Archives pour la catégorie Polars espagnols

Histoire universelle des hommes-chats

L’été c’est aussi l’occasion de rattraper des romans qu’on a laissé passer. Dont cette Histoire universelle des hommes-chats de Josu Arteaga.

Olariz, un tout petit village perdu dans les montagnes de Navarre. Comme dit le narrateur, qui vide son cœur « A Olariz, on sait quand quelqu’un va mourir ». Au fil des chapitres le narrateur égrène les anecdotes, raconte les saisons et les habitants d’un village qui se voudrait hors du temps mais qui est quand même rattrapé par le monde qui l’entoure. Des histoires grinçantes, dures, parfois drôles, parfois macabres. Car on meurt pas mal à Olariz, et personne ne pose trop de questions. On sait, mais jamais, au grand jamais, on ne parlera aux étrangers. Que ce soit le curé, la guardia civil ou les journalistes.

Et si autour d’Olariz le monde change, la politique change, toute l’Espagne change, ici on ne voit pas pourquoi on ne devrait pas continuer à traiter les affaires du village comme l’ont fait les grands-pères, et les grands-pères des grands-pères.

Attention roman rugueux. Ceux qui croient qu’il n’y a que les américains capables de décrire le monde rural éloigné de tout et resté bloqué dans une tradition centenaire, ou que le roman de rednecks n’existe que de l’autre côté de l’Atlantique peuvent se préparer à une belle claque.

Car question de dureté, de rudesse de la vie et des habitants, de refus de se laisser envahir par un « étranger » qui commence juste aux frontières du village, vous allez être servis. Le lecteur commence, un peu extérieur à lire des chapitres qui sont comme des nouvelles indépendantes les unes des autres. Petit à petit, sans s’en rendre compte, il se retrouve hypnotisé par ce monde, cette écriture, fasciné par sa cohérence, et happé par un mystère qui apparait, comme un paysage fantomatique dans la brume.

Certes, je ne le conseille ni aux amateurs d’intrigues survoltées, ni aux âmes trop sensibles, mais pour les autres c’est une superbe découverte d’une grande originalité.

Josu Arteaga / Histoire universelle des hommes-chats, (Historia universal de los hombres gatos, 2010), Nouveau monde (2022) traduit de l’espagnol par Pierre-Jean Bourgeat.

Reine rouge

Je ne suis pas fan de thrillers, vous le savez, mais un thriller espagnol, je tente. Reine Rouge, de Juan Gómez Jurado. Encore raté.

Antonia Scott est un petit génie. Elle travaille pour une sorte de police parallèle européenne, plus précisément pour le compte de l’Espagne. Mais depuis un événement traumatisant, elle s’est isolée, et n’a quasiment plus aucun contact avec le monde. Jusqu’à ce que Mentor arrivé à la faire sortir de sa tour, grâce à Jon Gutierrez, policier basque, force de la nature.

Tous les deux vont traquer un tueur qui a l’air de s’en prendre aux familles les plus fortunées du pays. Il enlève les enfants, mais ne demande aucune rançon. Que veut-il donc ?

Raté donc. Parce que si je n’ai rien contre le fait de poser parfois le cerveau pour profiter d’un bon polar bien bourrique, il ne faut quand même pas trop me prendre pour une bille. Et là, entre des tentatives d’humour de répétition qui ne sont que répétition, sans humour, une génie analyste qui, quand on y réfléchit, ne montre rien de génial (et oui, c’est dur de mettre en scène quelqu’un de génial), et un tueur en série de plus, avec la surenchère que cela suppose …

Disons que j’ai frôlé l’indigestion, et que mon cerveau refusait de revenir à sa place. Non vraiment, de l’action bourrine OK, mais s’il vous plait, un peu de cohérence et un peu moins chargé en clichés et grand-guignol.

Juan Gómez Jurado / Reine Rouge, (Reina roja, 2018), Fleuve Noir (2022) traduit de l’espagnol par Judith Vernant.

Haine

Cela faisait une éternité que je n’avais rien lu de José Manuel Fajardo. Il revient avec un très court roman, aussi concis que son titre : Haine.

Toute fin du XIX°, dans le quartier de Soho, à Londres, Jack Wildwood hait autant la racaille qui peuple son quartier que les bourgeois et les nobles qu’il côtoie quand il sort pour aller au pub. Même quand il arrive à s’en faire des clients pour les magnifiques cannes qu’il fabrique, il sent qu’il ne fait pas partie de leur monde.

