Stella et l’Amérique

Stella et l’Amérique de Joseph Incardona ne pouvait que plaire au fervent adversaire de toutes les chapelles et de toutes les sectes que je suis.

Le Vatican et son Pape se sont réjouis pendant quelques instants. Une sainte, une vraie, est apparue en Amérique, quelque part chez les ploucs. Stella, 19 ans, a accompli des miracles. Elle a guéri le paralytique, pour de vrai. Mais la joie ne dure que le temps d’apprendre comment elle fait. Car Stella est jeune, belle, et putain. Et ce sont les hommes qui couchent avec elle qui sont miraculés.

Damned, même s’il y a eu une précédent d’après les légendes, difficile en ces temps troublés de sanctifier une pute. Qu’à cela ne tienne, puisqu’on ne peut pas la faire sainte, on peut la faire martyre. En bon chef notre pape se défausse et confie la tâche ingrate à son représentant sur le sol américain. Lequel va déléguer à son officine préférée dans ces cas-là. Et c’est comme ça que deux frères psychopathes vont se lancer sur la trace de Stella. Qui pourra compter sur l’aide de quelques forains et d’un prêtre, ancien Navy Seal. C’est parti.

Le pied. Total et complet. Vif, iconoclaste, libre. Tel est le roman de Joseph Incardona. Comme Stella qui n’a rien demandé et dont l’auteur fait un personnage inoubliable. Il s’amuse avec le lecteur, l’interpelle, cite ses auteurs préférés, crée une galerie de personnages bigger than life, use et abuse avec bonheur des paysage d’une Amérique objet de tous les fantasme, lieu de tous les excès.

C’est casse-gueule de faire ça, et ça passe ou ça casse. Ici ça passe la barre haut la main. Les tueurs sont de vrais affreux, les gentils de vrais gentils, et on lit avec un sourire plaqué sur le visage, en permanence. Et ça fait du bien. Merci pour ce moment de plaisir intelligent.

Joseph Incardona / Stella et l’Amérique, Finitude (2024).

il s’appelait Doll

Il s’appelait Doll de Jonathan Ames est un des polars en vue sur le web. Le plaisir de retrouver un plaisir à l’ancienne ?

Hank Doll a été flic, il est maintenant détective privé à Los Angeles. Mais ce qui le fait vivre c’est d’assurer la sécurité d’un salon de massage le soir quand il se convertit en lieu de prostitution. Une vie peu enthousiasmante, mais tranquille. Tout bascule dans la folie quand un matin son ami Lou Shelton, ancien flic qui lui a sauvé la vie en début de carrière vient lui demander s’il accepterait de lui donner un rein. Le même jour il est obligé d’abattre un client qui tente de tuer une fille au salon de massage. Et c’est parti pour quelques jours où les catastrophes vont s’enchainer.

J’avoue que je suis un peu surpris de l’enthousiasme unanime que j’ai vu dans les journaux et dans les blogs au sujet de ce roman. Pour ma part, j’ai passé un bon moment de lecture, ni plus ni moins.

Oui, comme je l’ai lu, c’est un hommage aux grands anciens, avec un privé hardboiled à la fois semblable à ses prédécesseurs (agissant hors des limites de la loi, qui encaisse beaucoup de coups, qui picole et se drogue), et avec son originalité (il a ses fragilités, va chez une psy et n’est pas un tombeur de ces dames). L’auteur va jusqu’à reproduire certaines intrigues qui brillent plus par le nombre de rebondissements que par leur crédibilité.

Je reconnais que c’est rythmé et qu’on ne s’ennuie pas. Mais pour moi cela en reste là. Je n’ai pas eu l’impression d’en apprendre sur notre temps, sur la vie actuelle à Los Angeles. Et le petit côté exercice de style m’a empêché de m’attacher au personnage principal, et donc de trembler pour lui, ou de me réjouir avec lui. Donc une lecture agréable mais que je risque d’oublier assez vite.

Jonathan Ames / Il s’appelait Doll, (A man named Doll, 2021), Joëlle Losfeld (2024) traduit de l’anglais (USA) par Lazare Bitoun.

La sagesse de l’idiot

Chouette, un nouvel auteur espagnol à la série noire : La sagesse de l’idiot de Marto Pariente.

Ascuas, un petit village pas trop loin de Madrid. C’est calme, très calme. Peu de boulot pour Toni Trinidad le policier municipal d’Ascuas. Ca tombe bien, Toni n’est pas le pingouin qui glisse le plus loin comme on dit. La cinquantaine, tranquille, il tombe dans les pommes à la vue du sang. Son seul souci : s’assurer du renouvellement de son poste.

