Archives du mot-clé Texas

Les jaloux

James Lee Burke est inoxydable. On retrouve avec Les jaloux la famille Holland à Houston dans les années cinquante.

Aaron Holland Broussard, jeune lycéen, emprunte la voiture de son père pour aller se baigner avec ses copains. Sur le chemin du retour il intervient dans la dispute entre Grady Harrelson et Valerie Epstein. Une action qui a deux conséquences qui vont changer sa vie.

Tomber absolument et définitivement amoureux de Valerie. Se faire un ennemi mortel de Grady Harrelson dont la famille est richissime, sans scrupule, et trafique en limite de la loi avec la mafia. Sur fond de drive-in, de milkshakes et de virées en voiture, Aaron et Valerie sont pris dans un engrenage qui les dépasse.

Ce n’est donc pas un Robicheaux, et pour ma part, c’est mieux, les derniers étaient un peu … gênants. Un peu comme le dernier Eastwood, où le refus d’accepter la vieillesse finit par être pathétique. Donc là c’est mieux. Et on se retrouve, sans conteste, en terrain connu.

James Lee Burke reste, année après année, un superbe peintre des lieux et des époques qu’il choisit d’évoquer. Avec ce retour en arrière, qui doit sans doute beaucoup à ses souvenirs de jeunesse (il avait 16 ans en 1952 à Houston), il dresse le portrait d’une époque, de son ambiance, de ses illusions, de ses rapports de force et de ses préjugés. Et il le fait avec la force, la poésie et le lyrisme qu’on lui connait depuis les premiers Robicheaux.

C’est un bon roman pour ceux qui voudraient découvrir cet auteur (mais reste-t-il des lecteurs de polar qui n’ont jamais lu James Lee Burke ?). C’est un plaisir de retrouver son talent après les déceptions des derniers Robicheaux. De façon très personnelle, j’ai juste un petit bémol, je retrouve presque trop son univers, avec une impression de déjà vu, dans les dialogues avec les affreux, dans le personnage de Bledsoe son pote allumé qui fait terriblement penser à Clete Purcell, dans les réflexions de Aaron sur l’amour … Mais il faut dire aussi que j’en ai lu et relu beaucoup. Cela reste quand même un très grand roman, sans discussion le haut du panier.

James Lee Burke / Les jaloux, (The jealous kind, 2016), Rivages/Noir (2023) traduit de l’anglais (USA) par Christophe Mercier.

Au paradis je demeure

Après Bluebird, bluebird, Attica Locke remet en scène son ranger noir dans Au paradis je demeure.

Jefferson, au bord du lac Caddo, ville de l’est du Texas qui tente de se raccrocher à sa splendeur passée, une splendeur en grande partie fantasmée, avec beaux messieurs et galantes du grand Sud, en oubliant soigneusement les esclaves qui servaient tout ce beau monde. De l’autre côté du lac, Hopetown, village perdu où cohabitent un vieux noir et des indiens Caddos, premiers habitants du lieu, récemment envahis par des caravanes et des camions peuplés de blancs pauvres proches de la Fraternité Aryenne du Texas.

C’est d’ailleurs le fils de 9 ans d’un des chefs de la FAT, en prison pour trafic de drogue, qui disparait un soir, parti en bateau sur le lac et jamais revenu. Darren Mathews, Ranger noir, est envoyé par son chef, officiellement pour aider à retrouver le gamin, officieusement pour voir s’il peut trouver des éléments compromettant contre la Fraternité, et vite, avant que l’administration Trump, qui vient d’être élu, ne mette un frein à toutes les poursuites contre ces gentils patriotes.

Je ne sais pas exactement mettre le doigt sur ce qui m’a gêné, mais je trouve ce nouveau roman moins réussi que le précédent qui m’avait enthousiasmé. Je ne dis pas que c’est mauvais mais, de mon point de vue très subjectif, c’est moins bon. Je crois que ce qui m’a le plus embêté c’est l’affaire précédente qui vient à de nombreuses reprises interférer avec la nouvelle, sans que, de mon point de vue, cela apporte quelque chose. Au contraire je trouve que ça embrouille l’histoire. C’est surtout le démarrage qui s’en trouve ralenti, sans que l’on voit bien dans les premiers chapitres où l’on veut nous amener.

