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La ménagerie de verre

Je continue à explorer les facettes du talent de Ken Liu avec ce premier recueil de nouvelles traduit en France : La ménagerie de papier.

Liu-N1Des extra-terrestres nous permettent de vivre dans la paix et le bonheur, au prix de notre mémoire. Est-ce qu’en apprenant à l’IA d’une poupée à répondre aux questions et aux sollicitations, on finit par apprendre à prévoir les réactions de gens, au risque de ne plus être surpris par rien ? Jusqu’à quel point est-on prêts à nous remettre totalement entre les mains d’un logiciel et d’un réseau sensés nous faciliter la vie ? Se souvenir, y compris des moments difficiles, ou oublier ? Des avantages et inconvénients de l’immortalité. Dieu rencontre quelques problèmes en essayant de raisonner avec une gamine de dix ans. Quel est le rapport avec la vision d’un ange et l’explosion d’une super nova ? etc …

19 nouvelles, toutes très différentes, mais où on peut retrouver des thématiques du premier texte que j’avais lu de cet auteur, la novella L’homme qui mit fin à l’histoire, parue au Belial dans cette superbe collection, Une heure lumière.

En particulier la mémoire, celle que l’on perd volontairement, avec les risques que cela comporte dans la très courte et ironique Emily vous répond, ou dans la réflexion de la première nouvelle Renaissance, où la perte de la mémoire est la condition pour accepter un sort finalement confortable, face à une espèce extraterrestre ayant fait de l’effacement de la mémoire un mode de vie.

Certaines font appel à sa culture d’origine, avec La plaideuse, conte savoureux sous forme d’enquête policière avec l’aide des fantômes des ancêtres, ou la magnifique La ménagerie de papier, qui voit un adolescent rejeter une mère trop chinoise, pas assez américaine, pour s’apercevoir trop tard de ce qu’il a perdu.

Ken Liu explore la folie, le voyage et la rencontre avec d’autres espèces l’incompréhension face à des façons de penser étrangères, la souplesse d’apprentissage et d’adaptation des enfants, la rigidité des adultes, la crainte du futur, que l’on pourrait un jour connaitre etc …

Autant de nouvelles fines, toutes intelligentes, de nombreuses très émouvantes, quelques unes drôles. Un vrai bonheur à déguster, en picorant, ou en dévorant.

Ken Liu / La ménagerie de papier (2004 à 2014), Folio/SF (2019), traduit de l’anglais (USA) par Pierre-Paul Durastanti et autres.

Des nouvelles de John Connolly

Les habitués savent que j’aime beaucoup John Connolly. Alors je n’allais certainement pas manquer son recueil de nouvelles : Musique nocturne.

ConnollyUn recueil de nouvelles donc, qui contient aussi une novella (le texte central), et une nouvelle déjà éditée dans collection de nouvelles d’Ombres Noires qui, me semble-t-il, a cessé de publier. Un recueil où il explore un genre qui lui tient à cœur : le fantastique.

Prière d’achever : un homme encore jeune vit de peu, au milieu de ses livres. Un jour il assiste par hasard au suicide d’une jeune femme qui, étrangement, va lui sembler familier. Et l’amènera à découvrir une bibliothèque singulière. Un vrai bonbon que cette nouvelle, absolument délicieuse, un plaisir pour tout amateur de livres, voir ce que j’en disais lors de sa première publication.

Le sang de l’agneau : Quelque part en Irlande une jeune fille accomplit des miracles. Alerté le Vatican envoie trois représentants pour enquêter … Illustration parfaite de ce que dit l’auteur à la fin du recueil. Quand on écrit de l’horreur, mieux vaut faire court, cela permet juste regarder dans l’ombre, derrière le rideau, sans tout voir. Le lecteur imagine le reste, et hurle ….

Un rêve d’hiver : deux pages pour une histoire de fantômes mélancolique.

Lamia : Une jeune femme vit l’enfer. Violée lors d’une soirée, elle a porté plainte, mais son agresseur n’a pas été condamné, au bénéfice du doute. Depuis elle doit même le croiser régulièrement dans la petite ville où elle vit et c’est elle qui reçoit menaces et insultes. Jusqu’à ce qu’elle trouve dans sa boite aux lettres une carte, avec une adresse et ceci : « Je peux vous aider ». Une histoire de vengeance horrible et horrifique, qui montre que l’on peut écrire de l’horreur, faire frissonner et s’intéresser aux victimes.

