Archives du mot-clé Rosa Montero

Le temps de la haine

Vous savez comme je suis attaché aux séries (aux bonnes série). Vous vous doutez donc que j’ai été enchanté de revoir Bruna Husky, la réplicante créée par Rosa Montero qui revient pour un troisième volume : Le temps de la haine.

MonteroVous vous souvenez de Bruna husky, réplicante de combat découverte dans Des larmes sous la pluie et revue dans Le poids du cœur. Elle vit toujours dans l’enclave de Madrid, et il lui rente 3 ans, 3 mois et 16 jours à vivre alors que la liaison qu’elle entretient avec le flic Paul Lizard semble battre de l’aile.

C’est alors que Paul disparaît, et réapparait otage d’un groupe terroriste qui réclame plus de justice sociale élémentaire : droit de respirer de l’air pur, droit d’accès à l’eau etc … Autant de droits réservés aux plus riches. Ils exécuteront, par égorgement, un otage par jour tant que leurs revendications ne seront pas entendues.

En parallèle le magnat d’une des entreprises les plus puissantes des Etats-Unis de la Terre se propose comme rempart contre la barbarie terroriste, et les visées hégémoniques d’un de ses satellites artificiels. Dans un renversement étonnant, c’est maintenant Lizard qui voit ses jours comptés, et seule Bruna, et ses amis, semblent pouvoir le sauver.

Un troisième roman bien dans la lignée des deux précédents. A savoir une SF hommage à Blade Runner, qui explore (ici très succinctement) un autre monde artificiel avec une autre organisation politique, et se sert du prétexte SF pour parler du monde actuel. Le tout avec une intrigue très hardboiled avec son personnage de privé réplicante qui encaisse très bien, picole comme un trou, râle beaucoup, et qu’il vaut mieux éviter de chercher parce que sinon gare aux mandales.

Les personnages sont toujours aussi attachants, et cette fois l’auteur, entre autres thématiques, explore les différentes réactions à des injustices sociales insupportables : de la création de communautés autonomes coupées du reste du monde au terrorisme nihiliste et aveugle bien manipulé, comme il se doit, par quelques malins et puissants qui y trouvent leur compte. Comme on voit, rien, absolument rien à voir avec notre monde actuel.

Le personnage de Bruna Husky lui permet d’avoir un regard à la fois extérieur et très engagé sur la condition humaine et sur nos sociétés et l’auteur a l’intelligence de poser des questions sans jamais imposer ses réponses. Ajoutez que c’est vif, parfois drôle, intelligent et souvent tendre malgré les distributions de baffes. A lire donc sauf si vous êtes vraiment allergiques à la SF en général et à Blade Runner en particulier.

Rosa Montero / Le temps de la haine (Los tiempos del odio, 2018), Métailié (2019), traduit du l’espagnol par Myriam Chirousse.

Revoici Bruna Husky

Je l’annonçais ici-même en fin d’année dernière, Bruna Husky, la réplicante de Rosa Montero revient dans Le poids du cœur. Et c’est toujours aussi bon.

MonteroSix mois après Des larmes sous la pluie, Bruna Husky, la réplicante de combat qui s’est installée comme privée, compte toujours les jours qu’il lui reste à vivre, se saoule toujours au vin blanc, et court toujours après les sous. Un boulot l’amène hors de la Zone Verte de Madrid, dans la Zone Zéro, où respirer peut s’avérer mortel.

Et c’est comme ça qu’elle se retrouve responsable d’une gamine d’une dizaine d’années, douce comme un chat sauvage qu’elle surnomme « le monstre ». C’est peut-être pour ça qu’elle accepte une enquête qui va l’amener très loin de Madrid, où, contrairement à ce qu’on raconte, la guerre sévit toujours.

C’est marrant comme le polar (même quand il se passe dans le futur) se prête au personnage récurrent. A ma connaissance, jusqu’à présent, Rosa Montero n’avait jamais donné suite à un de ses romans. Et là, revoici Bruna Husky. Pour notre plus grand bonheur.

Comme dans le premier volume, l’auteur réussit à merveille sa sauce de polar-SF : On a un personnage de privé hardboiled dans la plus pure tradition : mal dans sa peau, râleuse, sujette à la gueule de bois, en marge … Une marge, où elle n’est pas seule, même si elle est peut-être un spécimen isolé : elle se définit elle-même comme un monstre, trop humaine pour une techno, trop techno pour les humains.

Et on a donc la SF, avec, outre la reprise du personnage de Blade Runner, le recyclage de romans de l’âge d’or : J’ai reconnu Les fontaines du Paradis de Arthur C. Clarke pour l’ascenseur spatial, et L’anneau-monde de Larry Niven pour le monde de Labari. Et il y a sans doute d’autres références qui m’ont échappées … C’est d’autant plus plaisant que Rosa Montero n’en fait jamais trop, n’étale pas sa science, et intègre parfaitement ces éléments à son récit.

Avec ce mélange polar-SF, l’auteur va autopsier un futur proche qui ressemble furieusement à notre présent et en explorer les marges. Quoi que … ici, comme chez nous, les marges commencent à être si étendues et peuplées, qu’on se demande si ce n’est pas la petite enclave très privilégiée de la Zone Verte, qui se protège jalousement du reste du monde qui est, finalement, la vraie marge.