Puis Darren commence son enquête entre Jefferson et Hopetown, nous plonge dans l’histoire trouble et étonnante de ces lieux, nous fait ressentir de nouveau le racisme structurel bien présent malgré des dehors parfois plus policés (parfois, pas toujours), et on est parti dans la lecture.

Une fois de plus Attica Locke évite tout manichéisme, sans pour autant masquer ce qu’ont subi, et continuent à subir les noirs dans cette région. Elle évite le manichéisme parce que certains personnages peuvent changer, parce qu’être une victime ne fait pas de vous un homme fréquentable, parce que Darren lui-même a parfois honte de ses premières réactions.

Malgré un début un peu difficile pour moi, un bon roman. Et comme de toute évidence une suite est à prévoir, on retrouvera Darren Mathews avec plaisir dans un futur proche.

Attica Locke / Au paradis je demeure, (Heaven, my home, 2019), Liana Levi (2022) traduit de l’anglais (USA) par Anne Rabinovitch.

Cavalier, passe ton chemin

Gallmeister a la bonne idée de traduire et d’éditer le premier roman de Larry McMurtry : Cavalier, passe ton chemin.

Nous sommes dans les années 50, dans un ranch du Texas. Il y a là le grand-père, plus de 80 ans, encore en pleine forme, sa deuxième femme Grand-Mère, son petit-fils, le narrateur, Lonnie, 17 ans, partagé entre la fascination des récits du passé et l’ennui, Hud, la trentaine, fils de Grand-Mère, un homme violent que tout le monde craint, deux cow-boys qui aident à s’occuper du bétail, et Halmea, la cuisinière noire.

Un équilibre fragile, qui menace de s’écrouler quand une des vaches tombe malade et que le vétérinaire appelé sur place craint une épidémie.

Autant le dire tout de suite, on n’a pas encore la puissance, le souffle et le romanesque de l’extraordinaire série de Lonesome Dove. Mais ce serait dommage de passer à côté de ce court roman qui montre combien western et roman noir sont liés. Car si l’on a ici les personnages et les lieux typiques du western (ranch, cowboys et rodéo) c’est bien une intrigue non moins typique de roman noir qui est mise en place, avec montée de la tension, rupture et mort à la clé.

Avant d’écrire sa grande série, ce sont les faibles échos de la période épique qui se terminera avec Les rues de Laredo que l’on entend ici. Echos fort lointains qui se mélangent avec la description d’une Amérique loin des centres, d’une jeunesse qui s’ennuie, de droits civiques encore bien éloignés, de bals partagés entre un rock naissant et des quadrilles et la country toujours très présents.

Ces tiraillements, ce point de bascule sont parfaitement incarnés par le narrateur, jeune homme qui doute de tout, au moment où sa vie va basculer. Un beau roman, moins épique que l’œuvre à venir, mais qu’il serait dommage de ne pas découvrir.

Larry McMurtry / Cavalier, passe ton chemin, (Horseman, pass by, 1961), Gallmeister (2021) traduit de l’anglais (USA) par Josette Chicheportiche.

Le sourire de Jack Rabbit

Oyez oyez, réjouissez-vous, Hap et Leonard sont de retour dans Le sourire de Jack Rabbit. Vive Joe R. Lansdale, Vive Hap et Leonard !

Hap et Brett ont finalement décidé de se marier. Et c’est au moment de l’arrivée des invités que débarque un couple improbable, Judith Mulhaney, et son fils Thomas qui porte un teeshirt clamant « White is right ». Mauvaise pioche, car parmi les dits invités se trouve, entre autres, le charmant Leonard qui, comme les savent les lecteurs fidèles, est noir, homosexuel, spécialiste d’arts martiaux et soupe au lait, pour ne pas dire un rien provoquant.

Malgré un mauvais départ, ils arrivent à embaucher nos amis pour retrouver leur sœur Jackrabbit dont ils n’ont plus de nouvelles depuis quelques semaines. Une jeune femme qui semble s’être détournée de Dieu (quelle horreur) et pourrait même avoir eu des relations avec des n…, enfin, vous, savez, des gens comme ça.

