Archives du mot-clé Paris

La somme de toutes nos larmes

Je découvre Jean-Christophe Boccou avec ce roman qui se déroule entre Paris et Haïti : La somme de toutes nos larmes.

Quelque part dans Paris la police trouve un prêtre perdu dans les rues, drogué, ayant perdu la tête. Hugo en charge de l’enquête recherche Nylah Dévereaux, dont le prêtre était le tuteur. La jeune femme, originaire d’Haïti est aujourd’hui agente de sécurité dans un supermarché en région parisienne.

Il va falloir remonter à un peu plus d’une dizaine d’année en arrière, en Haïti, pour découvrir le fin mot de l’histoire.

Sans être le polar de l’année, La somme de toutes nos larmes a de nombreux atouts qui en font une lecture agréable et instructive.

Pour commencer le mélange entre la France et Haïti est réussi. Les deux décors, les deux lieux fonctionnent. L’intrigue est bien menée. L’auteur arrive à pimenter son histoire d’une pincée de vaudou sans en faire trop et sans que cela devienne un Deus ex Machina trop facile. Et la description de la situation en Haïti est très bien faite, sans misérabilisme, sans concession, mais non sans humanité.

Donc c’est un bon polar qui se lit facilement grâce à une écriture claire et fluide, et que l’on lâche en ayant appris quelque chose. Il lui manque ce petit quelque chose, peut-être dans la construction des personnages, pour qu’il soit complètement envoutant et qu’il prenne aux tripes, mais c’est quand même du bon boulot.

Jean-Christophe Boccou / La somme de toutes nos larmes, Harper Collins/Noir (2023).

Un conte parisien violent

C’est le troisième roman de Clément Milian que je lis, et c’est à chaque fois une très belle surprise. Une fois de plus donc avec Un conte parisien violent.

Salomé, Sal, Gomme, Gamine, Salamandre … C’est la même. Une ado de 14 ans, garçon manquée, toujours sur sa planche, qui tourne sur la place Stalingrad où elle connait tout le monde. Les clodos, les paumés, les dealers. Elle y est chez elle, davantage que dans son appartement avec un père flic jamais là, une mère qui voyage et disparait des semaines sans donner de nouvelles, et une grande sœur qui a autre chose à faire que s’occuper d’elle.

D’autant plus que Sal est du genre cactus, majeur dressé et insulte à la bouche quand on veut lui donner un conseil ou seulement lui demander si ça va. Or cet été ça ne va pas fort. Ça fait vraiment trop longtemps que maman a disparu, Mamadou, son pote de la place part de plus en plus en vrille, et il fait chaud, très chaud. Et malgré tout, Sal n’a que 14 ans. Comme dit sa sœur Rose, tout ça va mal tourner.

Chapitres courts, langue qui claque, comme les reparties de Sal. Deux mois de la vie d’un microcosme, d’un lieu en train de changer. Tout cela au rythme frénétique d’une gamine virevoltante sur son skate qui n’a pas toujours conscience des risques qu’elle prend, toujours au bord de la falaise, comptant sur sa vitesse et sa vivacité pour s’en tirer.

Une gamine inoubliable, tout autant que quelques-uns des personnages qu’elle croise. On passe de l’horreur à l’enchantement, le lecteur qui voit le gouffre permanent que frôle Sal tremble et en même temps se laisse griser par son énergie.

Un texte superbe, une réussite de plus pour cet auteur. Ce serait très dommage de passer à côté.

Clément Milian / Un conte parisien violent, L’Atalante/Fusion (2023).

Petits désordres

Deux toulousains, Maïté Bernard et Christophe Guillaumot se sont mis ensemble pour nous amuser avec de Petits désordres qui font du bien.

La vie de Grégoire Leroy n’est pas simple. Commandant de police à Paris, à la tête d’une brigade de répression du proxénétisme, il doit s’occuper d’un mouton, d’un yorkshire guerrier, de deux carpes et d’une fille de 20 ans très engagée qui lui reproche en permanence de se comporter comme un vieux con.

Ajoutez un chef qui veut des résultats, des prostituées qui manifestent devant ses fenêtres, et un test à passer impérativement pour prouver, justement, qu’il n’est pas un vieux con et est conscient des changements de la société en termes d’inclusion de tous ceux qu’il faudrait inclure.

Il finit d’aggraver et de compliquer son cas quand il lâche, à bout de nerfs : « On n’est pas des pédés ». Mauvaise pioche …

Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais qu’est-ce que j’ai ri ! C’est déjà rare de sourire en lisant, et j’ai souri souvent, cela l’est beaucoup plus de rire, et j’ai éclaté de rire à deux ou trois reprises. Le style est vif, c’est drôle et enlevé, on le lit sourire aux lèvres en deux temps trois mouvements.

