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Nuit torride en ville

Je ne vous ai pas oublié, mais j’ai enchainé les mauvaises lectures, lâché un bouquin, sauté allègrement des pages d’un autre, avant de trouver enfin un bon recueil de nouvelles : Nuit torride en ville de Trevanian.

13 nouvelles, dont une qui donne son nom au recueil est reprise en début et fin de volume, mais avec une légère différence que je vous laisse découvrir.

Nouvelle noire comme Nuit torride en ville où le narrateur, un jeune homme légèrement inquiétant suit une jeune femme seule dans une ville accablée de chaleur. La tension s’insinue peu à peu dans un récit qui met en scène de terribles solitudes.

Trois nouvelles très drôles se déroulent dans un village de l’intérieur du Pays Basque. On s’y méfie de tout ce qui est étranger, l’étranger commençant au village d’à côté, on y est fier d’être basque, on y est très traditionaliste et catholique … c’est tourné dans une langue et une façon de penser qui confirme que Trevanian connaissait très bien ce petit coin. C’est très drôle et très bien trouvé. Il y décrit la rivalité entre deux voisines, les fantasmes autour de l’idiot du village et les difficultés à trouver l’argent pour rénover l’école.

On passe ensuite d’une nouvelle très émouvante sur une enfance pauvre dans les quartiers déshérités d’Albany (une nouvelle en partie autobiographique ?) à un joli conte amérindien, d’une revisite iconoclaste des récits des chevaliers de la table ronde au portrait sans concession d’un écrivain vaniteux qui se fera prendre au piège de façon très savoureuse par sa secrétaire.

Des thématiques très variées, des styles d’écriture qui changent selon le contexte, souvent un humour grinçant et ravageur, un vrai plaisir de découvrir ces pépites.

Trevanian / Nuit torride en ville, (hot night in the city, 2000), Gallmeister (2024) traduit de l’anglais (USA) par Fabienne Gondrand.

STOP

TPS a vu le lancement de STOP, une initiative d’Olivier Bordaçarre à La manufacture des livres.

68 auteurs francophones se sont associés pour dire qu’on doit arrêter ce capitalisme qui fout en l’air la planète et ses habitants, à feuilles, plumes ou poils.

Chacun y est allé à sa façon. Coup de gueule, poème, photo, mini-nouvelle, dessin … Sur les 68 contributions vous trouverez de tout. Et vous trouverez donc forcément votre bonheur.

Bonheur de voir mis en mots ce qui vous oppresse tous les jours, bonheur de sourire (et oui l’humour n’est pas interdit), bonheur d’une belle nouvelle avec un jolie chute, bonheur d’un dessin, bonheur d’une poésie qui vous touche. Il y en a vraiment pour tous les goûts.

Je ne vais évidemment pas vous parler des 68 contributions une à une. Si je dois juste en mettre quelques-uns en avant :

Respire de Jean-luc Bizien revient sur la mort de George Floyd.

Un lit dans la forêt d’Anne Bourrel propose une nouvelle à chute très réussie.

Petite lexicologie politique de Gwenaël Bulteau décortique de façon très pertinente le langage politique et sa façon de changer le sens des mots pour soutenir son idéologie.

L’heurt des BRAV de Danü Danquigny revient sur la fabrique d’un bon chien de garde.

Le fabuleux destin développement durable d’Hyppolite Crisibus de Benjamin Dierstein est drôle et très pertinent sur les fils de pute qui viennent nous donner des leçons tout en faisant le greenwashing le plus éhonté (j’en ai au boulot des Hyppolite Crisibus, on en a tous).

Dignes héritières d’Annouck Langaney de Michèle Pedinielli est très drôle.

Et plein d’autres … Chacun aura ses contributions préférées.

Détail qui a son importance, tous les bénéfices seront versés à des associations.

STOP, La manufacture des livres (2023).

Le collectionneur de serpents

On a découvert il y a peu Jurica Paviĉić. Le collectionneur de serpents nous propose une autre facette de son talent : la nouvelle.

Cinq titres composent ce recueil.

Le collectionneur de serpents nous plonge directement dans la guerre, au plus près de jeunes recrues qui, après un temps d’attente sans rien faire se retrouvent brutalement confrontées à la mort.

Le tabernacle est une nouvelle qui vous dépaysera complètement, où un couple attend, pour récupérer un appartement qui a pris de la valeur dans le centre historique, que le locataire, imposé à l’époque communiste meure. Où comment une histoire en apparence banale permet à l’auteur de décrire tout en finesse l’évolution du pays de 1946 à nos jours.

