils ne savent pas que Carbone est têtu, et surtout qu’il n’a rien à perdre.

Comme je disais donc, Fragile est la nuit souffre de la comparaison avec les deux séries de Maurizio de Giovanni. C’est peut-être injuste de comparer, mais comme les deux auteurs situent leurs histoires à Naples, difficile de ne pas le faire.

De ce court roman on peut dire qu’il est rythmé, que le ton est vif et ne manque pas d’humour et que l’auteur y reprend avec adresse le cliché du flic très limite, tout le temps entre gueule de bois et cuite, en conflit ouvert avec sa hiérarchie. Donc on ne s’ennuie pas.

Mais ça manque de profondeur, dans la description des personnages, et surtout dans celle de la ville. Si les quartiers sont bien dépeints, ce qui manque beaucoup au fan de Ricciardi ou de son collègue contemporain Lojacono c’est le peuple de ces quartiers. Car c’est bien ce qui fait la force des romans de cet autre auteur de Naples, l’empathie et l’humanité avec laquelle il décrit les napolitains. Ici, mis à part les flics, ils sont bien absents du roman qui se concentre uniquement sur son intrigue.

Il reste une bonne série B, menée à un bon rythme. Ni plus ni moins.

Angelo Petrella / Fragile est la nuit, (Fragile è la notte, 2018), Philippe Rey/Noir (2020) traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

L’enfer du commissaire Ricciardi

Depuis son apparition dans L’hiver du commissaire Ricciardi, j’attends avec impatience les réapparitions du personnage créé par le napolitain Maurizio de Giovanni. Et ô joie, il revient avec L’enfer du commissaire Ricciardi.

De GiovanniLa canicule estivale est là, telle une chape de plomb sur la ville de Naples qui prépare les fêtes de la Madonna del Carmine. Sur le coup de minuit, le professeur Iovine, sommité nationale, titulaire de la chaire de gynécologie est défenestré de son bureau, au dernier étage de l’hôpital. Ricciardi et Maione se retrouvent en charge de l’affaire, alors que la chaleur écrase tout.

Rancœurs, jalousies, amours déçues, chagrins inconsolables … malheureusement le quotidien des deux policiers qui vont mettre en lumière une carrière qui n’est pas aussi lisse et parfaite qu’il semblerait. Et qui, chacun de son côté, vont devoir affronter les difficultés de la vie familiale pour Maione et le poids de la solitude pour Ricciardi.

Encore un excellent Ricciardi, mais y en a t’il des mauvais ? J’y ai retrouvé tout ce que j’adore dans cette série. Des personnages terriblement attachants, la ville de Naples dans tous ses états. L’humanité de l’auteur et la justesse et la tendresse avec laquelle il décrit les plus démunis, les odeurs et les saveurs de chaque saison, la sensation que l’on a de connaître ces personnages et ces rues depuis toujours. Et le contexte historique de ces années 30 avec poids du fascisme, la misère qui pousse une partie de la population à l’exil.

Ne serait-ce que pour cela, chaque volume de la série est indispensable.

Cette fois, en prime l’écriture de l’auteur fait merveille pour décrire la canicule, comment elle abat et anesthésie tout, comment elle est différente d’une simple journée chaude et comment elle affecte la ville, ses habitants, son animation. Et que dire du chapitre médian, qui par petites touches décrit les différents protagonistes, écrasés de chaleur qui tournent et retournent dans la nuit, ressassant leurs remords, leurs soucis et leurs peurs ? Un vrai bijou au centre même du récit.

Pour finir, Maurizio de Giovanni, comme toujours, instille autant de suspense, de tension et d’attente dans la vie privée de Ricciardi et Maoine que dans une intrigue principale une fois de plus parfaitement tricotée. Et c’est cela qui fait que, le roman à peine refermé, le lecteur attend déjà avec impatience la suite.

Maurizio de Giovanni / L’enfer du commissaire Ricciardi (In fondo al tuo cuore. Inferno per il comissario Ricciardi, 2014), Rivages/Noir (2019), traduit de l’italien par Odile Rousseau.