Le roi creux : Un conte, un roi, une reine, une menace contre le royaume. Pour moi la moins réussie des nouvelles du recueil.

Les enfants du docteur Lyall : Dans le Londres à moitié détruit par les bombardements allemands, deux petits malfrats profitent du chaos pour piller les morts, les mourants et les quartiers détruits. Jusqu’au jour où ils ont la mauvaise idée de s’attaquer à une maison intacte, où ne semble vivre qu’une vieille inoffensive. Mais est-elle vraiment seule dans la maison ? Impeccable montée de l’horreur, et superbe utilisation d’un décor très particulier. Pour ceux qui en doutent encore, la preuve que l’auteur est aussi efficace dans le récit court, que dans ses romans de la série Charlie Parker.

L’atlas fracturé : Pièce centrale du recueil, novella de 150 pages. Comme dans Prière d’achever, c’est un livre qui est au centre du récit découpé en cinq parties, qui semblent disjointes au début, mais qui finalement forment un puzzle complet à la toute dernière page. Un livre maudit, un livre meurtrier, un livre bien pire que ça … Horreur parfaitement maîtrisée dans un récit qui va du XVI° siècle aux lendemains de la première guerre mondiale, et met en miroir l’horreur fantastique imaginée par l’auteur, et celle du carnage de la guerre qui, comme le livre, a changé le monde. Sombre et magistral.

Razorshins : A l’époque de la prohibition, quelque part dans le Maine, un convoi de truands ramenant du whisky canadien est contraint par une tempête de neige de chercher refuge dans une ferme isolée. L’un des malfrats, un tueur envoyé par le parrain pour s’assurer qu’on ne le vole pas ne veut pas céder au paysan et à ses collègues qui lui conseillent, par mauvais temps et pleine lune, de sacrifier une bouteille, en cas … Belle histoire qui permet de concilier le récit fantastique avec ce classique du polar originel : l’histoire de mafia et de prohibition.

A propos de La dissection d’un inconnu (1637) de Frans Mier : Variation macabre toute en finesse autour d’un tableau représentant une scène de dissection. Ou comment faire naitre l’horreur en quelques pages autour d’une image comme on en trouve dans tous nos livres d’histoire.

Fantômes : Une belle histoire d’amour et de fantômes autour d’un homme à la fin de sa vie, inconsolable après la mort de son épouse.

Lazare : La version John Connolly de la résurrection de Lazare. Où l’on voit que, s’il a eu une éducation religieuse traditionnelle en bon irlandais, ses histoires diffèrent un peu de la version habituelle …

Holmes contre Holmes : Nous revoilà dans la bibliothèque spéciale de Prière d’achever. Avec, comme son titre l’indique, l’un de ses plus prestigieux locataire. Difficile d’en dire plus sur cette nouvelle sans en révéler trop sur la première … Virtuose et délicieux hommage qu’adoreront les fans du plus grand détective du monde.

Je vis ici : où John Connolly se raconte. Son amour des livres, ses influences littéraires et cinématographiques, les moteurs de son écriture, sa passion pour l’horreur et le policier, avec une mention spéciale à Ed McBain et le 87° district (je savais que c’était forcément un homme de goût !) … le tout avec un humour que l’on perçoit dans certains dialogues de ses romans ou dans ses livres pour ados. Passionnant pour tout fan, et de quoi rendre fan ceux qui ne connaîtraient pas.

En bref, tout le talent de conteur du maître du polar avec un soupçon de fantastique, dans un domaine où on le connait peu. Très recommandable même pour quelqu’un comme moi qui ne suis généralement pas du trop fan d’horreur, Lovecraft, King et les autres ne sont pas mes auteurs de chevet, loin de là.

John Connolly / Musique nocturne (Night music, 2015), Presses de la Cité / Sang d’encre (2019), traduit de l’anglais (Irlande) par Jacques Martinache et Pierre Brévignon.

Les premières gammes du maître

Elmore Leonard était un maître, un écrivain qui donnait l’impression bien trompeuse que tout le monde pouvait écrire comme lui tant son écriture semblait évidente. Rivages a eu la bonne idée d’éditer deux recueils à partir de ses premières nouvelles : Charlie Martz et autres histoires et Rebelle en fuite et autres histoires.

charlie martz et autres histoires.inddEn préface des deux recueils le fils d’Elmore Leonard (qui ne doit pas être tout jeune !) explique qu’il s’agit là d’œuvres de jeunesse de son père.

