Plateau

J’ai découvert, tardivement, Franck Bouysse il y a peu avec le magnifique Grossir le ciel. Il revient dans la toute jeune collection Territori : Plateau.

BouysseLe Plateau, terre dure et perdue. Au milieu, un hameau, trois maisons habitées : Judith et Virgile y finissent leur vie ; Judith, atteinte d’Alzheimer est de plus en plus absente. Le neveu Georges, qu’ils ont élevé à la suite de la mort de ses parents occupe une caravane, à côté de la maison des parents dans laquelle il refuse d’entrer. Karl, un ancien boxeur, vit depuis quelques années dans la troisième.

Un hameau figé, jusqu’à ce que débarque Cory, jeune femme battue par son compagnon qui s’est enfuie et cherche refuge auprès de Judith, sa tante qu’elle n’a vu qu’une fois dans sa vie. Et quelque part, dehors, rode le Chasseur qui surveille le hameau …

L’immobilité va se fissurer et le tableau voler en éclats.

Et c’est maintenant que je suis embêté … Parce que je suis passé, dans ce roman, de l’admiration (la plupart du temps), à l’agacement (parfois). Et parce que j’ai adoré Grossir le ciel. Je vais quand même essayer …

Comme l’impression générale est quand même l’admiration, je vais me débarrasser tout de suite de l’agacement. Autant j’avais trouvé Grossir le ciel d’une simplicité (si difficile à atteindre !) et d’une sobriété admirables qui collaient au propos, autant ici, j’ai trouvé certaines descriptions trop chargées.

Comme ceci : « Dans le ciel, les palombes ne sont plus que des poussières en quête d’invisibilité, sous un plafond mouvant aux allures de machine infernale, fabuleux pressoir de jus d’obscurité. Venues de hautes sphères incalculables, les premières détonations traversent un air épais et visqueux comme de l’huile de vidange, transpercé de fils d’or anarchiquement amidonnés. » Et même là, j’aime certaines images, le début « les palombes ne sont plus que des poussières en quête d’invisibilité », je trouve ça très beau, mais après, il y en a trop, comme si l’auteur, enivré par sa propre écriture n’avait pas pu s’arrêter.

Je sais qu’il est très facile de sortir ainsi des phrases de leur contexte pour dire du mal d’un texte. Beaucoup plus facile que de citer ce qui le rend admirable. Et des descriptions qui m’ont ainsi sorti de la lecture, il y en a peut-être une petite dizaine, ou moins. Mais je ne peux les passer sous silence.

D’autant plus que, dans la description des hommes, de leurs (très rares) joies, et de leurs souffrances, de leur travail et de leurs silences, je retrouve la force et l’émotion dans la simplicité qui était la marque de Grossir le ciel.

Superbes descriptions de la maladie, de la solitude, des ravages que peuvent faire les secrets scellés (parfois pour des raisons incompréhensibles). Des scènes bouleversantes, surtout entre Judith et Virgile. Et une construction classique mais efficace qui fait remonter, peu à peu, les fantômes du passé.

C’est pour cela aussi que je regrette autant ces lourdeurs qui pouvaient aller jusqu’à m’arrêter dans ma lecture. Et quand je dis lourdeurs, c’est un avis très subjectif, j’ai vu que l’ami Yan par exemple a été emballé, il voit sans doute de la poésie et/ou du lyrisme là où je coince.

Et vous ?

Franck Bouysse / Plateau, La manufacture des livres/ Territori (2016).

16 réflexions au sujet de « Plateau »

  1. lectriceencampagne

    Je n’ai pas encore lu Grossir le ciel ( fatal error ! ), mais c’est dans mes prévisions. Pour celui-ci, je verrai, je lis tout et son contraire à son sujet. J’approuve ta mesure nuancée et respectueuse, en tous cas.

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      1. lectriceencampagne

        Je ne vais me fier qu’à mon instinct et mon envie. Quand ça tourne comme ça sur les blogs, je préfère faire la sourde oreille. Je lirai d’abord Grossir le ciel, quoi qu’il en soit

  2. maison de la presse - le Lavandou

    une présentation très juste, me semble-t-il de cet ouvrage; quelques moments un peu « sur-écrits » mais souvent se terminant par une ou deux phrases plus courtes; des fulgurances magnifiques; ce texte plus consistant sur le plan des personnages que le remarquable -grossir le ciel- permet d’espérer quelques lectures futures enthousiasmantes