La première scène qui se déroule au pied du mur qui sépare la Zone Zéro (on l’on crève très rapidement) de la Zone Verte, raisonnablement polluée, nous plonge directement dans le bain (glacé !). Car dans ce monde merveilleux qui a interdit de vendre l’air pur (louable intention), des petits malins ont trouvé comment contourner cet empêchement de faire du fric, et ont inventé le droit de vivre dans une zone non polluée, droit monnayable bien évidemment, et très cher. Entre les deux Zones, un mur. Un mur comme on en connait quelques-uns aujourd’hui. Ou comment parler de notre présent en racontant un futur possible …

Tout cela est cuisiné par la chef, pimenté de personnages secondaires fascinants, de références à des horreurs bien actuelles, et à des horreurs futures très plausibles. Avec aussi de vrais moments de bonheur, des pointes d’humour, une tendresse évidente pour ses créations, une bonne dose de rage, et beaucoup plus de questions que de réponses. Le tout lié par une intrigue solide qui réserve quelques surprises.

Un roman étonnant, intelligent, sensible, qui fait plaisir et fait réfléchir, fait sourire et trembler, donne même parfois envie de pleurer … A lire donc.

Rosa Montero / Le poids du cœur (El pezo del corazón, 2015), Métailié (2016), traduit de l’espagnol par Myriam Chyrousse.

Rosa Montero revisite Blade Runner

Quelle ne fut ma surprise, en recevant le programme des parutions de Métailié pour le début de 2016, de lire à propos d’un nouveau roman de Rosa Montero : « Bruna Husky, la réplicante de combat des larmes sous la pluie, a du vague à l’âme, la brièveté de sa vie programmée l’angoisse. Sa nouvelle enquête l’embarque dans une sombre affaire de poubelles atomiques aux confins du monde connu, dans une zone où règne une guerre permanente. » ? Double looping ! Comment, Rosa Montero dont j’avais adoré Territoires barbares a écrit un roman polar/SF dans l’univers de Blade Runner et je n’en savais rien ? Non mais quelle bille ! Je me suis donc précipité sur Larmes sous la pluie, et le suivant suivra dès le début d’année prochaine.

montero-larmesNous sommes sur Terre au début du XXII° siècle. Une Terre polluée sur laquelle cohabitent, tant bien que mal, quelques rares extraterrestres, des humains, et des réplicants, ces humanoïdes créés par l’homme. Des réplicants dont il est fait mention pour la première fois dans un très vieux film du XX° siècle …

Bruna Husky était une réplicante de combat. Une fois son « contrat » de guerrière terminé elle s’est installée comme détective privée. Il lui reste un peu plus de quatre ans à vivre avant sa fin programmée quand elle est contactée par la présidente du mouvement qui défend les droits (souvent bafoués) des androïdes : quatre reps se sont suicidés de façon atroce, après avoir massacré d’autres androïdes. S’agit-il d’un virus ou d’une manœuvre de ceux qui veulent, sur Terre, se débarrasser de ceux qu’ils appellent des monstres ? Bruna va devoir faire vite, très vite, car la situation est en train de devenir explosive et les jours sombres où humains et réplicants se faisaient la guerre pourraient être de retour.

Quel pied !

Pour commencer, j’adore les mélanges de genres, et là il est particulièrement réussi, aussi réussi que, par exemple, dans la série de George Alec Effinger et de son privé du futur.

Ensuite, je suis un fan de Blade Runner, que j’ai revu il y a peu avec mon grand. La dernière scène entre Ford et Hauer, avec la magnifique tirade du réplicant qui meurt, sous la pluie, après avoir sauvé Ford est inoubliable, j’aime que le titre y renvoie, faisant revenir immédiatement les images du film :

« J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. »

Ca c’est pour la référence.

Et bien entendu, on marche à fond dans cette histoire parce que, même sans avoir vu le film (ou lu le texte de Ph. K. Dick), le roman fonctionne parfaitement.

Des personnages superbes (qu’ils soient androïdes ou humains), une intrigue fort bien ficelée, un monde futuristes très cohérent, une façon très habile et littéraire de décrire ce qui s’est passé entre notre époque et celle du récit (je vous laisse découvrir le joli subterfuge).

Et comme c’est souvent le cas dans les très bons romans de SF, c’est en parlant d’un hypothétique futur que l’auteur parle très bien d’aujourd’hui. On ne me fera pas croire que c’est un hasard si Rosa Montero nous décrit, aujourd’hui, un futur où des mouvements extrémistes veulent se débarrasser de gens différents, où ils jouent sur les peurs, sur les frustrations … Les androïdes ont bon dos !

En résumé, un roman passionnant, prenant et intelligent, et qui ravit, encore plus, les nombreux fans de Blade Runner.

Signalons que ce premier volume sort début janvier en poche, au moment où le suivant Le poids du cœur, sort en grand format. Rendez-vous donc dès le début d’année prochaine pour la suite des aventures de Bruna Husky.

Rosa Montero  / Des larmes sous la pluie (Lagrimas en la lluvia, 2011), Métailié (2013), traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse.