Alberto Lenzi s’installe dans le paysage

Avec La revanche du petit juge on avait découvert un auteur : Mimmo Gangemi et son personnage Alberto Lenzi, juge calabrais haut en couleurs. Ils reviennent avec Le pacte du petit juge, pour notre plus grand bonheur.

GangemiVous vous souvenez D’Alberto Lenzi ? Ce juge indolent d’une petite ville de Calabre, qui court les jupons, mange dans les meilleurs restaurants avec son ami Lucio et semble se moquer de tout et de tous ? Mais qui sait aussi, quand il le veut, être fort opiniâtre ? Et bien voilà qu’il vient de passer pour un con : On a signalé une importante livraison de drogue dans le port. Sur ordre du procureur, et avec l’aide des carabiniers, ils l’ont bien repérée, et l’ont laissée en place pour coincer ceux qui viendraient la chercher. Sauf qu’au moment de les prendre la main dans le sac, plus de drogue, elle a été subtilisée sous le nez de Lenzi.

Donc Lenzi passe pour un con. Le procureur tient l’occasion rêvée de l’engueuler, la famille de la ‘Ndrangheta qui s’est faite voler fulmine … Pour arranger le tout, sa copine du moment, la magnifique Marina menace de se barrer, et on retrouve dans la montagne le corps de trois noirs assassinés en début d’année, lors de violents affrontements entre ces travailleurs saisonniers exploités et les paysans locaux. Le voilà en plus avec une enquête insoluble sur les bras, et la une de la presse nationale.

Décidément tout va mal pour Alberto.

J’avais déjà adoré le précédent volume consacré à Alberto Lenzi. La beauté des paysages, la peinture d’une société gangrenée par la ‘Ndrangheta, la bêtise crasse et la violence des truands, l’hypocrisie de leurs rapports à l’autorité, la corruption, mais aussi le courage de certains, et avec tout cela, l’humour et la vivacité du ton.

Et bien on a de nouveau toutes ces qualités ici. Dès l’arrivée d’Alberto, c’est un régal : A propos d’un capitaine de la gendarmerie locale : « Autant il se montrait charogne et venimeux avec ses subalternes, autant il frétillait de la queue devant ceux qui étaient au-dessus de lui dans la hiérarchie. Les primates de son arbre généalogique devaient avoir perdu leur appendice caudal bien plus tard que tous leurs semblables. »

Mimmo Gangemi décrit très bien la fascination et la répulsion envers la ‘Ndrangheta ainsi que les racines paysannes de ce mouvement. Le jeu du chat et de la souris entre truands et justice est incarné par les dialogues géniaux entre Lenzi et le vieux truand qui l’aide et tente de le manipuler. Et les conversations entre les pontifiants du cercle de la ville, qui arrivent à parler des familles les plus dangereuses sans jamais les nommer par pure trouille sont des morceaux d’anthologie.

Cette fois, il faut ajouter à cela, en toile de fond, la situation dramatique d’ouvriers agricoles, immigrés clandestins africains, exploités par les paysans locaux, et par certains de leurs compatriotes. Des rapports complexes que l’auteur analyse et décrit sans tomber dans le manichéisme : les paysans ne sont pas de simples brutes avides, mais des exploités qui ne font que trouver plus fragile qu’eux, non pas pour faire fortune, mais simplement pour survivre.

Passionnant, parfois bouleversant, très souvent amusant et purement réjouissant. En deux tomes Mimmo Gangemi s’impose comme une voix à suivre absolument.

Mimmo Gangemi / Le pacte du petit juge (Il patto del giudoce, 2013), Seuil/Policiers (2016), traduit de l’italien par Christophe Mileshi.

11 réflexions au sujet de « Alberto Lenzi s’installe dans le paysage »

  1. giancarlo

    Mimmo Gangemi / Le pacte du petit juge (Kamp Knox, 2014), Seuil/Policiers (2016), mais Kamp Knox c’est du Arnaldur Indridason, Mimmo Gangemi: Il patto del giudice, Jean-Marc, merci toujours pour tes notes, à la prochaine/giancarlo

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Grazie !
      Comme je pars d’une ancienne fiche pour avoir le « format », il m’arrive, par inattention, de faire ce genre d’erreurs.
      Heureusement j’ai des lecteurs attentifs. Merci.