Ricciardi, encore et toujours

Les fans (dont je suis) l’attendent tous les ans avec impatience. Le commissaire Ricciardi de Maurizio de Giovanni est de retour dans Les Pâques du commissaire Ricciardi.

GiovanniNous sommes dans la semaine de Pâques, à Naples, en 1932. Tout le monde se prépare à rompre enfin le carême, chaque cuisinière pense à sa « pastiera », ce gâteau traditionnel napolitain qui se mange le dimanche de Pâques. Mais tout le monde n’est pas concerné par l’effervescence des préparatifs et la douceur du printemps qui arrive.

Vipera, la plus belle fille du bordel le Paradiso est retrouvée étouffée dans sa chambre. Le dernier client qui l’a quittée jure qu’elle était vivante à son départ, le suivant l’a trouvée morte. Pour les autorités fascistes de la ville, la mort d’une pute est beaucoup moins importante que la réouverture, discrète, d’un bordel où ils ont leurs habitudes. Mais vous connaissez le commissaire Ricciardi et son inséparable adjoint le brigadier Maione, tant que l’affaire ne sera pas résolue, ils ne lâcheront pas le morceau.

Passer de Dominique Manotti à Maurizio de Giovanni, je ne pouvais pas faire de plus grand écart stylistique. De l’écriture sèche, au bistouri de la grande dame qui met à jour les rouages qui font tourner le monde des affaires au lyrisme plein d’empathie du grand monsieur qui met à nue l’âme tourmentée de Ricciardi et de tout un peuple. De la rage froide et impuissante à la saudade, aux pleurs et aux larmes. Que le polar est divers, que le polar est bon !

De roman en roman on découvre les traditions populaires, sociales et culinaires de Naples avec un plaisir sans cesse renouvelé. De roman en roman, on suit la gorge serrée les vies du tourmenté Ricciardi, du généreux Maione et de sa famille si pleine de vie, de Rosa qui veille sur son protégé, de Livia et Enrica, si différentes, mais amoureuses du même homme, du docteur Bruno Modo, bienfaiteur des quartiers populaires, qui se met en danger car il ne sait pas taire ce qu’il pense du pouvoir fasciste …

Une des grandes forces des romans de la série est de décrire le fascisme sans discours, sans dramatisation, vu par des personnages qui se désintéressent (presque) totalement de la politique, mais qui, peu à peu, vont être confrontés sans le chercher à sa brutalité, sa violence arbitraire, sa bêtise crasse. C’est particulièrement fort dans ce nouveau roman. Sans dénonciation, sans plaidoyer, la charge n’en est que plus efficace et plus terrible. Maurizio De Giovanni frappe au cœur autant qu’à la tête, sans jamais faire dans le larmoyant, sans effets putassiers, en s’adressant à l’humanité du lecteur.

Du grand art.

Maurizio de Giovanni / Les Pâques du commissaire Ricciardi (Vipera, 2012), Rivages (2018), traduit de l’italien par Odile Rousseau.

Noël à Naples avec Ricciardi

On pouvait craindre que les enquêtes du commissaire Ricciardi s’arrêtent à la fin du cycle des quatre saisons. Ouf, il n’en est rien. Revoici le héros mélancolique de Maurizio de Giovanni dans Le Noël du commissaire Ricciardi.

le noel du comissaire ricciardi.inddFin décembre 1931, Naples toute entière prépare Noël. Toute sauf Ricciardi qui est appelé, avec son fidèle adjoint le brigadier Maione, dans un appartement cossu. Une femme égorgée proprement ; le mari lardé de coups de couteaux baigne dans son sang sur son lit. Très vite l’enquête s’annonce délicate : l’homme avait un grade élevé dans la milice fasciste qui contrôle le port. Un grade obtenu en dénonçant la corruption supposée de son chef. Et il s’avère vite que le milicien modèle n’était pas si honnête, et c’était fait de très nombreux ennemis … Pendant ce temps, Naples prépare Noël.

