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La dernière ville sur terre

Thomas Mullen délaisse la première police noire d’Atlanta pour remonter un peu le temps dans La dernière ville sur terre.

Nous sommes en 1918 dans les forêts du nord-ouest des USA. Charles Worthy et son épouse ont fondé la ville de Commonwealth autour de la scierie qui justifie sa création. Une ville et une scierie où tous sont égaux, tous vivent dans les mêmes maisons, tous ont les mêmes salaires. Ce qui ne plait pas, évidemment, aux gros propriétaires alentours, mais qu’y peuvent-ils ?

L’arrivée sur le territoire américain de la grippe espagnole pourrait tout bouleverser. La ville décide de se confiner et d’interdire tout contact, entrant ou sortant, avec l’extérieur. Au moment où les jeunes meurent sur le front en Europe, où ceux qui sont restés au pays sont durement frappés par la pandémie, les tensions internes et externes vont s’exacerber et mettre l’utopie de Commonwealth à rude épreuve. Trop rude ?

Dommage, j’aurais beaucoup aimé être enthousiaste, mais je ne le suis pas. Dommage car le propos est vraiment intéressant. La construction de l’utopie, puis la description de comment le collectif se délite peu à peu quand la pression se fait trop forte. Comment les égoïsmes reprennent le dessus sur le sens du bien commun. C’est bien rendu, en particulier au travers de quelques courts chapitres constitués uniquement de dialogues entre habitants non identifiés. Belle description du contexte social et historique et de la montée de la pandémie, qui fait écho à ce que nous avons connu (même si le roman a été écrit en 2006 donc bien avant le COVID).

Mais ce qui m’a plombé c’est que ça traine trop dans les deux premiers tiers du roman qui pèse quand même pas loin de 550 pages. Le début passe bien parce qu’il met le contexte en place, et dans les 100 dernières pages les choses s’accélèrent et les tensions mises en place se résolvent. Mais entre les deux j’ai eu du mal, au point de ne pas avoir très envie de me mettre à la lecture, ce qui ne m’arrive jamais quand le roman en cours me passionne.

Dommage donc, avec une partie centrale resserrée La dernière ville sur terre aurait été passionnant, là le roman est intéressant mais indigeste. Avis très subjectif que je partage.

Thomas Mullen / La dernière ville sur terre, (The last town on earth, 2006), Rivages/Noir (2023) traduit de l’anglais (USA) par Pierre Bondil.

Paresse pour tous

Encore un pas de côté avec un roman/essai passé par un copain bien inspiré : Paresse pour tous de Hadrien Klent.

Emilien Long n’est pas un zouave comme dirait le professeur Tournesol. Prix Nobel d’économie, ancien prof de Princeton, revenu en France, à Marseille. Pendant le confinement qu’il passe dans son cabanon à Sormiou il décide d’écrire un livre très sérieux, inspiré, entre autres, par l’excellent Le droit à la paresse de Paul Lafargue, pour défendre, preuve scientifiques à l’appui, une solution de plein emploi et de bonheur à condition de ne travailler que 3 heures par jours.

Le livre a un succès retentissant, et sans bien comprendre comment, Emilien Long va se retrouver candidat à l’élection présidentielle de 2022. En campagne, à travailler comme un cinglé, lui qui défend les 3 heures par jours. Et s’il avait une chance …

Drôle d’objet que ce roman qui a également tout d’un plaidoyer. Ce n’est certes pas la découverte littéraire de l’année, mais la partie romancée est suffisamment plaisante pour que le fond politique passe avec le sourire. Et puis Paresse pour tous a au moins trois énormes avantages : Vous faire réfléchir à ce que sont nos vies, proposer une politique fiction plus optimiste que les excellents Collapsus et Les derniers jours des fauves et vous donner envie de lire ou relire Le droit à la paresse de Paul Lafargue.

Trois raisons de lire un bouquin, ça devrait déjà être suffisant non ? Sachez par ailleurs que la partie romancée ne cède jamais le pas à un cours d’économie ou de politique, que ça se lit très facilement et que le suspense qui monte tout au long du bouquin qui suit la campagne électorale ne peut que plaire aux amateurs de polar.

Alors convaincus ?

Hadrien Klent / Paresse pour tous, Le tripode (2021).