La patrouille sur la route retrace, de nos jours, la rivalité sans coups d’éclats mais non sans rancœur entre deux frères. Rivalité amoureuse, rivalité dans la vie, l’un étant policier de la route l’autre trafiquant. Et en toile de fond, les violences faites aux femmes, acceptées par tous, et l’enfer d’un petit village où tout le monde se connait.

Encore une histoire fraternelle avec La sœur où une vielle rancœur va s’exprimer autour de la vente, ou non, d’une maison de famille. Où l’on découvrira le rôle de la guerre, encore, dans l’éloignement des deux sœurs.

Et pour finir Le héros revient sur le soutien qui continue à exister envers des criminels de guerre recherchés par la justice internationale.

Comme dans les romans que l’on a découvert précédemment, Jurica Paviĉić dépeint l’évolution de son pays, avec le traumatisme toujours présent de la guerre, souvent au travers de relations familiales qui tournent mal. Comme dans ses romans il le fait avec beaucoup de finesse, en décrivant la vie de gens ordinaires aux vies en apparence très peu romanesques. Sans grandes envolées, sans coups de théâtres, mais avec une grande humanité et une profonde compréhension de ses personnages.

Jurica Paviĉić / Le collectionneur de serpents, (2008 et 2013), Agullo court (2023) traduit du croate par Olivier Lannuzel.

Une étude en noir

On entre en léthargie avant les sorties de janvier. L’occasion de ressortir un recueil du maître John Harvey qui trainait depuis des lustres sur ma table de nuit : Une étude en noir.

On va découvrir Jack Kiley, ancien footballeur professionnel éphémère, ancien flic dans la police londonienne, devenu privé qui vivote avec une petite affaire de temps en temps. On va retrouver Franck Elder au moment où il quitte Londres, encore avec sa femme et sa fille. Et on va retrouver Charles Resnick à Nottingham, à différents moments de sa vie, souvent avec Lynn, toujours avec ses chats.

On va suivre quelques musiciens de jazz anglais pris dans la tourmente de l’héroïne. On va croiser des destins brisés, des amitiés dévastées par l’appât du gain, des gamines massacrées, un ancien d’Irak au bord du gouffre.

Et puis il y a la musique, un peu toutes les musiques, mais surtout le jazz, avec la voix bouleversante de Billie, les accords piquants de Monk, la virtuosité de Art, Bird et Dizzie.

Tout ce qu’on aime dans les romans de John Harvey se retrouve ici, concentré dans ces nouvelles. Son regard lucide sur la société anglaise, son empathie, son humanité dont ses personnages sont les porte-parole, son amour de la musique et des clubs de foot qui ne gagnent jamais, ou presque. Et l’apparente simplicité d’une écriture qui ressemble tant à la voix d’un ami en train de vous raconter une histoire.

A ne pas rater pour les fans du maître du procédural britanique.

John Harvey / Une étude en noir, (2010), Rivages/Noir (2018) traduit de l’anglais par Karine Lalechère et Jean-Paul Gratias.

Plus bas dans la vallée

Un nouveau Ron Rash c’est toujours une bonne nouvelle. Quand en plus on a droit au retour de Serena, on frétille. Plus bas dans la vallée est constitué d’une belle novella et de 6 nouvelles.

Serena Pamberton revient pour quelques jours du Brésil. Elle s’est engagée, sous peine de surcoût financier, à finir de raser ce qu’il reste de la concession avant de revendre tout son matériel. Un pari qui semble intenable. C’est mal connaître Serena et son âme damnée Galloway, incarnations impitoyables du capitalisme le plus brutal.

Les six nouvelles qui suivent alternent entre l’humanité réconfortante de Le dernier pont brûlé, l’humour noir de Une sorte de miracle qui met en scène quelques bras cassés des plus réjouissants, ou le sud historique de Les voisins. A une certaine âpreté (voire une âpreté certaine) de L’envol ou Le baptême, répond la sérénité souriante de Leurs yeux anciens et brillants.

Je ne sais pas dire s’il est facile d’apprécier pleinement la longue novella qui ouvre ce recueil si l’on n’a pas lu Serena. D’un autre côté, je ne vois pas bien pourquoi on se passerait du bonheur de lire ce chef d’œuvre de Ron Rash, je ne peux que vous renvoyer à mon billet enthousiaste de l’époque de sa sortie.

On retrouve ici toute la brutalité pure du personnage qui déclare à une journaliste qui lui demande quand elle compte s’arrêter : « Quand le monde et ma volonté ne feront plus qu’un. » Certes on peut regretter que cela soit si court, on en aurait bien repris un peu tant le récit, vu par les bucherons qui subissent la folie de leur patronne est saisissant. Mais ce qui est pris est pris, et le retour de ce personnage emblématique reste plus puissant et remarquable, en une centaine de pages que bien des pavés dont on nous assomme.