Je l’ai déjà écrit, je le redis et je le confirme, j’adore Ricciardi, j’adore De Giovanni, j’adore sa façon de décrire Naples. Voilà, je pourrais m’arrêter là et vous renvoyer aux chroniques sur les quatre précédents romans. Mais je ne vais pas le faire.

Parce qu’une fois de plus, c’est un plaisir immense de retrouver sa description subtile et intelligente de la montée du fascisme dans la Naples de années trente, l’humanité de son regard sur les plus faibles, et de continuer à suivre la vie de Maione et sa famille, du docteur antifasciste Modo et de Ricciardi, ses peines, ses amours, sa solitude, on découvre. Et parce que comme chaque fois, une nouvelle facette de la ville et de ses habitants nous est présentée.

Avec ici des descriptions magnifiques des traditions de Noël qui ponctuent et rythment le roman : les crèches, les camelots, les vendeurs de victuailles, les recettes … l’excitation qui monte. Tout cela sans oublier de montrer comme cette période peut être différente suivant que l’on est à l’abris de la faim, ou pauvre pêcheur survivant difficilement de son travail dans des logements insalubres.

C’est fait avec éclat et brio, on sent, on entend, on goûte, on rage, on s’émerveille, on compatit sans que cela ne soit jamais larmoyant. Cela donne immédiatement envie d’aller passer Noël à Naples pour voir si c’est toujours aussi vivant. Et tout cela sans jamais oublier de construire une intrigue solide, riche en rebondissements et parfaitement cohérente.

Décidément, la série Ricciardi est bien l’une des grandes série du polar actuel, une des grandes séries du polar tout court.

Maurizio de Giovanni / Le Noël du commissaire Ricciardi (Per mano mia, 2011), Rivages/Thriller (2017), traduit de l’italien par Odile Rousseau.

Maurizio de Giovanni de Naples.

J’adore les romans du napolitain Maurizio de Giovanni. Tous. Qu’ils fassent partie de la série Ricciardi qui se déroule sous le fascisme, où de celle, actuelle, des flics du commissariat de Pizzafalcone. C’est à cette dernière qu’appartient Et l’obscurité fut.

DeGiovanniLe mois de mai est beau et parfumé à Naples. On peut rêver d’amour et de liberté. Ce qui ne veut pas dire que les policiers sont au repos. Au commissariat de Pizzafalcone, Lojacono et Di Nardo sont appelé sur les lieux d’un cambriolage. Etonnamment l’appartement pourtant équipé du nec plus ultra en termes de sécurité a été visité sans aucune effraction. Encore plus étonnant, à part le contenu d’un coffre, sur lequel les volés ne sont pas très bavards, rien ne semble avoir été emporté.

De retour au commissariat, ils trouvent tous les flics en alerte : Un gamin d’une dizaine d’année a été enlevé lors de la visite d’un musée avec son école très privée, très catholique et très chère. Comme son grand-père est l’un des hommes les plus riches de Naples, tout le monde s’attend à une demande de rançon. La course contre la montre est lancée …

Qu’est-ce qu’il est bon De Giovanni pour évoquer l’air doux et parfumé de mai, la musique dans les rues populaires, et l’ambiance d’une trattoria. Comme il sait nous toucher en quelques phrases sur la fatigue d’une mère célibataire, l’émotion d’un jeune homme amoureux, la détresse d’une vieille femme seule.

Sa peinture de la ville sait se faire précise, détaillée, ou impressionniste. Le rythme est toujours le bon, les mots touchent. Il est aussi fort dans la description de la haine qui déchire une famille richissime, que dans celle d’un amour sans lendemain ou celle des espérances d’une jeune fille.

Et cette capacité à décrire une ambiance et à construire des personnages ne l’empêche pas de construire très habilement une intrigue qui joue avec nos nerfs.

Plus je lis Maurizio de Giovanni, plus j’aime ses romans, son humanité, sa tendresse pour ses personnages et sa ville. Plus je le lis, plus il me touche et me bouleverse.