On veut bien le croire tant on a l’impression de voir le jeune écrivain travailler ses gammes, s’essayer à tous les genres, passer du polar au western, en passant par le roman d’espionnage. Tester une ambiance, la montée d’un suspense ou une scène d’action.

Leonard 01Un besogneux qui fait des gammes, c’est insupportable. Là il s’agit d’un des maîtres du genre, donc, même si toutes ne sont pas abouties, on prend quand même beaucoup de plaisir, et on voit l’affirmation de son talent, tant dans le dernier recueil certaines nouvelles sont superbes.

J’ai un faible pour les personnages déjà très leonardiens (calmes, cools, mais capables d’être implacables) de Les intrus, Juste pour faire quelque chose, Première siesta à Paloverde ou Confession, qui voient chacune un personnage au flegme typique de l’auteur mettre en déroute des brutes imbéciles pas potentiellement mortelles.

Rebelle en fuite et L’enclos du taureau, magnifiques toutes les deux, mettent en scène des héros ordinaires, à première vue faibles ou sans consistance, mais qui vont se révéler face à l’injustice, à la souffrance ou au malheur.

Et déjà chez l’auteur, ces personnages de femmes fortes, sures d’elles et de leurs valeurs.

En résumé, si je ne conseille pas de découvrir l’œuvre de ce géant avec ces nouvelles, elles sont le complément indispensable pour tout fan.

Elmore Leonard / Charlie Martz et autres histoires (Charlie Martz and other stories, 2015), Rivages/Noir (2017) et Rebelle en fuite et autres histoires (Charlie Martz and other stories, 2015), Rivages/Noir (2018), traduit de l’anglais (USA) par Johanne Le Ray et Pierre Bondil.

Des nouvelles de Patrick Pécherot

Dernier été : Quelques nouvelles noires et tendres de Patrick Pécherot, en attendant un roman à paraitre à la série noire.

pecherot nouvellesUn récit autour du tableau Réunion de famille de Frédéric Bazille, un récit adressé à un écrivain que vous pourrez jouer à reconnaître …

  • L’histoire d’ouvriers sacrifiés sans le moindre scrupule.
  • Les retrouvailles ratées entre un fils et sa mère.
  • Le comeback tout en humour noir d’une ancienne vedette du cinéma de série B, voire Z.
  • Le chant du cygne d’un ancien flic de quartier.
  • Une balade poétique et nostalgique dans Montreuil.

Un inédit et cinq textes déjà parus au gré des festivals, dans Le Monde ou dans la revue 813.

Six textes où l’on retrouve le lien avec le passé, le goût de la peinture, l’empathie pour ceux qui triment et qui souffrent, une nostalgie douce-amère sans angélisme ni passéisme.

Six textes où l’on retrouve l’écriture de l’auteur, la facilité avec laquelle il jongle avec les voix, les langages, sa capacité à nous faire entendre tel ou tel personnage, d’hier ou d’aujourd’hui, comme s’il nous parlait directement.

Six textes noirs, durs par ce qu’ils décrivent, tendres avec leurs protagonistes, parfois drôles. Parfait en attendant le prochain roman.

Patrick Pécherot / Dernier été, SCUP (2018).

Marc Villard et le jazz, évidemment.

Marc Villard et le jazz. Une évidence. Une fois de plus dans Si tu vois ma mère.

VillardDe New-York à Rome, en passant par Los Angeles, Chicago ou Tijuana. Miles Davis, Chet Baker, Art Pepper … Ou des anonymes, des gamins, des truands, des dealers, des putes, des apprenties chanteuses, des apprentis trompettistes … des révoltés, des camés, des rêveurs, des salauds …

Mais tous jouent, voudraient jouer ou écoutent du jazz.

Tous naissent ou renaissent de la plume de Marc Villard, vivent ou revivent le temps de quelques lignes, de quelques pages. Un fragment de vie, parfois le dernier, pas toujours. Mais un fragment musical, témoin d’une forme d’art, d’un morceau de vie et d’une époque.

Je ne sais pas comment on peut apprécier ce recueil quand on n’aime pas le jazz. Ce que je peux dire c’est que pour les amateurs c’est un vrai régal. Chaque nouvelle (il y en a seize), donne envie d’aller vers sa discothèque, retrouver le disque qu’on n’a pas écouté depuis longtemps, ou qu’on connaît par cœur. Ou d’aller chercher sur internet la version, le morceau dont il parle si bien. Et de retrouver, par la musique, l’émotion ressentie à la lecture.