Parce qu’ils payent, parce que l’argent n’a pas d’odeur même si, on s’en doute, ni Brett, ni Hap, ni Leonard ne les aiment beaucoup, ils acceptent le boulot et vont se retrouver, une fois de plus, dans une petite ville texane qui est tombée sous la coupe d’un gros con raciste. La routine.

Il vous faut une lecture réjouissante, de belles scènes de baston et des dialogues qui vous feront éclater de rire ? Facile, il suffit de lire le dernier Hap et Leonard, le duo de privé le plus iconoclaste du polar.

Comme un bonheur n’arrive jamais seul, en prime vous aurez le portrait d’une Amérique complètement paumée, livrée aux prédicateurs les plus tarés et aux manipulateurs populistes les plus cupides.

Alors si vous n’avez pas le palais trop délicat et que des personnages qui appellent une bite une bite, font des blagues de cul et se réjouissent de tarter les gros cons comme ils le méritent ne vous rebutent pas, précipitez-vous, c’est le bon moment de ce début d’été.

Joe R. Lansdale / Le sourire de Jack Rabbit, (Jackrabbit smile, 2018), Denoël/Sueurs Froides (2021) traduit de l’anglais (USA) par Frédéric Brument.

Bluebird, bluebird

Décidément Attica Locke fait preuve après 4 romans traduits chez nous d’autant de cohérence dans ses thématiques que de variété dans leur traitement. Elle en apporte la preuve avec Bluebird, bluebird.

Lark, petit village du sud du Texas, traversé par la Route 59. D’un côté de la route, le café de Geneva, un havre de paix pour les noirs qui veulent faire une pause. En face, le manoir de Wallace Jeferson III, propriétaire de quasiment toutes les terres de Lark. A l’autre extrémité du village, Jeff’s Juice House, repaire des blancs, domaine de la Fraternité Aryenne du Texas.

Deux corps ont été retrouvés dans le bayou derrière le café de Geneva. Tout d’abord celui de Michael Wright, noir, noyé après avoir été tabassé. Puis celui de Missy, jeune femme blanche, serveuse au Jeff’s Juice House.

Le ranger du Texas Darren Mathews envoyé pour enquêter parce que le shérif local ne semble se préoccuper que d’un seul de ces meurtres sait qu’il ne sera pas le bienvenu. Parce qu’il dérange les autorités locales, et parce qu’il est noir.

Après avoir parlé de la question raciale dans la ville de Houston avec Marée noire et l’excellent Plaesantville, et du poids toujours présent de l’esclavage dans les plantations dans La récolte, Attica Locke nous amène dans le Texas rural. Là les relations ne se sont guère apaisées, chacun vit dans son coin, le shérif et le « seigneur » local font la pluie et le beau temps et le KKK a été remplacé par un gang d’extrême droite né en prison.

C’est dans cette ambiance lourde et poisseuse, sur fond permanent de blues et de soul des années 50-60, avec aux papilles le goût d’une cuisine riche et épicée qu’elle déroule une intrigue classique mais non dépourvue de surprises. Choc entre noirs et blancs, ruraux et citadins. La veuve, issue de la bourgeoisie noire du nord ne comprend pas pourquoi c’est ici, chez lui, que Darren veut que justice soit rendue, et semble aussi étrangère, voire plus, aux clients de Geneva que les blancs fachos du coin.

Et au final, sur cette toile de fond de peur, de ressentiments et de danger, ce sont des personnages plus complexes que prévus qui se révèlent à nous. Une vraie réussite, une fois de plus, et peut-être un personnage à revoir plus tard en la personne de ce Texas Ranger noir qui ne manque pas de contradictions.

Attica Locke / Bluebird, bluebird, (Bluebird, bluebird, 2017), Liana Lévi aire (2021) traduit de l’anglais (USA) par Anne Rabinovitch.

Les rues de Laredo

Je ne m’y attendais absolument pas. Imaginez ma joie quand j’ai vu que Larry McMurtry avait écrit une suite et fin à son fantastique western Lonesome Dove. Une fin qui tient toutes ses promesses, Les rues de Laredo.

