Dernier rempart

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de novella de chez In8. Je me suis rattrapé, un peu, avec Dernier rempart d’Yvon Coquil.

Maout est soudeur sur le chantier naval pour gagner sa vie, et supporter de l’équipe de foot de Brest pendant ses loisirs. Il est surtout fan de Kerberos, le gardien de but. Et avec son pote Polvo, que l’on ne peut mieux qualifier que de gros con, il s’occupe, après les matchs, à fracasser des cranes de supporters des clubs adverses. Seuls son boulot, son reste d’amour pour sa femme qui l’a quitté et celui, intact, pour sa grande fille le sauvent du gouffre. Mais on sent bien que tout cela ne peut pas bien finir.

Heureusement que le texte est court parce qu’il n’est pas forcément très agréable … c’est qu’on est dans la tête d’un bonhomme pas très malin, et surtout au contact d’un pote particulièrement bête et méchant. C’est très bien écrit, la montée de la connerie vers le final que l’on devine dès le départ peu réjouissant bien menée. Les conséquences d’une vie vide de sens et de projets sont très bien illustrées.

Un texte fort, qui en dit beaucoup en peu de lignes et décrit, on n’en doute pas, la vie de pas mal d’hommes seuls. A lire donc, même s’il faut prévoir de quoi se remonter le moral après.

Yvon Coquil / Dernier rempart, In8/Polaroïd (2023).

Amour, meurtre et pandémie

Xiaolong Qiu s’attaque à la situation en Chine au début de la crise du COVID dans Amour, meurtre et pandémie.

Chen, l’ex légendaire inspecteur, a été mis au placard, puis en arrêt maladie. Alors que l’épidémie de COVID atteint Shanghai, et que toute critique de l’action du gouvernement conduit tout droit en prison, il est contacté de toute urgence par un officiel de la mairie de la ville : Trois personnes ont été assassinées à proximité d’un des plus grands hôpitaux de la ville. Il faut d’urgence trouver un coupable pour que la peur de la présence d’un serial killer ne vienne pas s’ajouter à la panique créée par la maladie.

On sait que la gestion de la crise par la Chine a été pour le moins autoritaire, et on sait que le pays en a profité pour donner quelques tours de vis supplémentaires dans le flicage permanent de toute la population. Mais le lire, comme ça, aux travers de personnages dont on partage les émotions, la peur, la révolte et le sentiment d’impuissance est une expérience, de mon point de vue, totalement inoubliable et beaucoup plus marquante que tous les articles et essais.

Comme souvent dans les aventures de Chen Cao, l’intrigue est assez minimaliste, prétexte à citer de la poésie, déguster différentes spécialités (même si ici, par temps de COVID c’est de plus en plus compliqué) et surtout dresser un état du pays. Un état qui est de plus en plus inquiétant et qui devient assez atroce avec ce roman qui est sans nul doute le plus sombre et les plus désespéré de la série.

Je ne sais pas d’où l’auteur, qui vit aux US, tire ses informations, mais le portrait qu’il dresse du pays fait froid dans le dos. Mépris de la vie humaine, violence de la répression, corruption, désespoir de la population, servilité totale envers qui détient une once de pouvoir …

Glaçant et indispensable.

Xiaolong Qiu / Amour, meurtre et pandémie, (Love and murder in Covid days, 2022), Liana Levi (2023) traduit de l’anglais (USA) par Françoise Bouillot.

Le dernier loup

Un nouvel auteur sicilien chez Gallmeister. Corrado Fortuna : Le dernier loup.

Tancredi Pisciotta, 40 ans, revient passer quelques jours dans le village de Piano Battaglia en pleine montagne sicilienne pour se souvenir de son frère qui vient de décéder d’un cancer foudroyant. Et réfléchir à sa vie. Une méditation mise à mal quand, dès le premier jour, il tombe sur le corps d’un jeune berger marocain mourant. Il réussit à le faire amener à l’hôpital mais se retrouve malgré lui pris dans un réseau de secrets et de malveillances. Autant de choses qu’il n’avait pas perçues pendant son enfance et qui vont remonter à la surface.

