Archives pour la catégorie Polars du Moyen-Orient

Un simple enquêteur

Je n’avais encore jamais lu de roman mettant en scèneAvraham, le flic de Dror Mishani. C’est chose faite avec Un simple enquêteur. C’est le premier pour moi, mais certainement pas le dernier.

Avraham, qui vient de se marier et qui a un nouveau supérieur depuis le décès de sa chef et mentor a des doutes sur son métier. Il a l’impression de ne rien régler et de ne faire qu’ajouter du malheur au malheur, en clair, de ne servir à rien. C’est pourquoi il demande sa mutation à un poste plus important pour le pays.

En attendant il va s’intéresser à la disparition d’un touriste français d’un hôtel de seconde zone. Dans le même temps sa collaboratrice cherche à savoir qui a abandonné un bébé prématuré à la porte d’un hôpital. Deux enquêtes qui, étrangement, vont se croiser.

J’avais raté mon premier rendez-vous avec Dror Mishani. Je n’avais pas du tout accroché à son roman précédent Un deux trois, mais là je suis conquis. Tout ce que j’aime chez mes enquêteurs préférés. Un personnage humain, qui doute, qui parfois a peur, qui n’a pas un courage surhumain mais qui a des valeurs, qui s’accroche. Une histoire bien construite, avec beaucoup d’humanité. Des personnages secondaires inoubliables comme cette mère bigote et possessive (je vous laisse découvrir).

Et au travers d’une histoire et de personnages qui vous emportent, le portrait tout en petites touches et en finesse de la société israélienne actuelle. Un très grand plaisir de lecture. J’espère retrouver très vite Avraham qui est devenu, en un seul roman, un des personnages dont j’attends impatiemment des nouvelles.

Dror Mishani / Un simple enquêteur, (Emuna, 2021), Série Noire (2023) traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz.

Unité 8200

Je l’avais laissé passer, malgré des avis plutôt positifs. La chaleur, la farniente, deux bonnes raisons de me plonger dans Unité 8200 de l’israélien Dov Alfon.

AlfonUn passager de El Al est enlevé, ouvertement, à la sortie de la zone des bagages à Roissy. Le colonel Abadi, agent du Mossad en disgrâce se trouvait là par hasard (par hasard ?), et va se retrouver dans les pattes du commissaire Léger en charge de l’affaire. Ajoutez une belle blonde, des tueurs chinois, un hacker russo-israélien, des intrigues au sein des services israéliens, des politiques français spécialistes du jeu de la patate chaude, un mystérieux donateur suisse et quelques cadavres. Accélérez le tout, c’est parti.

Ce n’est pas le polar de l’année, ce n’est pas non plus du John Le Carré c’est certain. D’ailleurs l’auteur aurait gagné à avoir un éditeur qui l’oblige à simplifier quelques péripéties, et surtout des magouilles internes aux services qui restent bien obscures et ne font pas avancer le bazar.

Cette petite restriction faite, on ne s’ennuie pas une minute, ça va à fond, l’auteur rythme très bien ses passages d’un personnage à l’autre et les retournements de situation qui en résultent. On lit sourire aux lèvres, comme on regarde un James Bond et on referme le bouquin sans avoir vu le temps passer après une belle visite de Paris.

Une lecture d’été parfaite.

Dov Alfon / Unité 8200, (A long night in Paris, 2019), Liana Levi (2019) traduit de l’anglais par Françoise Bouillot.

Un deux trois

J’avais entendu parler de Dror Mishani, sans jamais avoir lu ses romans. J’ai essayé avec Un deux trois. Il paraît qu’il y prend un tournant. Virage raté pour moi, et abandon en cours de route.

MishaniOrna vit seule avec son fils de huit ans, dévastée par son divorce. Le gamin renfermé vit lui aussi mal le départ de son père loin, très loin, fonder une nouvelle famille. Peu à peu, elle essaie de surnager et décide de commencer à sortir et à rencontrer du monde, et pourquoi pas démarrer une nouvelle relation. Est-ce que cela pourrait être Guil, avocat récemment divorcé ?

Je ne le saurai jamais. J’ai tenu plus de cent pages à lire les chouineries de Orna, qui est très déprimée, et très triste, et son ex est un enfoiré, et son gamin est mal, et sa mère est chiante … Putain que c’est plat. Il paraît que c’est un thriller psychologique. J’ai vu des comparaisons avec Indridason. J’ai trouvé ça mou, triste, plat, enfermé, larmoyant … chiant.

C’est peut-être pas le moment, mais en fait je n’ai jamais aimé les thrillers psychologiques. On ne sait rien de son boulot, de la ville, de rien. C’est elle et son fils, son appartement, elle, son dépit … Chiant. Abandon au premier tiers.

Dror Mishani / Un deux trois, (Shalosh, 2018), Série Noire (2020) traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz.

PS. Pour se sortir de ce putain de confinement, et de l’enfermement, et en attendant de pouvoir s’aérer la tête pour de vrai (et pas sous surveillance policière avec interdiction de sortir du département, plus ou moins), j’ai mis une sélection de photos en ligne ici.

Le dernier polar de 2015

Je n’ai pas lu beaucoup de polars israéliens, aucun même à part deux ou trois de Batya Gour. Je me suis donc dit que j’allais terminer l’année avec une découverte (pour moi) : Une proie trop facile de Yishaï Sarid.