De nos jours, en banlieue parisienne, Harcha ne supporte plus sa vie, ni celle que lui promet son père, Rachid, le roi du pneu. Il déteste sa banlieue, mais déteste encore plus ces parisiens qui, même s’il a plus d’argent qu’eux, lui font bien sentir qu’il ne fera jamais partie de leur monde.

Laissez mijoter haines, rancœurs et frustrations jusqu’à ébullition.

A peine 100 pages, pas de construction artificielle pour tenter de rassembler les deux histories, juste un clin d’œil, et les effets de la haine à deux époques. Les descriptions de Londres et Paris sont saisissantes, la montée de la rage et de la haine est superbement décrite, les fins sont inéluctables. En prime une bien belle utilisation de nos références littéraires collectives.

Tout cela en 100 pages, du grand art.

José Manuel Fajardo / Haine, (Odio, 2020), Métailié (2021) traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

L’étrangère

Une double découverte. Celle de la maison d’édition Dalva (belle référence) et de l’espagnole Olga Merino avec ce roman L’étrangère.

Angela/Angie, après des longues années à Londres est venue se réfugier dans la maison familiale, une ferme plus que rustique dans un village sec, brûlant et perdu du sud de l’Espagne. Après la découverte du corps pendu de Don Julian, le « grand propriétaire » du coin, Angie, toujours considérée comme une étrangère, va commencer à déterrer les secrets du village et de sa famille.

Et quand les filles du mort arrivent pour tout changer dans la propriété et remettre en cause les fragiles équilibres de la communauté, Angie décide de se battre.

Encore un beau roman, à défaut d’être un roman aimable. Comme la terre et le paysage où se déroule l’action, c’est un texte âpre, rude, mais non dénué de la fascinante beauté des terres arides. Olga Merino donne une voix à ceux qui n’en ont habituellement jamais (mais c’est le propre du roman noir) : Les ouvriers agricoles clandestins, les paumés, les paysans qui survivent difficilement.

Elle profite également des souvenirs d’Angie, de son passé londonien en compagnie d’un peintre pour faire parler les couleurs, leur donner de la matière. Et finalement, cette étrangère qui n’en est pas une tant elle a ses racines profondément plongée dans cette terre sera celle qui se révoltera, en lieu et place d’habitants soumis, anesthésiés par des années et des années d’acceptation de l’ordre établi.

Un beau roman original.Olga Merino / L’étrangère, (La forastera, 2020), Dalva (2021) traduit de l’espagnol par Aline Velasco.

Docile

Revoilà Milo Malart, le flic torturé de l’écrivain barcelonais Aro Sainz de la Maza. Il revient dans Docile.

Au petit matin un adolescent couvert de sang apparaît devant un commissariat et s’écroule. Il a été frappé, mais le sang dont il est couvert n’est pas seulement le sien. Il est immédiatement amené à l’hôpital. Dans la matinée, non loin de là, une famille entière est découverte massacrée. Cinq morts, seule une fillette de 2 ans a survécu. Ils ont tous été frappés à mort avec des pierres.

Alors que tout semble accuser le jeune homme qui n’a toujours pas repris connaissance, Milo, contre tous ses collègues doute. Dans une ville déboussolée par les manifestations des indépendantistes et des antis, et sous la menace d’attentats islamistes, 5 jours de folie attendent Malart et ses collègues.

Aro Sainz de la Maza poursuit sa description de Barcelone aux mains de quelques familles, même si ce n’est pas le sujet central de ce dernier roman. On retrouve son flic, Milo Malart, toujours hanté par la peur de la folie. Une folie qui trouve un écho dans celle que frôlent les ados qui sont au centre du récit. Et dans celle d’une ville qui vit au rythme des manifestations, avant de subir à son tour en Europe les attaques du terrorisme islamiste.

Tout cela donne une tonalité étrange et sombre à un récit qui va aller en s’accélérant au fur et à mesure que Milo affronte l’étrange jeune homme qui seul sait ce qu’il s’est passé. Un roman auquel on s’attache progressivement pour ne plus le lâcher.

