Le bout du chemin

Avec Le chemin s’arrêtera là, Pascal Dessaint reste dans le Nord.

le chemin s arretera la.inddQuelque part sur la côte nord Atlantique, un port industriel en activité et de usines qui tournent au ralenti. Dans les dunes vivent (survivent) ceux qui ont fait les frais de l’arrêt d’une grande partie de l’activité. Michel est resté dans la maison de l’éclusier avec son neveu Louis, même si on n’a plus besoin de ses services. Sa sœur, la mère de Louis est morte quand il avait six ans, en rentrant chez elle, après une dispute avec Michel. Jérôme, retraité, survit et s’occupe de sa mère mourante dans une maison peu à peu détruite par le sable et le sel. Cyril, chômeur, vit avec sa fille Mona dans une caravane qu’il ne peut plus bouger depuis qu’il a vendu sa voiture. Wilfried pêche, dès qu’il peut, pour échapper à une famille étouffante. Gilles sèche les cours pour essayer de voir « son » faucon chasser les pigeons. Entre tous ces hommes et femmes, des secrets, plus ou moins tordus, des haines pas toujours déclarées … Et tout ne pourra que mal finir.

Autant avertir le futur lecteur : Si vous avez envie de rigoler et de vous détendre, choisissez un autre roman ! C’est noir, très noir, glauque, désespéré et désespérant.

Portrait sensible d’une zone industrielle à l’abandon, avec des êtres qui se retrouvent dans le même état que les anciens bunkers et les maisons plantées là par hasard : bouffés par le sel, recouverts par le sable, usés par le vent … Eux aussi sont usés, rongés. Les vieux n’attendent plus rien, ressassent un passé perdu où, malgré la pollution et la dureté du travail, il y a avait une activité, un collectif. Maintenant plus rien, les jours se ressemblent, les valeurs se perdent, l’empathie disparaît.

Et c’est comme cela qu’on fabrique des monstres ordinaires. Pas des monstres à l’américaine, brillants croquemitaines incarnations du Mal dans toute sa grandeur satanique. Non des monstres ordinaires, façonnés par la désillusion, la perte de repères, l’inculture, la solitude, la bêtise, la misère… et la méchanceté. Mais des monstres tout aussi effrayants, sinon plus tant ils nous sont proches.

Ces paumés, ces sans illusions, résultats de politiques industrielles reposant sur les seuls critères financiers, nous ne les voyons jamais, nous ne les entendons jamais. Ils sont juste des chiffres aux infos, des chiffres de suppression d’emplois. Pascal Dessaint leur donne la parole, à tour de rôle, et ce n’est guère réjouissant.

Pour ne pas vous faire fuir, il faut ajouter qu’il y a quand même quelques rayons de soleil : le passage d’un bateau impressionnant, un café partagé, l’apparition d’un phoque, le vol d’un faucon. Et puis, il y a les jeunes qui peuvent encore espérer malgré la violence qu’ils subissent. Des jeunes encore capables de rire et d’aimer. Malgré tout.

Pascal Dessaint / Le chemin s’arrêtera là, Rivages/Thriller (2015).

PS. Pascal Dessaint sera à Ombres Blanches le samedi 28 février, et à Escal’Lire le 5 mars. Je vous en reparle.

11 réflexions au sujet de « Le bout du chemin »

  1. Norbert

    Ça m’a l’air impressionnant de désespoir, à l’image de ces territoires et de ces hommes dont on ne parle jamais, les vrais laissés-pour-compte des politiques ultra-libérales de l’UE notamment et d’un système vicié jusqu’à la moelle. Je compte bien le lire. Très belle chronique.

    Répondre
  2. son

    Tout est dit dans ce bel article !!! Je viens de terminer ce remarquable roman. Lu d’une traite. Peu de rayons de soleil mais quelle galerie de personnages !!! Et la Nature, souvent omniprésente chez l’auteur, qui reprend sa place, peu à peu.

    Répondre

Laisser un commentaire