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Pour tout bagage

C’est la rentrée. Et je commence très bien avec le dernier Patrick Pécherot, Pour tout bagage.

En 1974 ils étaient une bande de 5 lycéens, en pleine révolte, fascinés par un groupe anarchiste qui venait d’enlever un banquier espagnol. Violence maîtrisée, humour et liberté de leurs revendications, ils étaient leurs modèles. Au point de se persuader qu’ils pourraient les imiter. Malheureusement ils tuent un passant qui se trouvait là par hasard. Comme ils n’étaient absolument pas connus des services de police, ils ne sont pas inquiétés et chacun a fait sa vie, loin des autres.

Presque 50 ans plus tard, l’un d’eux reçoit une lettre annonçant la publication d’un livre, et la mise sur le réseau de révélations sur ce qu’il s’est passé. Alors Arthur va se souvenir, et tenter de retrouver ceux qui ne sont pas morts.

« Plan merdique et blablas foireux, notre armée des ombres faisait branquignole. On posait en guerilleros, on était bidasses en folie. Nanars ambulants … nanarchistes, voilà, nous étions des nanarchistes. »

Voilà qui donne une idée du ton. Alors non, ce n’était pas mieux avant, l’époque n’était pas meilleure, mais ils étaient jeunes, ils avaient des idéaux et des illusions. Les illusions vont voler en éclat en une fraction de seconde.

Le récit est très joliment éclaté, entre le présent et le passé relaté sous la forme de description de photos (des kodachromes pour être précis, un coup de nostalgie pour les moins jeunes de ses lecteurs). L’émotion est toujours présente, jamais assénée lourdement. Le regard en arrière de l’auteur, sans concession pour les conneries, et là il s’agit d’une très grosse connerie est fin, en accord parfait avec une écriture toute en nuance.

Bref, c’est court et excellent, le blues parfait de cette rentrée.

Patrick Pécherot / Pour tout bagage, La Noire (2022).

Pécherot et la guerre d’Algérie

Un nouveau roman de Patrick Pécherot c’est toujours une bonne nouvelle. Voici le dernier : Hével.

PecherotDébut 1958, quelque part du côté du Jura, Gus et André conduisent un camion à bout de souffle et tentent de survivre, livraison après livraison. Loin, très loin au sud, la guerre d’Algérie broie toute une génération. Ses effets se font ressentir jusque dans le Jura, le frère d’André est mort là-bas, et dans les villes, la tension monte entre les communautés.

Soixante ans plus tard Gus est interrogé par un écrivain, ou journaliste, qui enquête sur des morts oubliées survenues cet hiver là. Il raconte alors à sa manière, revivant le passé, cachant une vérité pour en révéler une autre.

Si l’on en croit la première page du livre : « Hével. En hébreu tardif : réalité éphémère, illusoire, absurde ». Un bon résumé du roman. Comme les protagonistes du roman, le lecteur se perd dans le brouillard de l’histoire racontée par Gus à ce journaliste anonyme. Comme lui, le lecteur est à la merci de la mémoire peut-être partielle, et de l’honnêteté discutable de Gus quand il raconte. Comme les protagonistes, on se perd dans la brume et la tempête de neige, on voit des ombres, et parfois, une rencontre insolite, comme ce lynx entraperçu plusieurs fois.

Ce qui est clair et net, c’est combien la guerre pourtant lointaine a broyé les gens. Appelés entrainés à commettre des crimes qu’ils ne supportent plus, révoltés poursuivis impitoyablement par les forces de répression, algériens traqués, torturés, massacrés, soldats tués sur une terre qui n’est rien pour eux …

Et tout cela Patrick Pécherot nous le fait ressentir en nous racontant les livraisons de deux copains dans un coin perdu du nord-est de la France. Un sacré tour de force, encore un très beau roman de l’auteur, un des grands du polar historique, voire un grand tout court.

Patrick Pécherot / Hével, Série Noire (2018).

Des nouvelles de Patrick Pécherot

Dernier été : Quelques nouvelles noires et tendres de Patrick Pécherot, en attendant un roman à paraitre à la série noire.

pecherot nouvellesUn récit autour du tableau Réunion de famille de Frédéric Bazille, un récit adressé à un écrivain que vous pourrez jouer à reconnaître …

  • L’histoire d’ouvriers sacrifiés sans le moindre scrupule.
  • Les retrouvailles ratées entre un fils et sa mère.
  • Le comeback tout en humour noir d’une ancienne vedette du cinéma de série B, voire Z.
  • Le chant du cygne d’un ancien flic de quartier.
  • Une balade poétique et nostalgique dans Montreuil.

Un inédit et cinq textes déjà parus au gré des festivals, dans Le Monde ou dans la revue 813.

Six textes où l’on retrouve le lien avec le passé, le goût de la peinture, l’empathie pour ceux qui triment et qui souffrent, une nostalgie douce-amère sans angélisme ni passéisme.