Aro Sainz de la Maza / Docile, (Dócil, 2020), Actes Sud (2021) traduit de l’espagnol par Serge Mestre.

Avant les années terribles

Le dernier roman de Victor del Arbol, Avant les années terribles est publié dans la collection « blanche » d’actes sud. Détail, c’est toujours un excellent roman noir.

Isaïe vit à Barcelone. Il arrivé en Espagne à 17 ans, il est marié et Lucia son épouse attend un enfant. Une vie parfaite. Jusqu’à ce qu’un fantôme de son passé vienne à la porte de son atelier de réparation de vélos. Enmanuel K. fait aujourd’hui partie d’une commission de réconciliation dans leur pays d’origine l’Ouganda. Une apparition qui va obliger Isaïe à retourner dans ce pays où il a connu, et commis, les pires horreurs.

Attention, fini la légèreté et le sourire, avec les romans à venir j’attaque une série éprouvante avec ce roman. On se doute bien à la lecture du résumé ou de la quatrième, que le sujet des enfants soldats n’est pas de ceux qui prêtent à rire ou sourire.

Victor del Arbol le traite à sa manière, toujours humaine, avec sa façon de faire vivre aux lecteurs l’Histoire au travers d’histoires humaines, l’Histoire par les histoires. Et l’on retrouve son humanité, son refus permanent du manichéisme et de la simplification facile et confortable qui verrait s’affronter le bien et le mal.

Pas de chevalier blanc, pas de monstre non plus, mais l’interrogation permanente du lecteur : Comment aurais-je pu survivre à cela ? et comment aurais-je réagi ? Ajoutez la thématique très importante chez lui de la mémoire, et de la façon dont nous-même, falsifions notre propre mémoire, nos propres souvenirs pour les rendre plus acceptables.

Une fois de plus, au travers d’un récit parfaitement maîtrisé et de personnages complexes et attachants Victor del Arbol éclaire un pan de notre histoire récente et nous amène à réfléchir. A lire donc.

Victor del Arbol / Avant les années terribles, (Ante de los años terribles, 2019), Actes Sud (2021) traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

La face nord du cœur

Je n’avais pas encore lu de romans de Dolores Redondo, j’ai fait une tentative avec le dernier paru La face nord du cœur. Le plus gentil que je puisse dire c’est que ce n’est pas du tout pour moi.

Amaia Salazar suit une formation de profileuse au FBI, détachée de son unité de police de Navarre. Lors de l’exercice final elle attire l’attention du formateur, le légendaire agent Dupree. C’est comme ça qu’elle se retrouve à traquer Le Compositeur, un tueur en série qui profite des catastrophes naturelles pour assassiner des familles entières.

La chasse va les envoyer vers le plus grand cataclysme de l’histoire du pays, l’ouragan Katrina qui se dirige vers la Nouvelle-Orléans.

Autant le dire tout de suite, je me suis ennuyé, et le roman pèse quand même presque 700 pages. Certes Dolores Redondo a du métier, c’est bien construit et pas mal écrit, donc ça plaira sans doute aux amateurs de serial killer et de profileurs. Pour ma part, je trouve ça, long, fabriqué (au sens où j’ai eu l’impression qu’elle met tout ce qu’il faut absolument mettre dans une histoire de serial killer), et manquant singulièrement d’émotion, sauf pour les parties revenant sur l’enfance d’Amaia en Pays Basque. Et puis pour moi elle en fait trop, mêlant trois histoires, deux au présent, dont une non résolue (pour préparer une suite ? ) et une au passé.

Ce qui est étrange dans une historie de serial killer, c’est qu’il n’y a pas de suspense, pas de tension réelle, parce qu’on ne connait pas les victimes, qu’on ne se place jamais de leur point de vue, et que l’auteur ne s’intéresse qu’à la course entre les affreux (oui il y en a plusieurs) et les deux génies (Dupree et Amaia sont géniaux), mais sans se préoccuper de combien de personnes vont mourir entretemps. Aucune émotion. Aucune sensualité, un regard très extérieur sur le drame Katrina, pas d’incarnation des souffrances, des injustices, du chaos. C’est froid. Les seules personnes auxquelles on pourrait s’attacher, comme la vieille tante qui se réfugie dans le stade lors de l’ouragan n’ont aucun rôle dans l’intrigue.