Maïté Bernard et Christophe Guillaumot ne reculent pas devant un poil d’exagération et de caricature, mais ce n’est jamais méchant et c’est pour la bonne cause, mettre en lumière les travers de notre société, les changements nécessaires et les travers associés.

Ajoutez un regard assez acéré sur une administration qui se couvre en jetant de la poudre aux yeux, ici la police. Ceci dit, ça ressemble tant à ce que je vis dans ma propre boite que le rire se fait parfois un peu jaune.

C’est gentil mais sans concession, c’est drôle et intelligent et on passe un excellent moment. Ce serait dommage de la rater.

Maïté Bernard et Christophe Guillaumot / Petits désordres, Liana Levi (2023).

Rétiaire(s)

Cela faisait un moment, le plaisir n’en est que plus grand. Voici le dernier DOA : Rétiaire(s).

Nous sommes en France (essentiellement), pendant le second confinement, celui de 2021. Théo Lasbleiz, flic des stups en congé abat devant témoins Nourredine Hadjaj, trafiquant connu des services de police. Amélie Vasseur, gendarme, s’occupe du trafic de drogue dans la région parisienne. Dans son collimateur, entre autres, un clan manouche, les Cerda.

Momo Cerda est en taule, c’est lui le cerveau. Dehors son demi-frère Manu est plus doué pour la violence que pour la réflexion, et Lola, la nièce, fait des études de droit souhaite rentrer dans les affaires familiales.

Ajoutez des rivalités entre renseignements, flics et gendarmes, une juge, des gangs concurrents et une énorme cargaison en provenance de Bolivie via l’Argentine. Secouez, servez chaud.

Facile de parler de ce bouquin. Si vous êtes fan de DOA vous allez adorer, si vous n’aimez pas, n’essayez même pas. Parce que c’est du DOA pur jus.

Dense, documenté, rythmé, sec comme un coup de trique. Il vous faudra faire un petit effort, l’auteur part du principe qu’il s’adresse à des lecteurs capables de concentration et d’attention. Et cet effort sera récompensé mille fois tant vous prendrez plaisir à suivre les différents personnages, à comprendre petit à petit les rouages des luttes, des trafics, des alliances et des rivalités.

Pas de chevalier blanc, ni chez les truands, ni chez les flics, tout le monde en prend pour son grade. Des scènes d’action réglées au millimètre, un beau travail sur la langue, un humour pince sans rire, des dialogues au cordeau, jonglant avec les niveaux de langage, et une maîtrise parfaite de l’intrigue.

Que vous dire de plus ? A garder pour une période où vous n’êtes pas fatigués. Avec une très bonne nouvelle, a priori il devrait y avoir une suite.

DOA / Rétiaire(s), Série Noire (2023).

De femme en femme

Après le Thomas Mullen il me fallait quelque chose de vif. Avec De femme en femme d’Hélène Couturier j’ai été servi.

Ilyas est Kabyle (attention, pas arabe). Il enseigne le Krav-maga. Il déteste sa pourriture de géniteur qu’il n’appelle jamais que l’enfoiré et vénère sa mère. A quarante ans, il est célibataire et tous les week-end sort à Paris, danse, et repart en général passer la nuit avec une femme différente. Si elle veut, car Ilyas est très tatillon sur ce point. Il a un immense respect pour les femmes, beaucoup plus que pour les hommes qu’il trouve assez peu malins, et il ne s’impose jamais.

Ce soir il repart avec Elodie, qui s’avère être flic. Qu’importe. Et pourtant ce soir sa vie va basculer.

Ouf, après le Thomas Mullen donc ça fait du bien. Deux cent pages (un peu moins). Ecriture vive, quelques dialogues, des paroles de chanson et la voix d’Ilyas le narrateur. Hélène Couturier trouve la distance parfaite. Ce qui commence comme une chronique se tend, petit à petit, et le malaise s’installe. Quant au final, je n’en dit rien, sinon que ça secoue.

Bref, vif, bien noir, tout ce que j’aime.

Hélène Couturier / De femme en femme, Rivages/Noir (2023).

Les temps ultramodernes

L’été, l’occasion de lire autre chose que des polars. De la SF encore avec Les temps ultramodernes de Laurent Genefort.

Paris, 1925. Mais pas tout à fait notre Paris. La découverte de la cavorite, ce métal dont les radiations annihilent la gravité a permis de construire des paquebots volants, et même d’aller coloniser Mars. Toute une industrie, mais aussi tout un trafic s’est monté autour de son extraction et son utilisation. Jusqu’à ce que les Curie démontrent que la durée de vie de ces radiations était beaucoup plus courte que prévue, et que les gisements semblent s’épuiser. Ce qui a créé la crise mondiale de 1923.