Marc Villard et le jazz, une évidence, et un succès. Une fois de plus.

Marc Villard / Si tu vois ma mère, Cohen&Cohen (2017).

Des nouvelles de Bacigalupi

C’est un copain avec qui nous échangeons, de loin en loin, des conseils de lectures qui m’a prêté ce recueil de nouvelles SF : La fille-flûte et autres fragments de futurs brisés de Paolo Bacigalupi.

BacigalupiDes gamines au corps modifié pour servir d’esclave spécialisé à une classe dominante ; l’ouest américain totalement changé par une pénurie d’eau permanente ; des société agro-alimentaires qui ont complètement mis la main sur le vivant et breveté toute nourriture ; une guilde d’érudits qui, peu à peu, tente de remettre sur les rails un monde décimé par la guerre et les catastrophes ; des mondes où l’écarts entre les plus riches et les plus pauvres est devenu abyssal (comme aujourd’hui en fait …) ; des hommes qui se sont adaptés à la pollution totale, et ont oublié à quoi ressemble un simple chien ; un futur qui tombe en ruine, où le savoir c’est peu à peu perdu survivant difficilement sur ce qu’ont construit les anciens, mais sans avoir même l’idée qu’il faut le maintenir …

Autant de fragments de futurs brisés, effrayants, angoissants, d’autant plus effrayants et angoissants que certains semblent proches et plausibles, beaucoup trop proches et plausibles.

De longues nouvelles qui permettent à l’auteur de planter un décor, décrire un monde et y faire évoluer quelques personnages auxquels on s’attache très vite. Et également l’amorce ou la continuité de certains de ses romans (pour ceux que j’ai lu) : Une des nouvelles se déroule dans le monde de La fille automate, l’autre dans celui de Waterknife.

C’est bouleversant, souvent très noir et pessimiste. Etonnamment, c’est Le Pasho qui se déroule dans un monde violent, post apocalypse, un monde d’affrontement guerrier entre les cultures qui peut donner le plus d’espoir, et c’est La pompe six, la dernière nouvelle, où l’auteur ne décrit aucune violence, aucun affrontement, qui est le plus effrayant, avec son narrateur, ultime étincelle de conscience et d’intelligence dans un monde en pleine dégénérescence.

Des nouvelles magnifiques à lire, pour réfléchir à ce qui pourrait bien nous arriver. A ce qui est en train de nous arriver.

Paolo Bacigalupi / La fille-flûte et autres fragments de futurs brisés (Pump six and other stories, 2008), J’ai Lu/Science-fiction (2015), traduit de l’anglais (USA) par Sara Doke, Julien Bétan, Sébastien Bonnet, Laurent Queyssi et Claire Kreutzberger.

Toutes les nouvelles d’Ayerdhal

En toute fin d’année dernière à propos de la lecture du dernier recueil de nouvelles de Jean-Claude Dunaych, je vous disais que j’étais en train de lire, petit à petit, Scintillements, l’intégrale de celles d’Ayerdhal. Ca y est, j’ai fini.

ayerdhalL’éditeur a donc rassemblé toutes les nouvelles, et il a ajouté quelques interviews et une préface de Pierre Bordage.

Même si la nouvelle n’était pas la distance littéraire de prédilection d’Ayerdhal qui aimait avoir l’espace d’un gros roman pour déployer son imagination, ses univers et ses trames politiques, ce recueil montre qu’il a quand même écrit quelques textes courts inoubliables. Bien sûr, le niveau est inégal, mais ne serait que pour quelques pépites, il vaut le détour, ravivera la nostalgie des fans et pourra convaincre de nouveaux lecteurs de découvrir toute son œuvre.