Six textes où l’on retrouve l’écriture de l’auteur, la facilité avec laquelle il jongle avec les voix, les langages, sa capacité à nous faire entendre tel ou tel personnage, d’hier ou d’aujourd’hui, comme s’il nous parlait directement.

Six textes noirs, durs par ce qu’ils décrivent, tendres avec leurs protagonistes, parfois drôles. Parfait en attendant le prochain roman.

Patrick Pécherot / Dernier été, SCUP (2018).

La Commune vue par Patrick Pécherot

Patrick Pécherot est un auteur rare et discret. C’est aussi un grand amateur d’histoire (et surtout d’histoire sociale), un très beau styliste et un conteur. Une plaie ouverte confirme tout cela.

Pecherot1905, Matthew J. Velmont, privé chez Pinkerton est payé par un français pour retrouver un certain Valentin Louis Eugène Dana. L’homme aurait été aperçu dans le Wild West Show de Buffalo Bill. En 1870, Dana, Verlaine, Courbet, Vallès, Louise Michel et bien d’autres résistaient aux Prussiens puis aux Versaillais. Marceau faisait partie du groupe, il est resté à Paris et a survécu à l’épuration, il pense que Dana était un escroc qui les a trahis. Il le cherche partout.

Bientôt le Wild West Show va débarquer à Paris, l’heure de la confrontation a peut-être sonné, si Dana existe toujours, s’il est bien celui que croit Marceau …

Une plaie ouverte est un roman qu’il faut mériter. Mais on est récompensé au centuple des petits efforts consentis.

Il faut quelques efforts parce qu’on ne voit pas du tout, au début, où l’auteur nous amène. Chapitres très courts, qui suivent les tribulations d’un détective à la poursuite d’un fantôme dans tous les Etats-Unis. Des morceaux de réponses, des éclats de vérité ou de racontars, des éclairs de souvenirs remontant à 1870. Chaque chapitre est passionnant, l’ensemble est comme flottant en apesanteur, sans que le lecteur comprenne bien ce qui relie les morceaux.

Puis on arrive à Paris, entre juillet 1870 et juin 1871. Les espoirs, les désillusions, les erreurs, la grandeur et les petitesses, le courage, la générosité et quelques mesquineries de La Commune. Puis le massacre, le bain de sang mené et commandé par ceux qui ont eu peur d’être dépossédés de leur pouvoir et de leur argent par les gueux. Là aussi, tableau impressionniste, de très courts chapitres qui font revivre magnifiquement cette année mythique, vomie par les uns, idéalisée par les autres. Patrick Pécherot déboulonne les statues, non pour les oublier et les enterrer mais pour faire renaître les hommes de chair et de sang. Admirables mais humains, donc faibles parfois, injustes, envieux, hésitants … et pourtant capable d’une telle grandeur. Ce qui ne les rend que plus remarquables.

L’intrigue se noue, petit à petit, le tableau que l’on ne distinguait pas au début commence à prendre forme. Une forme qui pourrait être un trompe-l’œil. L’ombre est-elle lumière, voit-on un négatif ? Une photo truquée ? Qui est réel, qui est un ectoplasme … C’est tout cela qui sera dénoué de façon admirable et bouleversante dans la deuxième partie du roman. Pour un final qui vous laisse pantois.

Et mine de rien, avec une économie de moyens dont bien des auteurs pourraient s’inspirer, sans un mot de trop, Patrick Pécherot retrace aussi plus de trente ans d’histoire de France (et un peu des US), trente ans qui ont vu des massacres, des idéaux noyés dans le sang, l’Ouest américain devenir légende puis spectacle de cirque, l’apparition du cinéma, la vie et la mort d’artistes comme Courbet, Verlaine, Rimbaud, Vallès …

Une plaie ouverte est sans doute un roman qui se mérite, c’est surtout un des grands chocs de cette rentrée. A lire, sans faute.

Patrick Pécherot / Une plaie ouverte, Série Noire (2015).

Patrick Pécherot dans l’enfer des tranchées

Chemin des Dames, 1917. Cela fait beau temps que l’enthousiasme de 1914 a disparu. C’est tous les jours l’horreur, l’épuisement, la perte de petits bouts d’humanité … Dans cet enfer et ce chaos, le capitaine Duparc est chargé d’assurer la défense du soldat Jonas dit Tranchecaille, accusé d’avoir tué son lieutenant lors d’une offensive. Duparc prend son rôle très à cœur, alors que les hauts gradés qui vont le juger sont déjà bien disposés à le faire fusiller. Le capitaine n’a que quelques jours pour découvrir qui est Tranchecaille. Un jeune homme un peu simple, comme il parait, ou un redoutable simulateur ?

Dans l’enfer des tranchées Patrick Pécherot écrit un roman exceptionnel. Difficile de le commenter sans tomber dans l’excès, difficile d’en dire quelque chose qui ne soit forcément partiel et réducteur. Tombons donc dans l’excès. Tout est admirable dans ce roman.

