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Les parias

La star islandaise est de retour, toujours avec son personnage de Konrad : Les parias d’Arnaldur Indridason.

En rangeant les affaires de son mari récemment décédé, une vieille dame découvre un Luger dans un carton. Elle a le réflexe de le porter au commissariat, où l’examen de routine révèle que l’arme a servi à un meurtre jamais élucidé bien des années auparavant. Quand Konrad, policier à la retraite toujours à la recherche de celui ou celle qui a tué son père quand il était un jeune adulte a vent de l’histoire il décide d’enquêter. Il se souvient que son père a eu un Luger un temps, mais il ne sait pas ce qu’il était devenu.

Une enquête qui va ramener à la surface un certain nombre d’affaires non résolues, et mettre en lumière les souffrances des plus vulnérables dans ces années d’après-guerre : les gamins confiés à l’assistance et les homosexuels, tous considérés comme des parias.

Voilà un pur Indridason dans le style où il excelle. Avec cette force et cette originalité d’arriver à nous attacher à un personnage pas forcément très sympathique. Ni totalement honnête. On retrouve l’Islande avec ses tempêtes de neige, ses disparus, ses fantômes réels ou imaginaires. Et les traumatismes liés à la violence faite aux plus faibles.

Ici les enfants victimes de parents violents ou incestueux, les gamins abandonnés confiés à des instituions qui les exploitent, au mieux, les livrent à des pédophiles au pire, et les homosexuels qui en ce début de seconde moitié du XX° siècle étaient considéré comme des délinquants. Comme toujours pas de gore, de violence gratuite ou de voyeurisme chez Indridason mais une immense empathie et une grande mélancolie.

Un bon cru du maître islandais.

Arnaldur Indridason / Les parias, (Kyrrpey, 2022), Métailié (2024) traduit de l’islandais par Eric Boury.

Kalmann

Une belle découverte à La Noire : Kalmann de Joachim B. Schmidt.

Raufarhöfn, petit port de pêche dans l’extrême nord de l’Islande. Un village qui se meurt depuis que les quotas de pêche des pêcheurs locaux ont été rachetés. Il reste quand même une petite école et un hôtel pour les quelques touristes qui, l’été, viennent voir le soleil de minuit.

Robert McKenzie est le roi du village. C’est lui qui a les quotas restants, il est propriétaire de l’hôtel, il a des projets touristiques. Mais Robert a disparu.

Et puis il y a Kalmann. La trentaine, vivant seul dans la maison de son grand-père qui est en maison de retraite. Kalmann est différent, excellent pêcheur de requins, chasseur, il n’a jamais pu suivre à l’école et se promène dans le village avec son chapeau, son étoile et son pistolet de shérif, souvenir d’un père américain qu’il n’a jamais connu. Kalmann qui n’aime pas la nouveauté va être servi : en chassant il tombe sur une grosse flaque de sang …

Une excellente surprise que ce roman. Ce n’est pas la première fois qu’un auteur utilise un narrateur différent de la norme pour proposer un regard décalé qui met en lumière ce qui, dans la vie de tous les jours, nous parait normal. On peut citer deux exemples illustres, le gamin narrateur de Fantasia chez les ploucs de Charles Williams, ou le fou héros de la série barcelonaise d’Eduardo Mendoza.

Ces deux références utilisent le décalage pour créer un effet humoristique, c’est moins le cas ici. On sourit certes, mais on est surtout très ému par le narrateur. Petit à petit on s’attache à Kalmann, on partage ses joies, ses espoirs et ses souffrances, on est témoins de sa grandeur. A travers son regard c’est tout un monde et un mode de vie que l’on voit disparaitre. C’est le choc avec le monde moderne, ses media, sa violence nouvelle opposée à une autre forme de violence, celle que l’homme est obligé d’exercer quand il doit vivre dans un milieu naturel dur et parfois hostile.

Et c’est également toute la beauté d’une nature respectée à la fois pour sa majesté et pour le danger qu’elle représente qui est révélée également à travers le regard au premier degré de Kalmann.

Ajoutons que l’intrigue qui prend son temps est très bien menée, avec une montée quasi imperceptible de la tension vers un final superbe. Un vraie belle réussite et une magnifique découverte pour moi.

Joachim B. Schmidt / Kalmann, (Kalmann, 2020), La Noire (2023) traduit de l’allemand (Suisse) par Barbara Fontaine.

Le roi et l’horloger

Le nouveau roman de la star islandaise, Arnaldur Indridason est un roman historique : Le roi et l’horloger.