Petit à petit l’ouest est pacifié. En partie grâce ou à cause du capitaine des rangers du Texas Woodrow Call, légende de la frontière et des guerres contre les Comanches. Le train arrive, les Comanches et apaches sont parqués dans des réserves, et Call, vieillissant, loue ses services comme une sorte de chasseur de primes.

C’est à ce titre que le Colonel Terry, patron d’une des lignes de chemin de fer qui sillonne l’ouest le contacte pour mettre fin aux agissements de Joey Garza, jeune pillard mexicain qui lui a déjà dévalisé plusieurs convois, tuant des passagers au hasard. Et il lui envoie son comptable de Brooklyn pour vérifier les comptes au jour le jour. Le colonel Terry est un peu tatillon, et despotique.

La capitaine Call voudra récupérer son ancien caporal Pea Eye, marié, fermier et père de cinq enfants, ils croiseront la route de tueurs, du traqueur Famous Shoes, souffriront du froid, du vent, de la chaleur, erreront entre Texas et Mexique, et tous ne reviendront pas chez eux.

Pour commencer, oui Les rues de Laredo peut se lire indépendamment des autres romans de la saga, mais ce serait vraiment dommage tant cette série est cohérente et magnifique. Donc si j’ai un conseil, en ces temps d’enfermement obligatoire, commandez chez votre libraire préféré La marche du mort, Lune comanche, Lonesome Dove et Les rues de Laredo, et partez pour plus de 2000 pages d’aventure, de tempête, de bruit et de fureur … Mais aussi d’humour et d’émotion.

Cet ultime volume est à la hauteur des trois premiers volumes. Dur, violent, puissant, dépaysant, émouvant, intelligent et drôle.

Commençons par l’humour qui est peut-être inattendu. Il découle du choix stylistique de l’auteur de présenter les réflexions des différents personnages complètement à plat, sans aucun filtre de jugement, et sans donner son point de vue. C’est ainsi que l’on assiste à des heurts frontaux entre les façons de voir d’un capitaine de rangers, d’un éclaireur indien, d’un comptable de New York, d’une paysanne mexicaine ou d’un tueur sans pitié. C’est drôle mais c’est aussi très instructif et amène le lecteur à se poser beaucoup de questions sur ses propres filtres quand il reçoit la réalité.

Exemple : On parle d’un vieil homme, nommé Marshall qui « était arrivé chez les Apaches un jour que Famous Shoes était venu essayer de convaincre un vieil homme-médecine nommé Turtle de relâcher une petite fille blanche qu’ils avaient capturée lors d’une attaque. Turtle ne voulait rien entendre. Sa femme était flétrie et ne voulait plus de lui, aussi avait-il besoin d’une fille jeune. La somme d’argent que Famous Shoes lui proposait – de l’argent fourni par la famille de la fillette – avait moins d’importance pour Turtle que la fillette elle-même. Turtle avait patiemment expliqué cela à Famous shoes, qui l’avait assez bien compris. […]

Famous Shoes avait accepté les raisons de Turtle et renoncé à ramener la fillette, bien qu’elle manquât à ses proches et qu’ils l’eussent payé grassement pour qu’il la retrouve.

Mais M. Marshall, l’homme blanc aux bibles, lui, n’avait pas admis les explications de Turtle. Malgré la réponse claire de Turtle disant qu’il ne voulait pas vendre la fille blanche, Marchall avait insisté pour la lui racheter.

Lorsqu’il comprit qu’il ne pourrait pas, Marshall se mit en colère et proféra de mauvais mots, suscitant le mécontentement des Apaches. Un jeune guerrier […] prit une baïonnette récupérée sur le lieu d’une bataille et transperça Marshall de part en part, causant sa mort rapide. Tout le monde convint que Long Thorn avait agi de façon appropriée. »

Cette bascule de points de vue déstabilise et dépayse complètement le lecteur, crée un effet comique très réussi et donne au roman un ton à nul autre pareil.

Mais si on prend un immense pied de lecture c’est également grâce à une multitude d’autres aspects.