Le rendu de l’époque, l’horreur, les copains tués, la boucherie quotidienne, la camaraderie, la mesquinerie, la fraternisation avec les boches, l’espace d’un moment, la peur paralysante de la sape, la désinformation à l’arrière, la perte de cette part d’humanité et de sérénité qui empêche le retour à la vie normale le temps d’une permission, la paranoïa et l’incompréhension à l’arrière, l’arrogance de certains hauts gradés, l’épuisement d’un médecin …

La construction ensuite, faite de petites touches, de points de vue aussi variés que complémentaires. Une façon de dresser le tableau complet d’une époque, et le portrait d’un homme. Une façon de dire l’indicible, de mettre des mots sur ce qu’aucun mot ne peut décrire.

Le travail de la langue qui va avec gouailleuse, précise, descriptive, hachée, raide, lyrique, saignante … suivant l’interlocuteur. Un travail admirable sur les niveaux de langage, le vocabulaire, les rythmes, qui fait que toutes les voix sont crédibles, toutes sonnent juste.

L’enquête qui prend forme peu à peu, tout en finesse et en suggestion, sans jamais forcer le trait ou imposer une conclusion. Une enquête qui prend à la gorge, peu à peu, même si l’issue tragique est connue dès les premières lignes. Une enquête qui, jusqu’au bout réussit à entretenir le doute et l’ambigüité.

Grâce à ces magnifiques qualités, le lecteur, comme le capitaine Duparc, arrive à s’indigner et à se préoccuper du sort d’un homme, alors qu’autour ils tombent par centaines. Une façon de rester humain, malgré l’enfer.

Au final, une réussite exceptionnelle.

Patrick Pécherot, Tranchecaille, série noire (2008).

Patrick Pécherot, soleil noir

Si je vous dis braquage, vous pensez peut-être George Clooney, Brad Pitt, Julia Roberts, high tech et glamour. Vous avez tout faux. Soleil noir de Patrick Pécherot prend le contre-pied complet de l’imaginaire hollywoodien (ou arséno-lupien).

Quelque part dans une ville où la vie semble s’être arrêtée quatre hommes préparent un casse : Félix, chômeur de 50 ans, revenu dans la maison que son oncle récemment décédé vient de lui laisser ; Simon, l’organisateur, qui tente là son dernier coup pour ne plus jamais retourner en cabane ; Zamponi, petit artisan en train de couler qui, dans sa rancœur et sa détresse se trompe d’ennemis ; Brandon, rappeur surdoué en informatique, perdu dans un monde de slogans simplistes et de violence. Ils vont dévaliser le convoyeur de fond qui passe tous les jours devant chez Félix. Un braquage violent, à l’autre bout de la France, déclenche une grève surprise qui fait tomber tous leurs plans à l’eau. Pendant qu’ils se morfondent en attendant la reprise du travail, Félix, en fouillant dans de vieux papiers redécouvre son oncle, et les fantômes d’un passé pas toujours reluisant.

Patrick Pécherot utilise un genre très codifié, pour l’amener exactement où on ne l’attend pas. On s’attend à une nouvelle histoire de casse, avec préparation minutieuse, contretemps de dernière minute surmontés, puis le coup, et ses conséquences (sans doute négatives, on est quand même dans un roman noir). On se retrouve avec un roman social, et un portrait groupe avec braquage. L’enquête et le suspense arrivent petit à petit, non pas dans une course entre la police et les braqueurs, mais dans la recherche apparemment secondaire du passé d’un défunt.

La grande force du roman réside dans ses personnages : Tous sont saisis dans leur malheur, leurs défauts, leur bêtise parfois, mais surtout leur profonde humanité. Aucun n’est angélique, aucun n’est exonéré de ses fautes, ni de leurs conséquences, mais tous sont compris. A côté du quatuor, donnant son relief et sa couleur au roman, il y a tous les seconds rôles, tous aussi soignés et aimés que les braqueurs. Le vieux boxeur à moitié sonné (il m’a fait penser à Gassman dans Les Monstres de Risi), les patrons du restau ouvrier qui retrouve une clientèle grâce à la grève, les papis miraculés, qui sortent de leur mouroir, la jeune journaliste stagiaire, et le vieux copain un peu casse-bonbons mais tellement fidèle et dévoué. Tous sont justes, tous sont beaux, tous sont émouvants.

Et puis il y a la nostalgie, les sons, les images et les odeurs de l’enfance qui reviennent. Plus loin encore dans le passé, une France qui traitait déjà ses immigrés comme du bétail, variable d’ajustement d’une économie qui prend les hommes quand elle en a besoin et les jette quand ils ont tout donné. Une France qui parlait des Polonais comme elle parle aujourd’hui des racailles de banlieues qu’il faut nettoyer au kärcher.

Il y a tout cela dans ce superbe roman.

Patrick Pécherot / Soleil Noir, Série Noire (2007)