Nous sommes à Copenhague au XVIII° siècle. Le Danemark a un roi considéré comme fou et l’Islande est une colonie danoise. Jon Sivertsen, vieil horloger d’origine islandaise venu au palais réparer une horloge découvre dans une pièce où sont remisés des objets au rebus une véritable merveille : une horloge créée par le maître suisse qui a fabriquée celle de la cathédrale de Strasbourg. Un chef-d’œuvre dans un piteux état. Jon convainc le régisseur du palais de le laisser tenter de la remettre en état.

Et c’est là, dans cette remise qu’un soir le roi en personne le trouve. Une étrange relation se noue entre les deux hommes, entre le vieil islandais dont la famille a été condamnée à mort par le père du souverain (pour des raisons que nous découvrirons) et le roi, plus ou moins dépossédé de sa couronne et perdant la raison.

Objectivement c’est un très bon roman. L’alternance du récit, entre Copenhague et l’Islande, présent et passé est parfaitement maitrisée, sans surprise, Indridason n’est pas le premier venu. L’époque est très bien rendue. Et l’auteur met au service de cette histoire tout son talent de conteur et d’auteur de romans policiers, capable de mettre du suspense dans une histoire dont on connait pourtant la fin.

Le poids de l’arbitraire, la connerie religieuse, l’hypocrisie des puissants qui s’en servent pour leurs propres intérêts, tout cela rend la partie du récit islandaise poignante. Ce qui m’a moins intéressé, mais c’est une question totalement subjective, c’est la partie se déroulant au palais. Les histoires de rois et de princes n’indiffèrent ; et j’avoue, c’est mal, être assez peu passionné par celle du royaume du Danemark. Du coup j’ai été beaucoup moins pris par la partie danoise. Mais c’est un avis très personnel et subjectif, qui n’enlève rien à la qualité du roman.

Arnaldur Indridason / Le roi et l’horloger, (Sigurverkið, 2021), Métailié (2023) traduit de l’islandais par Eric Boury.

Le mur des silences

Arnaldur Indridason fait du Indridason dans Le mur des silences, et il le fait très bien.

C’est une maison qui semble maudite. Les propriétaires ont souvent changé, souvent les femmes ne s’y sentent pas bien. C’est en faisant des travaux de rénovation dans la cave que les derniers habitants en date découvrent un cadavre dans un espace derrière un mur.

Konrad, maintenant à la retraite va s’intéresser à l’affaire. Tout en continuant, en parallèle, à chercher qui a pu, il y a bien des années, assassiner son père. Un père escroc, violent et même à tendances pédophiles. Un Konrad qui voit ses rares amis le délaisser les uns après les autres et qui sombre dans une mélancolie alcoolisée.

On ne peut pas dire qu’Arnaldur Indridason cherche absolument à nous rendre Konrad sympathique. Solitaire, pas toujours très honnête, individualiste, il arrive à se couper, petit à petit, de tous ceux qui pourraient l’aimer. Mais il reste un bon enquêteur, on ne peut pas lui reprocher de ne pas être opiniâtre, et il sait parfois faire preuve d’une certaine malice, voire d’une malice certaine (mais ça je vous laisse le découvrir). Un peu comme si l’auteur avait voulu nous offrir un remplaçant à ce cher Erlendur, mais sans que ce remplaçant puisse prendre sa place dans le cœur des lecteurs …

Toujours est-il qu’ici, une fois de plus, il fait du Indridason et le fait très bien. Du classique dans la lignée de La femme en vert. Un cold case, ou plus exactement deux ici avec l’enquête sur la mort de son père, des aller-retour entre présent et passé, la peinture émouvante et terrifiante des violences faites aux femmes. Tout cela est parfaitement maîtrisé en mené de main de maître. Ceux qui sont fan du maître islandais (dont je suis) se régaleront, ceux qui préfèrent les thrillers survoltés peuvent passer leur chemin.

Une des affaires est résolue, l’autre approche de sa résolution, vivement le prochain.

Arnaldur Indridason / Le mur des silences, (Pagnarmúr, 2020), métailié/Noir (2022) traduit de l’islandais par Eric Boury.

La pierre du remords

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de romans du maître islandais, Arnaldur Indridason. Et je m’aperçois que je n’avais pas lu ceux de la série consacrée à Konrad, cet ancien flic à la retraite. Je le découvre avec La pierre du remords que je trouve excellent.

Valborg, vieille dame à la retraite discrète et appréciée de tous est retrouvée morte chez elle. Elle a été étouffée lors de ce qui ressemble fort à un cambriolage qui a mal tourné. Sur son bureau Marta, flic en charge de l’enquête, trouve le numéro de Konrad, un ancien collègue lui aussi à la retraite.