Mise en page 1Le narrateur a trente ans, il est avocat sans succès, son seul client est moitié fou et il végète dans son cabinet minable de Tel-Aviv. C’est pourquoi il accepte l’appel d’une connaissance de la police militaire qui voudrait qu’il rempile pour quelques jours, le temps de tirer au clair une affaire qui embarrasse l’armée : Une jeune femme, soldate, accuse un brillantissime capitaine de l’avoir violée.

Tout semble aller contre elle : elle est instable alors que le jeune homme a des états de service irréprochables et est adoré de ses hommes. Des cabinets de Tel-Aviv à un avant poste au Liban, en passant par les petites villes perdues dans le désert, le pauvre avocat va s’apercevoir que tout est plus compliqué qu’il n’y paraît.

Je ne demandais pas plus que d’aimer ce bouquin. Et j’aurais voulu terminer l’année sur une note enthousiaste. Mais je me suis un peu ennuyé.

Pourtant ce polar n’est pas inintéressant : la peinture de la société israélienne par l’auteur est riche, complexe, et très éloignée de ce qu’on peut imaginer vu d’ici. Très contrastée mais finalement moins conflictuelle qu’on pourrait l’imaginer au vu des informations qui nous arrivent. Contrastée entre les arrivistes intéressés uniquement par l’argent, les fanatiques religieux, les patriotes qui n’agissent qu’en fonction de l’intérêt de l’état, et une bonne partie de la jeunesse qui erre, sans trop savoir que faire de sa vie. Mais ces gens là, comme dans toute société, cohabitent, vivent les uns à côté des autres, sans vraiment se croiser ni s’affronter. Seul l’enquêteur, obligé d’aller partout, se frotte à tout le monde.

Belle description donc, mais pourquoi ma réticence ?

Essentiellement parce que c’est mou, très mou. A l’image d’un narrateur mou et sans relief, qui passe son temps à dormir quand il n’est pas vraiment obligé de travailler. Et, à l’image du personnage principal qui n’a rien d’enthousiasmant, l’écriture aussi est molle et plate. Pas d’humour, pas d’éclats, pas d’enthousiasme. On ne sent pas la peur du narrateur quand il doit s’avancer en zone de guerre, on ne sent pas sa colère quand on se moque de lui, on ne sent pas sa pitié …

Dommage, avec une situation de départ qui aurait pu être brulante, j’ai eu la sensation de baigner dans une eau tiède. Il paraît que c’est le premier roman de l’auteur, le suivant, déjà publié en France, est peut-être plus réussi …

Maintenant, ciao, et à l’année prochaine.

Yishaï Sarid / Une proie trop facile (Teref Kal, 2000), Actes Sud/Actes Noirs (2015), traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz.

Hercule Poirot en herbe à Istanboul

J’avais raté le premier roman de Alper Canigüz sorti chez Mirobole, je me rattrape avec le suivant, Une fleur en enfer.

CaniguzAlper Kamu, le môme de 5 ans surdoué et insupportable déjà rencontré dans L’assassinat d’Hicabi Bey revient donc. Il est toujours insupportable et surdoué, ne va plus à l’école, traine dans la rue et tombe amoureux de sa baby-sitter une parente de province. Il s’ennuie et va commencer à se mêler de ce qui ne le regarde pas.

Comme de la mort de son oncle, inconsolable depuis que sa femme l’a quitté, une femme dont personne ne veut entendre parler à la maison. Ou comme ce nouveau venu dans le quartier qui avoue avoir tué son frère. Dans les deux cas Alper ne croit pas à la version officielle, et va chercher la vérité sous les apparences. A sa façon.

Un auteur turc, une approche originale, j’aurais vraiment aimé être emballé par ce roman. J’ai bien aimé, mais ce n’est pas non plus l’enthousiasme sans restriction. Je reproche un peu au roman de ne pas savoir sur quel pied danser.

Un roman où on fait le choix de laisser la parole à un gamin, avec tout le côté décalé que ça suppose, cela peut-être un chef d’œuvre comique à l’image du génialissime Fantasia chez les ploucs. Ca peut-être aussi une façon de pointer du doigt les inégalités, les travers, les absurdités du monde des adultes, en y ajoutant une touche de peur comme un autre roman génial, Les marécages.

Le problème c’est qu’ici j’ai l’impression que l’auteur ne choisit pas. En fait, à part sa taille qui le handicape, le narrateur n’a rien, ou presque, d’un enfant. Il a des fantasmes, des idées, un vocabulaire d’adulte, et si le contraste entre cela et sa taille fait sourire au début, il lasse peu à peu, et tourne à vide, tel procédé un peu gratuit. Et je n’ai pas été ému, je n’ai pas eu peur et j’ai très peu souri (sauf au début, après l’effet de surprise ne marche plus).

C’est dommage parce qu’à côté de ça le ton est plaisant, le style vif, les différentes intrigues bien menées vers un point de convergence très bien vu, la peinture du quartier intéressante, et le tout se lit avec plaisir, mais sans réel enthousiasme. Ou alors j’étais de mauvaise humeur quand je l’ai lu, la fatigue de fin d’année …

Alper Canigüz / Une fleur en enfer (Alper Camucehennem çiçeği, 2013), Mirobole (2015), traduit du turc par Alessandro Pannuti.