A mains nues

Voilà un roman qui, ici et là sur les blogs, commence à avoir une réputation bien sulfureuse. On y voit une référence à Fight Club, et, curiosité supplémentaire, il n’est pas l’œuvre d’un américain au look patibulaire, mais d’une scénariste de comics italienne, Paola Barbato. Je me suis donc intéressé à A mains nues.

BarbatoDavide est un beau jeune homme de bonne famille, bien élevé, tranquille. Il a seize ans quand il est enlevé par des inconnus lors d’une fête à laquelle il assiste avec des amis. Après une détention de quelques jours, il se retrouve à l’arrière d’un camion, dans le noir complet. Là un homme se jette sur lui, mais Davide, à l’instinct, le tue. Il est amené dans une cave où il se retrouve prisonnier avec d’autres hommes et entraîné à faire ce qu’il va découvrir qu’il fait le mieux : tuer ses semblables à mains nues. Il le fera désormais devant un public.

Je ne sais pas complètement quoi penser de ce roman. Alors je vais commencer par des faits objectifs.

Il est très addictif. J’ai lu les presque cinq cent pages en deux jours. Chapeau pour la construction et le rythme.

Il n’est pas vulgairement voyeur. Piège le plus évident pour une telle thématique. L’auteur est très forte pour éviter de tomber dans le gore racoleur, sans pour autant abuser de l’ellipse et éviter l’obstacle. Là encore chapeau bas.

Même si j’avais deviné l’essentiel du retournement final, l’auteur a réussi à me surprendre sur un détail, important, dans la dernière page ! Chapeau, un vrai plaisir auquel aucun amateur de polar ne peut rester insensible.

Ca c’est pour les constatations. Alors pourquoi est que je ne sais pas complètement quoi en penser ? Peut-être parce qu’il ne m’a pas empêché de dormir. Et il aurait dû. The Brave de Gregory McDonald, lu d’une traite, m’a valu une nuit blanche. Là j’avais envie de continuer, pour voir où cela allait, puis pour savoir si mon intuition était bonne, et voir comment ça allait finir. Pure adrénaline, preuve d’une narration impeccable. Et après j’ai dormi comme un bébé.

Et alors quoi ? Pourquoi une thématique aussi « extrême », pourquoi autant de violence ? Est-ce uniquement pour écrire un thriller haletant ? Faut-il lire A mains nues comme on lit les romans de Stephen Hunter, pour le pur plaisir de la narration et en déposant certaines parties de cerveau pendant la lecture ?

Mais faut-il y voir autre chose ? Voulait-elle horrifier son lecteur, le mettre en garde contre … Contre quoi ? Est-ce une illustration de notre société qui marchandise tout, qui met n’importe quelle connerie en spectacle, qui pousse des gens apparemment « normaux » à aller se faire humilier pour le contestable honneur de passer à la télé et d’être vu ?

Est-ce que je me pose trop de questions ? Peut-être, sans doute.

En résumé, c’est très bien fichu, les pages tournent toutes seules, vous passerez peut-être une ou deux nuits un peu courtes parce que vous ne pourrez pas le lâcher. Et je vous attends ici pour voir ce que vous en pensez.

Paola Barbato / A mains nues (Mani nude, 2008), Denoël/Sueurs froides (2014), traduit de l’italien par Anaïs Bobokza.

 

15 réflexions au sujet de « A mains nues »