C’est dans ce contexte de luttes, où anarchistes et fascistes se battent dans le rues que des destins vont se croiser. Renée, institutrice venue travailler à la capitale. George aux ambitions artistiques qui va rencontrer les différents mouvements d’avant-garde et les anarchistes. Marthe jeune femme passionnée de sciences. Peretti, flic proche de la retraite qui veut finir sur un coup d’éclat … et quelques personnages plus sinistres. Sans compter un martien blessé. La poudrière est prête, ne manque plus que l’étincelle.

Commençons tout de suite par un tout petit bémol, les lecteurs de polars ne seront pas enthousiasmés par la partie policière, menée par le flic et la journaliste scientifique. A moins de trouver un charme suranné à un déroulé de l’enquête qui ressemble plus à un Tintin qu’à une aventure de Harry Hole … c’était juste pour éviter tout malentendu.

Mais il serait dommage de passer à côté de cette superbe création mêlant des personnages et des conflits bien réels (on croise les Curie, on entend parler de Breton, Clémenceau, Pétain et bien d’autres), un imaginaire martien très « old school », et les conflits et luttes de classes qui, bien que revus à la sauce de cette France sous cavorite, rappellent des événements bien réels, et remuent des thématiques très actuelles.

C’est d’ailleurs un des grands plaisirs de la lecture, outre la magnifique création de mondes si différents et pourtant si proches, de réfléchir et de voir comment tel ou tel événement, telle ou tel personnage trouve un écho dans ce qu’il s’est passé au début du XX° siècle, mais aussi aujourd’hui.

Laurent Genefort fait le pari qu’il s’adresse à des lecteurs curieux et intelligents, et il le fait sans jamais sacrifier son écriture ou la fluidité de son récit. Et c’est ma foi fort agréable. Bref un très beau roman, qui devrait pouvoir séduire même les lecteurs allergiques à la SF.

Laurent Genefort / Les temps ultramodernes, Albin Michel/Imaginaire (2021).

La valse des damnés

Un livre en retard, qui était resté quelques semaines dans la pile. La valse des damnés de Philippe Chlous.

A New York, le richissime James Harding se meurt. Il veut revoir ses enfants, William et Emily, qui sont partis vivre à Paris avec leur mère. Il envoie donc son ami et compagnon d’armes Samuel Sullivan, ancien Pinkerton, les chercher. Mais rien ne sera simple dans une France en pleine affaire Dreyfus, alors qu’Emily s’est mise en couple avec un jeune peintre juif et que William fraye avec les milieux les plus antisémites de la capitale.

Dommage, mais je n’ai pas été emballé. Dommage parce que l’époque est intéressante, et que naviguer ainsi entre les groupes d’extrême droite et le monde politique en place de l’époque était une excellente idée, qui montre, entre autres, que la connerie et la haine ne sont pas des concepts neufs, mais qu’ils sont toujours exploités avec autant de succès. Dommage parce que je n’imaginais pas que l’antisémitisme hystérique pouvait à l’époque avoir atteint un tel niveau de rage et d’imbécilité. Dommage enfin parce que le Paris de cette époque est bien rendu, avec des lieux aussi différents que les abattoirs de La Villette et les salons de la haute où se rejoignent les Dreyfusards.

Le problème, de mon point de vue, c’est que l’histoire et les personnages qui ont été créés pour mettre en lumière ce fond passionnant ne sont pas à la hauteur. On ne comprend absolument pas ce qui amène par exemple le frère et la sœur à faire les choix qu’ils ont fait. Il y a trop d’enquêtes en parallèle qui se résolvent de façon trop simple, par un gros coup de hasard. Et dans l’ensemble, cela manque trop d’émotion et de chair. Certains personnages subissent des horreurs, on devrait trembler, on s’en fiche.

Donc intéressant, mais pas emballé. Ou alors, comme je l’écrivais il y a quelques jours, j’ai trop lu et j’ai plus de mal à me passionner. A vous de voir.

Philippe Chlous / La valse des damnés, La manufacture des livres (2022).

La cour des mirages

Je continue avec les sorties francophones de ce début d’année, La cour des mirages de Benjamin Dierstein.

2012. François Hollande bat Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle. Branle-bas de combat chez les grands flics, dans les services secrets, les ministères, les préfectures. Chasse aux UMP, place aux PS. Les dossiers à cacher et à sortir changent de couleur, les anciens protégés deviennent des cibles. C’est le cas de Laurence Verhaeghen, proche de l’UMP et du syndicat de droite de la police qui va devoir revenir à la criminelle de Paris et faire une croix sur ses ambitions. Elle y retrouve un ancien collègue, Gabriel Prigent, en chute libre depuis la disparition de sa fille 6 ans auparavant.

