Cela faisait un moment que j’avais ce roman en attente, depuis une rencontre au Marathon des mots, une rencontre mexicaine qui m’avait donné l’occasion d’entendre Antonio Ortuño parler de La file indienne. Attention, c’est rude.
Santa Rita, une petite ville sans grand intérêt du Mexique. Une ville qui fait parler d’elle quand une quarantaine de migrants, originaires d’Amérique Centrale en route vers les US, sont brûlés vifs dans le centre où ils sont hébergés. Un incendie criminel et volontaire, avec l’intention d’en tuer le plus possible : les portes ont été bloquées avec un cadenas.
La CONAMI (Commission Nationale de Migration) publie immédiatement un communiqué scandalisé et vertueux, et envoie sur place Irma, qui annule le voyage prévu avec sa fille chez Disney pour assister les survivants et tenter de savoir ce qu’il s’est passé. Racistes locaux ? Bande de passeurs concurrente ? Flics ? Tout est possible, et bientôt Irma elle-même va se sentir en danger.
Attention donc, c’est rude. Et pas aimable. La forme elle-même peut être déroutante, mélange brut de points de vus de personnages et de communiqués officiels de la CONAMI. Mais le puzzle prend vite forme, et l’horreur de la situation apparaît dans toute son ampleur.
C’est qu’on imagine, chez nous, que le fameux mur du comique de la Maison Blanche est là pour empêcher les mexicains de rentrer aux US. Mais ce n’est là que le dernier obstacle pour les migrants d’Amérique centrale qui, comme l’écrit un journaliste du roman, doivent passer les sept cercles de l’enfer mexicain avant. Des migrants aussi mal vus par les mexicains, que ces derniers par les américains. Des américains qui ne font d’ailleurs pas la différence entre des métèques vaguement indiens venant du sud du Mexique, du Salvador ou du Nicaragua et des métèques un peu moins bruns qui, au Mexique, se considèrent comme bien supérieurs. Des barbares ces yanquis qui ne savent pas différencier l’aristocratie mexicaine de la plèbe indienne du sud !
Et l’on voit comment des passeurs s’enrichissent, traitent les gens comme du bétail, pire même que du bétail puisqu’ils n’hésitent pas à abattre ceux qui essaient de s’échapper, comment tout cela se fait avec la complicité de la police, sous l’œil faussement scandalisé des commissions nationales et de politiques uniquement intéressés par leur réélection, et dans l’indifférence quasi générale d’une population qui déteste ces migrants mais entend bien les exploiter chaque fois que c’est possible.
C’est dégueulasse et immonde, rien de nouveau sous le soleil mexicain, rien qu’on ne connaisse ici, c’est « juste » beaucoup plus violent, dans ce pays où l’état, c’est le moins que l’on puisse dire, ne fait rien pour protéger les plus faibles. C’est décrit sans filtre, sans jugement, à plat et le lecteur prend tout en pleine poire. Ça fait mal, mais il fallait le dire ou l’écrire. Et si vous avez le courage, il faut le lire.
Antonio Ortuño / La file indienne (La fila india, 2013), Christian Bourgois (2016), traduit de l’espagnol (Mexique) par Marta martinez Valls.