  1. Norbert

    Salut JM. Si je comprends bien, ce qui t’a dérangé ou interpelé le plus à la lecture de ce roman noir, c’est d’avoir réussi à dormir après l’avoir refermé, alors que ça n’avait pas été le cas avec The Brave de McDonald ? Et que, du coup, tu te poses des questions à son propos que tu ne te poses pas forcément d’habitude. Je me souviens encore très bien de ta chronique de « La belle vie » de Matthew Stokoe, dans laquelle tu disais t’être pris un baquet d’eau froide. Or, c’est exactement la sensation que j’ai eue en lisant « À mains nues ». Personnellement, à aucun moment je n’ai eu l’impression de lire un livre « gratuit », complaisant, ou à seul but d’être un pur divertissement. Les portraits psychologiques, et notamment celui de Davide bien sûr, sont trop poussés, trop subtils pour ranger ce livre dans la catégorie que tu évoques. D’ailleurs, l’essentiel de la violence de ce livre est elle aussi psychologique – ce qui, je trouve, la renforce, la rend plus dure, plus âpre. À part un bouquin de Brussolo lu quand j’avais 13 ans je crois, aucun autre ne m’a depuis empêché de dormir. Mais certains m’ont vraiment glacé le sang, et celui-ci en fait partie. Et comme je n’avais pas prévu le final, une fois la dernière page tournée, j’ai eu comme un sursaut et failli repousser violemment le bouquin, épouvanté. D’ailleurs, je n’ai pas pu enchainer tout de suite avec une autre lecture, j’ai attendu quelques jours, les personnages et l’univers du roman me restant bien trop présents à l’esprit. Quant au but de l’auteure, maintenant que j’ai récemment vu la vidéo d’une discussion au Festival America de 2012 où Donald Ray Pollock était invité, je me méfie un peu. Je me souviens de Michel Abescat de Télérama qui posait des questions aux auteurs, et qui demandait à Pollock ce qu’il avait voulu dire à travers « Le diable, tout le temps », avec l’omniprésence de la religion dans son roman, la pauvreté du milieu dont il parlait, etc. Pollock a simplement répondu : « Je crois que j’ai surtout voulu écrire une bonne histoire, qui tienne le lecteur en haleine ». Tour de table, puis Abescat réinterroge Pollock en essayant d’approfondir son propos, toujours à travers son roman ; Pollock prend le micro, se fait traduire et répète : « Vous savez, je crois que mon unique objectif, vraiment, c’était d’écrire une bonne histoire, de réussir à captiver le lecteur ». Point. J’étais resté assez pantois, évidemment Pollock ne semblait pas un grand bavard, m’enfin j’avais lu son bouquin et j’ai pensé « c’est pas possible, il est trop modeste, ça doit être ça »… Alors, pour Paola Barbato, j’ai pu lire un entretien d’elle, où elle disait, en réponse à savoir comment lui était venue l’idée du livre, qu’elle avait été intéressée de voir comment pouvait réagir un être innocent, un jeune, baigné soudainement puis « éduqué » dans un univers criminel et clos, en circuit fermé, comme celui qu’elle dépeint, comment il pouvait évoluer, et pareil pour les rapports qu’il pouvait développer par rapport à ses kidnappeurs. Bon après, celui qui lui posait les questions n’a pas cherché à approfondir plus, donc bon.
    Pour finir, quand tu parles de société « qui pousse des gens apparemment « normaux » à aller se faire humilier pour le contestable honneur de passer à la télé », j’ai l’impression que tu as trop focalisé sur le final, mais surtout tu oublies que ces personnes sont toutes des victimes et qu’elles agissent parce qu’elles n’en ont pas le choix, même si après certaines y prennent goût. À mon avis, ça fait une grosse différence, parce qu’au début, leur seul but est de survivre, ils n’ont pas le choix, c’est eux ou celui d’en face qui ressort vivant. Ça fait une sacrée nuance, quand même…

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Je ne pense pas qu’il soit complaisant, justement parce qu’il évite le gore facile.
      Mais je ne suis pas plus dérangé que ça par la livre, sans doute parce que je n’arrive pas à y croire vraiment. Assez pour jouer le jeux du suspense, mais pas assez pour souffrir avec Davide.
      Qui se convainc quand même un peu facilement de massacrer le pauvre british, qui accepte un peu facilement certaines saloperies qu’on lui fait faire, qui n’est pas non plus très malin pour ne pas imaginer ce qui va arriver à un certain nombre de personnes autour de lui.
      Et sur ton argument final, ils sont victimes ET bourreaux, et bien sûr ils ont le choix, Davide en fait plusieurs dans le roman. On a toujours le choix. Des choix plus ou moins faciles, parfois très difficiles, mais le choix.

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  2. Pierre FAVEROLLE

    Salut JM, dans le cadre du challenge que tu m’as lancé (je rigole), je lis un polar latin. Comme toi, j’en suis à la moitié après un jour de lecture. Addictif , c’est le mot et pourtant le sujet n’est pas évident au départ. A bientôt pour mon avis sur la fin. Amitiés

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