Collapsus

Thomas Bronnec s’est fait connaitre avec sa trilogie nous plongeant dans les entrailles du pouvoir. Il revient avec un roman de légère, très légère anticipation, toujours très politique, Collapsus.

Dans un futur proche, voire très proche. La France suffoque, les catastrophes (glissements de terrain, orages monstrueux, avalanches …) se multiplient. La classe politique promet, mais ne fait rien, et la colère monte. Une colère qui porte à l’Elysée Pierre Savidan. Ancien gourou, partisan d’une écologie radicale, il instaure une sorte de permis à point écologique, et des centres de rééducation où ceux qui ont un très mauvais score écologique peuvent aller se former, ou se réformer, de façon volontaire, du moins dans la théorie.

Alors que ses réformes de plus en plus impopulaires passent de moins en moins bien, et que ses partisans multiplient les coups de force de plus en plus violents, la situation semble lui échapper. La tentation de se passer de l’assemblée et du sénat se fait plus forte, alors que la résistance à ce qui ressemble à un coup d’état s’organise. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Si vous avez besoin de vous remonter le moral, évitez. Tout va vous faire déprimer dans ce roman. Le constat objectif que nos politiques, de tous bords, dans tous les pays ne font rien et nous amènent droit au mur est absolument indéniable. Mais la solution inventée par l’auteur est … J’allais dire pire que le mal. D’un certain côté oui.

Parce que Pierre Savidan et ses suiveurs ont raison sur le diagnostic. Ils ont même raison sur une partie des mesures à prendre. Le problème est que quand on considère que la fin justifie les moyens, tous les moyens, on tombe dans l’horreur décrite par Thomas Bronnec. Avec fliquage de tous et de tout, camp de rééducation et autocritiques « spontanées » de sinistre mémoire.

La montée vers ce qu’on pourrait appeler un fascisme vert est implacablement décrite, pas à pas par l’auteur. On la vit vue de tous les angles : des fanatiques du président, des opposants (opposants qui ont leurs raisons, pas toujours très altruistes), et de ceux qui s’étaient ralliés à lui et découvrent avec horreur qu’ils ont joué avec le feu.

La tension est savamment dosée, la montée vers l’explosion parfaitement maîtrisée, et le pire est que l’auteur connaît bien les rouages de notre république et que tout est plausible. Donc le lecteur morfle.

Comme l’écrit très justement le Killer : entre le dernier roman de Jérôme Leroy et celui-ci, on ne pourra pas dire qu’on ne nous a pas averti que ça pouvait très mal tourner.

Thomas Bronnec / Collapsus, Série Noire (2022).

Les loups

J’avais beaucoup aimé Donbass le premier roman de Benoît Vitkine. Il confirme son talent avec le suivant : Les loups.

2012. Olena Hapko, la Chienne ou la Princesse de l’acier, selon qui en parle vient d’être élue Présidente de l’Ukraine. Dans 30 jours à Kiev ce sera son investiture. D’ici là il va falloir résister à la pression des loups, les autres oligarques, ses concurrents ou ses alliés selon les circonstances. Elle a promis d’assainir le pays, de supprimer les passe-droits et la corruption … Autant de promesses auxquelles elle ne croit pas complètement et qui font bien rire ses collègues. Et puis il y a Moscou, jamais très loin à la manœuvre en Ukraine.

Alors résister certes, mais peut-être simplement survivre.

Un roman noir sur l’Ukraine, difficile d’être davantage d’actualité … Et quand en plus c’est un excellent roman noir sur l’Ukraine, il ne reste plus qu’à se précipiter.

Le roman précédent décrivait la réalité du Donbass en se situant au ras de la boue, dans le quotidien de ceux qui subissent. S’il ne les oublie pas dans ce nouvel ouvrage Benoît Vitkine diversifie et alterne les points de vue. On passe des luttes entre oligarques à l’aperçu de la vie d’une ancienne institutrice, des manœuvres de Poutine et de ses services secrets aux difficultés dans une petite ville de province.

On pourrait craindre que ce récit de luttes d’influence et de pouvoir soit désincarné, il n’en est rien. L’auteur soigne toujours autant la construction de ses personnages, et c’est à travers leurs histories qu’il « fait passer » tout ce qu’il sait en tant que journaliste en poste à Moscou. Jamais le côté reportage ne prend le pas sur le romanesque, il est là pour lui donner une consistance, une vraisemblance, et pour rendre encore plus passionnante une histoire déjà prenante en elle-même.