Le plaisir direct de lire un excellent roman d’aventure. La qualité de la reconstitution historique, la violence des descriptions d’une vie rude, terrible pour beaucoup, atroce, comme souvent, pour les femmes, et ce sans aucun pathos. Les magnifiques personnages, flamboyants, pathétiques, lâches, courageux, perdus, pourris jusqu’à la moelle, admirables … Avec une mention particulière pour quelques portraits de femmes absolument fantastiques.

Cette conclusion apporte un élément supplémentaire, la description du crépuscule d’un monde, de ses légendes, de son côté mythique. L’auteur parvient à nous présenter la grandeur de ces légendes tout en les démythifiant et en nous décrivant des hommes, des humains de chair et de sang, et non des statues.

J’ai été un peu long, mais j’espère avoir été convaincant. Vous pouvez éteindre votre ordinateur, annoncer qu’il ne faut pas compter sur vous pour les heures et les jours à venir, et partir rejoindre Woodrow Call, Maria, Joey Garza, Lorena, Famous Shoes et les autres …

Larry McMurtry / Les rues de Laredo, (Streets of Laredo, 1993), Gallmeister (2020) traduit de l’anglais (USA) par Christophe Cuq.

Le prix de la vengeance

Un nouveau Don Winslow, ça ne se refuse pas. Le prix de la vengeance est assez atypique, puisqu’il rassemble 6 novellas. Un pur plaisir de lecture.

Un recueil très cohérent, et varié. Il s’ouvre et se referme sur deux textes sombres et durs. Entre les deux, on a droit au Don Winslow cool. Dans l’ordre d’apparition :

Le prix de la vengeance. Une histoire de … vengeance (sans blague) à la Nouvelle-Orléans. Vengeance de flic dans le monde déjà violent de la drogue. C’est trash, dans un monde qui peut rappeler celui de Corruption. Pas de gentils, que des enfoirés, certains un peu plus que d’autres, mais les fics sont aussi violents, hors la loi et dérangés que les trafiquants auxquels ils sont confrontés.

Crime 101, dédié à Steve McQueen est un bel hommage au cinéma, et à la côte ouest. Des personnages très cools et très pros, des dialogues à la Elmore Leonard, un hommage aux films de Steve McQueen bien entendu, mais également à La main au collet d’Hitchcock pour cet affrontement entre un gentleman cambrioleur qui ne fait que des gros coups en s’en prenant aux détenteurs de bijoux, et un flic atypique de San Diego. C’est pétillant, orchestré au millimètre, dialogué au scalpel. Le pied.

Le zoo de San Diego, dédié à Elmore Leonard justement est la novella la plus drôle. Ca commence avec un agent en patrouille appelé pour récupérer un chimpanzé échappé du zoo. A priori, cela ne le concerne pas. Sauf que l’animal est armé. D’un flingue. Et que Chris (c’est le flic) qui va devenir une vedette sur internet suite à ses aventures simiesques veut absolument comprendre d’où vient le flingue. Surprise pour ceux qui ne connaissent que le Don Winslow de La griffe du chien, oui, il peut être hilarant.

Les deux suivantes, située à San Diego (Sunset) et Hawaï (Paradise) sont un vrai cadeau aux fans de l’auteur. On y retrouve, dans le désordre : Neal Carey, son premier héros (de Cirque à Piccadilly à Noyade au désert), Bonne Daniels et tous ses potes de La patrouille de l’aube et L’heure des gentlemen, Bobby Z de Mort et vie de Bobby Z, Frankie Machianno de L’hiver de Frankie Machine, Ben, Chon et O de Cool et Savages, et Jack Wade de Du feu sous la cendre. En deux novellas tous les héros cool de Don Winslow sont là. Et forcément, ça fait des étincelles, il y a du surf, de l’amitié, on boit des coups, les dialogues sont impeccables, les déroulés des intrigues et les scènes d’action sont magistraux. Un vrai régal, à déguster sans restriction. Soit on se régale de retrouver des personnages que l’on connaît, soit on se précipite pour lire ce qu’on a raté de cet auteur qui est un conteur hors pair.

