De chair et d’acier.

Attention, gros choc de lecture ! De ceux qui vous cueillent à l’estomac alors que vous ne vous y attendiez pas. Et qui vous mettent directement au tapis. D’après la quatrième de couverture D’acier est le premier roman d’une jeune italienne de 25 ans Silvia Avallone. Je ne sais pas ce qu’elle nous réserve pour la suite, mais elle peut être fière de ce coup d’essai.

 La Toscane, les villas entourées de cyprès, le chianti, les plages, Florence, les merveilles de l’île d’Elbe … Mais pas ici.

Ici c’est Piombino, ses barres de logements délabrés, la Lucchini, l’aciérie qui domine le paysage et rythme la vie des habitants. Et la plage, au pied des barres, où Anna et Francesca,  bientôt 14 ans, lumineuses, inséparables, commencent à prendre conscience de leur beauté et du pouvoir qu’elle leur confère. Encore gamines elles jouent dans l’eau, déjà femmes elles allument les désirs des hommes qui viennent au bar de la plage, abrutis de fatigue après une journée à manipuler du métal en fusion. Anna et Francesca qui se sont juré de ne jamais se quitter. Et qui désirent par-dessus tout quitter ce monde sans avenir. En face, l’île d’Elbe, inaccessible, lieu de tous les rêves et tous les fantasmes …

Une gifle donc, quantités d’images et de sensations qui restent longtemps, des personnages inoubliables, un décor (véritable personnage du roman) qui est gravé sur notre rétine … Difficile de rendre en quelques mots la richesse de ce roman qui est tant de choses à la fois.

Un roman d’initiation pour commencer, avec Anna et Francesca cueillies au moment où leurs corps changent, ou leurs envies changent, où elles perdent leur enfance pour entrer dans l’âge adulte. Ca pourrait être cucul ou grivois ou sonner faux. C’est émouvant, émoustillant, agaçant, sensuel … c’est surtout extrêmement juste. On vit avec ces deux gamines, on partage leurs rêves, leur amitié, leurs chagrins, leur désespoir, leurs rires …

C’est un grand roman noir. Pas d’enquête ici, pas de privé, ni de flic … Juste une population, j’allais dire une classe ouvrière (on à encore le droit de dire classe et ouvrier ?) que l’on assassine à petit feu. Et dès le premier chapitre, on sait que ça finira mal, même si on ne sait, jusqu’au bout, qui en fera les frais. Une intrigue, une chronique plutôt, qui tend vers le drame inévitable.

Un grand roman noir, ou roman social si vous préférez. Chronique d’une classe ouvrière (puisque j’ai le droit j’en abuse) complètement déboussolée, ayant perdu sa culture politique et sa conscience de classe justement, bernée par les discours d’un Berlusconi, ayant perdu le sens de la solidarité pour se replier sur le mirage de la société de consommation à outrance, qui ne pense plus qu’à flamber dans une voiture neuve ou des fringues à la mode.

Un roman féministe qui met en lumière les violences faites aux femmes par ces hommes, maris, frères ou amants qui déversent sur elles leur frustration d’ouvriers brimés exacerbée par une télévision putassière. Et leurs incohérences … Eux qui courent les bars à striptease, recherchent la baise facile du samedi soir mais ne supportent pas que leurs filles ou leurs petites sœurs allument les copains.

Un roman de tous les sens, qui vous fait mal aux yeux avec la lumière blanche d’un midi méditerranéen, vous fait transpirer avec la chaleur écrasante d’une mi-journée, sentir sur la peau le sel qui tire quand l’eau de la baignade s’évapore au soleil et vous assourdit aux bruits des machines de la Lucchini.

La Lucchini justement, véritable personnage de ce roman sur le monde du travail enfin, héritier d’un Zola, où l’aciérie est une figure aussi importante que la loco de La bête humaine ou la mine de Germinal. Le lecteur sent la brulure de l’acier en fusion, ressent cet acier coulant dans les veines de la fabrique, monstre dévoreur d’homme, objet de répulsion mais aussi de vénération, objet de fascination, créature mythique en train de mourir autour duquel tourne tout le quartier.

Et pas d’angélisme ici. Les personnages sont victimes de leur milieu, de ce qu’on fait d’eux, mais ça ne les empêche pas d’être capables de se comporter comme parfaits salauds dès qu’un plus faible croise leur route. Aucun personnage blanc ou noir, ils sont tous tour à tour pourris, émouvants, stupides, étincelants, pathétiques et flamboyants.

Cette chronique est un peu décousue et ne rend pas comme je le voudrais l’impact du roman. J’espère simplement que cela sera suffisant pour vous convaincre. Alors, n’hésitez pas, plongez dans la fournaise de Piombino.

Silvia Avallone / D’acier (Acciaio, 2010), Liana Lévi (2011), traduit de l’italien par Françoise Brun.

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