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  2. La Feuille

    Mimmo Gangemi, je confirme, c’est du lourd, du tout bon. J’ai lu le premier, sur les conseils du tenancier de cet excellent lieu de culture, en rentrant de Calabre. Je vais me précipiter sur le second ! Merci pour cet avis de tempête, je ne l’avais pas vu passer !

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  3. Norbert

    Comme Belette, j’ai le premier depuis sa sortie l’an dernier, mais je ne l’ai toujours pas lu, alors que pourtant j’adore les polars italiens.. Et pourtant ça ne m’a pas non plus empêcher de me procurer ce second roman de Gangemi ! Je me suis ruer de la même manière sur « Les Justiciers de Glasgow », le 2e roman de l’écossais Gordon Ferris où l’on retrouve Douglas Brodie, déjà rencontré avec un plaisir réciproque (je me souviens) en 2012 dans « La cabane des pendus » (qui du coup est ressorti en poche). Bref, ce mois de mars a décidément été très lourd niveau parutions (effets Quais du Polar oblige, c’est devenu une espèce de « 3ème rentrée littéraire » pour le polar) : le vice-préfet râleur et hors-normes Rocco Schiavone de retour dans le nouveau bouquin d’Antonio Manzini chez Denoël, un roman noir US qui fait parler de lui chez Actes Sud, le « Bull Mountain » de Brian Panowich et dont son éditeur français a dit qu’il était « mon meilleur bouquin pour 2016 », un polar culte en Argentine enfin traduit dans une petite maison d’édition La Dernière Goutte et dont, pareil, on entend beaucoup de bien, c’est « Entre hommes » de German Maggiori, etc etc, sans compter le n°1000 de Rivages/Noir, le Richard Price et, en espionnage, le Olen Steinhauer « À couteaux tirés » au résumé alléchant, le polar chez Métailié du Nigérian Leye Adenle « Lagos Lady », et puis l’oeuf de Pâques de Gallmeister qui nous retraduit (et illustre avec de superbes dessins) le génial Fausse piste de Crumley (que j’avais adoré, mais lu il y a plus de 10 ans au moins) ! Bref, encore ue fois je me suis enflammé en digressant dans tes commentaires, désolé JM, en tout cas bonne continuation et bonnes lectures à toi !
    PS : j’y pense, tu n’as finalement pas lu le nouveau Paola Barbato, « le Fil rouge » (même si ça remonte en octobre) ? Si c’est le cas, faut espérer que tu trouveras quelques heures à lui accorder pendant tes vacances cet été ! Allez, ciao !

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Manzini, c’est lu et c’est toujours aussi bon (chronique bientôt), Crumley illustré, c’est génial, les autres aussi, et la série noire avec Jaccaud, Nesbo et Férey, et les rivages, et un péruvien chez Métailié, un Craig Johnson qui arrive, le Kemp qui a l’air très bien, Sara Gran, Panowich que j’ai repéré etc … On ne s’en sort pas !

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  4. Meyer Meyer

    Je viens de lire le commentaire que j’avais fait sur « la revanche du petit juge ». Je n’avais pas adhérer totalement au livre notamment pour la faiblesse de l’intrigue. J’ai retrouvé les mêmes faiblesse et qualités dans le 2e livre.Une intrigue assez banale, une multitude de personnages de « familles » différentes dans laquelle je me suis un peu perdu et beaucoup de temps morts surtout au milieu du livre. Coté qualité une écriture agréable, la description de la ‘Ndrangheta et les rapports de Lenzi avec les femmes.Je sors de la lecture pas entièrement convaincu par Gangemi. Coté découverte italienne je préfère nettement Manzini et de Giovanni. Ce soir je vais découvrir Biondillo.

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      C’est vrai l’intrigue est un prétexte. Mais j’adore les dialogues, les scènes du cercle, la description de la ‘Ndrangheta … Biondillo, les deux de chez Métailié sont magnifiques !

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