Et voilà que tout se complique. Son ami Triste, l’idiot du village est retrouvé pendu ; sa sœur Vega qui s’occupe de la casse du village disparait. Alors Toni va devoir se bouger, et mettre en marche ses neurones. Rien de bien inquiétant à priori pour les trafiquants et les flics nationaux auxquels il va avoir à faire. A moins que …

Vous vous en doutez, on ne va pas croiser de génies du crime, ni de profiler géniaux dans La sagesse de l’idiot. On est plutôt dans un Fargo délocalisé dans une région sèche et chaude, avec quand même un petit côté Jim Thompson, et des doutes, tout le long du roman : Toni serait-il un avatar espagnol du shérif de 1275 âmes, ou est-il vraiment aussi bête qu’il en a l’air ?

Vous voyez que les références auraient pu être assez écrasantes. Il n’en est rien. Marto Pariente trouve son ton, joue des clichés et des références avec habileté et tire parfaitement son épingle du jeu pour construire des personnages de perdants misérables dont il révèle petit à petit l’humanité. On sourit beaucoup, on s’émeut parfois dans un roman très habilement mené jusqu’au jeu de massacre final.

Une belle découverte, en espérant que ce ne sera pas sans suite, avec ou sans Toni Trinidad.

Marto Pariente / La sagesse de l’idiot, (La cordura del idiota, 2019), Série Noire (2024) traduit de l’espagnol par Sébastien Rutés.

Qui après nous vivrez

Hervé Le Corre a souvent fait un pas en arrière, avec Qui après nous vivrez, il fait un pas en avant.

Quelque part au milieu du XXI° siècle, d’un coup, dans un pays aux prises avec épidémies, guerres et canicules l’électricité est coupée. Entièrement et définitivement. C’est immédiatement le chaos. Martin, Rebecca et leur fille Alice vivent dans un appartement, dans une grande ville. Un matin Martin part travailler et ne revient pas.

Des années plus tard, dans une campagne livrée aux bandes armées, Nour et sa fille Clara se sont associées à Marceau et son fils Léo pour survivre. Et tentent de trouver un havre de paix dans un pays devenu totalement barbare où règne la loi du plus fort.

Si avec les guerres en cours, la montée des fachos et la nomination du nouveau gouvernement vous avez besoin de lire quelque chose de léger et réconfortant, je vous conseille de passer votre chemin. On ne va pas se mentir, le dernier roman d’Hervé Le Corre est plombant. Et vous vous en doutez extrêmement bien écrit.

L’anticipation qu’il fait ici est particulièrement pessimiste, même s’il serait très difficile de dire sur quel point elle est exagérée. Il faut sans doute y voir un conte philosophique qui résume ses craintes sur un avenir possible. Craintes qu’il est difficile de ne pas partager. On peut juste espérer que tout, absolument tout, n’aille pas aussi mal. Il en résulte un roman terrifiant, qui fait la part belle à quelques magnifiques portraits de femmes et qui offre, de temps en temps, de très rares et très éphémères percées lumineuses dans les ténèbres qui tombent sur les personnages.

C’est beau et désespérant, à vous de voir si vous êtes d’humeur à vous y plonger.

Hervé Le Corre / Qui après nous vivrez, Rivages (2024).

Lecture indispensable

Si je n’écris pas trop, c’est la faute à Yossorian. Sur son blog il nous souhaite la bonne année avec Le Sourire, l’immonde fils de pute de Transmetropolitan. Et ça m’a donné envie de le feuilleter de nouveau.

Or avec Transmetropolitan, il m’arrive la même chose qu’avec Le bon la brute et le truand. Si je commence, je ne peux plus arrêter, et je vais au bout. Quels que soient le jour, l’heure, l’occupation de départ …

Donc j’ai relu les 5 tomes et putain que c’est bon et que c’est juste. Certes Warren Ellis, aidé par le dessin magnifique de Darick Robertson force un tout petit peu le trait.

Mais on a déjà là, un Président immonde qui ressemble beaucoup au nôtre. Un mépris assumé pour les masses et un autoritarisme fascisant. Une police aux ordres qui n’hésite pas à tirer sur la foule. Mais aussi, si l’on lit bien, un système hospitalier à la rue, qui se débarrasse en particulier des malades psychiatriques en les mettant à la rue, des religions qui sont de plus en plus l’opium du peuple, des médias, télévision et media sociaux dont le seul objectif est d’abrutir le peuple et surtout de lui vendre, vendre et vendre …

Ce qu’on n’a malheureusement pas, c’est Spider Jerusalem aidé de ses sordides assistantes pour foutre un grand coup de pied las les couilles du système.

Mais bon sang, c’est tellement bon de se défouler en relisant le tout que, malgré tout, je commence l’année de bonne humeur. En prenant la résolution de relire les 5 tomes au moins une fois par an.