Autre problème, le recours au fantastique. Il est très délicat, parce qu’il ne faut pas qu’il apporte des clés de résolution, et qu’il faut éviter le Grand-Guignol. Et si l’auteur évite le premier écueil, elle en fait trop et tombe à pieds joints dans le second. Vaudou, sorcières, entités bienveillantes ou malveillantes, n’en jetez plus … ça a fini de me sortir de l’histoire.

Je voudrais juste finir en me demandant qui a eu l’idée, au Figaro, de dire que Dolores Redondo était la cousine de Fred Vargas ? Soit la ou le critique ne sait pas lire, soit elle ou il avait bu ou fumé un truc pas net. Parce que chez Fred Vargas on trouve de l’humour, une écriture poétique, de la légèreté, un ton décalé, des personnages originaux … Aucune trace de tout ça ici, pas un poil d’humour, des personnages clichés, aucune légèreté, une cuisine roborative à base de recettes archi connues. Bref on se moque du monde au Figaro, mais est-ce vraiment une surprise ?

Dolores Redondo / La face nord du cœur, (La cara norte del corazon, 2019), Série Noire (2021) traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet.

La valse des tulipes

Un nouveau venu avec un polar qui se déroule en Pays Basque, du côté de Gernika, ça se tente. Mais La valse des tulipes d’Ibon Martín est décevant.

Natalia Etxano, proche de la soixantaine, est assassinée de façon spectaculaire, attachée sur les voies du train que conduit son mari du côté de Gernika. Son meurtre a été transmis en direct sur Facebook. Elle a une tulipe rouge collée dans la main. La police basque, qui n’a pas l’habitude telles mises en scène constitue une équipe mixte avec des flics de la province de Saint-Sébastien, et d’autres de Bilbao.

C’est Ane qui sera à sa tête, avec son collègue Aitor, elle sera rejointe par Julia et Txema. Rapidement la pression monte avec le meurtre d’une autre femme du même âge, ou presque, trouvée elle aussi avec une tulipe rouge.

Là encore il y a du bon. Essentiellement la description du pays, avec ses rias, l’influence de l’océan, la pluie et le vent, les vallées vertes …

Après c’est beaucoup trop sage et scolaire. L’auteur explique bien tout ce que pensent les personnages et pourquoi ils font ceci ou cela, il détaille tout. Les scènes censées être violentes sont beaucoup trop gentilles, on ne tremble jamais quand l’une des héroïnes est en danger tant il est évident que tout va bien se terminer. Du coup ça traine.

La thématique est intéressante à défaut d’être originale, et attention petite révélation, les sœurs du couvent sont de véritables salopes, sans doute d’ailleurs les personnages les plus réussis à mon goût. Le reste est assez plat et manque d’émotion. Et ce n’est pas la faute du traducteur, il nous arrache les larmes quand il traduit Victor del Arbol.

Alors oui c’est plein de bons sentiments, de bonnes intentions, cela condamne ces saloperies de sœurs, les violences faites aux femmes, le machisme, les inégalités, la corruption, on y croise une flic qui fait du surf (jolies pages d’ailleurs sur le rapport à l’océan), une autre tatouée qui joue de la batterie avec des copines dans un groupe féministe et basquisant et dont on sent bien que l’auteur aurait voulu faire une hard-boiled borderline …

Mais non, ça manque de souffle, de folie, de rage. Et les bons sentiments ne font pas forcément les bons romans. Dommage.

Un détail pour la quatrième qui nous parle des « ténèbres franquistes ». Les faits les plus anciens relatés par le roman se déroulent en 79. Franco était déjà mort depuis 4 ans. L’opus Dei et la saloperie bien réelle d’une partie archi réac de l’église espagnole ne doivent rien à Franco. Ils l’ont accompagné bien volontiers, l’ont inspiré, mais existaient avant lui et ont continué à exister après. Donc non, il n’y a pas de ténèbres franquistes dans le roman, mais de vraies saloperies catholiques.

Ibon Martín / La valse des tulipes, (La danza de los tulipanes, 2019), Actes Sud / Actes Noirs (2020) traduit de l’espagnol par Claude Bleton.

Une république lumineuse

Que voilà un drôle de roman, assez inclassable, et qui vaut la peine qu’on s’y plonge. Une république lumineuse d’Andrés Barba.