Les nouvelles qui suivent permettent de compléter la palette du maître, pleines d’humanité, de sourires et surtout de complexité, avec des personnages qui, pour certains, ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le croire, et qui se trouvent face à des décisions complexes ou le bien et le mal ne sont pas si faciles à différencier. Là aussi cela change agréablement des pavés formatés où tout est si simple.

Pas le Ron Rash le plus marquant peut-être mais cela reste très clairement le haut du panier. Et lisez Serena si ce n’est déjà fait.

Ron Rash / Plus bas dans la vallée, (In the valley, 2020), La Noire (2022) traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Reinharez.

La fabrique des lendemains

Fin du break SF avec un superbe recueil de nouvelles : La fabrique des lendemains de Rich Larson.

Petite introduction : s’il n’y a pas de titre en VO, ni de date de parution, c’est que ce recueil est le fait des excellentes éditions du Belial. Un beau travail d’édition qui a consisté à aller lire les quelques 200 nouvelles écrites par ce jeune auteur, né au Niger, ayant vécu un peu partout, pour sélectionner et faire traduire les 28 qui composent ce recueil.

Je ne vais pas vous faire un résumé nouvelle par nouvelle, je suis trop fainéant. Sachez que le recueil fait preuve d’une belle cohérence et qu’à part une nouvelle que je n’ai pas apprécié (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas bonne), je me suis régalé d’un bout à l’autre.

Bon nombre d’entre elles se déroulent dans un monde futur commun. La majorité nous parlent d’une humanité augmentée, soit biologiquement pour une nouvelle, plus généralement de façon électronique et informatique, à base de port et de vies virtuelles.

Dans tous les cas le monde décrit fait bien peu envie, et, malheureusement, semble un (in)digne prolongement du nôtre : les plus pauvres y sont obligés de vendre ou louer leur temps ou leurs corps pour le plaisir des plus riches, ou pour effectuer des travaux que personne d’autre ne veut faire. A leurs risques et périls bien entendu.

Toutes sont extrêmement bien construites, avec un sens consommé de la chute.

Le format court n’empêche absolument pas l’émotion, et à ce titre, la première nouvelle Indolore, et la dernière Faire du manège sont bouleversantes. L’auteur explore toute sortes d’altérité, de l’IA à une chimpanzé, met en scène une multitude de formes d’injustices plus révoltantes et malheureusement plus plausibles les unes que les autres, le tout avec une écriture d’une inventivité et d’une liberté totales, tout en étant toujours parfaitement compréhensible (à ce propos, il faut tirer son chapeau au traducteur).

Sans oublier deux nouvelles assez drôles, qui tranchent avec les thématiques du recueil, l’une en forme d’hommage souriant aux men in black, l’autre se déroulant sur la lune qui vous prendra complètement à contrepied dans la dernière phrase.

Bref, à moins d’être totalement allergique à la SF et aux nouvelles, un recueil à lire absolument.

Rich Larson / La fabrique des lendemains, Le Belial (2020) traduit de l’anglais (Canada) par Pierre-Paul Durastanti.

L’homme aux doigts d’or

Je continue à lire des nouvelles, françaises cette fois : L’homme aux doigts d’or de Marc Villard.

Que peuvent bien avoir de commun Edward Hopper, Monk, Miles Davis, Chet Baker, un cireur de chaussure de Lisbonne, une journaliste portugaise, ou un joueur de poker pris dans la révolution de Pancho Villa ? rien, si ce n’est qu’ils prennent vie, le temps de quelques pages, sous la plume de Marc Villard.

Si vous aimez le jazz, la peinture, la photo, New York ou Lisbonne, prenez le temps de vous perdre dans ces nouvelles. En quelques lignes un personnage et un lieu sont évoqués, vous voyagez dans le temps à travers le XX° siècle et dans le monde de Paris à Ciudad Juarez en passant par Lisbonne et New York. Vous croisez personnages connus et inconnus, tous deviennent familier le temps d’une nouvelle.

On ne présente plus Marc Villard, grand maître du genre avec son compère Jean-Bernard Pouy. Pas de Ping-Zag ou de Tohu-Pong cette fois mais un voyage où la saudade se mêle au bop, la peinture à la photo.  Un vrai plaisir.

Marc Villard / L’homme aux doigts d’or, Cohen&Cohen (2021).

Deux novellas de Ken Liu

Je complète mes lectures dans la collection une heure lumière avec deux novellas de Ken Liu.

La première, Toutes les saveurs, se déroule à Idaho City, au moment de la découverte de filons d’or dans la région, après la guerre de sécession. Un groupe de travailleurs chinois, venus originellement pour construire les chemins de fer s’installe dans la ville pour prospecter. Lilly Seaver, fille de Jack qui leur loue des baraquements est fascinée par les odeurs qui sortent de leurs cuisines en plein air. Elle le devient encore davantage quand elle fait la connaissance de Lao Guan, un géant barbu qui lui raconte les histoires de Guan Yu, le Dieu de la guerre, de Lièvre roux son cheval de bataille et de son épée Lune de Dragon.

La seconde, parue précédemment mais que j’avais ratée est de la pure SF : Le regard. Ruth Law était flic. Suite à un problème lors d’une intervention, elle a été virée et est maintenant privée. Elle vit avec une douleur et des remords qu’elle ne peut supporter qu’avec l’aide du Régulateur. Ce dispositif filtre ses émotions, gère son stress, et lui envoie l’adrénaline nécessaire si besoin. Le risque étant, quand on le laisse en marche trop longtemps, de se déshumaniser peu à peu. Quand une mère vient la chercher pour enquêter sur le meurtre de sa fille, elle sent peu à peu le passé la rattraper et l’emprise sur elle-même lui échapper.

Deux novellas très différentes l’un de l’autre. La première est un mélange de chronique de la découverte d’étrangers et de conte, un cocktail à base de whisky et d’alcool de riz comme le dit l’un des personnages. Un conte qui met en avant les différences, parfois inconciliables, mais qui accentue surtout ce qui unit tous les personnages. Un joli conte, qui met l’eau à la bouche, très légèrement épicé de ce qui est (ou pas) un élément fantastique.

La deuxième, purement SF est beaucoup plus sombre, bel exercice de style autour de la figure archi classique du privé hardboiled qui soit vivre avec ses traumatismes et ses fantômes. Les deux originalités ici sont, d’une part quelques éléments futuristes (que je vous laisse découvrir), et d’autre part d’avoir pour personnage une femme métisse.  C’est bien mené, bien glauque, un vrai petit polar à Chinatown.

Deux bonnes novellas, à mon humble avis pas au niveau du premier texte de Ken Liu publié dans la collection, mais il faut reconnaître qu’avec L’homme qui mit fin à l’histoire, Une heure lumière avait mis la barre très très haut. Mais deux excellentes novellas qui méritent leur place dans une collection assez remarquable.

Ken Liu / Toutes les saveurs, (All the flavors, 2012), Le bélial / Une heure lumière (2021) – Le regard (The regular, 2014), Le bélial / Une heure lumière (2019) traduit de l’anglais (USA) par Pierre-Paul Durastanti.

Presqu’îles

Les éditions Agullo éditent, si je ne m’abuse, leur premier recueil de nouvelles Presqu’îles. D’un nouvel auteur, bien connu des amateurs de polars qui suivent les blogs qui comptent, Yan Lespoux.

Le médoc. Pas celui de Pauillac, Margaux ou Saint Julien. Celui qui ressemble aux Landes. Les pins, l’océan, le surf et les baïnes, le sable, les étangs, les petites villes, les potes qui survivent et tournent plus au pastis et à la Kro qu’au grand cru.

Chasse, champignons, cuites, petits casses minables, piliers de bistro, et tous ces étrangers, bordelais, toulousains ou horreur, parisiens. Mais même les charentais, ou ceux du village d’à côté ne sont pas vraiment d’ici. Et de temps en temps, un qui essaie de partir, à la ville, ailleurs, mais qui en général ne va pas très loin, ou revient vite.

Amitiés, racisme ordinaire, bêtise quotidienne, l’humidité qui ronge les os, la beauté d’une matinée parfaite sur l’eau, un coin à girolles bien caché, les bières partagées lors d’un concert inattendu.

Autant de portraits courts, incisifs qui parleront à tous, du moins je le suppose.

Vu du Béarn et du Pays Basque où j’ai grandi, ou de Toulouse où je vis, le Médoc ou Bordeaux, c’est pareil, les doryphores immatriculés 33 qui venaient nous envahir en été, des sortes de Parisiens, des nordistes (le Nord commence à l’Adour). Mais l’océan, les potes landais, les périodes de champignons, de chasse (il manque le pèle porc, et les cris du cochon les matins fin automne début hiver, il font pas ça dans le Médoc ?), l’océan, la certitude qu’être de l’intérieur ou de la côte c’est PAS DU TOUT PAREIL, que les bayonnais ils sont pas comme nous, … bref toutes ces particularités que Yan rend fort bien, qui paraissent si locales, elles me parlent.

Ce qui est drôle c’est qu’alors qu’il décrit des coins que je ne connais pas, ses textes m’ont remis en mémoire des visages, des moments, des dialogues, directement vécus, ou racontés par mes parents. Local et universel, au moins universel à l’échelle de la campagne du Sud-Ouest, mais sans doute au-delà, je vous laisse juges.

On lit, sourire aux lèvres, l’écriture chante, on entend les dialogues, et s’il ne fait pas de cadeaux et maltraite autant les locaux que les touristes ou les nouveaux arrivants, Yan le fait sans mépris, sans les prendre de haut, avec tendresse, humour et une certaine mélancolie.

Yan Lespoux / Presqu’îles, Agullo (2021).

En quête de Jake

Encore un peu de SF/Fantastique en cette fin d’année. Entre l’auteur anglais China Mieville et moi, c’est un coup ça marche, un coup non (littérairement parlant of course). J’avais adoré The City and the city et Merfer, pas réussi à finir Kraken. Une valse hésitation qui s’est poursuivie avec son recueil de nouvelles En quête de Jake et autres nouvelles.

13 nouvelles et une novella rasssemblées ici, avec une véritable cohérence tant l’auteur, à chaque fois, introduit l’étrange, parfois horrible, parfois simplement autre, dans notre quotidien, ou plus précisément dans le quotidien des londoniens.

Une distorsion qu’il explique rarement, et jamais complètement, et la description de tranches de temps de ses personnages, souvent sans réelle conclusion. C’est ce qui rend difficile parfois d’accrocher au texte. Soit vous adhérer à l’idée de départ, qui est toujours très originale, souvent poétique, soit vous restez en dehors et vous n’avez plus grand chose à quoi vous raccrocher.

C’est ainsi que la première nouvelle, qui donne son titre au recueil, En quête de Jake, m’a laissé perplexe. Une ambiance d’apocalypse dans Londres, sans que l’on sache pourquoi, et sans que j’ai pu comprendre où l’auteur voulait m’amener. Ratée pour moi.

Même chose avec La piscine à balles où je n’ai pas compris le sujet de l’histoire, ou Le familier, ou la seule nouvelle illustrée Sur le chemin du front tant j’ai trouvé la mise en page et les dessins difficiles à lire, d’un simple point de vue de la typographie.

Mais il y a aussi des pépites qui m’ont emballé.

Fondations, qui voit un homme entendre ce que racontent les murs, et prévoir les catastrophes, pour le meilleur ou le pire. Une belle variation fantastique sur un événement réel bien sombre que je vous laisse découvrir.

De certains événements survenus à Londres qui exploite l’idée géniale de rues sauvages qui apparaissent et disparaissent au fil des siècles dans les grandes villes du monde.

Les détails, étrange plongée dans la folie d’une vieille femme qui se croit persécutée par les détails visibles dans tout motif autour d’elle (les nuages, les branches des arbres, les lézardes dans le mur …), à moins qu’elle n’ait raison.

Intermédiaire, variation autour de la responsabilité de chacun dans les événements du monde, au travers du fantastique bien entendu.

Mort à la faim quitte le fantastique pour la SF, avec la figure classique de hacker, confronté cette fois à une ONG qui exploite les bons sentiments et s’enrichit sur la faim dans le monde.

De saison pousse avec un humour très british la logique de la privatisation de tout, absolument tout, y compris … Noël. Où comment, par un retournement de situation très drôle, vouloir chanter Jingle Bell peut devenir un acte révolutionnaire.

Jacques est une belle nouvelle sur la résistance au pouvoir, dans un monde où les condamnés se voient « recréés » pour leur ajouter des appendices non humains qui les désignent immédiatement comme anciens délinquants.

Pour finir la novella, Tain, part d’une idée géniale : de l’autre côté des miroirs vivent des créatures qui sont obligés de se figer à notre image quand nous nous regardons dans une glace. Après des siècles d’esclavages, elles ont trouvé le moyen de passer de notre côté et de nous faire la guerre pour s’affranchir de cette tyrannie. Une idée assez géniale, bien racontée, malheureusement, de mon point de vue, la conclusion de l’histoire est un peu bancale. Peut-être lui a t’il manqué quelques chapitres pour en faire un vrai roman plus consistant.

China Mieville / En quête de Jake et autres nouvelles, (Looking for Jake and others stories, 2005), Outrefleuve (2020) traduit de l’anglais par Nathalie Mège.