Je ne les citerai pas toutes (il y en a quarante), mais

  • J’ai aimé la cruauté sensuelle de Vieillir d’amour, une variation originale sur le thème de la télépathie.
  • J’ai adoré la superbe histoire d’amour fou de L’adieu à la nymphe, et sa chute digne des plus grands spécialistes de la nouvelle.
  • La troisième lame et Pollinisation sont un peu à part, longues nouvelles, partie prenante de l’univers romanesque de l’auteur, elles lui permettent de développer ses personnages et ses idées politiques. Tout en réservant au lecteur quelques belles surprises. J’adore.
  • Scintillements qui donne son titre au recueil est bouleversante, magnifiquement construite et superbe réflexion sur la guerre, la paix, le sacrifice.
  • Notre terre est une réflexion amère et noire sur notre capacité à détruire ce qui nous entoure, même avec la meilleure volonté du monde, mais non sans une bonne dose d’égoïsme. Avec là, en l’occurrence, un environnement qui n’est pas dépourvu de moyens de défense assez expéditifs.
  • Pour les plus tout jeunes (comme moi !), Les seigneurs de la firme, hommage à l’albinos maudit le plus célèbre de la fantasy des années 70, est une variation très intelligente, où la fameuse épée qui a fait fantasmer plus d’un joueur de jeux de rôle se retrouve sous une forme pour le moins surprenante.

Sinon, on croise, au détour d’une nouvelle, Mozart, un chasseur devenu chassé, une version de Jésus pas très catholique, un président mort mais pas tout à fait, Tem alias Temple Sacré de l’Aube Radieuse, aimablement prêté par son ami Roland Wagner et une multitude d’autres personnages …

A noter à la fin de l’ouvrage une très longue et très passionnante interview par Richard Comballot qui revient sur toute sa carrière jusqu’à ses deux premiers thrillers (Transparence et Résurgence), ainsi que sur ses engagements, ses idées, ses amitiés et ses colères.

Un livre indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à Ayerdhal, à la SF française, et à la SF en général.

Ayerdhal / Scintillements Au Diable vauvert (2016).

Dunyach et Ayerdhal

Quelques nouvelles de SF pour finir l’année. Des nouvelles écrites par l’un des plus grands spécialistes français, dont je n’ai, étonnamment, pas encore eu l’occasion de causer ici : Jean-Claude Dunyach. Le dernier recueil s’appelle Le clin d’œil du héron.

  • Est-il illusionniste ? Magicien ? Elles ne le sauront pas. Mais il leur aura fait découvrir un peu de la magie d’Amsterdam, avant de laisser traverser un héron et de repartir, vers d’autres rencontres.
  • La perfection et l’acte d’amour peuvent-ils devenir des formes d’art ?
  • L’astrophysique et l’informatique permettent-elles de mesurer Dieu ? Et de sentir quand il nous quitte ?
  • Qui peut franchir les portes entre les mondes ?
  • Comment rencontrer vraiment les stars immortelles, celles dont l’image nous a fait rêver et fantasmer ?
  • Comment vivent les anges dans notre monde matérialiste, et à quoi doivent-ils renoncer ?
  • De quoi sera fait le luxe dans un futur proche ?

dunyachAutant de questions posées, ce qui ne veut pas dire autant de réponses données. Cela faisait longtemps que j’attendais ce huitième recueil des nouvelles de Jean-Claude Dunyach. Un recueil magique et scientifique, toujours humain, terriblement humain. Un recueil tout en saudade, cette mélancolie souriante qui caractérise si bien son écriture. Un recueil qui donne à penser, à réfléchir, qui ouvre des portes sur d’autres mondes tout en nous faisant nous interroger sur le nôtre.

Un recueil où il manque le petit mot de l’ami Ayerdhal. Mais Jean-Claude Dunyach a quand même su lui donner la parole, en citant en quatrième un extrait d’un de ses romans les plus bouleversants, Parleur ou les chroniques d’un rêve enclavé.

ayerdhalJ’en profite pour signaler, au Diable Vauvert, la parution cette année d’une intégrale des nouvelles d’Ayerdhal : Scintillements. La nouvelle n’était pas sa distance préférée, il aimait les longs romans qui lui permettaient de développer ses idées, ses rages, et ses trames. Mais c’était un exercice qu’il était loin de dédaigner, comme le prouve cette intégrale que je découvre, petit à petit. On y retrouve ses indignations, son humour iconoclaste et ses personnages hors norme.

Dunyach et Ayerdhal, deux auteurs qui seront toujours associés dans mon imaginaire de lecteur, par la grâce de ce roman magistral qu’est Etoiles mourantes. Deux auteurs que je suis très heureux d’associer de nouveau en cette fin d’année en lisant, tour à tour, les nouvelles de l’un et de l’autre.

Il faut lire ou relire Ayerdhal, et il faut lire tous les recueils de nouvelles de Jean-Claude Dunyach.

Jean-Claude Dunyach / Le clin d’œil du héron, L’Atalante / La dentelle du cygne (2016).