Maurizio de Giovanni / Et l’obscurité fut (Buio per i bastardi di Pizzafalcone, 2013), Fleuve Noir (2016), traduit de l’Italien par Jean-Luc Defromont.

Ricciardi, fin des quatre saisons

Les quatre saisons du commissaire Ricciardi, suite et fin ? Telle est l’angoissante question, L’automne du commissaire Ricciardi de Maurizio de Giovanni clôt-il définitivement la série ou aurons-nous l’immense plaisir de le retrouver ? Réponse en fin de chronique …

lautomne du commisaire ricciardi.inddIl pleut sur Naples en cette fin de mois d’octobre, alors que le Duce s’apprête à visiter la ville, ce qui met la police locale sur les dents. Bien entendu, cela ne touche guère le commissaire Ricciardi qui s’interroge : Comment se fait-il qu’il ne voit pas les dernières pensées de ce gamin des rues, découvert mort sur les marches d’un grand escalier. Lui qui est hanté par les morts trouve étrange de ne rien voir et en conclue que le môme est mort ailleurs et a ensuite été transporté là.

Malgré l’opposition véhémente de sa hiérarchie qui ne veut pas de vagues, et surtout pas pour un va-nu-pieds, à quelques jours de la visite de Mussolini, Ricciardi décide d’enquêter car :

« Le jour où je ne me désolerai plus de voir un enfant si jeune, mort et jeté comme un vieux vêtement ; le jour où cela ne me touchera plus de penser qu’à sept ou huit ans, on peut mourir de faim ou, dans le cas de ce gamin, en être réduit à manger des boulettes empoisonnées ; le jour où je ne chercherai plus à comprendre pourquoi un enfant erre tout seul, pieds nus, la nuit et sous la pluie ; le jour où il me semblera normal de trouver un cadavre assis sur une marche d’escalier, à l’aube, juste veillé par une chien, ce jour-là, je vous le jure, mon père, j’arrêterai de faire ce métier et je retournerai au pays. »

Tout ce que j’adore dans cette série très originale.

L’époque, que Maurizio de Giovanni arrive à recréer avec une grande finesse : décrire la montée du fascisme pourrait donner lieu à de grands discours et à une dénonciation argumentée. L’auteur préfère décrire par petites touches la montée d’une pression étouffante, l’insidieuse prise de pouvoir sur les corps et les âmes. Sans oublier de mettre en scènes les rares qui résistent encore. Imparable et bien plus littéraire.

La ville de Naples au début des années trente, véritable personnage de ces quatre saisons, dépeinte ici sous la pluie et la grisaille, autour du jour des morts (titre original du roman). Naples, ses quartiers noyés sous l’eau, et ses habitants qui survivent au mieux et qui arrivent à ne pas être totalement écrasés par le froid et la misère. Ce dernier ouvrage mettant l’accent sur les gamins des rues, livrés à eux-mêmes, survivant à grand peine. Avec une terrible description de la « charité » d’une église toute puissante et de ces dames qui se donnent bonne conscience tout en fronçant le nez.

Et puis Ricciardi et cette proximité avec les morts qui semble le condamner à la solitude. Un personnage totalement atypique dans le roman policier : il ne boit pas, ne se drogue pas, est d’une timidité maladive avec les femmes, vit avec sa vieille nourrice … Un personnage qui pourrait être fade et auquel on s’attache tellement !

Un personnage qu’on espère vraiment retrouver, ne serait-ce que pour savoir comment vont se terminer ses affaires d’amour … Et oui, que voulez-vous, on peut être amateur de noir et avoir son côté fleur bleue (j’ai triché, je suis allé sur le web, il reste quatre romans à traduire, youppie !).

L’automne du commissaire Ricciardi confirme, une fois de plus, tout le talent de Maurizio de Giovanni, vivement la suite.

Maurizio de Giovanni / L’automne du commissaire Ricciardi (Il giorno dei morti. L’autunno del commissario Ricciardi, 2010), Rivages/Noir (2015), traduit de l’italien par Odile Rousseau.