Ce n’est pas un roman exceptionnel mais c’est un très joli texte, qui fait la part belle au paysage majestueux de la région. Beaucoup de belle descriptions, émouvantes, avec la présence fantasmée ou non (je vous laisse la surprise) du loup qui vient pimenter le récit et apporter une touche sauvage.

L’intrigue est bien menée, l’isolement de cette région, que certains subissent et que d’autres recherchent est bien décrit et les personnages sont attachants, gardant longtemps une part de mystère. Une lecture très agréable et une belle incursion dans une Sicile de l’intérieur très différente de celle de Camilleri.

Corrado Fortuna / Le dernier loup, (L’ultimo lupo, 2021), Gallmeister (2023) traduit de l’italien par Anita Rochedy.

Des meurtres qui font du bien

Je n’aurais jamais lu Des meurtres qui font du bien de l’allemand Karsten Dusse si ce n’avait pas été un cadeau. Est-ce que je serais passé à côté de quelque chose ? Je ne pense pas.

Björn, le narrateur, est un avocat surmené. Il travaille, fort efficacement, pour une véritable ordure psychopathe, s’engueule avec sa femme Katarina, ne voit jamais sa fille de 2 ans et demi. Jusqu’à ce que Katarina lui pose un ultimatum : Soit il va voir un coach pour faire de la méditation de pleine conscience, soit il ne les voit plus, ni elle ni sa fille.

Quand il se rend, à contre cœur, à son premier rendez-vous, Björn ne peut pas imaginer combien sa vie est sur le point de changer.

L’idée de départ n’est pas mauvaise, la description de certains travers de nos sociétés est plutôt réussie, avec entre autres un portrait au vitriol de quelques bons donneurs de leçons qui ne se rendent même pas compte de leurs contradictions et de leur ridicule.

Mais, car il y a un mais, ça devient lourdingue. Passé le fait que l’intrigue n’est pas crédible une minute (mais ce n’est pas forcément gênant si on se laisse prendre au jeu), on devrait se rabattre sur l’humour. L’auteur appuie sur le comique de répétition avec sa permanente référence à un supposé livre de développement personnel. L’ennui avec le comique de répétition, est qu’il est sur la corde raide avec le risque de tomber dans la lourdeur et la répétition sans le comique. Et de mon point de vue très subjectif l’auteur est tombé assez lourdement.

Le deuxième souci est le manque total d’empathie pour qui que ce soit dans le livre. A part le narrateur et sa fille, tous les autres personnages sont traités avec une misanthropie et un manque de distance qui finissent par donner l’impression que l’auteur règle ses comptes avec tous ceux qui l’emmerdent au quotidien, y compris son épouse, s’il en a une. Et cela finit par être complaisant et déplaisant.

Bref, malgré les bons avis que j’ai pu lire ici et là, pas convaincu.

Karsten Dusse / Des meurtres qui font du bien, (Achtsam morden, 2019), Le cherche midi (2022) traduit de l’allemand par Jenny Bussek.

Brazilian psycho

Malgré son titre, Brazilian Psycho est l’œuvre d’un auteur américain Joe Thomas.

Sao Paolo. Début 2003 Lula vient d’être élu président de la république. 2018, Bolsonaro est élu. Entre les deux Ray, Big Ray, magouilleur américain, proche des services secrets s’assurera des bénéfices de ses employeurs. Rafa, gamin de Paraisopolis va monter en grade dans la hiérarchie du gang qui tient la favela. Renata essaie d’aider les habitants tout en faisant gagner du fric … aux mêmes employeurs que Ray.

Mario Leme et Ricardo Lisboa sont flics, ils doivent s’occuper du meurtre du directeur d’une école anglaise très huppée, et on leur a bien fait comprendre que faire des vagues n’était pas une option. Ailleurs Carlos de la police militaire réprime et magouille …

Tous, et quelques autres, vont survivre, et tenter de surnager durant ces années de folies dans une ville livrée à la corruption et aux magouilles économiques et politiques.

Je ne vais pas vous promettre une lecture facile et divertissante. Il faut un peu de concentration pour rentrer dans ce pavé de près de 600 pages, quand il s’agit de comprendre les différentes combines qui permettent de détourner l’argent public ou de suivre la multitude de personnages. Mais quelle récompense !

