Encore une magnifique novella au Belial

Après Un pont sur la brume, je continue à découvrir la collection « Une heure lumière » avec L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu.

LiuAkemi Kirino est physicienne, américaine d’origine japonaise. Evan Wei, son mari est historien, américain d’origine chinoise. Un jour ils découvrent ensemble un documentaire sur l’Unité 731, où pendant la guerre les japonais se livrèrent aux expérimentations les plus atroces sur des prisonniers chinois. Un documentaire qui va changer leurs vies.

Akemi Kirino, exploitant les propriétés des particules intriquées invente une machine permettant de voir le passé. Le problème est que la personne qui voyage ainsi ne peut le faire qu’une fois, en chaque lieu et moment donnés, son voyage détruisant définitivement l’image de ce lieu et de ce moment.

Ensemble ils décident d’utiliser la machine pour que les proches des victimes de l’Unité 731 puissent voir ce qui est arrivé à leurs parents. Sans imaginer l’ampleur des réactions qu’ils vont déclencher.

C’est donc la deuxième novella que je découvre dans cette collection, aussi différente de la précédente que l’on peut l’être, mais avec une chose en commun : un texte exceptionnel.

Ken Liu a évité tous les pièges et trouvé une façon unique de dire ce qu’il avait à dire.

Il aurait pu écrire un réquisitoire, tomber dans le voyeurisme glauque, écœurer ou effrayer le lecteur, faire du sensationnalisme … Il y avait mille façon d’être complètement dépassé par l’horreur du sujet.

Avec son histoire de voyage dans le temps, et sa façon incroyablement intelligente et subtile d’en explorer toutes les conséquences, il écrit l’indicible, fait ressentir la douleur des descendants, et surtout ouvre tout en champ de réflexions : doit-on privilégier les proches, leur douleur, ou les historiens ? A qui appartient le passé, d’après quels critères le juger, qui accuser quand les deux protagonistes ont « disparu » (le Japon d’aujourd’hui n’est plus l’Empire, la Chine d’aujourd’hui n’est plus non plus la même) ? Comment explique, face à une telle évidence un regain de négationnisme ? Quelle attitude vont avoir dans ce cas l’Europe et les US, actuel alliés du Japon, plutôt adversaires de la Chine ? Quelles réactions, ou non réactions dans les populations du monde ? …

Impressionnant de voir comment en si peu de pages, avec une construction alternant récit classique, interviews, extraits d’émissions ou de déclarations, aux US, en Chine et au Japon, l’auteur arrive à construire l’image complète qui traite de tous ces sujets, vous prend aux tripes et vous embarque dans l’histoire … Pour vous laisser un peu groggy une centaine de pages plus loin.

Un véritable tour de force. Et en plus l’objet livre est très beau.

Ken Liu / L’homme qui mit fin à l’histoire (The man who ended history : A documentary, 2011), Le Bélial/Une heure lumière (2017), traduit de l’anglais (USA) par Pierre-Paul Durastanti.

8 réflexions au sujet de « Encore une magnifique novella au Belial »

  1. Catherine Whitebird

    C’est un texte magnifique, puissant et d’une intelligence extrême. L’idée que le voyage détruit les preuves et empêche tout autre personne de voir ces preuves est tout simplement géniale. On en revient à ce qui s’est passé quand les premiers rescapés des camps sont revenus. Personne ne voulait croire. Personne ne voulait imaginer que cela fût possible. On en revient à l’individu versus la communauté. Faut-il croire un/le seul qui a vu la vérité ? Alors que cette vérité est monstrueuse et dérangeante. Outre l’intelligence extrême de ce texte, il y a la révélation de tout un pan d’histoire soigneusement voilé, non révélé. Les Japonais ont été aussi (plus ?) monstrueux que les nazis.
    Ce livre m’a profondément touchée, jusqu’au larmes.

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  2. yossarian

    Ce texte amorce toute une série de réflexions, à la fois sur la banalité du mal, sur les enjeux de l’Histoire, sur la question de ses sources, sur la valeur du témoignage et sur son usage politique. C’est presque trop court, vu la densité du sujet.

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  3. Clovis Tessier

    Tout en sirotant mon café matinal, je me baladais bien tranquillement sur les chemins du Net, et le mot « novella » dans votre titre m’a fait pousser la porte. Une bonne idée. Je ressors avec l’envie de découvrir l’histoire et l’auteur. Je ne sais pas si c’est à cause du thème (que j’affectionne particulièrement) ou Ken Liu, un auteur que je ne connais pas du tout. Ou si tout simplement, parce que je garde un bon souvenir du livre de Cixin Liu, Le problème à trois corps. C’est le mystère des élans du désir. Une chose est certaine, votre article y est pour quelque chose. Merci, et bonne continuation !

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