Ayerdhal / Scintillements, Au Diable Vauvert (2016).

Le Far west de Marcus Malte

Tiens, je continue avec les Marcus. Après Marcus Sakey, deux nouvelles noires, de Marcus Malte, publiées chez In8 : Far West.

MalteLes Cowboys, c’est le bureau du shérif d’un bled du Mississippi. Un bureau alerté par un coup de fils : un gus se balade avec un énorme lézard en laisse. A priori pas un délit quand même. Et le bureau du shérif en reçoit d’autres des coups de fils saugrenus. Il parait même que certains ont des relations avec des lamas ! Mais attention que derrière la farce ne se cache pas quelque chose de plus sinistre.

Les indiens, ce sont ceux d’Amazonie. La disparition de leur forêt met Lila très en colère. Lila, Jo et Damien. Jo et Damien se sont connus en prison. Damien pour des broutilles, Jo l’ancien des forces spéciales pour avoir tué deux hommes. Et Lila venait les visiter. Quand ils sont sortis tous les deux, Lila les attendait et ils ont fait un bout de chemin ensemble. Jusqu’au drame.

En deux nouvelles, joliment rassemblées en forme de clin d’œil avec ses cowboys et ses indiens, tout le talent de Marcus Malte.

Un humour absurde dans la première, un absurde qui peut faire sourire (comme le début de l’histoire du lézard, ou celle du lama), ou un absurde qui fait froid dans la dos avec cette mère qui apprend à tirer au fusil à sa fille … aveugle. Et un absurde qui grince quand même vite, au détour d’une remarque bien bas de front. Et finalement, on finit dans le sinistre, avec un final que l’on sent arriver, bien glauque, dans les dernières pages. Et toujours une superbe histoire d’amour, racontée magnifiquement en quelques lettres, et qui finit mal, on s’en doutait. On sourit et on a le cœur serré.

Et une sorte d’errance plus classique dans la seconde, avec encore des histoires d’amour, d’amitié, de rages, de douleurs et de violence. Trois magnifiques personnages, dans la lignée de tous ceux de Marcus Malte qui n’a pas son pareil pour camper des paumés inoubliables, des êtres évoluant à la marge, Zodiak, Romain, Sonia, Mister, Tamara … et aujourd’hui Jo, Damien et Lila. On les aime instantanément (même quand ils font peur), ils ont une humanité, une profondeur, des failles qui les rendent bouleversants. C’est une fois de plus le cas.

Marcus Malte / Far West, In8/Polaroid (2016).

Des nouvelles de Ron Rash

Une dernière lecture en retard et après, promis, j’attaque la rentrée. Je ne pouvais pas mieux finir l’été qu’avec Incandescences, le recueil de nouvelles de l’américain Ron Rash.

RashDe la guerre de sécession à nos jours, en passant par la crise de 29 et le retour de la seconde guerre mondiale, douze nouvelles, essentiellement rurales, qui frappent directement au cœur.

Des êtres qui dérapent comme cette femme, frappée par le deuil, qui fait une fixation sur les jaguars, ou cet homme, universitaire, qui ne peut, malgré sa vie de citadin, se débarrasser de ses peurs et de ses croyances de fils et petit-fils de paysan. Des êtres rendus durs par la pauvreté, la misère ou la guerre.

Les temps difficiles qui se déroule au moment de la grande crise dans un vallon semblable à celui de Une terre d’ombre est bouleversante. Portrait poignant d’une femme rendue si dure par la bataille quotidienne contre la faim, et portrait qui prend aux tripes d’un homme qui tente, quand même, de vivre avec elle sans perdre quelques éclats de générosité.

C’est encore une femme forte qui clôt le recueil avec Lincolnites, dure et forte non par choix, mais par nécessité vitale.

Entre les deux, magnifiques pages sur le retour au pays d’un soldat, sur le désarroi d’un vieil homme dépouillé du peu qu’il a, terrible portrait d’un coin perdu où le fils vole et terrifie ses parents, sur un homme qui ne peut rien faire pour ne pas perdre sa femme, et d’une femme prête à tout pour ne pas perdre son mari …

Il y a des histoires de folie, de douleur, d’amour et de dignité. C’est dépouillé, limpide, tranchant et émouvant. Un concentré de la beauté et de l’humanité de l’écriture de Ron Rash. Magnifique.

Ron Rash / Incandescences (Burning bright, 2010), Seuil (2015), traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Reinharez.