C’est un roman impressionnant et emballant par son souffle, son ambition, la richesse de sa construction et l’ampleur de la vision qu’il dégage. 15 ans d’évolution de la mégapole de Sao Paolo vue par une bonne vingtaine de personnages (je n’ai pas compté) qui en représentent toutes les strates, des habitants de la favela au plus riches en passant par les classes moyennes.

L’auteur arrive, sans nous perdre, à mêler la réalité complexe et ses personnages de fiction, démonte les trafics politiques et décrit la survie au jour le jour, brasse quantité de thématiques, de la mainmise des gangs sur les favelas, aux trafics politiques, en passant par les meurtres de haine envers la communauté trans et la corruption de la police. Et tout cela sans jamais oublier de construire son histoire, en poursuivant sa chronique et de faire exister ses personnages, avec toutes leurs contradictions.

C’est magistral, imposant, je comprends que cela puisse être un peu intimidant mais il faut vraiment se donner le temps d’y plonger. Une superbe découverte.

Joe Thomas / Brazilian Psycho, (Brazilian Psycho, 2021), Seuil/Cadre noir (2023) traduit de l’anglais (USA) par Jacques Collin.

Tout va bien.

Je me demande bien ce qu’il restera à faire aux fachos quand ils seront au pouvoir en 2027.

Couper les subventions de la Ligue des droits de l’homme ? Darmanin s’en charge.

Dissoudre les associations écologistes qui empêchent de polluer tranquille. Darmanin s’en charge.

Fliquer tout le monde sans distinction. Ce sera en place pour les jeux.

Lécher le cul des représentants du FN et des complotistes du moment qu’ils ont du pognon ? fait sur France Inter et à l’Elysée.

Virer ceux qui osent se moquer de sa Majesté Présidentielle et de ses ministres ? Ce sera fait dès la rentrée prochaine.

Franchement, il leur restera quoi comme programme aux fachos ? Contents d’avoir fait barrage ?

La grande pagode

Marcelo Silva, le journaliste créé par le portugais Miguel Szymanski, est de retour dans La grande pagode.

A la fin du volume précédent Marcelo Silva quitte son poste officiel et repart vivre à Berlin. C’est la mort d’une tante dont il hérite, et la maladie d’une ancienne compagne qui vont le ramener à Lisbonne. Soucieux d’échapper à ses ennemis, Marcelo se fait très discret. Il va cependant être repéré par des yeux attentifs. Et comme c’est le moment des grandes manœuvres entre allemands, américains et surtout chinois pour mettre la main sur le pays tout entier, certains ne croient pas au hasard et pensent que Marcelo vient encore mettre le bazar. Le revoilà au centre d’affaires de corruption et chantage qui le dépassent.

Autant le dire tout de suite, ce roman n’est pas fait pour les amateurs d’intrigues tordues et de détectives géniaux. Marcelo Silva est ici pris dans un maelstrom qui le dépasse totalement, et il subit les événements, au même titre que ses concitoyens.

Mais si vous aimez les polars pour les personnages qui les incarnent, pour la description d’une société, d’une ville ou d’un quartier, vous pouvez vous plonger dans La grande Pagode. L’auteur mène en parallèle les descriptions de deux mondes en apparence à l’opposé l’un de l’autre. Celui des grandes manœuvres politiques et économiques, et celui des quartiers populaires, voire ici d’un bidonville en marge de Lisbonne. Le lecteur découvre la cohérence du tout.

En suivant Marcelo, l’auteur réussit paradoxalement à montrer comment l’invasion par les touristes fait perdre à sa ville une partie de son âme, et à nous donner envie d’aller la visiter. Il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.

Le ton, comme dans le roman précédent est vif et mordant, on déguste les spécialités locales avec Marcelo, on apprécie la vue sur l’océan, on roule la nuit dans les rues de Lisbonne. Et on assiste aussi impuissants que les personnages, à la mainmise des économies les plus puissantes sur tout un pays.

Miguel Szymanski / La grande pagode, (O grande pagode, 2020), Les Arènes (2023) traduit du portugais par Daniel Matias.