La découverte d’une famille massacrée, père, mère et fils, la gamine ayant disparu, va plonger leur équipe dans l’horreur. Et cela va aller en empirant quand ils découvrent des images pédophiles, et que leur enquête croise celles sur les évasions fiscales des différents responsables politiques, de gauche comme de droite.

S’il y avait un petit, tout petit, reproche à faire à ce roman, c’est qu’il aurait peut-être pu être resserré et que l’accumulation des horreurs décrites, au fur et à mesure des découvertes des flics et des recherches de Prigent sur internet amène le lecteur très proche d’un point de saturation. Point au-delà duquel il peut soit décider que trop c’est trop, et arrêter, soit finir par se détacher face à l’accumulation. De mon point de vue, l’auteur flirte avec cette limite. C’est passé pour moi, ça peut coincer pour d’autres.

Ceci étant dit, si j’avais reproché au précédent roman un manque de tension et une suite de scènes avec un fil narratif parfois lâche, cette fois je suis servi. De la tension il y en a, et la narration est absolument impeccable. On peut même dire que le lecteur en prend plein la tête. Horreurs en cascade, entrecoupées des infos (réelles) sur le affaires de corruption du quinquennat Sarko passé et l’arrivée des nouvelles affaires de celui de Hollande (Cahuzac en tête), sans oublier ce cher DSK. Assaisonnez ça à la rage et à la folie montante des deux flics que le lecteur ressent dans sa chair, et des références à James Ellroy et David Peace ne seraient pas usurpées.

On se fait méchamment secouer et pourtant, comme la tension est à son comble, on ne peut pas le lâcher. Vous êtes avertis, et même si c’est un cliché, cette fois il s’applique vraiment, âmes sensibles s’abstenir. Et pas de happy end, au cas où il faille le préciser.

Benjamin Dierstein / La cour des mirages, Les arènes (2022).

Haine

Cela faisait une éternité que je n’avais rien lu de José Manuel Fajardo. Il revient avec un très court roman, aussi concis que son titre : Haine.

Toute fin du XIX°, dans le quartier de Soho, à Londres, Jack Wildwood hait autant la racaille qui peuple son quartier que les bourgeois et les nobles qu’il côtoie quand il sort pour aller au pub. Même quand il arrive à s’en faire des clients pour les magnifiques cannes qu’il fabrique, il sent qu’il ne fait pas partie de leur monde.

De nos jours, en banlieue parisienne, Harcha ne supporte plus sa vie, ni celle que lui promet son père, Rachid, le roi du pneu. Il déteste sa banlieue, mais déteste encore plus ces parisiens qui, même s’il a plus d’argent qu’eux, lui font bien sentir qu’il ne fera jamais partie de leur monde.

Laissez mijoter haines, rancœurs et frustrations jusqu’à ébullition.

A peine 100 pages, pas de construction artificielle pour tenter de rassembler les deux histories, juste un clin d’œil, et les effets de la haine à deux époques. Les descriptions de Londres et Paris sont saisissantes, la montée de la rage et de la haine est superbement décrite, les fins sont inéluctables. En prime une bien belle utilisation de nos références littéraires collectives.

Tout cela en 100 pages, du grand art.

José Manuel Fajardo / Haine, (Odio, 2020), Métailié (2021) traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

Naufrages

De Dominique Delahaye, j’avais lu Si près d’Amsterdam déjà chez in8. Voilà Naufrages.

Dolorès vit sur sa péniche, sur la canal Saint-Martin. Avec d’autres elle essaie d’aider les immigrés sans papiers perdus sur les trottoirs de Paris. Comme Nafy, qui a vécu l’enfer au Soudan et a dû fuir son pays et sa famille.

Vincent vit en faisant des petits boulots au noir, et se fait plaisir en jouant du trombone dans une fanfare funk. Klinton se réfugie souvent à la mosquée, seul lieu familier dans une ville qui ne veut pas de lui.

En peu de pages (nous sommes sur un format entre nouvelle et novella), Dominique Delahaye arrive à faire vivre ses personnages, à rendre l’atmosphère d’un quartier, à nous émouvoir, à nous donner à entendre, à sentir et à goûter. Il nous offre une tranche de vie belle et triste.

D’un point de vue purement égoïste et personnel, en plus il parle d’une musique que j’adore et évoque rapidement l’incontournable série Treme. Je ne pouvais qu’aimer.

Dominique Delahaye / Naufrages, in8 (2021).