Peu de temps avant sa mort, Valborg avait contacté Konrad pour qu’il l’aide à rechercher l’enfant qu’elle avait eu et donné en adoption 50 ans auparavant. Konrad ayant refusé de l’aider se sent coupable, et va tout faire pour aider à l’enquête et retrouver la fille ou le fils de Valborg. Dans le même temps il continue à rechercher, sur son temps perdu, l’assassin de son père, un sinistre personnage qui arnaquait sans scrupules les plus crédules et les plus fragiles.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas retrouvé intact ou presque, le plaisir des romans de la série Erlendur qui nous ont fait connaître Arnaldur Indridason. Certes ce n’est pas rock and roll, ça ne va pas à fond, les personnages ne sont pas des rebelles qui alternent vodka et ligne de coke. On est dans le calme et la lenteur.

Mais on retrouve aussi tout ce qui me plaisait dans la première série. En particulier l’empathie et l’humanité avec lesquelles l’auteur fait part des souffrances de gens ordinaires broyés par les saloperies de la vie. On retrouve la justesse de ses portraits de femmes violentées, battues, solitaires, tristes mais debout, dignes dans leur malheur. Il sait sans effets ni clinquant dépeindre la souffrance du viol, la pression de la religion.

Et mine de rien, alors que personne ne dirait que c’est un maître du suspense, il a l’art de construire ses intrigues, patiemment, et sait, sur la fin, tendre et accélérer sa narration au point qu’on ne puisse plus lâcher le roman. De même qu’il sait ici attraper son lecteur lors d’un premier chapitre magnifique.

Pour moi un roman au niveau des bons Erlendur.

Arnaldur Indridason / La pierre du remords, (Tregasteinn, 2019), Métailié (2021) traduit de l’islandais par Eric Boury.

Les roses de la nuit

Les roses de la nuit n’est pas un nouveau roman d’Arnaldur Indridason, ni un retour du la jeunesse de son héros emblématique Erlendur, c’est la traduction du roman qu’il a écrit avant La cité des jarres, premier roman traduit en français.

IndridasonLe cadavre d’une jeune femme, nue, est déposé une nuit d’été sur la tombe de Jin Sigurdsson, héros de l’indépendance nationale. C’est Erlendur le solitaire et son partenaire Sigurdur Oli, jeune policier formé aux US qui vont mener l’enquête. Une investigation qui va très rapidement les porter vers le trafic de drogue et la prostitution, mais qui étrangement semble aussi toucher les milieux d’affaires et des personnages très haut placés. Des junkies, aux villages désertés de la côte ouest et aux grandes manœuvres immobilières rien ne va faciliter le travail d’Erlendur et de ses collègues.

Je n’avais pas été convaincu par Les fils de la poussière qui, si j’en crois Wikipedia, est le premier roman de la série. Celui-ci est donc le second, juste avant La cité des jarres qui nous fit découvrir Erlendur. Et ce n’est sans doute pas un hasard ; les éditeurs français, et en l’occurrence ici Métailié, connaissent leur boulot, et avaient commencé par le premier roman totalement abouti.

Ceci dit, autant j’étais resté très sceptique à la lecture du précédent, autant ici Arnaldur Indridason fait le boulot. L’intrigue tient la route, Erlendur et Oli commencent à prendre de l’épaisseur, comme si après un premier roman flou, l’auteur s’était décidé à en faire ses personnages principaux. On commence à s’intéresser vraiment aux relations d’Erlendur avec ses enfants, et quelques allusions viennent sur les disparitions en Islande.

Les thématiques abordées par le biais de l’intrigue sont intéressantes, et cette fois pas de coupable caricatural, chaque personnage est forgé par son environnement et l’auteur évite les facilités. Bref on est vraiment dans la mise en place de la saga exceptionnelle en devenir, il ne manque plus que la qualité d’écriture et l’émotion qui en seront, dès le roman suivant, la marque de fabrique.

Si Les fils de la poussière est à mon avis très évitable, Les roses de la nuit est une bonne porte d’entrée pour la série, et un roman intéressant pour les fans de la première heure.

Arnaldur Indridason / Les roses de la nuit (Dauđarósir, 1998), Métailié (2019), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Le premier roman d’Indridason

Métailié a décidé de ressortir le tout premier roman d’Arnaldur Indridason, qui n’avait pas été traduit en français : Les fils de la poussière. Etait-ce vraiment indispensable ?

IndridasonDaniel, la quarantaine, interné depuis des années, se suicide en sautant par la fenêtre sous les yeux de son frère Palmi venu lui rendre visite. D’après les infirmiers, depuis quelques temps il était étrangement abattu.