Voyous

Une autre vision d’Edimbourg avec Voyous de Doug Johnstone.

Tyler galère. Il s’est donné pour mission de protéger sa petite sœur, Bean, 7 ans. Pas facile quand on a une mère junkie tout le temps dans les vaps, et un demi-frère, Berry, psychopathe qui vous oblige à l’aider dans les cambriolages de maisons vides. Mais Tyler tient bon.

Jusqu’au soir où ils s’attaquent à la mauvaise maison, et où Barry poignarde une femme qui est rentrée pendant le cambriolage. Manque de chance, s’est l’épouse d’un caïd d’Edimbourg qui s’est acheté une conduite, du moins en apparence. A partir de là, tout dérape.

J’avoue, j’ai eu un peu de mal, mais ce n’est absolument pas le roman qui est en cause, c’est moi qui n’étais pas d’humeur. Pas d’humeur pour tant de noirceur.

Parce que le roman est impeccable dans le genre roman social, bien construit, avec de très beaux personnages, la description de la galère dans les quartiers pauvres de la ville, le choc entre les classes sociales. Et en prime, quand Barry devient de plus en plus cinglé et incontrôlable, une éprouvante montée de la tension et de l’angoisse.

Donc un très bon roman noir qui pour moi est arrivé à un moment où j’avais besoin d’un peu plus de fantaisie et de légèreté. Vous voilà avertis.

Doug Johnstone / Voyous, (Breakers, 2019), Métalié (2023) traduit de l’anglais (Ecosse) par Marc Amfreville.

Dette de sang

Un nouvel auteur néozélandais aux Arènes, avec Dette de sang de Michael Bennett.

Hana Westerman, d’origine maorie est flic dans la police d’Auckland, une excellente flic même. Quand elle reçoit sur son portable une vidéo mystérieuse, elle découvre dans un immeuble abandonné le cadavre d’un homme. Il s’avère que c’est un ancien condamné pour violence sur enfants récemment sorti de prison. Un deuxième cadavre, révélé également grâce à une vidéo épaissit le mystère, l’homme tué n’a aucun lien avec le premier.

Hana va vite s’apercevoir qu’elle doit faire face à un meurtrier qui venge un très vieux crime, quand un chef maori avait été pendu pour avoir résisté aux colons. Une enquête difficile qui va l’amener à s’interroger sur son métier et son rôle dans une société qui continue à traiter les maoris comme des citoyens de seconde zone, une société surtout qui n’a toujours pas réglé les comptes avec son passé.

Je ne me suis pas du tout ennuyé en lisant ce roman, mais je ne suis pas non plus emballé. Pour résumer, le fond de l’histoire, l’intention derrière le roman sont intéressants, l’histoire est suffisamment bien menée pour que l’on ait envie d’aller au bout, mais il manque quelque chose, dans l’écriture et la construction des personnages pour que l’on soit complètement emballé.

Cela commence par l’écriture que j’ai trouvée un peu plate, parfois trop explicative. Sans non plus être gênante, il faut reconnaitre que l’auteur arrive bien à intégrer des mots et des phrases en maori, sans que cela gêne la lecture, mais cela manque de souffle et d’émotion.

L’histoire aussi est sage. Une ou deux coïncidences un peu trop incroyables, et surtout un manque de folie, qui fait que même quand les personnages auxquels on s’attache sont en danger, on ne tremble pas, on sait qu’ils s’en sortiront. Il manque le côté « Game of thrones », ce qui fait que le lecteur a peur parce qu’il sait rapidement que même les personnages auxquels il s’attache ne sont pas à l’abri. Trop sage malgré les nombreux meurtres, et assez prévisible.

Pourtant, on lit sans déplaisir, et avec un véritable intérêt intellectuel. Parce que l’on découvre un pan de l’histoire de la Nouvelle-Zélande, un peu de la culture maorie, l’histoire des persécutions et injustices dont ils ont été victimes, et dont ils continuent à être victimes. C’est là que parfois l’émotion arrive à pointer son nez, que la colère est sensible.

Intéressant sur le fond, moins réussi sur la forme donc.

Michael Bennett / Dette de sang, (Better the blood, 2022), Les Arènes (2023) traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Antoine Chainas.