Avec La dernière chevauchée Don Winslow redevient sérieux, et sa secoue. On y suit Cal Strickland, texan de la frontière, ancien soldat, qui a voté Trump et s’est engagé dans la police de la frontière. Ses convictions et ses croyances en des valeurs partagées commencent à vaciller quand il croise le regard d’une gamine de 6 ans dans une cage :

« La première fois qu’il a vu la fillette, elle était dans une cage.

Y a pas d’autre mot pour ça, s’est dit Cal sur le moment. On peut bien employer des noms différents – « centre de détention », « camp de rétention », « refuge temporaire » -, quand des personnes sont regroupées derrière un grillage, c’est une cage. »

A partir de là, Cal se dit que s’il veut respecter ce que lui a enseigné son père, texan, républicain et rancher, il ne peut pas laisser une gamine de 6 ans seule dans une cage. Même si les services sensés s’occuper d’elle ne l’aident pas, tant ils sont débordés, même si ses collègues commencent à le mettre à part, même s’il doit tout risquer :

« Son père disait toujours que la plupart des gens sont prêts à faire ce qui est juste quand ça ne coûte pas grand-chose et que personne n’est prêt à le faire s’il faut tout sacrifier.

Mais parfois, c’est vrai, il faut tout sacrifier. »

Très belle novella, construite autour de personnages beaucoup moins flamboyants que ceux précédemment cités, tiraillés, mal dans leur peau, et finalement magnifiques.

Don Winslow / Le prix de la vengeance, (Broken, 2020), Harper Collins (2020) traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Maillet.

Ville sans loi

Après un thriller pourri il faut se remettre d’aplomb. J’ai commencé par deux McBain (dont je vous causerai plus tard), et j’ai enchainé par un poche qui prenait la poussière sur mes étagères, mais que j’avais gardé, pour les soirs de désespoir. Ville sans loi de Jim Thompson dans sa réédition de chez Rivages.

thompsonUne petite ville du Texas qui a poussé comme un champignon, un mauvais champignon, quand on a découvert du pétrole à proximité. Des cabanes pourries, ni faites ni à faire pour abriter les ouvriers, l’odeur d’œuf pourri partout, quelques belles maisons, et l’hôtel Hanlon. Mike Hanlon a découvert le premier puits, il y a laissé ses jambes et a gagné une fortune qu’il a en partie investie dans un hôtel monumental.

Sans grandes illusions il a épousé la belle et jeune Joyce, pour qu’elle lui tienne compagnie. Et doit se méfier de tous ceux qu’il a arnaqué dans la ville. C’est dans ce contexte que Lou Ford, adjoint du shérif, corrompu et très malin lui présente McKenna, un costaud qui a souvent fait de la prison, victime de ses impulsions. Hanlon l’embauche comme chef de la sécurité de l’hôtel. Bien entendu Joyce et Lou ont une idée derrière la tête. Un plan dans lequel le pauvre Bugs risque fort d’être le pigeon de la farce.

Je ne vais pas vos mentir, ce n’est pas le meilleur Jim Thompson. Mais même un Thompson moyen reste un livre très recommandable. Il y a juste, au milieu du roman, un léger flou dans l’avancée de l’intrigue, un coup de mou pendant lequel on n’avance guère et on ne comprend pas forcément les motivations des différents personnages. Et puis Lou Ford est moins glaçant et effrayant que dans L’assassin qui est en moi.

Mais si l’on excepte cette petit réserve, bienvenue dans l’univers misanthrope du grand Jim. Pas de gentil, ici, pas de personnage auquel se raccrocher. Il y a des ivrognes, des voleurs, des manipulateurs, des femmes fatales, une brutasse pas bien fine … Le tout sur fond de torchères, de terre brulée, d’odeur infecte et de mépris total pour la vie des ouvriers (au détour d’un petit paragraphe). Et une belle chute bien inattendue.

Bienvenue chez Jim Thompson !

Jim Thompson / Ville sans loi, (Wild town, 1957), Rivages/Noir (2018) traduit de l’anglais (USA) par Pierre Bondil.

Santa Muerte

Santa Muerte de Gabino Iglesias n’est pas, comme son titre et son auteur pourraient le laisser penser, un roman mexicain, mais nord-américain, avec quand même pas mal de latino dedans.