Est-ce lié au visites qu’un vieil homme lui a rendues dernièrement ? Il s’avère que c’est un de ses anciens professeurs, qui quelques jours plus tard est retrouvé assassiné chez lui, brûlé vif attaché à une chaise dans son bureau.

Palmi, bouquiniste qui vit seul dans l’ancien appartement de leur mère va commencer à mener l’enquête en parallèle de celle des policiers : un certain Erlendur, et un petit jeune, Sigurdur Oli.

Voici donc les début d’Arnaldur Indridason. Qui révèle ici qu’il a vite appris de ses erreurs, tant son suivant, qui l’a fait découvrir en France, est beaucoup plus abouti.

Parce qu’il faut avouer que l’enquête est assez poussive, et surtout pas vraiment crédible. Le final est invraisemblable, le « méchant » caricatural, complètement cinglé dans le genre maître du monde ricanant, ses actions passées sont atroces, et en même temps il est trop gentil avec ceux qui enquêtent sur lui. En gros la partie policière est ratée.

Ensuite, pour nous qui sommes habitués à partager les doutes et la solitude d’Erlendur, de le connaître comme un proche, il est assez frustrant de ne le côtoyer ici que de loin, comme un personnage de plus, sans réelle épaisseur.

Par contre on voit déjà apparaître quelques traits caractéristiques de ce qu’allait devenir la saga Erlendur : L’intérêt de l’auteur pour les plus démunis, la mise en lumière des côtés sombres de l’Islande, le poids du passé sur nos vies actuelles, et le changement du pays qui s’américanise, jusque dans sa langue. Tout cela était déjà là, en germe, dans ce polar un peu maladroit, et allait lancer, dès La cité des jarres, la grande série du maître islandais.

Une curiosité pour les fans absolus qui veulent absolument tout lire de l’auteur, et attendent avec impatience ses premières rédactions et ses listes de courses, plutôt évitable pour les autres.

Arnaldur Indridason / Les fils de la poussière (Synir duftsins, 1997), Métailié (2018), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Einar est de retour

Cela faisait un moment qu’on n’avait pas de nouvelles d’Einar, le journaliste d’Arni Thorarinsson. Il revient dans Treize jours.

ThorarinssonÇa tangue au Journal du soir de Reykjavik : un homme d’affaire ripoux veut racheter les parts détenues par une banque et « sauver » le journal, à condition qu’Einar, qui l’a attaqué dans un de ses articles, soit viré. Le même Einar ne sait pas s’il doit accepter le poste de directeur du journal, vacant depuis peu.

Avec l’aide de sa fille Gunnsa, en stage au journal, il enquête sur le meurtre d’une gamine de 15 ans dont le corps a été profané. Et il se heurte à l’hostilité du flic en charge de l’enquête.

Pour finir de compliquer sa vie, il a reçu un message de Margrét, son ex petite amie, banquière qui a détourné une fortune, est recherchée par la police islandaise et lui propose de le rejoindre pour vivre une vie d’aventure avec elle …

Un Einar au mieux de sa forme, comme son auteur, qui n’est jamais aussi émouvant que lorsqu’il se penche sur le sort d’une adolescence en chute libre. D’autant plus émouvant qu’il évite parfaitement les clichés, les raccourcis, et qu’il est loin de nous présenter un monde noir et blanc.

Si certains profitent sans aucun scrupule de la faiblesse de gamins paumés, la plupart des protagonistes sont juste des gens perdus, incapables de se situer dans une Islande qui n’est plus celle qu’ils ont connus, écœurés de voir ceux qui les ont spoliés s’en sortir sans dommage, et complètement désemparés face au désespoir d’une jeunesse qu’ils ne comprennent pas et ne savent pas comment aider. Des protagonistes dont les réactions peuvent alors osciller entre le rejet hystérique de tout ce qui n’est pas purement islandais, et l’envie d’aider les plus démunis.

Ajoutez à cela le personnage attachant d’Einar et quelques bons coups de théâtre et vous avez un excellent polar.

Arni Thorarinsson / Treize jours (13 dagar, 2016), Métailié (2018), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Jolie conclusion de la trilogie des ombres

Je n’avais pas été complètement convaincu par le précédent roman de la trilogie, je le suis davantage par le dernier tome : Passage des ombres d’Arnaldur Indridason.

indridasonReykjavik aujourd’hui. Un vieil homme est trouvé, mort, dans l’appartement qu’il occupait seul depuis des années. Une mort qui semble naturelle, mais la légiste s’aperçoit qu’il a été étouffé. Konrad, flic à la retraite, décide de s’intéresser à l’affaire sur la demande d’une ancienne collègue. Dans les tiroirs du défunt il retrouve trois coupures de journaux, concernant la mort d’une jeune fille, en 1944.