Comme avec Donbass, on se régale à la lecture et on referme le livre un peu moins ignare, à défaut d’être moins bête.

Benoît Vitkine / Les loups, Les arènes/Equinox (2022).

Les derniers jours des fauves

Avec Les derniers jours des fauves, Jérôme Leroy poursuit la route tracée par Le bloc et L’ange gardien.

On est en France, aujourd’hui, un aujourd’hui un peu différent, mais pas tant que ça. Une épidémie déboussole le monde entier, les canicules se succèdent. Nathalie Séchard, arrive à la fin de son mandat de présidente. Elle a gagné en 2017 à la surprise générale, contre Le Bloc, en lançant Nouvelle Société, un mouvement parti de rien, qui ratisse large, un peu à gauche, beaucoup à droite. Et elle ne compte pas se présenter aux prochaines élections. Resteront deux candidats possibles sortis de son gouvernement. L’écologiste gentil et frustré (par son réel rôle), Guillaume Manerville, ou son ministre de l’intérieur, proche de la droite dure et de l’armée, Patrick Beauséant.

Dans cette France qui crève de chaud et voit les antivax et l’extrême droite rivaliser de provocations, voire d’agressions, des destins vont se croiser. Clio, fille de Guillaume Manerville, normalienne brillante, proche des milieux très à gauche, Lucien Valentin, écrivain en herbe et fauché, avec qui elle est en couple depuis peu, des flics, des politiques, des bas de front du Bloc, et Le Capitaine, mystérieux ange gardien de la famille Manerville.

Les acteurs sont en place, la représentation peut commencer, tous les acteurs n’en verront pas la fin.

Première impression, immédiate, Jérôme Leroy a dû bien s’amuser à construite cette France si proche de la nôtre tout en étant différente. On sent cet amusement, et il est communicatif, donc le lecteur sourit beaucoup. Et prend un vrai pied de lecture immédiate, au premier degré. Un plaisir d’autant plus grand que l’écriture est un vrai régal, vive, enlevée, fluide, elle parait évidente, elle enchante, secoue le lecteur, l’interpelle, le fait sourire, râler, se souvenir … L’auteur manie aussi bien l’ironie que l’émotion, jamais dupe mais toujours au plus près des personnages.

Parlons-en des personnages justement. Ils sont d’une richesse et d’une humanité enthousiasmantes. Sauf quelques très rares exceptions, ils sont tous complexes. On est loin du manichéisme primaire. Même l’abominable Beauséant a des côtés touchants (ce qui ne l’empêche pas d’être une belle ordure). Tous sont les résultats d’une histoire, d’un passé, d’un environnement, tous ont leurs paradoxes, tous ne sont pas sympathiques, loin de là, mais tous sont cohérents et humains.

Et puis il y a la situation décrite, et là encore Jérôme Leroy s’amuse et se fait plaisir à dire, sans discours mais par la force des descriptions et de l’intrigue, ce qu’il pense de notre belle époque. Mépris de la classe politique de NS pour les pauvres ; avidité des plus riches ; stupidité des complotistes ; connerie des chaines d’extrême droite ; manipulation des réseaux sociaux ; et j’en passe …  Ça aussi c’est un grand plaisir de lecture.

Ajoutez quelques pages sensuelles de pure beauté dans les rares moments de calme au milieu de la tempête, et vous aurez compris que c’est un des romans à ne pas manquer en ce début d’année.

Je rajoute une petite photo, pour le faucon crécerelle qui observe les personnages du roman avec hauteur et sans doute une légère stupéfaction.

Jérôme Leroy / Les derniers jours des fauves, La manufacture des livres (2022).

La cour des mirages

Je continue avec les sorties francophones de ce début d’année, La cour des mirages de Benjamin Dierstein.

2012. François Hollande bat Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle. Branle-bas de combat chez les grands flics, dans les services secrets, les ministères, les préfectures. Chasse aux UMP, place aux PS. Les dossiers à cacher et à sortir changent de couleur, les anciens protégés deviennent des cibles. C’est le cas de Laurence Verhaeghen, proche de l’UMP et du syndicat de droite de la police qui va devoir revenir à la criminelle de Paris et faire une croix sur ses ambitions. Elle y retrouve un ancien collègue, Gabriel Prigent, en chute libre depuis la disparition de sa fille 6 ans auparavant.

