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Mission tigre

Voilà le grand retour des tocards de Mick Herron dans : Mission tigre.

Pour ceux qui, malgré mes conseils, n’auraient pas lu La maison des tocards et Les lions sont morts (mais qui vont bien entendu le faire toutes affaires cessantes) quand un agent secret de sa majesté merde très gravement, il est envoyé dans ce service : La maison des tocards, sous la houlette du plus mal vu d’entre eux, Jackson Lamb. Et il passe son temps à trier des papiers ou à faire des mémos que personne ne lit.

Jusqu’à ce que celle qui fait office de secrétaire du maître des lieux soit enlevée. Mais qui donc aurait intérêt à enlever Catherine, ex alcoolique qui survit au jour le jour et n’a accès à aucune info confidentielle ? Certainement quelqu’un qui ne connait pas bien Jackson Lamb. Toujours sur le dos de ses ouailles, toujours particulièrement désagréable, il ne supporte pas que quelqu’un d’autre que lui s’en prenne à eux. Et ceux qui s’imaginent le contraire vont au devant de graves ennuis.

On retrouve avec un grand plaisir le talent de Mick Herron qui arrive, sur le ton de l’humour et de la dérision, à écrire des romans d’espionnage dont la construction n’a rien à envier aux plus grands, que ce soit dans leur cohérence, leur crédibilité ou la complexité des pièges et chaussetrapes mis en place.

Ses personnages sont à la fois ridicules et émouvants, son Jackson Lamb est insupportable, grossier, en apparence inoffensif et pourtant redoutable et finalement beaucoup plus empathique qu’il n’y parait.

Et c’est avec le monde de l’espionnage « sérieux » et encore plus avec le monde politique que l’auteur est absolument sans pitié. C’est féroce, sanglant et hautement réjouissant. Jusqu’au moment où on se dit que malheureusement il n’est pas du tout certain qu’il exagère, et là on arrête de sourire et on a envie de pleurer. A ne manquer sous aucun prétexte.

Mick Herron / Mission tigre, (Real tigers, 2023), Actes Noirs (2024) traduit de l’anglais par Laure Manceau.

Agent hostile

Les britanniques sont les maîtres du roman d’espionnage. Agent hostile de Mick Herron le prouve une fois de plus.

Tom Bettany vit en France depuis des années. Il travaille dans une usine de traitement de viande et vivote dans un petit appartement. Jusqu’à ce qu’il reçoive un message lui annonçant la mort de son fils, Liam, à Londres. Un fils avec lequel il avait coupé les ponts. Mais il va quand même aller à son enterrement. Et quand en allant récupérer ses affaires il remarque un détail louche, il décide de découvrir ce qu’il s’est réellement passé. Les vieux réflexes vont vite revenir …

Excellent roman d’espionnage, et qui plus est, roman d’espionnage très décalé (ce qui est visiblement la marque de fabrique de Mick Herron).

Pour commencer c’est un excellent conteur. Il embarque son lecteur avec une parfaite maîtrise dans son récit, commence doucement en laissant planer le mystère pour accélérer, et accélérer tout au long d’un roman qu’il est impossible de lâcher. Comme tous ses collègues british, il a une parfaite connaissance et utilisation des codes du genre. Le lecteur se fait balader comme si c’était le premier roman d’espionnage qu’il lisait, les coups de théâtre succèdent aux coups tordus, et les quelques scènes d’action viennent ponctuer un suspense impeccable.

Tout cela au service de la description d’un monde en perte de repères depuis qu’il n’est plus aussi simple de désigner l’ennemi, et de services publics de plus en plus au service … du privé.

Une fois de plus, Mick Herron prouve qu’on peut encore écrire des romans d’espionnage, même dans l’ombre gigantesque et imposante du maître John Le Carré, et réserver encore quelques belles surprises aux lecteurs.

Mick Herron / Agent hostile, (Nobody walks, 2015), Actes Sud (2020) traduit de l’anglais par thomas Luchier.

Le retour des tocards

Les lions sont morts, où l’on retrouve les tocards imaginés par l’anglais Mick Herron.

HerronSouvenez-vous de La maison des tocards. Là où le MI5 parque ceux qui ont raté, où ceux qui sont tombés en disgrâce, qui ne plaisent pas au pouvoir en place. Toujours sous la houlette de l’infect Jackson Lamb. Seuls les tocards s’intéressent à ce qui ressemble à un fait divers : la mort par crise cardiaque, dans un bus, de Dickie Bowe, minable, alcoolique, au bout du rouleau.