Soixante ans plus tôt, alors que l’Islande sur le point de devenir indépendante est sous occupation américaine, le corps sans vie d’une jeune femme est trouvé par un soldat américain et son amie islandaise. Flovent, un des premiers flics de la criminelle en Islande, et son collègue et ami Thorston de la police militaire américaine mènent l’enquête.

A mon humble avis, ce n’est pas le meilleur roman d’Indridason, et je le trouve plus émouvant et plus juste dans la série Erlendur. Ceci dit, il est quand même excellent, et retrouve un peu de l’épaisseur des personnages que je n’avais pas trouvé dans précédent ouvrage de la série.

Il faut déjà dire que la construction, avec ces deux histoires qui se répondent à plus de 60 ans d’écart est parfaitement maîtrisée et que le résultat est assez jouissif. Certes ce n’est pas le premier auteur qui nous promène ainsi entre présent et passé, c’est même un procédé assez classique dans le polar. Mais seuls les très bons le maîtrisent à ce point, laissant le lecteur dans le doute jusqu’au dernier moment, ne lui révélant tous les liens entre les deux affaires que petit à petit.

L’auteur a également l’habileté de donner assez d’éléments du contexte historique pour comprendre l’intrigue et les motivations des personnages, et de laisser assez de points dans l’ombre pour donner envie au lecteur d’aller voir ailleurs quels sont ces événements touchant l’Islande dont il parle. C’est peut-être moi qui suis complètement ignare, mais j’ignorais tout de la récente indépendance de l’Islande !

Pour finir, les victimes sont particulièrement émouvantes, la description de l’extrême vieillesse touchante, et quelques personnages secondaires hauts en couleur viennent pimenter un petit peu cette Islande crépusculaire. Un bon roman du maître islandais.

Arnaldur Indridason / Passage des ombres (Skuggasund, 2013), Métailié (2018), traduit de l’islandais par Eric Boury.

Indridason sans Erlendur

J’ai raté le premier roman de la trilogie des ombres d’Arnaldur Indridason, j’attrape le train en marche avec le second, La femme de l’ombre.

IndridasonA Petsamo, en Finlande, une jeune femme attend son fiancé. Islandais comme elle, il vivait à Copenhague, et doit rentrer en Islande à bord d’un paquebot qui va rapatrier tous les islandais se trouvant dans des pays envahis par l’Allemagne nazie. Il n’arrivera jamais.

A Reykjavik, dans une ville occupée par les britanniques puis par les américains, deux cadavres sont retrouvés : l’un, complètement défiguré, vêtu d’un uniforme américain, l’autre, celui d’un noyé porté disparu par son épouse depuis quelques jours.

Deux hommes enquêtent. Thorson, de la police militaire qui est un des rares soldats à parler islandais, et Flogent, de la police de Reykjavik. Deux hommes qui s’estiment et se respectent, malgré l’hostilité ou le mépris qui règne souvent entre locaux et occupants.

J’ai vu de bons billets sur ce roman qui, si l’on en croit la quatrième, a gagné un prix en Islande. Et pourtant, je suis déçu.

Oui l’histoire est fort bien menée, les trois histoires se mêlent petit à petit, et l’auteur s’y entend pour embrouiller son lecteur sans jamais le perdre, pour finalement révéler tous les liens entre ses histoires.

Oui aussi, le contexte historique et social est parfaitement rendu, avec le contraste entre une armée d’occupation riche et les conditions de vie très dures des islandais. Contraste, fascination pour l’Amérique, et en même temps rejet. Mépris des occupants pour une population qu’ils ne cherchent pas à connaître. Poids des conventions et du regard des autres à une époque encore très fermée.

Mais, mais, et c’est là un avis complètement subjectif, à mon goût, les personnages sont loin, très loin d’avoir l’épaisseur de ce cher Erlendur. Je les trouve moins fouillés, plus schématiques. Et du coup, je m’intéresse assez peu à ce qui leur arrive. L’émotion, qui fait la force des romans consacrés à son personnage fétiche est ici absente.

Intéressant, mais froid, sans passion, sans chaleur. Instructif mais pas émouvant. Donc je suis déçu. Et curieux de savoir si je suis le seul et si vous êtes conquis ou pas.

Arnaldur Indridason / La femme de l’ombre (Petsamo, 2016), Métailié (2017), traduit de l’islandais par Eric Boury.