Il n’y a pas qu’aux US qu’il y a des petits blancs ou du rural noir. Si comme moi vous aviez raté Les mal-aimés de Jean-Christophe Tixier en début d’année, il est encore temps de vous rattraper.
Tout début du XX° siècle, dans une vallée perdue du sud de la France. Une poignée de familles survivent péniblement. Quelques cultures, une jument, quelques chèvres. Peu de gamins dans ce coin, alors quand l’une gagne de l’argent comme nourrice pour les gamins abandonnés, d’autres en prennent un plus grand à la maison qui sert de main d’œuvre taillable et corvéable à merci.
Une population superstitieuse qui vit dans la peur alimentée par la carcasse vide du bagne qui pèse sur tous. Une bâtisse sinistre, abandonnée depuis plus de quinze ans. Mais tous, plus ou moins, savent ce qu’il s’est passé dans cette prison pour mômes, tous savent comment ils étaient maltraités, mal nourris, au point de mourir par dizaines. Ils savent d’autant plus que plus d’un en a profité, plus ou moins directement, et que de petits fantômes décharnés les hantent. Alors tous se taisent, se suspectent, jusqu’à cet été où des drames vont ranimer les souvenirs.
Attention, c’est sombre, sombre, sombre. Malgré le soleil écrasant dans cette vallée du sud, pas un rayon de lumière, ou si peu, pour éclairer des événements sinistres, des vies étriquées et mesquines, des vies de lutte permanente contre une terre et une nature qui ne cèdent que le strict minimum pour survivre, et encore, pas toujours.
Des faibles systématiquement écrasés, exploités, violentés, et en filigrane l’histoire bouleversante de ces gamins mis au bagne des années auparavant, rendue par les incipits de chaque chapitre. Des incipits qui, par leur sécheresse et leur langue administrative implacable rendent encore plus insupportable le sort de ces gamins.
Et pourtant nul voyeurisme, aucune vulgarité dans le récit, une écriture qui arrive à garder la bonne distance, sans édulcorer mais sans en rajouter, avec quelques très rares moments de grâce et un final sans concession. Un très beau roman à condition d’accepter une telle noirceur sans espoir.
Jean-Christophe Tixier / Les mal-aimés, Albin Michel (2019).