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  3. Raymond Delley

    J’ai quelques difficultés avec votre appréciation du livre de Franck Bouysse. Je l’ai déjà écrit ici même, et tant pis si je me répète : la qualité d’un livre, et d’un polar comme de toute autre forme de roman, tient d’abord à son style. L’histoire, les personnages, l’intrigue, tout cela est bel et bon, mais s’ils ne sont pas portés par un style, un sens de la langue juste, il ne reste pas grand-chose. Et c’est d’ailleurs cette absence de style – au sens où Proust disait que le style est d’abord une vision – qui explique que bon nombre de polars publiés à gauche et à droite tombent rapidement dans l’oubli. Pour quelle raison les romans d’un Raymond Chandler, d’un Dashiell Hammett hier, d’un James Lee Burke, d’un Henning Mankell aujourd’hui, sans parler de l’immense Simenon, sont-ils devenus des classiques qu’on lira et relira sans doute encore longtemps ? Tous, et chacun à sa manière, ils ont un style. Relisant la phrase de « Plateau » que vous citez, je tombe des nues : quelqu’un qui est capable d’une telle phrase, d’images aussi absurdes, de métaphores aussi grotesques, et même si ailleurs il lui arrive décrire « correctement », n’a aucun sens de la musique de la langue. Alors que faire ? Il y a tellement de polars magnifiquement écrits ! Pourquoi perdre son temps avec ceux qui le sont médiocrement ? Suis-je trop sévère ? Peut-être, mais c’est parce que j’ai pour le roman policier et pour tout ce qu’il peut apporter à notre vision du monde la plus grande estime que lorsque j’en rencontre un médiocre, je pense qu’il faut carrément le dire !

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Je n’ai pas perdu mon temps parce que, comme je l’ai écrit, il y a quelques passages ratés, comme celui que je cite, et d’autres admirables, mais c’est plus compliqué de les citer, il faudrait reprendre des chapitres entiers. Et je ne pense pas que ce roman est médiocre, je ne fais pas une moyenne ! Il y a des passages ratés (peu nombreux) et des passages magnifiques. Cela fait pour moi un roman qui aurait pu être grand, et qui ne l’est pas complètement, ce qui est très différent d’un livre médiocre.

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  4. so

    J’ai dévoré  » grossir le ciel  » et adoré ce roman.
    Et j’ai hâte de m’acheter  » plateau « … Je lis, moi aussi, tout et son contraire sur le dernier livre de
    F. Bouysse et du coup, voire, je ne lis rien et j’attends de me faire une idée par moi même. Je verrais après si je suis raccord avec les critiques.
    Merci, en tout cas, pour la tienne, pondérée, où l’on sent quand même que malgré des défauts, le roman a fait mouche !

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  5. Le Noir

    Je ne vais pas donner man avis pour ces deux romans que je n’ai pas lus. Mais d’un point de vue généraliste, je suis parfois agacé par la recherche systématique d’images stylistiques qui, certes rajoutent du signe mais n’apportent rien au roman sinon un sourire, un hochement de tête, un haussement d’épaules ou les trois en même temps.

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Parfois c’est vrai on a vraiment l’impression que l’auteur cherche la figure de style juste pour se dire « waouw ! Quelle figure de style ! », et puis parfois c’est partie intégrale d’une démarche. L’exemple le plus frappant et aboutit de ces dernières années pour moi est « Rouge ou mort » de David Peace.

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  6. Martin

    Bonjour,
    Après la lecture de « Grossir le ciel », livre âpre par excellence, et celle de « Plateau », toujours sombre dans son atmosphère plutôt oppressante, je ne partage pas la sévérité très excessive de M. Delley quant au style de Franck Bouysse.
    A ce propos, je vous renvoie à l’article très intéressant qui lui est consacré dans la revue « Transfuge » (merci encore à la bibliothécaire qui me l’a signalé), dans lequel il évoque son amour pour des écrivains américains comme Cormac McCarthy, Faulkner et Steinbeck, mais aussi pour Giono…
    Bouysse n’écrit pas des polars, loin de là, il est avant tout un écrivain de la déshérence rurale qu’il serait dommage de réduire à ce qu’il n’est pas. C’est une plume en devenir qui mérite une critique constructive (j’ai apprécié la chronique, même si je n’en partage pas la réserve) et qui se démarque, non sans raison, dans la littérature française actuelle.

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      De mon point de vue, dire de quelqu’un qu’il écrit des polars n’est pas forcément réducteur … mais ce n’est pas non plus très important de savoir si ce qu’un auteur écrit est un polar ou non. J’ai par contre besoin qu’il me raconte une histoire, et cela Franck Bouysse le fait très bien.
      Ma réserve tient sans doute au fait que mes goûts littéraires sont très « Elmore Leonard » qui écrivait : « La plus importante de mes règles résume toutes les autres. Si ça a l’air écrit, je réécris. ».
      A quelques exceptions près (très rares), je suis vite gêné quand j’ai l’impression que l’auteur cherche à « faire du style ». Et autant j’ai adoré la sobriété âpre de Grossir le ciel, autant ici, par moment, je trouve qu’il en fait trop.
      Question de goût, visiblement le roman a été très bien reçu, et c’est tant mieux.

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