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48 âmes.

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de roman de chez Super 8. Population : 48 d’Adam Sternbergh m’a tenté. Je me suis laissé faire, j’ai bien fait.

SternberghQuelque part, loin de tout, au Texas, Caesura. Une ville étrange, retranchée derrière des barbelés, et un shérif Calvin Cooper. Les 48 habitants de la ville ont choisi un nouveau nom en arrivant. Parce que l’Institut qui est en charge de Caesura, que tous appellent Blind Town, leur a tous fait oublier une période de leur vie. Une période où ils ont commis les pires crimes, ou une période où ils ont été témoins d’atrocités.

Cela fait huit ans que tout est calme dans Blind Town, sous le soleil écrasant du Texas. Jusqu’à ce que Errol Colfax se suicide. Puis que Hubert Humphry Gable soit assassiné. Alors les secrets vont être révélés et l’enfer va se déchainer.

« Férocement drôle, comiquement féroce » prétend la quatrième de couverture. Ouaif … féroce d’accord, comique pas trop quand même. Terrifiant souvent, très émouvant parfois, et d’une redoutable efficacité certainement.

Parce que si tout démarre assez lentement, et qu’on se demande au début où l’auteur veut bien en venir, et surtout comment il va se sortir du merdier qu’il construit, très rapidement on est complètement happé par l’histoire. Il faut juste accepter un élément de science-fiction (est-ce un élément de science-fiction ?) : que l’on sache, en altérant une zone ou une autre du cerveau, éliminer les souvenirs que l’on veut tout en laissant le reste de la mémoire intacte. Si l’on accepte ce point de départ, tout le reste est totalement crédible et cohérent.

Difficile de dire pourquoi le roman devient très émouvant au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture sans révéler des détails de l’intrigue, ce qui serait une abomination tant l’histoire et le suspense sont bien menés. Tout aussi difficile de révéler quelles interrogations sont levées … sachez quand même qu’il est question de rédemption possible ou non, de manipulation, le remords et de beaucoup d’humanité. Que ce n’est pas culcul, pas simpliste, et que le lecteur est considéré comme un adulte intelligent qui peut se faire sa propre opinion.

Et surtout que si le démarrage est assez tranquille, une fois passé le premier tiers, il est impossible de lâcher le bouquin, et que malgré un point de départ qui peut sembler tiré par les cheveux, tout est cohérent. Alors, convaincus ?

Adam Sternbergh / Population : 48 (The blinds, 2017), Super 8 (2018), traduit de l’anglais (USA) par Charles Bonnot.

Ned Crabb revient

Les vieux de la vieille, qui suivent la série noire depuis longtemps, ont une tendresse particulière pour quelques bouquins étranges, des sortes d’OVNI écrits par des auteurs dont on ne sait rien. Parmi eux il y a La bouffe est chouette à Fatchakulla, espèce de machin foutraque et réjouissant d’un certain Ned Crabb. Et voilà que Gallmeister nous sort, des décennies plus tard, Meurtres à Willow Pond du même Ned Crabb. Je n’allais pas rater ça !

couv rivireAlicia et Six Godwin, professeurs retraités encore jeunes, profitent pleinement de la vie en plein air sur les bords d’un lac du Maine où ils ont leur camp de pêche. Jusqu’au jour où ils sont invités par leur richissime cousine Iphigene Seldon dans le luxueux manoir de Willow Pond, connu par les pêcheurs du monde entier comme un des meilleurs endroits pour qui aime sortir des poissons de l’eau … dans un environnement de luxe et de volupté.

Gene Seldon, 77 ans est un véritable dragon en pleine forme. Elle exploite et terrorise ses trois neveux qui attendent avec impatience d’hériter du manoir pour se libérer de son emprise. Et voilà qu’elle convoque toute la famille pour annoncer des changements dans son testament. Trois parents frustrés, des ex-conjoints qui se haïssent mais attendent leur part du gâteau pour divorcer, deux investisseurs qui ont trafiqué les comptes pour truander la dragon …

Cela revient à donner un grand coup de pied dans un nœud de crotales. Sans compter quelques excentriques parmi les clients. La tranquillité d’Alicia et Six Godwin va voler en éclats.

Voilà un titre qui va illustrer à merveille le manque d’objectivité total du lecteur de polar.

Si Ned Crabb avait écrit une vingtaine de romans, tous traduits en France, et tous un peu dans la même veine que le premier, s’il n’avait pas été cet auteur un peu mystérieux d’un roman réservé à ceux qui savent (parce que c’est quand même un peu ça, si tu connais La bouffe est chouette à Fatchakulla, c’est que t’es un vrai amateur, un membre du club), et si ce nouveau roman avait été publié ailleurs que chez l’excellente maison Gallmeister … l’aurais-je lu ?

Sans doute pas. Je n’aurais pas été au courant de sa sortie, et en plus les intrigues à la Hercule Poirot, même si c’est au bord d’un lac du Maine, ce n’est pas ma Cup of tea, ni même mon Glass of whiskey.

Serais-je alors passé à côté d’un chef d’œuvre inoubliable ? Non. Aurais-je raté une lecture fort divertissante ? Oui.

Pas un chef d’œuvre parce que, si l’on va au fond des choses, Meurtres à Willow Pond est bien un cluedo à la Agatha Christie, avec un groupe de personnes enfermées dans un endroit, un (puis des) meurtres, et des enquêteurs qui vont finir par faire marcher leurs petites cellules grises pour découvrir le meurtrier. Et ça, a priori, ça ne m’amuse plus trop.

Mais c’est réjouissant parce que Ned Crabb est un vieux monsieur fort malicieux. Et qui visiblement est resté aussi déjanté (littérairement au moins) que dans son premier roman : ici on ne boit pas de thé, on s’arsouille copieusement au bourbon, on baise à tout va dans tous les coins de l’hôtel (et des alentours) et on est d’une méchanceté féroce les uns envers les autres. Sans oublier, parce qu’on est quand même chez gallmeister, de forts belles pages sur la nature, superbe ou terrible quand vient l’orage.

Donc c’est réjouissant, d’autant plus que la morale, au sens strict du terme, n’est pas forcément sauve. Un fort bon moment de lecture qui donnera envie, j’espère, de découvrir toute l’œuvre de Ned Crabb, et de faire partie du club !

Ned Crabb / Meurtres à Willow Pond (Lightning strikes, 2014), Gallmeister (2016), traduit de l’anglais (USA) par Laurent Bury.