BarbaSan Cristobal, une petite ville tropicale, définie par le fleuve qui la traverse et la forêt qui la borde. Le narrateur, qui a travaillé dans les services sociaux d’aide à l’enfance revient, vingt ans plus tard, sur les événements qui avaient bouleversé la ville.

Vingt ans auparavant donc, 32 enfants âgés de 8 à 13 ans, sont apparus, venus de nulle part. Personne ne les comprend, et ils se contentent de mendier et de jouer. Puis ils se mettent à voler, jusqu’au pillage d’un supermarché qui se solde par 2 morts chez les clients. Une explosion de violence qui change le regard des habitants, au moment où les 32 disparaissent dans la forêt. Quand les enfants de la ville fascinés par les 32 commencent à disparaitre, les habitants lancent une traque, qui se terminera par la mort de tous les gamins.

Roman étonnant, original et inclassable. J’ai essayé de voir si ce que raconte l’auteur fait référence à un endroit ou des faits réels, mais je n’ai rien trouvé. Nous sommes donc dans une ville imaginaire, et tout le récit, fait des années plus tard sur un mode assez extérieur et froid, va nous interroger sur notre façon de voir l’enfance, mais aussi l’étranger et sur nos réactions de peur, de rejet ou de compassion. Des interrogations auxquelles l’auteur n’apporte pas de réponse.

Tout cela au travers d’un texte intrigant, très bien construit avec, paradoxalement, un suspens créé par la connaissance donnée dès le départ, de la fin de l’histoire. Reste à savoir comment ces enfants vont mourir. Et c’est cette tension qui monte tout le long du roman.

Une lecture où l’on se sent à la fois détaché, parce que l’auteur a choisi une narration à froid, et très intrigué et fasciné. Etrange et très intéressante expérience de lecture.

Andrés Barba / Une république lumineuse, (República luminosa, 2017), Christian Bourgois (2020) traduit de l’espagnol par François Gaudry.

La mauvaise herbe

On a découvert Agustín Martínez avec Montepertido, il revient avec La mauvaise herbe. Et il n’aime toujours pas la campagne.

MartinezDepuis que Jacobo a perdu son boulot, sa vie et celle de sa famille, son épouse Irene et sa fille Miriam de 13 ans dégringole. Il leur semble qu’ils ont touché le fond quand ils sont obligés d’aller s’installer dans la maison de la mère d’Irene, à Portocarrero, un village perdu en plein désert à quelques kilomètres d’Almería.

Quelques mois plus tard, alors que Miriam passe la nuit chez une amie du village, des inconnus entrent dans la maison, tirent sur Irene et Jacobo. Elle est tuée sur le coup. Quand il reprend conscience à l’hôpital il apprend que c’est leur fille qui a commandité leur meurtre. Là oui, dans ce village perdu où les haines rancissent sous le voile de la convivialité et des apéros partagés, là oui Jacobo et Miriam touchent le fond.

Ne parlez pas à Agustín Martínez de la beauté du désert et des grands espaces. Il les hait, ils lui font peur. C’est ce qu’il avait expliqué lors d’une table ronde passionnante avec Andrée Michaud lors d’une édition de Toulouse Polars du Sud. Il le confirme ici, avec ce cauchemar en plein désert andalou.

Parce qu’ici tout est moche, chaud, poussiéreux. Les rancœurs, l’ennui, la jalousie mijotent dans la sueur poisseuse. On y étouffe, mais on se sourit quand l’occasion de boire un coup gratuit se présente, et on remercie celui qui invite, même si on a envie de le rouer de coups de pieds. On y est lâche, écrasé de misère et de chaleur, on y bouffe du sable, et on essaie de le noyer sous la bière glacée et le gin tonic.

Et c’est dans cette cocotte minute qu’Agustín Martínez plonge une famille proche de l’explosion, avec deux adultes qui ne se supportent plus, un mari frustré près à passer sa rage sur ses deux femmes, une épouse qui n’en peut plus, et une ado qui n’a plus qu’une envie, que ses parents crèvent pour qu’elle puisse se casser de cet enfer.

C’est poisseux, violent, parfaitement construit. Bienvenue à Portocarrero.

Agustín Martínez / La mauvaise herbe, (La mala hierba, 2017), Actes Sud/Actes Noirs (2020) traduit de l’espagnol par Amandine Py.