IglesiasFernando est mexicain, arrivé illégalement à Austin, Texas. Depuis il est videur et dealer. Plus ou moins directement pour le compte des Zetas, cartel mexicain. Jusqu’au jour où il est enlevé par des membres de la Mara Salvatrucha qui torturent et assassinent son pote Nestor devant lui et le renvoient à son chef pour faire passer un message : Maintenant Austin est à eux.

Fernando n’est pas le plus courageux de la bande, mais quand faut y aller, faut y aller. Alors avec l’aide de la Santa Muerte, de tous les saints qui veulent bien l’assister, et de quelques tueurs, il va y aller.

Première impression : ça déménage. Le ton est vif, les chapitres courts, l’action resserrée. On attaque le roman, puis on ne le lâche plus jusqu’à la dernière page. Une sorte de polar survolté à la Tarantino avec une pincée de fantastique, juste pour épicer. Pur plaisir si on n’a pas peur d’un peu d’hémoglobine.

Mais en plus, au détour d’un chapitre, et sans s’appesantir, l’auteur livre quelques réflexions non dénuée d’intérêt sur un sujet que l’on devine personnel, à savoir l’exil, l’immigration, le passage à un autre pays, une autre langue, une autre culture, au milieu de gens qui ne vous portent pas forcément dans leur cœur.

Du plaisir donc, et un peu d’émotion et de réflexion. Le tout en moins de 200 pages. Convaincus ?

Gabino Iglesias / Santa Muerte, (Zero saints, 2015), Sonatine (2020) traduit de l’anglais (USA) par Pierre Szczeciner.

Rusty Puppy

Un petit Hap et Leonard, quoi de mieux pour égayer une morne semaine d’hiver ? Rien. Ils sont de retour dans Rusty Puppy, toujours sous la plume du grand Joe Lansdale.

LansdaleHap Collins se remet de ses malheurs de Honky Tonk Samouraïs. Il est seul dans le bureau de l’agence dans laquelle lui et Leonard Pine travaillent, sa copine Brett étant grippée, et Leonard en vadrouille. C’est donc lui qui reçoit une dame noire qui voudrait voir le noir qui travaille là. Faute de merles … Elle se confie à Hap.

Son fils a été tué, et un homme a vu des flics le tabasser à mort. Le problème est que cet homme vit dans cité HLM de Camp Rapture, un trou à rat selon la dame elle-même, où Hap est un peu trop pâle pour passer inaperçu. D’un autre côté Leonard, même s’il a la bonne couleur de peau, n’est pas non plus très doué pour passer inaperçu …

Comme toujours les deux compères vont se mettre à dos quantité de nuisibles plus ou moins violents, plus ou moins méchants, dont les forces de l’ordre de Camp Rapture. Où on trouve des très violents et très méchants. La routine.

Que voulez-vous j’ai un gros faible pour les histoires de Hap et Leonard. En plus, vous connaissez mon amour immodéré pour tout ce qui porte cornette, soutane, frisette ou burka, alors quand dès la première page je lis :

« Ce sont des médecins et des infirmières qui m’ont sauvé du grand plongeon dans le noir, alors je n’ai pas remercié Jésus en revenant à moi. J’ai remercié l’équipe médicale, leurs années d’études et leurs formidables compétences. J’ai toujours pensé que, si j’étais médecin et que je sauve la vie à quelqu’un, et que ce quelqu’un à son réveil se mette à remercier Jésus, j’aurais envie de lui enfoncer une paire de forceps dans le cul en lui conseillant de demander à Jésus de venir les lui enlever ».

Je sais que tout ça va me plaire, et que je vais lire un grand sourire idiot collé sur la figure.

Et ça n’a pas raté. Dialogues toujours aussi drôles et scato, Leonard en grand fouteur de merde absolument irrésistible, la description sans la moindre complaisance ni angélisme (vous pouvez compter sur Lansdale pour ça) des conditions de vie dans une cité pourrie, des affreux particulièrement réussis, et des scènes de bastons enthousiasmantes.

Un très bon cru de la série, instructif entre deux éclats de rire.

Joe Lansdale / Rusty Puppy (Rusty Puppy, 2017), Denoël/Sueurs froides (2019), traduit de l’anglais (USA) par Frédéric Brument.