Breaking news

Urgent : Considérant qu’une seule ministre supplémentaire mise en examen (à savoir Rachida Dati) ne suffisait pas à la crédibilité de son gouvernement, le Sourire aurait demandé à son Premier Toutou de proposer des postes à Nicolas Sarkozy, Patrick et Isabelle Balkany et Gérard Depardieu !

Que le meilleur gagne

Jørn Lier Horst s’est associé avec Thomas Enger pour ce thriller : Que le meilleur gagne.

Sonja Nordstrøm a été la star du demi-fond (si j’ai bien compris). Une star pas très aimée tant elle était froide et agressive. Et là, elle s’apprête à sortir un livre où elle règle des comptes. Mais le jour même où elle doit entamer la promo elle disparaît. Bientôt d’autres célébrités (sportifs, stars de la téléréalité, …) disparaissent puis sont retrouvés morts.

C’est l’inspecteur en chef Blix qui est en charge de l’enquête, et il se retrouve associé par hasard avec Emma Ramm, une jeune blogueuse qui écrit sur les people pour un media en ligne. Or, même si elle l’ignore, Blix et Emma ont une histoire en commun.

Je ne vais pas vous mentir, à mon goût, c’est loin d’être le meilleur  Jørn Lier Horst. La thématique du tueur en série, psychopathe mais très intelligent qui crée un jeu de piste pour la police n’est pas celle qui me touche le plus, loin de là. Et si l’enchainement de l’intrigue est cohérent, je ne crois pas un instant au personnage du méchant. Donc, comme c’est écrit par deux bons artisans, j’ai poursuivi pour savoir ce qu’il se passe à la fin, mais en vrai, je m’en fichais un peu.

Et pour le fond, à part dire que la téléréalité c’est nul, et que les réseaux sociaux mettent en avant des gens sans le moindre intérêt on n’apprend rien sur la société norvégienne. Pas très intéressant pour moi donc, même si je peux comprendre que pour les amateurs du genre le suspense est bien mené.

Détail : Pour la traduction il est écrit « traduit par Marie-Caroline Aubert » qui à ma connaissance est une traductrice reconnue de l’anglais, mais pas du norvégien. Du coup la question qui se pose est la suivante : les auteurs ont-ils écrit en anglais ? Ou la traduction part-elle d’une première traduction du norvégien à l’anglais ? Ce qui nous ramènerait à la fin des années 60 où les Martin Beck étaient traduits à partir de la traduction anglaise et non directement du suédois.

Jørn Lier Horst et Thomas Enger / Que le meilleur gagne, (Nullpunkt, 2018), Série Noire (2024) traduit de l’anglais (?) par Marie-Caroline Aubert.

Chevreuil

Pour commencer 2024 avec le sourire, quoi de mieux que le dernier roman de Sébastien Gendron : Chevreuil.

Saint-Piéjac, village français, à la fin de l’été. Un concentré de franchouillardise avec ses chasseurs, son boulanger, ses élus et ses gendarmes. Et ses affiches pour Eric Zemmour qui a fait ici un bon score aux dernières présidentielles. Pour vous dire l’ouverture d’esprit des habitants. C’est là que c’est installé Connor Digby, auteur de livres pour enfants, anglais.

Marceline, pour qui l’adjectif exubérant semble avoir été inventé, débarque et jette son dévolu sur Connor. Et c’est la guerre. Parce que les habitants détestent Connor qui a le défaut d’être étranger. Et parce que Marceline ne sait pas fermer sa gueule. Les cons se montent le bourrichon, Connor et Marceline les emmerdent, tout ça ne peut que mal finir.

Comme d’habitude, Sébastien Gendron ne fait pas dans la demi-mesure. Les cons sont très cons, vraiment très cons, alcooliques, racistes … Bref la totale. Et l’auteur s’amuse à accumuler les ennemis qui vont bien entendu tous converger vers un final que l’on devine assez vite apocalyptique.

Au milieu de cette bande bas de front, nos deux héros forcent eux aussi le trait de l’originalité et de la différence, haussent l’Union Jack, mettent la musique à fond pour déranger les chasseurs, adoptent un cochon promis à l’abattoir … Bref on s’amuse beaucoup à voir un certain nombre des maux d’une société malade (la nôtre) caricaturés et joyeusement mis à mal.

Il y a pire pour commencer l’année.

Sébastien Gendron / Chevreuil, La Noire (2024).

Deux séries, une bonne et une mauvaise

Avant de me lancer dans les chroniques des sorties de 2024, bonne année à vous, à titre individuel. Pour ce qui est du collectif, 2024 s’annonce au moins aussi merdique et dégueulasse que 2023. Donc passons.

J’en profite pour vous conseiller une mini série dont vous avez forcément entendu parler, et faire part de mon agacement (et le mot est faible) concernant une autre.

