Un enfer familial pavé d’excellentes intentions

Vous avez sans doute remarqué que je ne suis pas un fan de thrillers à base de serial killers (genre tout à fait honorable par ailleurs, c’est juste pas mon truc). Donc je lis assez peu les productions Sonatine, où il y a quand même beaucoup de thrillers à base de SK. Mais cette maison n’édite pas que ça, et j’ai été intrigué par Tout ce qu’on ne s’est jamais dit de Celeste Ng. J’ai bien fait.

NGCe matin, Lydia Lee 16 ans ne se lève pas. Elle a quitté la maison, elle est morte, noyée dans le lac tout proche. Pour James son père, professeur à l’université locale, Marylin sa mère, femme au foyer frustrée qui se rêvait médecin, Nath son grand frère qui va partir pour Harvard et Hannah, la petite sœur que tout le monde ignore, c’est la plongée dans l’horreur.

Chacun va devoir affronter ses secrets, ses espoirs déçus, ses frustrations, ses haines et sa culpabilité.

Sacré bouquin. Surtout, ne croyez pas la quatrième qui clame que le roman « distille un suspense d’une rare efficacité ». Il n’y a pas de suspense, Lydia est morte, et la question de qui ou de pourquoi se pose peu. Tout le roman est la subtile construction du mécanisme implacable qui a conduit à cette fin.

Et s’il s’attache à suivre la famille Lee, à travers son histoire, c’est toute celle d’une Amérique des petites villes dans les années 60-70 qui est décrite. Une histoire terrible, une histoire d’enfermement, au travers des destins des cinq personnages qui composent la famille.

La prison du père, d’origine chinoise, c’est sa race et son origine sociale. Dans cette petite ville il est Le chinois. Pire, le chinois qui a épousé une belle blonde et qui est professeur ! L’environnement le définit ainsi, et il accepte en grande partie cela, souffrant en permanence de n’avoir aucun amis, comme il n’a eu aucun ami durant une enfance « honteuse », persuadé en permanence qu’il ne mérite pas totalement sa place et sa famille, et rageant bien entendu de cette honte.

La prison de la mère, sa condition de femme. Une prison imposée, par sa mère, par tout son entourage, par toute la société. Elle qui rêvait d’être médecin, qui aurait pu l’être et qui a fini par abandonner ses études quand elle s’est mariée. Elle qui reproduit cela quand, malade, elle ne peut croire que la belle jeune femme en blanc est bien médecin, et non pas infirmière.

La prison de Lydia et Nath, ce sont leurs parents, qui projettent sur eux leurs frustrations, qui leur imposent leurs désirs refoulés, qui la voudraient scientifique, qui les voudraient populaires. C’est le poids des ambitions de Marylin pour Lydia, tenue de vouloir la même chose qu’elle, c’est, au contraire, le peu d’attention portée à Nath. Mais ce sont aussi les autres élèves pour lesquels ils sont, et ils restent, des chinois, des métis, et rien d’autre.

Et la prison d’Hannah, c’est le grenier où elle dort, l’absence totale d’attention et d’amour de parents entièrement focalisés sur les deux aînés.

Tout cela lecteur le sent dans sa chair, c’est étouffant, bouleversant. On comprend les raisons, les moteurs des uns et des autres. On voit comment chaque mouvement ne fait que resserrer le piège, enfoncer les personnages dans leurs sables mouvants, comment chaque bonne intention pave un peu plus l’enfer familial.

Un roman fin et subtil qui trace le portrait implacable d’une famille à la fois bourreau (sans mauvaise intention) et victime de toute une société, qui elle en a, des mauvaises intentions !

Celeste Ng / Tout ce qu’on ne s’est jamais dit (Everything I never told you, 2014), Sonatine (2016), traduit de l’anglais (USA) par Fabrice Pointeau.

17 réflexions au sujet de « Un enfer familial pavé d’excellentes intentions »

  1. keisha41

    Quelque part je suis soulagée d’apprendre que tu n’aimes pas les bouquins avec SK. Souvent trop éprouvants. Quoique, celui que tu présentes aujourd’hui m’a l’air de bien bousculer son lecteur.

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Pour ma part, je les trouve souvent … ennuyeux. La surenchère de gore et de super intelligence au service du mal tourne trop souvent à la recette pour faire vendre.

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  2. belette2911

    Fuck les 4ème de couvertures ! Z’en disent trop, pas assez ou elles mentent ! 😀 Bon, mais vu la blogo qui en avait parlé en bien, je le possède déjà et il n’y a plus qu’à…

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  3. tasha gennaro

    Je me suis laissée tenter aujourd’hui même, et ton avis me conforte dans mon choix. Moi non plus je n’aime pas le thriller, très rarement en tout cas. Mais celui-ci m’a fait de l’oeil, et je le commencerai peut-être dès que j’aurai terminé Sagittarius.

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Moi je me suis lassé avant même de commencer, les SK m’intéressent peu … Sauf si c’est Ellroy ou un autre de ce calibre aux commandes. Là c’est vraiment autre chose.

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  4. Meyer Meyer

    Superbe livre mais qui n’a rien d’un polar ni même d’un thriller malgré ce qu’essaie de faire croire la 4e de couverture. J’ai bien aimé cette façon d’alterné le passé et le présent et les personnages. Une très belle étude de caractères et un livre que j’ai dévoré malgré un sujet qui peut apparaître comme difficile. Un livre que je n’aurait pas lu sans ton excellente chronique que j’apprécie encore plus une fois la lecture du roman terminé. Je recommande ce livre également très chaudement. Sinon ton avis sur les serials killers me semble un peu excessif, c’est plus souvent la qualité du bouquin qui pêche que le concept de SK. J’en veux pour
    preuve : Ellroy que tu as cité, Lieberman (la nuit de solstice ou le tueur et son ombre) Mankell (le guerrier solitaire), Nesbo (le bonhomme de neige ou l’étoile du diable), Connely ( le poète) Harvey (coeurs solitares),etc.
    Un bon auteur pour rendre tous les sujets intéressants même la sexualité des gsatéropodes

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    1. actudunoir Auteur de l’article

      Enchanté d’avoir permis une découverte. Et tu as raison bien entendu, ce n’est pas parce qu’il y a un serial killer que c’est mauvais, ni bon. C’est juste qu’un grand nombre de tâcherons ont trop tiré sur cette corde.

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