La découverte d’une famille massacrée, père, mère et fils, la gamine ayant disparu, va plonger leur équipe dans l’horreur. Et cela va aller en empirant quand ils découvrent des images pédophiles, et que leur enquête croise celles sur les évasions fiscales des différents responsables politiques, de gauche comme de droite.

S’il y avait un petit, tout petit, reproche à faire à ce roman, c’est qu’il aurait peut-être pu être resserré et que l’accumulation des horreurs décrites, au fur et à mesure des découvertes des flics et des recherches de Prigent sur internet amène le lecteur très proche d’un point de saturation. Point au-delà duquel il peut soit décider que trop c’est trop, et arrêter, soit finir par se détacher face à l’accumulation. De mon point de vue, l’auteur flirte avec cette limite. C’est passé pour moi, ça peut coincer pour d’autres.

Ceci étant dit, si j’avais reproché au précédent roman un manque de tension et une suite de scènes avec un fil narratif parfois lâche, cette fois je suis servi. De la tension il y en a, et la narration est absolument impeccable. On peut même dire que le lecteur en prend plein la tête. Horreurs en cascade, entrecoupées des infos (réelles) sur le affaires de corruption du quinquennat Sarko passé et l’arrivée des nouvelles affaires de celui de Hollande (Cahuzac en tête), sans oublier ce cher DSK. Assaisonnez ça à la rage et à la folie montante des deux flics que le lecteur ressent dans sa chair, et des références à James Ellroy et David Peace ne seraient pas usurpées.

On se fait méchamment secouer et pourtant, comme la tension est à son comble, on ne peut pas le lâcher. Vous êtes avertis, et même si c’est un cliché, cette fois il s’applique vraiment, âmes sensibles s’abstenir. Et pas de happy end, au cas où il faille le préciser.

Benjamin Dierstein / La cour des mirages, Les arènes (2022).

Mort d’un pourri

Une nouvelle plongée dans les années 70 avec cette seconde réédition de Raf Vallet : Mort d’un pourri.

Serrano, promoteur dans la plus belle tradition, arrosant à droite et à gauche. Serrano qui a confiance dans l’écrit et note tout ce qu’il donne, tout ce qu’il reçoit avec tous les politiques et hommes d’affaire. Ses cahiers sont connus et craints du tout Paris. Quand Philippe Dubay, député véreux, le tue pour s’emparer desdits cahiers, il n’imagine pas ce qui va lui tomber dessus. Sur lui et sur son bras droit et exécuteur des basses œuvres Xavier Maupin. La course à l’échalote peut commencer.

Plus sombre que Adieu poulet !, Mort d’un pourri nous replonge donc lui aussi dans les années 70, les anciens d’Algérie, les magouilles du RPR, le SAC, le lien permanent entre pègre, affaires et monde politique. Et déjà une indulgence ahurissante du public, qui se poursuivra jusqu’à nos jours (il suffit d’écouter les avis des habitants de Levallois sur leur ex maitre chéri).

Style vif, colère et dégout à fleur de lignes sans perdre le sens de l’humour, Raf Vallet nous offre un roman qui se lit avec plaisir et nous enseigne, si on ne le savait déjà, que le fric et le pouvoir corrompent toujours. Voilà au moins quelque chose de stable en ce monde qui bouge.Raf Vallet  / Mort d’un pourri, Série Noire (1972 puis 2021).

La nuit est tombée sur nos âmes

Je vous avais averti, je continue avec les lectures pas drôles mais ô combien indispensables. La nuit tombée sur nos âmes de Frédéric Paulin.

Juillet 2001, tout ce que l’Europe compte de militants de gauche, de toutes les gauches, se dirigent vers Gênes pour manifester contre l’ordre prôné par les puissants du G8. On y trouve des anarchistes comme Nathalie, des membres de la LCR comme son copain Wag, mais aussi les mouvements plus ou moins radicaux italiens, Attac, les différents partis de gauche. Plus bien entendu la presse, comme Génovéfa Gicquel qui voit là, enfin, l’occasion de faire le métier qu’elle aime.

Côté pouvoir, Berlusconi et ses alliés fascistes entendent bien montrer au monde que la chienlit gauchiste ne viendra pas troubler le bon ordonnancement du sommet et que l’Italie est un pays d’ordre. A la manœuvre, entre autres, Franco de Carli, proche du ministre de l’intérieur, fasciste convaincu qui voit là l’occasion de mater les rouges. Chauffés à blancs par les discours, parqués au soleil dans leurs cuirasses, les flics, carabiniers et autres barbouzes n’attendent que l’étincelle pour massacrer les manifestants.

Pour qui a suivi, à l’époque, l’actualité de ces jours infâmes, il n’y a malheureusement pas de surprise dans ce roman. On ne peut cependant pas s’empêcher, même si ce n’est pas une découverte, de se sentir envahi par une immense incrédulité et une rage impuissante. Rage devant une telle impunité, rage devant le cynisme des politiques, rage devant la docilité de la majorité des médias (qui il faut le reconnaitre appartiennent en grande partie aux amis des politiques).

L’écriture est serrée, acérée même. Je trouve qu’il y a des ressemblances fortes entre les romans de Frédéric Paulin et ceux de Dominique Manotti, dans les thématiques abordées, dans l’efficacité et la clarté de l’écriture. Pas de simplification, les mouvements contestataires sont montrés dans leurs complexité, avec leurs haines, leurs rivalités, leurs raideurs doctrinaires. De même tous les flics ne sont pas des brutes primaires, mais le mécanisme qui va amener un homme « ordinaire » à se comporter en bourreau impitoyable est décrit, sèchement.

C’est d’autant plus atroce et rageant que rien, absolument rien n’a été fait suite à cette honte, dans un pays qui se prétend démocratique et qui s’est transformé, le temps de quelques jours, en une zone de non droit et de violence digne des pires dictatures sud-américaines des années 70. Pire que ça, si des leçons ont été apprises, c’est dans la façon de cadenasser, encore et toujours plus, les lieux de rendez-vous des quelques pourritures qui mènent le monde.

Une lecture indispensable, à défaut d’être aimable et agréable.

Frédéric Paulin / La nuit tombée sur nos âmes, Agullo (2021).

Le bal des porcs

On a découvert il y a peu Arpád Soltész avec Il était une fois dans l’est. Le revoilà, toujours en colère, dans Le bal des porcs.

Une gamine, internée dans une clinique de désintoxication où elle avait été placée par le juge disparait. Ça n’intéresse pas grand monde. Qui s’intéresse au sort des camées quand les parents n’ont pas un rond ? Et quel peut bien être le rapport avec des politiciens tenus par les burnes par un maître chanteur, des services secrets et des services de police qui travaillent pour des trafiquants et les mafias calabraises et albanaises ? Combien y a t’il de cadavres enterrés dans les bois environnants ? Y a t’il encore des flics et des journalistes un peu intègres ?

Vous le saurez en lisant Le bal des porcs.

Ce roman appelle quelques explications :

« L’auteur de ce livre est un prostitué de journaleux et affabule sans le moindre scrupule.

Son roman ne contient pas la moindre parcelle de vérité. Si malgré tout vous vous reconnaissez dans l’un des personnages, n’hésitez pas et allez vous dénoncer tout de suite au commissariat ou à la procurature la plus proche. N’oubliez pas votre carte d’identité et votre brosse à dents. »

Ainsi se termine le roman, et il commence de la même façon, à peu de choses près. C’est évidemment un roman à clés, la principale étant l’affaire de l’assassinat de Ján Kuciak et de son amie en 2018. Un journaliste d’investigation, comme l’auteur. Ce qui veut dire que le roman, édité la même année a été écrit dans l’urgence.

Il se divise, plus ou moins, en trois partie.

La première on suit l’affaire des gamines prostituées, on est dans l’esprit du précédent roman, c’est trash, révoltant, plein d’énergie, au raz du caniveau.

Puis l’auteur prend de la distance, se détache de ses personnages pour décrire, de façon chaotique, tout un système de corruption, de liens entre mafias, monde industriel, monde politique, des arnaques diverses et variées aux fonds européens, des vols avec meurtre … le tout en donnant des surnoms à quasiment tous les protagonistes, en fragmentant l’action d’un lieu à l’autre, d’un temps à l’autre, d’un personnage à l’autre. Et là, j’avoue qu’il m’a perdu. Le lecteur slovaque qui reconnait les personnages réels derrière les masques s’y retrouve peut-être, mais moi, dans mon ignorance, j’ai été largué. Pas tout le temps, mais souvent.

Mais j’ai insisté jusqu’à la troisième partie où on retrouve le bitume, au ras du sol, avec un personnage de tueur à gage et une relocalisation sur les lieux du début. Et on retrouve cet allant, cet humour désespéré de la première partie.

La conclusion, quant à elle, remet tout en perspective et explique le pourquoi du comment du roman.

Complexe donc, pas toujours facile à lire et pas toujours convainquant, écrit de toute évidence dans une urgence et une colère qui ne permettait pas une autre structure, mais passionnant à posteriori quand on le rattache aux événements qui se sont déroulés dans le pays, et auxquels, il faut bien l’avouer, je n’avais pas trop prêté attention à l’époque.

Arpád Soltész sera à Ombres Blanches mardi prochain, un peu partout dans la région toulousaine ensuite et sur le site du festival Toulouse Polars du Sud le week-end. Nul doute qu’il sera passionnant de discuter avec lui.

Arpád Soltész / Le bal des porcs, (Sviňa, 2018), Agullo (2020) traduit du slovaque par Barbora Faure.

Avis de grand froid

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de roman de Jerome Charyn, j’ai donc raté les aventures récentes d’Isaac Sidel. Et je le retrouve Président, à la Maison Blanche, dans Avis de grand froid.

Hiver 1989, Isaac Sidel Président des US, POTUS ! Autant dire que c’est le chaos intégral à la Maison Blanche. Les démocrates qui l’avaient investi comme vice-président, sans imaginer une seconde que le président serait obligé de démissionner au bout de quelques semaines pour des histoires de corruption le lâchent, les républicains le haïssent, quant au milieu d’affaires, c’est simple, ils ont mis sa tête à prix. Il faut dire que c’est bien la première fois qu’un Président vraiment de gauche arrive là. Qui veut loger les sans-abris, qui s’attaque au lobby du tabac, aux banques, veut mettre les meilleurs profs dans les quartiers les plus défavorisés pour obliger les riches à mettre leurs enfants dans les écoles de ces quartiers … La révolution.

Au point qu’en Suisse, des banquiers ont mis en place une loterie, avec beaucoup, beaucoup d’argent, beaucoup même pour un banquier suisse. Sujet du pari : la date de l’assassinat de Sidel. Qui doit alors se méfier de tous et toutes, même et surtout parmi ses proches collaborateurs. Mais on n’a pas survécu comme flic dans les quartiers les plus chauds du Lower East Side sans avoir développé un certain talent pour déjouer les complots et désarmer les affreux.

Vous l’aurez compris en lisant cette tentative de résumé (tentative car ce roman est impossible à résumer justement), les amateurs de whodunit millimétré, de thriller endiablé ou ceux qui vérifient tout car pour eux le réalisme est la base de tout polar peuvent passer leur chemin.

C’est complètement barré, totalement irréaliste bien entendu (pas d’avoir un fou à la Maison Blanche, mais d’avoir un gauchiste), ça part dans tous les sens, on y croise une chatte monstrueuse et terrifiante mais affectueuse, un tueur empereur du crime et tatoueur (vu dans Little Tulip ?), des loups garous, un ancien premier ministre israélien, des banquiers et des tueurs, on s’y intéresse à la fin de l’URSS, à Prague à Kafka, à Saul Bellow, on va à Paris, à Berlin, à Camp David et à New York … C’est plein de références littéraires, musicales, ça désacralise de façon fort bienvenue le grand cirque de la présidence américaine, de la Maison Blanche à Air Force One, tout en rendant hommage à quelques grands anciens.

C’est foisonnant, c’est intelligent, cela demande un peu de concentration, mais on y sourit beaucoup, un sacré antidote à la connerie ambiante actuelle, à Washington et ailleurs.

Jerome Charyn / Avis de grand froid, (Winter warning, 2017), Rivages/Noir (2020) traduit de l’anglais (USA) par Marc Chénetier.