Guillaume Gouix (Louvetot), Julien Drion (CrCree) et Firmine Richard (Bellerose) dans Polar Park (2022), épisode 5, réalisé par Gérald Hustache-Mathieu.

Le conseil c’est Polar Park sur ArteTV. Un écrivain de polars (Jean-Paul Rouve excellent), vient se perdre dans une des communes les plus froides de France, en hiver bien entendu, parce qu’un moine du monastère local veut lui faire des révélation sur son passé. Sur place les morts s’accumulent, avec des mises ne scène rappelant des tableaux célèbres.

Notre écrivain va donc proposer ses services et ceux de son détective Magnus Horn au gendarme local (Guillaume Gouix) en charge de l’enquête. Gendarme assez peu ouvert aux fantaisies littéraires.

Ce n’est pas la série de l’année, mais c’est drôle, bien joué et court (6 épisodes). Et surtout on apprécie, quand on est lecteur et amateur de cinéma les multiples clins d’œil. Aux clichés des polars à la mode, et à de nombreux films, qu’on ne peut pas tous citer pour ne pas dévoiler l’intrigue. On a des gendarmes au look très Fargo, des moines plus Nom de la rose, un écrivain en panne d’inspiration dans un motel perdu à la Shining etc … Bref c’est léger mais très agréable.

L’agacement, voire la très mauvaise humeur c’est pour Preacher. Si vous êtes des habitués, vos savez que je suis très très fan de la BD. De son humour trash, de la façon dont elle dézingue toutes les religions sans la moindre pitié.

Je me doutais bien qu’il serait difficile à la série de garder une telle irrévérence, et une telle liberté de ton. Mais je ne me doutais pas qu’elle irait aussi loin dans le léchage de cul des curés, pasteurs et autres sorciers. J’ai craqué au 3° ou 4° épisode (je ne sais plus). Ils n’ont gardé que la définition grossière des personnages.

Le problème est que le génial Jesse Custer qui a reçu la voix, au lieu de partir à la recherche de Dieu pour lui casser la gueule et lui faire rendre des comptes, s’est mis en tête de convertir tous les habitants de sa petite ville. Non mais quel scandale, c’est carrément l’opposé de la philo de la BD. Ils n’ont gardé que les vannes scato, le gore drôle lié à son pote Cassidy le vampire irlandais amateur de bibine, et ils en ont fait un super pasteur. Une honte. A éviter absolument si comme moi vous êtes fan de la BD (dont du coup j’ai relu les 3 premiers tomes).

Celles qu’on tue

Allez, le dernier polar de l’année, c’est pas le plus gai, Celles qu’on tue de Patricia Melo.

La narratrice est avocate à São Paolo. Avec une vie marquée par l’assassinat de sa mère par son père. Quand son ami, lors d’une soirée, la gifle, elle le quitte et accepte de partir dans le Cruzeiro do Sul pour le compte du cabinet qui l’emploie. Sa chef veut écrire un livre sur les féminicides, et elle part couvrir l’assassinat d’une jeune indienne par trois jeunes de la très bonne société locale.

Elle ne se doute pas à ce moment là que ce séjour en Amazonie, dans la région du pays qui compte le plus de meurtres de femmes, va changer sa vie entière.

Je n’ai pas lu tous les romans de Patricia Melo, mais elle a écrit au moins deux pépites de noirceur, O matador et Monde perdu, qui nous plongeaient dans la tête d’un gamin de favela de Sao Paolo qui devient un tueur. Si ici la narratrice est plus aimable (dans tous les sens du terme), le roman n’en est pas moins noir.

Car c’est la description d’un système qui permet de tuer les femmes en toute impunité qui est ici décrit. Pas de complot, pas de grande organisation, juste une société, du système judiciaire à la presse en passant par la police et la politique qui trouve normal qu’un mari/frère/amant/père tue une femme parce qu’elle l’a cherché, parce qu’elle l’a trompé, parce qu’elle le fatigue parce que …

Et s’il s’agit d’une pauvre, d’une noire, ou pire d’une indienne, il n’y a même plus besoin de faire semblant de chercher une excuse à la con. C’est effrayant, insupportable. Et accompagné de la description dans cet état, de la destruction avec la même impunité des communautés indigènes et de la nature.

Heureusement il y a quelques belles pages sur la solidarité, sur la découverte du monde de la forêt, sur des rêves de revanche. Quelques rayons de soleil dans un monde bien sombre.

Un très beau roman, dérangeant mais d’utilité publique, aussi sombre que l’année de merde que l’on vient de vivre.

Patricia Melo / Celles qu’on tue, (Mulheres empilhadas, 2019), Buchet Chastel (2023) traduit du portugais (Brésil) par Elodie Dupau.

PS. Cette année je n’ai pas fait de bilan de lecture pour une raison très simple : j’ai eu la flemme. Bon réveillon à toutes et à tous, à l’année prochaine.