Mais Jackson se souvient de l’époque où, comme lui, Dickie Bowe arpentait les rue de Berlin. Un espion, de seconde, voire troisième catégorie, mais un espion. Alors que faisait-il dans ce bus, sans portefeuille, sans argent, lui qui ne quittait plus jamais Londres. Quand il met la main sur son téléphone, Lamb tombe sur un message qui fait remonter, immédiatement, les grands jours de la guerre froide. Mais quel sens aurait de nos jours une opération d’agents russes à la mode KGB des années 70 ?

Une fois de plus, on vérifie que les britanniques sont les rois du roman d’espionnage. Même quand leurs personnages sont, comme ici, les recalés, ceux dont le MI5 ne veut plus, pour de bonnes, ou de mauvaises raisons.

Premier plaisir de ce roman, et non des moindres, on se fait complètement embarquer dans cette histoire pleine d’ombres, de pièges et de faux-semblants. L’auteur est un malin, qui nous laisse nous dépêtrer de cette mélasse, alors que l’insupportable Jackson Lamb a souvent quelques longueurs d’avance sur nous. Et c’est normal, après tout lui a une vie d’expérience de manipulations, alors que nous ne sommes que de gentils naïfs. Un grand plaisir de lecture donc.

On retrouve un humour très british, capable de passer du plus fin au plus trivial (tient tient, comme le O’Malley qui m’a lui aussi enchanté dernièrement), et des personnages qui ont de la chair et que l’on se prend à aimer ou détester, quitte à changer d’avis quelques pages plus loin tant ils sont complexes et changeant, comme de vraies personnes (et ça nous change des monolithes ordinaires de la production tout venant). Le plaisir en est décuplé.

Cerise sur le gâteau, l’auteur glisse quelques réflexions, sans en avoir l’air, sur la puissance incontrôlée de la City et le pouvoir du fric. A lire donc, en espérant que ce n’est que le début d’une longue série.

Mick Herron / Les lions sont morts (Dead lions, 2013), Actes Sud/Actes Noirs (2017), traduit de l’anglais par Samuel Sfez.

Les ratés de Mick Herron

Au vu du titre et de la quatrième de couverture je m’attendais à ce que La maison des tocards de l’anglais Mick Herron soit une sorte de pastiche, un John Dortmunder chez les espions. Point du tout. Etonné je fus (je sais j’ai encore quelques échos de Camilleri). Mais point du tout déçu.

HerronLe Placard. La hantise de tout agent du MI5. La relégation honteuse pour ceux qui ont fait une énorme boulette mais qu’on n’a pas pu virer. La perspective de passer le restant de sa vie d’espion de sa très gracieuse majesté avec d’autres tocards, à écouter des enregistrements mortels d’ennuis ou à trier de la paperasse pour écrire des rapports que personne ne lira jamais. C’est là que se retrouve River Cartwright après une grosse bavure lors d’un exercice anti-terroriste. Il est sous la direction de l’infect et mystérieux Lamb. Jusqu’au jour où, sur tous les sites et blogs du pays, apparaît la vidéo montrant un jeune homme cagoulé. Le message qui va avec est simple et clair : Il sera décapité dans 48 heures. L’occasion pour les loosers du Placard de servir enfin à quelque chose ?

On n’est donc pas dans une grosse rigolade à la Casino Royale. Non c’est un vrai roman d’espionnage, qualité britannique garantie : Vrais personnages, décorticage des mécanismes de la Grande Maison, intrigue complexe et mécanique d’horloger, résonnance avec les problèmes actuels (avec en particulier ici la paranoïa post attentats et de la montée de la bêtise et du racisme).

La seule différence avec un roman de John Le Carré ou Henry Porter est que l’auteur s’attache ici à des personnages mis en marge du grand jeu, relégués, oubliés et souvent humiliés. Des personnages avec plus de faiblesses que de forces, qui ont perdu confiance en eux. Des personnages au bord de la rupture. Des personnages pathétiques, émouvants et loin d’être aussi ridicules qu’on pourrait le supposer au vu du résumé. Victimes de la machine à broyer et des jeux de pouvoir. Des personnages de roman noir pour résumer.

Le roman y gagne en émotion. Un vrai grand roman d’espionnage à l’anglaise qui de plus apporte une touche originale et personnelle dans cette spécialité très britannique.

Mick Herron / La maison des tocards (Slow horses, 2010), Presses de la cité (2012), traduit de l’anglais par Samuel Sfez.